23 mai 2012 3 23 /05 /mai /2012 05:30

 

 

 

[invité d'honneur de la revue]

 

 

 

La poésie française depuis 1950


1980 : Articuler


Un lyrisme critique ?


 

 

Jean-Michel Maulpoix 

Article reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur



À la fin des années 70, et au début des années 80, se fait jour ce qu'on a parfois appelé un "nouveau lyrisme" ou un "lyrisme critique". Le « sujet » fait alors retour sur le devant de la scène littéraire et philosophique. C'est l'époque ou Tzvetan Todorov publie Critique de la critique, quelques années après que Roland Barthes eut glissé du structuralisme militant des Essais critiqueset de S/Zà l'écriture plus subjective des Fragments d'un discours amoureuxou de Roland Barthes par lui-même. C'est également l'époque où l'on parle de « nouvelle fiction », de « nouvelle histoire » de « nouvelle cuisine » ou de « nouveaux philosophes ». La mode est aux « nouveaux », même si certaines de ces nouveautés dissimulent parfois une simple relecture « postmoderne » du passé.

Ceux que l'on appelle « nouveaux lyriques » sont pour la plupart des poètes nés dans les années 50. Cette génération était adolescente à l'époque des avant-gardes. Elle n'a pas participé à la grande fête subversive de mai 68 ; elle l'a considérée plutôt comme un déroutant spectacle. Elle a par contre commencé d'écrire et de publier dans un contexte de crise et de reflux des idéologies. Elle s'est nourrie d'histoire littéraire aussi bien que de marxisme, de psychanalyse et de structuralisme. Elle a le plus souvent trouvé sa voix contre les bousculades théoriques des décennies antérieures. Elle apparaît plus sage, plus conventionnelle, moins soucieuse d'afficher des signes extérieurs de modernité.


Jean-Pierre Lemaire, Guy Goffette, André Velter, James Sacré, Benoît Conort, Alain Duault, Philippe Delaveau,Jean-Yves Masson, Jean-Claude Pinson Jean-Pierre Siméon, Yves Leclair, (et l'auteur mêmede ces lignes) sont quelques-uns de ces poètes très divers qui renouent avec un lyrisme (critique)où le sujet et le quotidien ont leur place. Ils trouvent un encouragement et un appui auprès d'aînés comme Jacques Réda, Pierre Oster, Lionel Ray, Marie-Claire Bancquart, Robert Marteau, Vénus Khoury-Ghata Jacques Darras ou Jean-Claude Renard. À travers eux, la poésie française semble se réinscrire dans une tradition plus vaste, peut-être plus naïve.

 

Si l'infinitif « articuler » apparaît susceptible de regrouper et identifier ces auteurs, c'est que leur écriture semble orientée vers un désir de synthèse entre la tradition et la modernité. Ils renouent avec l'image et la mélodie, voire avec un certain « phrasé ». Ils retrouvent le goût de l'émotion et de l'expression subjective, mais sans en revenir pour autant à la traditionnelle posture romantique du « pâtre-promontoire » ou de « l'écho sonore » célébré par Victor Hugo.

 

Leur lyrisme apparaît davantage soucieux de l'autre que de soi. Il est moins « proféré » qu'interrogateur et critique. Il cherche à réarticuler la présence et le défaut, le désir et la perte, la célébration et la déploration. Le « nouveau lyrique » est un lyrique qui cherche son chant, sa voix, voire ses propres traits dans le décousu de la prose. En témoigne ce poème de Jacques Réda, extrait de Récitatif :

 

 

Écoutez-moi. N'ayez pas peur. Je dois

vous parler à travers quelque chose qui n'a pas de nom dans la langue que j'ai connue,

sinon justement quelque chose, sans étendue, sans profondeur, et qui ne fait jamais obstacle (mais tout s'est affaibli).

Écoutez-moi. N'ayez pas peur. Essayez, si je crie,

de comprendre : celui qui parle

entend sa voix dans sa tête fermée;

or comment je pourrais,

moi qu'on vient de jeter dans l'ouverture et qui suis décousu?

Il reste, vous voyez, encore la possibilité d'un peu de comique, mais vraiment peu:

je voudrais que vous m'écoutiez -sans savoir si je parle.

Aucune certitude. Aucun contrôle. Il me semble que j'articule avec une véhémence grotesque et sans doute inutile -et bientôt la fatigue,

ou ce qu'il faut nommer ainsi pour que vous compreniez.

mais si je parle (admettons que je parle),

m'entendez-vous; et si vous m'entendez,

si cette voix déracinée entre chez vous avec un souffle sous la porte,

n'allez-vous pas être effrayée?

C'est pourquoi je vous dis : n'ayez pas peur, écoutez-moi,

puisque déjà ce n'est presque plus moi qui parle, qui vous appelle

du fond d'une exténuation dont vous n'avez aucune idée,

et n'ayant pour vous que ces mots qui sont ma dernière enveloppe en train de se dissoudre.

 

 

Cette adresse à la femme aimée est aussi bien adresse du poète au lecteur ou à quiconque, voire tentative pour prendre langue avec soi, puisque le sujet "décousu" qui appelle ici ne parvient pas même à entendre sa propre voix "dans sa tête fermée" et a donc besoin de l'oreille compréhensive d'autrui pour se reconnaître et exister. Tout se passe comme si le sujet lyrique moderne se trouvait lancé au-dehors de soi à la recherche de son propre centre. Il ne peut s'en tenir à la simple "diction d'un émoi central".  Son émotion elle-même paraît se méconnaître tout autant que celui qui l'éprouve et qui interroge sa propre capacité à l'articuler. Sa place n'est assurée ni au langage ni au monde. C'est pourquoi il devient passant, piéton ou rôdeur parisien, créature en transit dans un monde transitoire, passager et lieu de passage.

Ce sujet aminci, égaré, titubant fraie dans l'écriture un chemin aléatoire conduisant vers l'atteinte improbable de sa propre figure. Dans l'oeuvre de James Sacré, le déracinement et l'exténuation se traduisent par un singulier boîtement du vers et de la syntaxe :

 

 

Rien pas de silence et pas de solitude la maison

dans le printemps quotidien la pelouse

une herbe pas cultivée ce que je veux dire

c'est pas grand chose un peu l'ennui à cause

d'un travail à faire et pour aller où pourquoi?

ça finit dans un poème pas trop construit

comme un peu d'herbe dure

dans le bruit qui s'en va poignée de foin sec

le vent l'emporte ou pas ça peut rester là

tout le reste aussi la maison pas même

dans la solitude printemps mécanique pelouse

faut la tailler demain c'est toujours pas du silence qui vient.

 

Est-ce que c'est tous ces poèmes comme de la répétition?

je sais pas au moment qu'en voilà un encore

avec pourtant comme du vert

dans soudain les buissons en mars un désordre

avec des feuilles pourries dans

à cause du vent avec le vert maintenant

ça fait une drôle de saison neuve et vieille

est-ce que c'était pareil l'année dernière? j'en ai rien dit

pourtant j'en ai écrit des poèmes ça a servi à

je me demande bien quoi ça a disparu

des mots qu'on a dit j'ai mal entendu.

 

 

Nous pouvons lire et entendre ici le déhanchement ou le boitement d'une parole défaite, comme mal assurée d'elle-même: un chant peu sûr, cherchant sa langue ou son articulation. Le poème est "bougé", comme on le dirrait d'une photographie floue. Ce bougé poétique ou rhétorique signifie un rapport tremblé du sujet à sa propre identité. C'est ici la voix qui fait hésiter la grammaire. Comme Verlaine, James Sacré cultive un art savant de la méprise, de l'approximation, de la négligence, voire de la faute.


Ces poètes retrouvent donc des qualités d'instrumentistes. Ils jouent le jeu de la langue, malgré tout. Leur écriture paraît dépourvue d'a priori formels. Elle ne repose sur aucun postulat. Le « nouveau lyrique » part à l'aventure dans la langue à partir de son désir de prendre langue. Il sait que la langue est un piège, que l'image est une tromperie, que le sujet est un leurre. Cela n'empêche pas que dans le langage il y ait « de l'image et du sujet ». Peut-être doit-on parler ici d'écritures sans théories, a-théoriques, ou post-théoriques. Lassées du théorique, lassées surtout des exclusions ou des réductions qu'il implique, et de l'intellectualisme qui souvent s'y attache.

 

Ces écritures n'affichent pas de signes externes de négativité ou de modernisme; elles font plutôt l'expérience d'une négativité interne. Si elles posent, comme Bonnefoy, Jaccottet, Du Bouchet, la question du lieu, c'est en renouant avec sa géographie et son histoire locale.

Au "verger", ou à "la clairière" (lieux abstraits et essentialisés figurant la plénitude un instant renouée d'un rapport au monde), viennnent se substituer des lieux concrets très ordinaires : les « gares » et les « banlieues » chez Réda, les terrains vagues chez James Sacré, ou, pour Guy Goffette, une simple cuisine de province. Voici un extrait de l'un de ses poèmes :


 

Peut-être bien que les hommes après tout

ne sont pas faits pour vivre dans les maisons

mais dans les arbres

et encore

pas comme l'écureuil ou le singe d'Afrique

qui sont des enfants espiègles et craintifs

mais comme les oiseaux

et encore

pas comme le loriot bavard ou le geai plus rogue

qu'un chien de ferme et plus insupportable

qu'une porte qui grince

mais comme les oiseaux de haute volée de longs voyages

qui n'y viennent que pour le repos

échanger quelques nouvelles lier connaissance

et prendre un peu de sang nouveau

avant de s'enfoncer dans le silence et l'anonyme

gloire du ciel [...]

 

 

Nous renouons ici avec la simplicité d'une parole qui semble couler de source, aller de soi, et qui ne craint pas d'afficher son apparente naïveté.

Cet essai ne constitue guère qu'une mise en perspective, une ouverture, une initiation très partielle à laquelle seule la lecture individuelle des oeuvres pourra donner un sens. Les quelques balises que plantent les quatre infinitifs retenus pour caractériser les tendances les plus remarquables qui émergent successivement au fil de ce demi-siècle, ne sauraient occulter une multitude de parallèles ou de croisements possibles entre les courants et les oeuvres. Ces quatre catégories ne sont nullement exclusives les unes des autres. Toute poésie en effet, quelle qu'elle soit, a à voir avec « l'habiter » car elle met en cause la manière dont l'être humain se situe dans le monde, l'aménage et l'occupe.


Elle est une affaire de « figuration », car elle est cet espace de langage où travaillent de concert les figures de la langue, le visages du sujet et les aspects des choses. Elle constitue un processus de « décantation », dans la mesure où elle interroge la langue, l'analyse, en prend soin, et procède au « nettoyage de la situation verbale ». Elle demeure enfin une question « d'articulation », puisque chaque oeuvre établit une relation singulière entre un sujet, un langage et un monde.

 

 

 

Pour citer cet article

 

 

Jean-Michel Maulpoix, « La poésie française depuis 1950. 1980 : Articuler. Un lyrisme critique ? » (article reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur, 1er éd. 1999, url. http://www.maulpoix.net/articuler.html), in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : « Poésie, Danse & Genre » [En ligne], n°1|Printemps 2012, mis en ligne en Mai  2012.

URL. http://www.pandesmuses.fr/article-la-poesie-102954628.html ou URL. http://0z.fr/MCTpt
 

 

 

Pour visiter les pages/sites de l'auteur(e) ou qui en parlent

 


 

http://www.maulpoix.net/index.html

 

 

http://www.u-paris10.fr/1768/0/fiche___annuaireksup/&RH=rec_rev

 

Jean-Michel Maulpoix

 

Jean-Michel Maulpoix - Littérature - France Culture

 

Jean-Michel Maulpoix - Wikipédia

 

 

Auteur(e)

 

 

 

Jean-Michel Maulpoix

 

 


Le Pan poétique des muses - dans n°1|Printemps 2012
23 mai 2012 3 23 /05 /mai /2012 05:30

 

 

 

Texte inédit

 

 

La danseuse :  un « poétique instinct » mallarméen ?

 

 

 

 

  Céline Torrent

 

 

 

 

 

« Crayonn[ant] au théâtre », Mallarmé, critique de ballet atypique, ne s’étant jamais réellement interrogé sur la danse depuis le point de vue de son interprète, semble avoir mis au jour de très justes vérités concernant la danseuse et son rapport au mouvement.

 

Le rapprochement des textes écrits par ce poète à la fin du XIXsiècle avec les propos d’une danseuse et théoricienne classique du XXe-XXIsiècle, Wilfride Piollet, nous permettra d’étayer cette idée bel et bien révélatrice d’un « poétique instinct », la danseuse n’est sans doute pas si « inconsciente »1que l’avait imaginé Mallarmé. Sans doute, au contraire, est-ce parce qu’elle crée elle-même via l’instinct « poétique » qui est le sien que le poète se reconnaît en elle. En ce sens, Mallarmé n’appliquerait pas tant sa vision de poète à la danseuse qu’il ne se ferait le scribe inconscient du signe qu’elle incarne consciemment.

 

 


 

De la danseuse comme ''inconsciente révélatrice'' d’un ''poétique instinct''...

 

 

 

Oui, celle-là […] pour peu que tu déposes avec soumission à ses pieds d’inconsciente révélatrice […] la Fleur de tonpoétique instinct2, n’attendant de rien autre la mise en évidence et sous le vrai jour des mille imaginations latentes : alors, par un commerce dont paraît son sourire verser le secret, sans tarder elle te livre à travers le voile dernier qui toujours reste, la nudité de tes concepts et silencieusement écrira ta vision à la façon du Signe qu’elle est 3.

 

Dans ce célèbre passage du texte « crayonné au théâtre », Mallarmé caractérisait très clairement sa conception de la danse, ou plutôt de la danseuse, qualifiée d’« inconsciente révélatrice » du « poétique instinct » de l’écrivain.

Pour ce dernier, la danseuse semble finalement n’être pas plus une femme qui pense qu’une femme « qui danse ». Elle n’existe semble-t-il en tant que Signe poétique qu’à travers le regard que porte sur elle le poète. Reconnaissant en elle, dans le spectacle qu’elle lui offre, l’instinct poétique qui est le sien, il projette sur cette « inconsciente » sa propre conscience de poète. Comme le note Frédéric Pouillaude, « c’est toujours depuis la place du spectateur que Mallarmé décrit la danse [...] Mallarmé semble [...] s’en tenir à une pure surface »4.

 

Alors que c’est d’un point de vue purement extérieur que Mallarmé observe la danse, depuis le siège du spectateur, de l’autre côté du 4èmemur, ses « crayonnages » ne dessinent pas tant sur la page les contours de ses pensées sur la danse que de ses réflexions sur sa propre poétique à travers l’image de la danseuse.

 

À travers le miroir que lui tend, ou plutôt que constitue la danseuse, le poète réfléchit sur sa propre poétique. Le point de vue de Mallarmé est finalement certes celui du critique de danse, ou même du simple spectateur, mais avant toute chose celui du poète.

Tout se passe, si l’on s’en tient aux termes stricts de Mallarmé, comme si c’était son regard de poète qui faisait du ballet un poème « dégagé de tout appareil du scribe »5 ; comme si le poète écrivait lui-même, par l’entremise du corps de la danseuse, son propre poème mental, « la mise en évidence et sous le vrai jour des mille imaginations latentes » de son « poétique instinct »6. Le regard de Mallarmé traverserait la danseuse pour atteindre le poème présent à l’état latent dans son esprit à lui. La danseuse en ce sens ne serait que le miroir passif de ce poème, un miroir-Signe, projetant le poème intérieur de Mallarmé sur l’extériorité de la scène.

 

En ce sens, la conception de la danse de Mallarmé ne devrait jamais nous renvoyer – du moins a priori- qu’à Mallarmé lui-même, à son écriture, à son poème. À aucun moment le poète ne semble chercher à prendre en compte l’intériorité même de la danseuse, d’emblée définie comme « inconsciente ». Comme le souligne Frédéric Pouillaude : « il ne se demande jamais en quoi peut consister l’expérience intime de la danseuse. À certains égards, la chose ne l’intéresse nullement. Pris dans le regard du spectateur, la danseuse n’est rien qu’une visibilité immédiatement exposée… »7. C’est moins en tant que danseuse qu’en tant que médiatrice entre lui et sa propre conscience poétique que la danseuse présente un intérêt pour Mallarmé.

 

D’ailleurs, selon son très célèbre « axiome », elle n’est « pas une femme qui danse », mais une « métaphore »8: le signe d’une écriture dont elle ne serait pas l’auteur mais le vecteur, entre le poète-spectateur et son poème latent.

 

Or, il va être tout à fait intéressant à présent de remarquer que c’est justement sans s’interroger « consciemment » sur cette intériorité de la danseuse que Mallarmé va, de fait, parler de la danse en des termes qui auraient bel et bien pu être ceux d’une danseuse.

À cet égard, la justesse « inconsciente » des propos du poète sur la danseuse tendrait bien à prouver qu’il existe, de façon générale, un puissant lien entre l’écrivain et la révélatrice de son « poétique instinct », elle-même animée d’une forme de « poétique instinct ».

 

Autrement dit, mettant à jour sa propre intériorité poétique via la danseuse, Mallarmé verbalise par là-même, et ce vraisemblablement sans en avoir conscience, l’intériorité poético-chorégraphique de la danseuse, les deux se rejoignant de façon troublante dans ce que nous pourrions qualifier d’instinct « poégraphique ». C’est ce que le rapprochement des textes de Mallarmé avec ceux d’une danseuse classique du XXIe siècle semble faire apparaître.

 

 

 

 

...au poète, inconscient révélateur d’un « poégraphique instinct »

 

 

 

Si la danseuse pouvait dans un premier temps être assimilée au miroir-Signe du poète, nous allons voir à présent que le poète peut être lui aussi perçu comme le miroir-Scribe de la danseuse. Ainsi nous verrons en quoi Mallarmé observant la danseuse met lui aussi à jour sur la page, via « l’appareil du scribe9», une intériorité poétique : pas seulement la sienne, mais celle également inhérente à la danseuse. Ainsi, il se fait le révélateur inconscient d’un instinct d’ordre poétique se manifestant par la forme chorégraphique : nous parlerons donc de « poégraphie ».

 

Dans nombre de ses « conférences dansées », Wilfride Piollet redonne une voix précisément aux danseuses dont parle Mallarmé, ce qui sera d’un grand intérêt pour notre étude puisque ces danseuses se sont elles-mêmes assez peu exprimées. C’est son analyse qui va nous permettre de faire apparaître les occurrences flagrantes entre les propos de Mallarmé, poète-spectateur purement extérieur, et ceux qu’auraient pu tenir ces danseuses elles-mêmes.

 

Wilfride Piollet nomme les danseuses qu’a pu observer Mallarmé — mis à part peut-être le cas particulier de la danseuse moderne qu’était Loie Fuller — « dames blanches », qu’il s’agisse de La Cornalba, de la Mauri, etc.

L’expression fait référence aux « actes blancs » des ballets classiques qui les mettent à l’honneur (« tous les grands ballets classiques ont possédé leur ‘’acte blanc’’, leur ‘’acte froid’’ 10»), mais aussi à l’idéal de pure abstraction qu’elles incarnent :

 

Dans tous les ballets d’essence romantique, les protagonistes des actes blancs, cygnes, Willis, ombres ne sont que l’image infiniment répétée de la dame blanche qui en est le sujet principal, rejoignant ainsi l’abstraction11

 

Ce télescopage de la « dame blanche »  à l’infini, à travers toutes les ballerines membres du corps de ballet au moment de l’acte blanc, pourrait bien d’ailleurs être ce que Mallarmé identifie très justement lorsqu’il parle d’« in-individuel, chez la coryphée et dans l’ensemble », résumant cela en ces célèbres termes « jamais qu’emblème, point quelqu’un… »12. Le terme « emblème » sera sans doute à nuancer, dans le sens où si la « dame blanche » tend à s’effacer dans l’ « emblème » qu’elle constitue, c’est en fait de façon consciente, comme nous le verrons plus tard.


 

 La femme qui danse s’oublie pour devenir « dame blanche », mais elle le fait de manière consciente, et non en tant que « figurante » « illettrée » pour reprendre les termes de Mallarmé, qui en l’occurrence s’avèrent inexacts. Il n’en reste pas moins que cette « erreur » d’appréciation concernant l’intériorité de la danseuse ne remet pas en cause la justesse du regard du poète. Il y a évidemment une forme de tension vers l’oubli de soi, et donc vers l’« in-individuel » chez les danseuses qu’il observe : « Pour un danseur, l'objet de son attention ce n'est pas lui, c'est le mouvement qui le traverse, c'est sa danse ; il a pour ses propres gestes une tendresse, un désintéressement rayonnant »  13  confirme en effet Wilfride Piollet. L’exemple de La Cornalba à laquelle Wilfride Piollet consacre sa conférence « Danse de lune » semble d’autant plus frappant qu’il s’agit précisément de l’une des danseuses que nomme Mallarmé dans ses « Divagations ».

 

La Cornalba me ravit qui danse comme dévêtue ; c’est-à-dire que sans le semblant d’aide offert à un enlèvement ou à la chute par une présence volante et assoupie de gazes, elle paraît appelée dans l’air, s’y soutenir, du fait italien d’une moelleuse tension de sa personne 14.

 

Wilfride Piollet semble confirmer parfaitement cette perception qu’a le poète de la danseuse :

 

Le vocabulaire de la danse classique de ce temps, vu par Mallarmé au travers de Cornalba était, pour les solistes, d’une grande difficulté technique [...] les gestes de ces danseuses cherchent à évoquer, à la suite du romantisme, le rêve, l’ailleurs, l’irréel, un idéal de légèreté 15.

 

Encore une fois, elle parle bien ici d’une intention de la part de ces danseuses qui « cherchent à évoquer » précisément ce dont le poète parle. Celui-ci révèle donc bien une réalité propre à la danseuse lorsqu’il parle de « présence volante », d’appel dans les airs. Ces « dames blanches », dont la Cornalba est en quelque sorte l’ « emblème », se caractérisent précisément par cette volonté de s’élever vers un idéal abstrait :

 

Les dames blanches par leur aimante métamorphose sont ‘’détachées’’ de la terre, trouvent dans la plénitudede leur mouvement  ‘’leur vérité’’, une vérité telle, qu’elle est une jouissance que rien ne peut éteindre. »16

 

D’autres occurrences frappantes apparaissent entre les termes employés par Mallarmé et ceux utilisés par Wilfride Piollet. Ainsi Mallarmé parle-t-il très justement du « cercle magique » dans lequel évolue la danseuse : « Aussi, dans l’ordre de l’action, j’ai vu un cercle magique… »17. Là encore, Mallarmé révèle un point fondamental de la poétique de la « dame blanche » définie par Wilfride Piollet. Cette dernière utilise la même expression dans ses théories sur la recherche du mouvement qu’accomplit la danseuse. Reprenant le « cercle magique » à l’auteur du livret de ballet de Giselle, cet autre poète qu’était Théophile Gautier, elle soutient l’idée selon laquelle la danseuse, si elle se déploie et rayonne de toutes parts vers le spectateur, elle ne le fait qu’à travers le filtre de son « cercle magique », cercle clos dans lequel elle évolue librement, à la fois visible du monde extérieur, et inaccessible, dans la sphère de son monde intérieur. Tel est le propre de la « dame blanche » qui vit sa danse précisément dans cet équilibre entre don de soi et reprise, entre vision charnelle et transparence abstraite. La « dame blanche » ne se donne jamais entièrement, la fascination qu’elle exerce tient toute entière dans son pouvoir de suggestion. Comme le rappelle Wilfride Piollet, « la danse est un art plastique qui se déplace dans le temps, entre abandon et reprise »18.

C’est ce que pressentait sans doute l’inconscient révélateur Mallarmé, tenant ses propos, cités d’ailleurs par Wilfride Piollet dans sa conférence : « Oui ! Le suspens de la Danse, crainte contradictoire ou souhait de voir trop et pas assez, exige un prolongement transparent. »19. Dans ses écrits sur la danse et la danseuse, Mallarmé met donc à jour non pas tant une métaphore inconsciente d’elle même qu’un instinct poétique dont il est lui, l’inconscient révélateur…

 

La danseuse, consciente métaphore

 

 

En somme, le miroir révélateur que constitue la danseuse pour le poète est parfaitement réversible. Elle même est révélée de façon très juste par le poète, dont l’écriture se fait également miroir. Nous pourrions d’ailleurs aller jusqu’à dire que si elle est si bien « révélée » par le poète, c’est qu’une identification tacite, inconsciente, s’opère chez le poète, en l’occurrence Mallarmé : tout se passe comme si reconnaissant dans la danse l’illustration de son idéal poétique, Mallarmé avait en fait mis à jour, sans en avoir conscience la quête d’un idéal de même nature. Ce qu’il prenait pour une métaphore inconsciente était en fait elle-même poète, « poète du mouvement »20.

 

Perçue comme un « signe », la danseuse serait en fait tout autant un « scribe », son « appareil » n’étant simplement pas distinct d’elle, de son corps qui est à la fois la matière première et le résultat de son écriture : un poème mouvant. Comme l’indique la danseuse qu’est Wilfride Piollet, dans son ouvrage théorique, « en dansant, nous ne faisons que reproduire, réécrire indéfiniment et différemment notre propre matière »21.

 

Pour le dire autrement, si Mallarmé voit un poème dans le ballet, un Signe dans la danseuse, c’est sans doute précisément parce que cette dernière est elle-même poète, ou pour le dire plus précisément se « poétise » elle-même, se fait « poégraphe ». Cela expliquerait la justesse, somme toute inattendue, des propos sur une danseuse d’un poète n’ayant jamais pratiqué la danse, n’ayant de surcroît jamais cherché, comme le rappelle Frédéric Pouillaude, à percevoir la danse depuis l’intériorité de la danseuse.

Ainsi lorsque Mallarmé compare la danseuse à une métaphore, utilisant la métaphore de la métaphore pour parler de la danseuse22, même s’il ne se réfère qu’à la perception qui est la sienne dans son œil de poète, il tombe encore une fois très juste. C’est ce que nous révèle le rapprochement entre l’analyse que fait Frédéric Pouillaude du texte de Mallarmé et les propos de Wilfride Piollet. Selon Frédéric Pouillaude :

 

La métaphore garde de la danseuse son essence même : le mouvement. Elle déplace le sens, elle le déporte (metaphora) assemblant dans le regard du spectateur un symbole fugitif : une juxtaposition d’aspects immédiatement évanouie 23 

 

Or, si la danseuse est captée par le regard du spectateur, et en particulier de ce spectateur-poète qu’est Mallarmé, comme une métaphore, un « symbole fugitif », ne serait-ce pas parce qu’elle pense et vit elle-même son mouvement comme une métaphore ? C’est ce que semble confirmer Wilfride Piollet lorsqu’elle affirme que « la danse suppose une recherche de la perfection qui refuse par définition, l’état statique. Elle est mue par une idée qui se déplace encore plus vite que le corps. La danse, c’est la vitesse de la pensée incarnée… »24.


Il y a donc une réelle forme de conscience de la part de l’interprète, une intention, une quête visant à traduire par la forme une idée, par une image corporelle extérieure une image spirituelle intérieure. Ainsi la danseuse devient la métaphore de l’image qui l’anime elle, bien plus que de celle que calquerait sur elle le poète, la seconde étant en fait impulsée par la première. La métaphore que Mallarmé spectateur voit en elle, si elle est pertinente, ne l’est pas du tout uniquement de son fait. Le poète n’invente pas la métaphore-danseuse, il perçoit simplement avec une acuité accrue du fait de son instinct poétique, la métaphore déjà présente en latence « dans » la danseuse. C’est parce que lui même est poète qu’il capte cet élan de même nature que le sien. Ce qui s’opère alors est bien de l’ordre de la reconnaissance, celle d’un instinct poétique reconnaissant un autre instinct poétique. Le terme « instinct » est à ce titre parfaitement juste concernant le poète puisque cette reconnaissance n’est pas en tant que telle verbalisée, réfléchie : elle est instinctive, puisque inconsciente, comme nous l’avons vu.

Le regard du poète ne rend pas la danseuse poétique mais décèle sa poésie. Aussi, cette perception unilatérale du lien entre le poète et la danseuse, explicitée dans les analyses que fait Frédéric Pouillaude des textes de Mallarmé sera à remettre en perspective, à l’aune des propos de Wilfride Piollet :

 

Rien à mettre au jour dans le visible, donc. Sinon précisément ce que le regard du spectateur y assemble fugacement, en surface, dans la « flottaison de la rêverie ». Car c’est toujours selon l’exact entre-deux d’une visibilité offerte et d’un regard qui accueille que Mallarmé décrit le spectacle chorégraphique. Plus précisément, un certain « commerce » d’écriture et de lecture s’y dessine, reliant la danseuse illettrée au spectateur poète. Ce commerce s’instaure sur un fond général de pauvreté, qui sollicite directement le spectateur. 25

 

C’est à cette interprétation que Wilfride Piollet semble répondre lorsqu’elle affirme au contraire que tout ce que capte le spectateur de la danseuse, c’est bien ce qu’elle lui a sciemment transmis. La « visibilité » qui lui est offerte n’est pas pure surface : elle est au contraire la manifestation extérieure d’une vie intérieure.

 

Au fond, tout est factice : il faut produire une illusion puissante qui s’imprime dans l’œil du spectateur. Mais cette illusion est produite par un sentiment qui a été vécu intensément dans l’esprit du danseur. 26

 

 

d’un mallarméen instinct

 


 

Le poète décèle donc plus qu’il ne révèle la poésie inhérente à la danseuse, elle-même « poète du mouvement ». Sans doute, nous pouvons aller plus loin en resserrant notre analyse autour des spécificités propres à la poétique mallarméenne et à celle de la « dame blanche » telle que la définit Wilfride Piollet. Cela laisse apparaître alors que la transformation de la danseuse en « dame blanche » résulte non seulement d’un instinct poétique, mais d’un instinct poétique mallarméen.

En effet, les analyses de Wilfride Piollet révèlent de nombreux points communs entre la « dame blanche » et Mallarmé. Les liens qu’ils entretiennent encore une fois ne sont pas ceux existant entre le poète et son image, ni même entre le poète et sa « muse », mais entre deux créateurs, deux artistes « poiêtiques »27animés d’un même type d’instinct. Il ne s’agira plus alors de mettre en parallèle les propos de Wilfride Piollet avec les textes de Mallarmé sur la danse mais avec ses textes sur sa poétique, voire même ses poèmes.

 

Si nous admettons que lorsque le poète parle de la danse, il parle bien indirectement de sa propre poésie, il semble pertinent en effet d’envisager le fait que la danseuse soit à sa façon animée d’un instinct poétique à même de susciter une reconnaissance.

En somme, la « dame blanche » définie par Wilfride Piollet représente en quelque sorte le double « poégraphique » de Mallarmé. La « dame blanche » est à la danse ce que Mallarmé est à la poésie.

 

 

La danseuse, telle que la conçoit Wilfride Piollet lorsqu’elle parle de la « dame blanche », est justement caractérisée par une quête d’absolu rappelant fortement celle de Mallarmé. Correspondant parfaitement aux propos que tient sur elle le poète, la « dame blanche » est en fait une danseuse animée du même idéal que le poète :  l’idéal mallarméen de l’absolu, au sens littéral d’ « ab-sol-u », se détachant du sol en s’érigeant symboliquement sur ses pointes. Ainsi Wilfride Piollet, lorsqu’elle fait mine de s’adresser à Anna Pavlova dans sa conférence dit-elle : « tel que vous l’interprétiez, Anna, votre Cygne, était un symbole de poésie frémissante… mallarméenne »28. Le motif du cygne, qui se diffuse dans nombre de ballets, classiques ou contemporains, est effectivement en lui-même un motif mallarméen.

L’imaginaire de Mallarmé s’avère être également celui dont se nourrit un certain type de danse. À ce titre, ce n’est sans doute pas un hasard si Jean Guizerix, danseur et époux de Wilfride Piollet, partageant son approche de la danse, a chorégraphié le poème de Mallarmé dressant le portrait d’un cygne « Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui ».

 

Il est intéressant de noter la pérennité de cette approche de la danse que nous pourrions qualifier de « théorie de la dame blanche ». S’inspirant des personnages des ballets romantiques, elle se retrouve pleinement à l’époque contemporaine, puisque c’est ainsi que Wilfride Piollet conçoit elle-même la danse, selon cet idéal mallarméen, intemporel.

Car, si le ballet romantique et post-romantique a, historiquement, laissé place à d’autres esthétiques de la danse depuis la fin du XIXe siècle, la figure de la « dame blanche » n’a, selon Wilfride Piollet, pas disparu. Elle se manifeste simplement de façon différente, « moins dans l’œuvre que dans la recherche » pour reprendre les termes de cette danseuse « contemporaine ». Ou pour être plus précis, si l’on retrouve moins la « dame blanche » en tant que personnage dans une création chorégraphique — qu’il s’agisse d’une Willis, d’un cygne, d’une ombre, d’une sylphide — on la rencontre désormais en tant que concept, en tant que recherche du mouvement, profondément poétique.

 

Inspiré par un personnage, ce concept désignerait la quête profonde qu’accomplissent certains danseurs (le concept de « dame blanche » ne renvoyant alors plus seulement à une danseuse mais aussi aux danseurs, aux chorégraphes hommes et femmes).

Pour le danseur, il s’agit de parvenir à un état intérieur permettant de se diffuser à l’extérieur sans rien perdre en puissance suggestive, celle que confère le mystère qui demeure. Pour Wilfride Piollet, un personnage comme Giselle n’est autre que la mise en abîme de ce qu’est un danseur : le ballet Giselle n’est pas tant une histoire racontée par le biais de la danse que l’histoire de la danse, de l’amour de la danse : Giselle est avant tout une danseuse, ou plutôt la joie de danser, même dans la mort.

 

C’est en cela que la « dame blanche » est intemporelle, perdure de nos jours dans une certaine pratique de la danse, y compris « contemporaine »29, qui est celle qu’enseigne Wilfride Piollet : une pratique empreinte de poésie évoquant l’idéal mallarméen, encore au début du XXIesiècle. Ainsi, parlant des grands ballets romantiques, Wilfride Piollet tient-elle ces propos :

 

Ce sont des paradis où le geste est roi, l’arabesque reine ; là les danseurs oublieux des sentiments ordinaires interprètent leur songe, deviennent intemporels, abstraits ; ils deviennent la matière même. Pour toutes ces raisons, ces ballets continuent d’être dansés et rejoignent les grands ballets abstraits du XXème siècle30

 

Pour Wilfride Piollet, cet idéal de la « dame blanche » perdure jusqu’à aujourd’hui, à travers un rapport particulier au mouvement propre à certains chorégraphes et danseurs. L’abstraction visée permet de suggérer plus que de montrer, de révéler plus que de dévoiler. En ce sens, Nijinski, mais aussi Cunningham, Carolyn Brawn, Trisha Brown sont eux aussi des « dames blanches ». Leur conception du mouvement est problablement analogue à la poétique mallarméenne, toute faite de sens cachés et pluriels, échappant toujours à l’interprétation unique, le vers mallarméen étant en lui-même une forme d'hiéroglyphe.

 

 

 

Nous pourrions encore une fois retourner ce miroir poiêgraphique réversible, vers le poète. Or, si la danseuse, à sa façon, dans la conception qui est celle de Wilfride Piollet, semble être une sorte de poète (mallarméen) du mouvement, il semblerait que rétrospectivement, Mallarmé puisse apparaître comme une « dame blanche ». Ainsi parle-t-il de son ambition d’écriture en des termes analogues à ceux qu’il emploie pour parler de la danseuse. C’est ce que dévoile cette lettre à Cazalis, suite à la profonde crise qu’a traversé le poète en 1867 :

 

Heureusement, je suis parfaitement mort, et la région la plus impure où mon Esprit puisse s’aventurer, est l’Éternité… C’est t’apprendre que je suis maintenant impersonnel, et non plus Stéphane que tu as connu, mais une aptitude qu’a l’Univers Spirituel à se voir et à se développer, à travers ce qui fut moi31 

 

Le terme « impersonnel » rappelle sans conteste celui d’« in-individuel » appliqué dans « Ballets » à la danseuse comme nous l’avions vu plus haut.

 

En somme, lorsque le poète parle de la danseuse, il parle non seulement de sa poésie à lui, mais aussi de lui-même en tant que poète, ou plutôt de son ambition de poète. Dans l’idéal qu’il se fixe, le poème doit transcender le poète devenu simplement le vecteur de « l’Univers Spirituel ». Le terme « in-individuel » appliqué à la danseuse semble alors prendre tout son sens. Sans doute Mallarmé ne dévalorise en fait en rien l’art de la danseuse par cette expression : au contraire, il parle d’elle comme du poète idéal qu’il aimerait être, transparent, confondu dans son poème. La danseuse, s’oubliant dans son mouvement, disparaissant dans le ballet au profit du pur mouvement reflète ainsi l’aspiration ultime de Mallarmé, vivant lui aussi son écriture comme une danse, scribe aspirant à se confondre dans le signe.

 

 

Notes

 

1 Nous emploierons le terme d’« inconsciente » dans le sens qui est celui que lui confère Mallarmé dans ses textes présentés sous le titre « Crayonné au théâtre» lorsqu’il parle de la danseuse comme d’une « inconsciente révélatrice » du « poétique instinct » du poète l’observant  : littéralement, celle qui n’a « pas conscience » de sa qualité de révélatrice, qui révèle un « poétique instinct » sans le vouloir ni même le savoir, malgré elle.

2 Nous mettons à dessein l’expression en évidence par une typographie qui n’est pas du fait de Mallarmé : l’expression constitue en effet la trame de notre étude et sera employée à plusieurs reprises.

3 Mallarmé, Igitur, Divagations, Un coup de dés, « Crayonné au théâtre », Paris, éd. Gallimard, coll. Poésie, 2003, p. 206

4 Frédéric Pouillaude, Le désœuvrement chorégraphique, étude sur la notion d’œuvre en danse, Paris, éd. Vrin, coll. « essais d’art et de philosophie », 2009, p. 113

5 Mallarmé, « Crayonné au théâtre», op. cit. p. 201

6 Ibid p. 206

7 Ibid.p. 203

8 Ibid p. 201

9 Ibid.

10 Wilfride Piollet, Rendez-vous sur tes barres flexibles, entretiens avec Gérard-Georges Lemaire, Paris, Sens§Tonka, 2005 p. 95

11 Wilfride Piollet, conférence dansée « Les dames blanches », donnée pour la 1ère fois en septembre 1994, à la Cinémathèque de la danse, Paris (propos issus de ses notes écrites).

12 Mallarmé, « Crayonné au théâtre », op.cit., p. 201

13 Wilfride Piollet, « Les dames blanches », op. cit.

14 Mallarmé, « Crayonné au théâtre », op.cit., p. 200

15 Wilfride Piollet, conférence dansée « Pour Stéphane Mallarmé », donnée 1ère fois à la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon, février 2009 (propos issus de ses notes écrites)

16 Wilfride Piollet, conférence dansée « Les dames blanches », op.cit.

17 Mallarmé, « Crayonné au théâtre », op.cit., p. 201

18 Wilfride Piollet, Rendez-vous, op.cit., p. 23

19 Mallarmé, « Crayonné au théâtre », op.cit., p. 210, repris par W Piollet dans « Pour Stéphane Mallarmé » op.cit.

20 Expression de Paul Valéry, employée dans la préface à l’ouvrage de Serge Lifar, Pensées sur la danse, Bordas, 1946, p. 1

21 Wilfride Piollet, Barres Flexibles, exercices, Paris, éd. L’une et l’autre, 2008 , p. 70

22 Mallarmé, « Crayonné au théâtre », op.cit., p. 201 : « À savoir que la danseuse n’est pas une femme qui danse, pour ces motifs juxtaposés qu’elle n’est pas une femme mais une métaphore [...], et qu’elle ne danse pas, suggérant par le prodige de raccourcis ou d’élans, avec une écriture corporelle ce qu’il faudrait des paragraphes en prose dialoguée autant que descriptive, pour exprimer, dans la rédaction : poème dégagé de tout appareil du scribe ».

23 Frédéric Pouillaude, Le désœuvrement chorégraphique, op.cit., p. 116

24 Wilfride Piollet, Rendez-vous…, op.cit., p. 23

25 Frédéric Pouillaude, Le désœuvrement, op.cit., p. 113-114

26 Wilfride Piollet, Rendez-vous…, op.cit., p. 22

27 Nous utilisons cet adjectif dérivé de « poiêsis », étymologie grecque de poésie signifiant plus largement « création », afin de mettre en avant l’aspect créateur commun au poète et à la danseuse, au-delà du sens restreint que nous accordons couramment au mot « poétique ».

28 Willfride Piollet, « Pour Stéphane Mallarmé », op.cit.

29 Au sens de style de danse dite « contemporaine ».

30 Wilfride Piollet, Rendez-vous…, op.cit., p. 95

31 Mallarmé, Lettre à Cazalis, 14 Mai 1867, Correspondance, Paris, éd. Gallimard, coll. Pléiade, p. 240

 

 

 

 

 

Pour citer cet article

 

 

Céline Torrent, « La danseuse : un « poétique instinct » mallarméen ? », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : « Poésie, Danse & Genre » [En ligne], n°1|Printemps 2012, mis en ligne en Mai   2012.

URL.  http://www.pandesmuses.fr/article-la-danseuse-un-poetique-instinct-mallarmeen-103054094.html ou URL. http://0z.fr/zqytE
  

 

 

 

Pour visiter les pages/sites de l'auteur(e) ou qui en parlent


 

 http://www.paris-art.com/


http://www.paris-art.com/spectacle-danse-contemporaine/Poetry%20Event%20II

 

/Poetry%20Event%20II/7066.html

 

 

Auteur(e)

 

 

Céline Torrent

 

 

 

Céline Torrent prépare un doctorat de littérature française intitulé Poésie et chorégraphie aux XXème/XXIèmesiècles à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 depuis septembre 2009, sous la direction du Professeur Michel Collot.

 

Communications

  • « Poésie et chorégraphie au XXème siècle », avec la participation de Fabrice Guillot, directeur de la compagnie Retouramont, juin 2010, dans le cadre de « L’atelier actualités de la recherche et de la poésie » dirigé par Michel Collot, 4 juin 2010, Centre Censier, Université Sorbonne Nouvelle-Paris3.
  •  « Écrire la danse, danser l’écriture » : dialogue avec Laura Soudy, doctorante en littérature, université d’Avignon, dans le cadre de l’ atelier « (D’)écrire la danse », journée d’étude du 3 décembre 2010, organisée au CND de Pantin, par l’Atelier des doctorants du Centre National de la Danse.

Publications 

Rédactrice à  Entre,  L’œuvre est ouverte depuis septembre 2011

  • Chroniques agenda danse pour Entre n°1
  • « Le corps-biographie comme chorégraphie », entretien avec Cédric Andrieux, Entre numéro double 2 et 3, février-mars 2012
  • « De l’autre côté du rideau », entretien avec Alain Batifoulier et Catherine Join-Diéterle au sujet de l’exposition « L’envers du décor », CNCS, Entre numéro double 2 et 3, février-mars 2012

Rédactrice à Paris-Art (http://www.paris-art.com/), rubrique critiques de danse, depuis Avril 2010

 

Le Pan poétique des muses - dans n°1|Printemps 2012
23 mai 2012 3 23 /05 /mai /2012 05:30

 

 

[invitée de la revue]

Texte inédit

 

 

 

Femmes poètes



de la Belle Époque

 

 

et formes musicales[i]

 

 

 

 

Patricia Izquierdo

 

 

 

 

De 1900 à 1914, de nombreuses « poétesses » comme on les appelait alors publièrent des recueils poétiques à succès dont certains titres reprenaient des vocables musicaux : Intermèdes de Marie Krysinska, Études et préludes de Renée Vivien, Chansons rustiques et Cantique d’été de Marguerite Burnat-Provins ou encore Variations d’un cœur pensif de Cécile Périn.

Ce qui frappe aujourd’hui, c’est la musicalité et la sensualité de cette poésie qui explique à la fois le succès et la virulence des critiques rencontrées à l’époque devant l’une des premières expressions du corps de la femme : le poème est voix, chant et danse.


La Bruxelloise Jean Dominique, Gérard d’Houville, la fille de José Maria de Hérédia, ou Renée Vivien sont encore sous l’influence du symbolisme qui connaît une résurgence intéressante en ce début de vingtième siècle, mais d’autres raisons plus idiosyncrasiques expliquent cette congruence : la culture musicale parfois étonnante de ces femmes dont quelques-unes s’essayèrent à la composition, et leur perfectionnisme stylistique inspiré de leur passion pour la musique qui les pousse à travailler certaines formes musicales, notamment la chanson, la ronde, le virelai et les stances.


 

Musique et poétique


 

Les soixante-quatre recueilsiianalysés de cette époque présentent une poésie lyrique où la voix devient chant et s’accompagne volontiers de musique.

Cette caractéristique s’ancre dans la pratique aristocratique parisienne à la mode des récitations poétiques, effectuées par des comédiennes ou par les poétesses elles-mêmes, parfois accompagnées au piano, et s’appuie sur l’importance accordée à la déclamation lyriqueiii. Mais c’est surtout la personnalité de certaines d’entre elles qui l’explique.

Beaucoup comme Judith Gautier, à l’instar de Flaubert et son « gueuloir », déclamaient leur poésie en même temps qu’elles créaient et scandaient plusieurs fois le poème. Même Jean Dominique, si réservée, avait l’habitude de lire à haute voix ses poèmes et de les offrir à ses amis :

 

Nous irons cadencer nos trop vives pensées

Le long des sables clairs où les vents sont légers.

 

Venez, voici le livre et voici mon baiser,

Je vous lirai des vers, mais vous, vous chanterez iv

 

 

Écriture, lecture à haute voix et chant sont indissociables, d’autant que nous comptons trois musiciennes, la compositrice Polonaise Marie Krysinska qui jouait et chantait au Chat noir, la fille de Théophile Gautier, Judith, qui composa des opéras et des poèmes dramatiques lyriques, Renée Vivien, pianiste douée qui s’efforça à la même rigueur en poésie ; ainsi que de nombreuses amatrices de piano comme Lucie Delarue-Mardrusv.

 

De très nombreuses références musicales parcourent leurs poèmes, des musiciens classiques, Lully et Rameau (Marie Krysinska), Bach et Gluck (Lucie Delarue-Mardrus et Judith Gautier), Mozart (Hélène Picardvi, Marie Dauguetviiet Cécile Sauvageviii), et le préromantique Mendelssohn. Ceux du XIXesiècle apparaissent plus fréquemment, Schubert (Hélène Picard), Beethovenixsurtout, et Wagner (Judith Gautier, Hélène Picardx), des romantiques le plus souvent, le compositeur Berlioz et les pianistes, Meyerbeer, et,dansla génération fétiche de 1810, Schumann (Hélène Picard), Liszt et Chopin, le plus adulé, le « doux musicien » auquel Natalie Barney rend un hommage émouvant dans Actes et Entr’actes, avec « Soir de pluie ». La musique est une consolation, et le musicien, empathique, élégiaque, apaise. Apparaissent aussi les romantiques allemands postérieurs à Wagner : Brahms et Mahler, contemporain puisqu’il mourut en 1911.

Lucie Delarue-Mardrus, en 1910, dans Par vents et marées (« Appel, un soir », p. 75), interpelle Bach, Schumann, Beethoven et Gluck dans un poème emblématique de cette relation intense et charnelle que nouaient les poétesses de l’époque avec la musique :

 

Venez, Bach, vous Schumann, vous Beethoven, vous Gluck,

Vous les seuls vrais amants de notre âme anxieuse,

[…]

Venez à nous : voici notre être inapaisé.

Musique, ô charnelle, ô baiser,

Prends, brises, tords la lyre ardente que nous sommes,

Ô toi, tout ce que nous voulons ! 

 

Renée Vivien et Judith Gautier permettent de montrer l’influence profonde et diverse de la musique sur l’écriture poétique.

 

Contrairement à beaucoup de ses consœurs, Renée Vivien, excellente pianistexi, n’aime ni Debussy, ni Ravel et ni Fauré. Elle préfère les romantiques, les post-romantiquesxii, et surtout la musique de l’Antiquité grecquexiii : « À l’image de la poésie grecque, il est impossible de dissocier chez Vivien le poème et le chant ». Ses trois musiciens de prédilection sont Chopin, Beethoven et bien sûr Wagner qu’elle écoute régulièrement à Bayreuth. Elle est capable de chanter de mémoire les leitmotive de ses opéras. Chez elle, trônent leurs trois bustes avec ceux de Bach, Schumann et Meyerbeer.

 

Son premier recueil de 1901 au titre révélateur, Études et préludes, se clôt sur un poème intitulé « Nocturne »xiv. La référence à Chopin revient en 1905 dans Une femme m’apparutxvoù San Giovanni, avatar de Renée Vivien, avoue (p. 59) « ‘À mon grand regret inlassable, je ne suis point musicienne’, ‘La Musique n’est pour moi qu’une évocation. Et pourtant, comme la Mer, elle est l’Infini… La Musique est une suggestion. Je me souviens de quelques strophes en prose que m’a dictées un nocturne morbide de Chopin ».

 

Renée Vivien était obsédée par la musique de la forme poétique juste, et confia à Natalie Barney, dans une lettre du 16 mars 1900 : « je trouve que les vers corrects ont plus de musique »xvi. Cette préoccupation explique aussi son rejet du vers librexviiet sa quête de musicalité dans le modèle de la strophe saphique. Celle qui déclarait « Mon Ciel, à moi, est contenu tout entier dans ce mot : Musique, et mon Enfer dans ce mot : Discordance » a passé ces dernières années à retravailler ces vers dans le sens d’une plus belle harmonie, sans jamais se satisfaire du résultat. Elle préférait la musique des Kitharèdes à celle de son époque trop dissonante.

 

Judith Gautier travailla encore plus la musicalité de ses vers. Petitexviii, malgré son ascendance, elle ne manifesta guère de talent musicalxix ; elle jouait du piano avec sa sœur Estelle et appréciait Mozart, Bach, Gluck, Beethoven et Weber, les grands classiques et les romantiques allemands. Meyerbeer venait souvent voir sa mère Ernesta. Tous les dimanches, en 1861-1862, elle allait avec sa sœur au concert Pasdeloup au cirque d’hiver, écouter Mozart, Weber et Beethoven.

Sa rencontre avec Wagner, son attirance pour les poèmes orientaux et sa recherche d’un spectacle total − elle réussit à monter Parsifal dans son théâtre de marionnettes − expliquent son exigeante fascination.

En 1911, elle rend hommage « À Richard Wagner » « le jour de sa fête » (Poésies, p. 38) :


Dans ta grandeur superbe, ô maître, je te plains.

Car semblable au soleil qui dans l’azur s’élève,

Flambeau vivant, tu vas vers ton farouche rêve

Par une voie inaccessible à nos chemins

 

Judith aperçoit Wagner le 13 mars 1861, à la première de Tannhäuserxx ; elle rêve de le rencontrer, le défend dans des articles retentissants et lui rend visite à Tribschen en 1869, avec deux autres inconditionnels, son mari, Catulle Mendès, et Villiers de l’Isle-Adam. Il compose alors Siegfried et leur en chante des extraits. Dès lors, elle noue avec lui une amitié indéfectible ; elle retourne le voir en 1870 puis en 1876 à Bayreuth et en 1882, à la première de Parsifal, qu’elle traduitxxi, un an avant la mort du maître. Elle avait joué du piano à quatre mains avec lui et était la marraine de son fils (né en 1870). Elle avait publié en 1882 Richard Wagner et son œuvre poétique depuis Rienzi jusqu’à Parsifalxxii ; elle écrivit en outre un volume de souvenirs Auprès de Richard Wagnerxxiii. La mort du « Maître »xxivn’épuisa pas sa curiosité musicale : elle fut ensuite critique musicale, et s’amusa, avec Bénédictus, à faire connaître en France des musiques exotiquesxxv. Grâce à Wagner, elle avait aussi rencontré Liszt et Saint-Saëns.

Une autre découverte, simultanée, renforce son intérêt pour la musique et la voix, les poètes chinois du VIIIesiècle. Leurs vers isométriques possèdent une césure et des rimes ; ils sont répartis en quatrains et se récitent accompagnés du « Kiné », la « lyre chinoise »xxvi. Elle s’ingénie à les traduire, en privilégiant leur musique. C’est d’autant plus indispensable que les chinois chantaient leurs vers et ne les imprimaient pas : « c’est de bouche en bouche qu’ils devenaient célèbres et populaires »xxvii. Le résultat de ce travail considérable constitue son premier recueil de vers, Le Livre de jade qui paraît en 1863.


Jusqu’à la fin de sa vie en 1917, elle approfondit l’oralité et à la dimension phonique et rythmique du poème et le compliment qu’elle fit à Pierre Louÿs à propos de sa Poétique pourrait aussi s’appliquer à ses poèmes : « le son avant les mots, le rythme avant la phrase »xxviii.

La première partie de Poésies en 1911, « Rites divins » le prouve, « L’Hymne à Vichnou » (p. 7) est sous-titré « Danse des bayadères ». Les premiers vers insistent sur la portée incantatoire du poème :

 

Que ma danse et mon chant, rythmés par le tambour,

T’éveillent, roi des dieux, qui brilles sous cent voiles !

 

Les vers, cadencés, scandent des prières : la musique, comme la danse, élèvent l’âme et lui ouvrent l’au-delà mystique ou divin. La « Prière au Dieu de la guerre » (p. 11) insiste sur le pouvoir archaïque des incantations et de la danse. Le poème devient « L’hymne saint qu’accompagne la lyre » (p. 21) et le poète lui-même vibre « comme une harpe d’or » (p. 22). Le poème « Conseils » (p. 35) égrène ses préceptes :

 

Chante ! Et pour le poème accorde bien la lyre,

Car l’instrument faussé ne saurait plus le lire :

Ta grâce est un reflet de la divinité.

 

C’est enfin sa fascination pour un spectacle total, l’opéra ou le théâtre lyrique, qui explique la dimension musicale et orale de sa poésie.

Elle écrivit elle-même un opéra, La Sonate du clair de lunexxix, en un acte, sur une musique de Bénédictus. La dernière section de Poésies en 1911, « Pour la lyre » se compose de poèmes lyriques, destinés à la scène, accompagnés de musique. Le premier est un « Fragment d’un monologue lyrique » demandé par Gounod. Le deuxième est un « Poème en trois parties » dédié à Bénédictus, « Les noces de Fingal », couronné au concours Rossinixxx. Ces poèmes en alexandrins ou octosyllabes présentent des combinaisons de rimes variées, suivies, embrassées ou croisées. Leur mise en page offre de nombreuses similitudes avec celle d’une pièce de théâtre. Ce genre hybride était très prisé par cette admiratrice de l’opéra et du théâtre : « La belle Aude » est un « Poème lyrique » comme « Anne de Bretagne », dédié à la Duchesse de Rohan. « La morte amoureuse » enfin, d’après la nouvelle éponyme de son père, est sous-titré « Opéra fantastique ».

Ces deux « poétesses » prouvent l’interaction essentielle entre la fascination pour la musique et les incidences directes sur leur poétique. Voyons maintenant de plus près certaines formes musicales particulièrement représentées dans les poèmes de femmes à la même époque : la chanson, la ronde, le rondel et le rondeau, et le virelai.

 

 

Formes musicales privilégiées

 

 

Plusieurs formes parfois érigées au statut de genre qualifient les poèmes lyriques privilégiant l’oralité et le chant. Caractérisées par la répétition de structures syntaxiques et phoniques, elles s’agrémentent parfois de couplets et refrains. Dans les soixante-quatre recueils étudiés, apparaissent par ordre de fréquence la chanson, la ronde et ses dérivés (le rondel, le rondeau) et le virelai.

 

Trois raisons expliquent la prépondérance du genre de la chanson : une tradition féminine orale et romantique, la mode des cabarets et des chansonniers, la sensibilité de certaines qui firent des recherches expérimentales fines comme Renée Vivien et les Kitharèdes, ces joueuses de cithares de l’Antiquité, ou voulaient simplement se divertir comme Jean Dominique.

Tout poème peut être considéré comme une chanson, Anna de Noailles rend hommage à « tous les bons faiseurs de chansons », Villon, Verlaine, Henri Heinexxxi. Mais le genre littéraire de la chanson paraît particulièrement séduire les femmes poètes : Pernette du Guillet à la Renaissance (dans ses Rymes) et Marceline Desbordes-Valmore en 1830 (Poésies) et 1833 (Pleurs), illustrent déjà cette affinité.

Ce genre connut en outre un renouveau étonnant à la fin du XIXesiècle, grâce aux cabarets et aux chansonniers, comme Rodolphe Salis, Emile Goudeau, ou encore Aristide Bruant. Cette mode influença de nombreux écrivains, Jules Laforgue, Jehan Rictus, Charles Cros, Jean Lorrain, Jean Richepin et Marie Krysinska qui côtoyait le monde interlope des Décadents et du Chat Noir au point d’être surnommée la « Calliope du Chat Noir »xxxii. Musicienne avant tout, elle chantait et s’accompagnait au piano quand ce n’était pas Debussy ou Rollinat qui jouaient. Elle s’affirma comme un auteur-compositeur-interprète remarquable et poussa le plus loin l’exigence d’oralité musicale : un bon poème doit être écouté puis écrit. Elle vivait chaque soir cette expérience en livrant ses inventions aux auditeurs du Chat Noir. Aucun enregistrement n’existexxxiii. Nous avons analysé, par  ailleurs, son recueil de 1904 au titre significatif, Intermèdes, qui présente de nombreuses chansons. Le pittoresque, selon elle, permet de créer le rythme, et repose sur la Dissonnance [sic]xxxiv, à l’exemple de la musique contemporaine :

 

la musique moderne, avec ses larges récitatifs, ses dissonances voulues, sa recherche de l’inattendu, ne semble-t-elle pas inviter aussi la phrase poétique à se faire diverse, amplifiée comme elle, pour des unions heureuses ? xxxv

 

Pourtant, c’est plus la veine symboliste qui l’influença. Les chansons d’Intermèdes sont loin de la gouaille des cabaretsxxxvi, les registres de langue sont courants, voire soutenus. Le référent temporel est souvent l’Antiquité ou l’âge classique (« Deux danses anciennes, XVIIesiècle »). L’appellation « chanson » recouvre chez elle des poèmes très variés, de tonalités diverses, et dont la structure même ne ressemble pas toujours à la chanson traditionnelle avec refrain et couplets, ce que l’on trouve chez Jean Dominique.

 

 

Jean Dominique

 

 

Jean Dominique publia des chansons simples voire populaires ou enfantines. Dans La Gaule blanche, elle publie « Chanson » de juin 1902 (p. 64) :

 

Le bateau sentait le thé

Quand nous traversions la mer,

À deux, à trois, pour aller

À Folkestone, en Angleterre .

 

Le leitmotiv est posé d’entrée de jeu : le dernier octosyllabe va jouer le rôle de refrain, modulé ou simplement répété six fois, une à deux fois par strophe. La simplicité du vocabulaire et du motif central (boire un thé en Angleterre), l’emploi de l’octosyllabe, caractéristique de la poésie lyrique depuis Chénier, la répétition de tours syntaxiques liée à l’énumération d’objets, le fil chronologique et l’écho de la dernière et la première strophe créent un effet de ronde, de ritournelle, ou de comptine pour enfant. Ce poème sans prétention qui tourne en rond, manie avec subtilité l’art de la variation musicale et correspond très bien à la définition que donnait Jean Schlumberger de la poésie de Jean Dominique : « on ne saurait trouver poèmes plus dépourvus de sujets ; c’est par leurs tonalités, comme des morceaux de musique, qu’il faudrait les déterminer ». En effet, à la ténuité de l’argument suppléent la musicalité de la voix, la couleur du timbre. La musique, Chopin, et la peinture, celle de Watteau, sont plus proches de ces morceaux que tous les commentaires techniques :


Je sais que l’analyse la plus serrée et la plus respectueuse ne saurait expliquer l’envoûtement innocent et léger de cette poésie, et que toujours il resterait en elle quelque chose d’indéfinissable, et d’insaisissable, d’autant plus précieux peut-être, d’autant plus authentique

 

affirme Francis de Miomandre, dans l’hommage qui ouvre ses Poèmes choisis (p. 7), après avoir souligné la « musique sourde et ravissante » de ses vers.

 

Mais d’autres formes, plus rares et plus codées, apparaissent également chez les poétesses de la Belle Époque et que l'on peut qualifier de formes musicales secondaires. Cela est par ailleurs constitue l'objet de notre investigation ci-dessous. 

 

 

 

Formes musicales secondaires : le virelai, le rondel et les stances


 

 

Elles témoignent d’une attention technique rarement soulignée par la critique contemporaine.

Le virelaixxxviidésigne à l’origine une danse puis un poème court, sur deux rimes, avec refrain. Il tombe en désuétude au XVesiècle, mais il est à nouveau utilisé par des poètes secondaires des XVIeet XVIIesiècles. Cette construction rare est reprise à la Belle Époque par celle qui semble pourtant la plus dilettante, Natalie Barney. La section intitulée « Aux passantes, ces paroles à leur image » dans Actes et Entr’actes de 1910, s’ouvre sur un « Virelai nouveau ». Elle redonne une jeunesse à cette forme médiévale, sans respecter entièrement toutefois les contraintes d’origine : le poème est construit avec quatre strophes (4-3-4-8 octosyllabes), sur deux rimes [abaa-bab-aaba-abaaabab] en « oir » et « ul ». Un vers joue le rôle de refrain : « Femmes qui passez dans le soir » (vers 1-4-11-18) et les deux premiers vers inversés fournissent la chute :


Femmes qui passez dans le soir

Sous un manteau de crépuscule

 

Le deuxième vers est repris également en fin de deuxième strophe. L’ensemble, rythmé et harmonique (le tissu phonique est serré grâce à de nombreuses homophonies internes vocaliques, nasales ou non), crée une mélodie chantante et dansante.

 

La ronde qui est aussi une danse est fréquente. La forme médiévale d’origine ou celle, très codée, de Clément Marot n’apparaissent pas. Mais nous avons des variations caractérisées par la reprise en fin de poème des premiers octosyllabes (la « Ronde de mai » de Marie Krysinska). Voici le premier et le dernier quatrain d’une ronde triste de Cécile Périn, « J’ai vécu » (Variations du cœur pensif, p. 116) :


 J’ai vécu passionnément

Et mon cœur épuisé se brise.

Je suis plus faible qu’une enfant

Aux bras de la Douleur surprise.

[…]

Je suis plus faible qu’une enfant.

Endors-moi, ô Douleur surprise.

J’ai vécu passionnément

Et mon cœur épuisé se brise

 

L’habileté du procédé se renforce d’un chiasme sémantique entre la locutrice et la Douleur par l’intermédiaire de l’adjectif qualificatif « surprise » qui glisse du « j’ » à la Douleur.

Cet embrassement des strophes métaphorise le bercement de l’enfant dans les bras de la Mère-Douleur. Ainsi, que la tonalité soit légère ou grave, la ronde est toujours associée à l’harmonie et à la paix.

Lucie Delarue-Mardrus se montre plus audacieuse, en reprenant une structure poétique médiévale codée : le rondel. Toutefois, elle opte pour le modèle simple, voici « Rondel d’automne » :


 Les oiseaux sont comme des fruits

Sur les arbres morts de Novembre.

Leur petite pose s’y cambre

Dans la brume où meurent les bruits.

 

Autour d’eux, les rameaux détruits

Bercent trois feuilles couleur d’ambre ;

Les oiseaux sont comme des fruits

Sur les arbres morts de Novembre.

 

Et nous, ayant bien clos nos huis,

Voyons, aux vitres de la chambre,

L’automne roux qui se démembre,

Où, perchés, faute de réduits,

Les oiseaux sont comme des fruitsxxxviii

 

Ce poème en deux quatrains plus un quintil d’octosyllabes [abba abab abbaa], sur deux rimes, respecte exactement le modèle institué. Mallarmé en écrivit de semblables. Occident proposait déjà en 1901 une section complète de rondels (pp. 155-165) construits à l’identique, que Lucie dédie « À [sa] mère ». Les sujets sont concrets, humbles, liés aux végétaux, aux animaux ou aux objets : le poème « Les ombelles », « Toutes rondes et toutes belles »xxxix, « Les crabes », « Les papillons » qui dansent un « quadrille », « Le cochon d’Inde », « Les petits souliers » « rangés en rond » à Noël, « Les hiboux » « ouvrant leurs yeux ronds », « Les bourdons », « Les souris » qui dansent « autour de mon livre », et « Les chansons d’autrefois » « près des berceaux/Ouatés et tout ronds comme des nids d’oiseaux ». La recherche phonique et la structure rigoureuse confèrent un rythme et un charme désuet à ces courtes chansons toutes rondes que la ténuité de l’argument ne dessert pas. La simplicité enfantine de ces ritournelles apporte une note de fraîcheur candide.

Elle s’est également essayée au rondeau, toujours dans Occident, (p. 180) : « Rondeau pour ses mains ». La structure diffère nettement : nous retrouvons les deux rimes mais la première des trois strophes d’alexandrins de cinq, quatre et six vers, s’ouvre sur « Vos belles mains », simplement repris en fin des deux autres. Le thème médiéval est orné de pierreries.


Un autre genre poétique propose également un balancement propice au chant et à la danse, les stances, qui simplifient l’ode anacréontique chère à Ronsard et à Hugo, deux maîtres pour ces poétessesxl. Leur dilection marquée pour cette forme prouve également leur néo-classicisme et leur recherche lyrique : à l’origine, le mot est synonyme de strophe, mais au XVIIesiècle, il désigne les passages lyriques des pièces classiques (par exemple les stances de Rodrigue dans le Cid) qu’elles apprécient particulièrement. Par la suite, la construction hétérométrique distingue la stance de la strophe et permet une alternance ou un balancement propice à la fois au rythme et aux effets de style. C’est particulièrement le cas chez les symbolistes et dans les Stances de Jean Moréas.

Natalie Barney, dans Actes et entr’actes (« Couple »), fait alterner alexandrins et hexasyllabes, répartis en vingt-trois stances de quatre vers, sur deux rimes : abbb-accc. Le balancement veut reproduire la démarche chaloupée du couple de femmes qu’elle décrit :


Se tenant par la taille − ainsi que deux bouleaux

Reliés par deux branches −

Elles vont, ondulant leurs têtes et leurs hanches…

Leurs féminines hanches

 

Le rythme binaire est renforcé par la répétition systématique du même mot en homophonie finale des vers 3 et 4 de chaque stance, comme un écho ou un miroir de l’une à l’autre. Voici les deux dernières stances :

 

Elles ont, d’un élan plus divin qu’animal,

Sous les vastes silences,

Joint avec des baisers leurs belles ressemblances,

Toutes leurs ressemblances.

 

Et par delà la terre, et le bien, et le mal,

Elles vont, diaphanes

Et troublantes, et ceux qui les jugent profanes

Sont eux-mêmes profanes

 

De nombreux autres poèmes d’Actes et Entr’actes reprennent le modèle des stances : « La chambre vide », « Légèrement », « Camaraderie », à la fois balançant et dissonant. Cette binarité structurale permet de mettre en relief un accord ou une discordancexli ; en ce sens, elle est foncièrement lyrique. C’est pourquoi elle est si fréquente, Anna de Noailles l’emploie dans Les Éblouissements et Gérard d’Houville nous livre « Stances aux dames créoles » dans ses Poésies (p. 42), un hommage à ses aïeules qui jouent aussi sur le balancement :


[…]

Grand’mères mortes, et jadis des ingénues

Aux bras si frais,

Jeunes et tendres que je n’ai pas connues

Même en portraits,

[…]

La chaleur trop ardente entr’ouvrait les batistes

Sur leur sein blanc,

Elles se balançaient, paresseuses et tristes,

En s’éventant

 

La forme des stances correspond aux états d’âme ambivalents souvent déchirés entre joie et mélancolie, présent et passé, plaisir de vivre et angoisse de la mort.

 

Cette heureuse imbrication de la poésie écrite par ces femmes à la Belle Époque et de certaines formes musicales redonna un souffle évident au lyrisme poétique après le symbolisme et bien avant le surréalisme. Cette trinité souvent mystique, chant musique et danse, laissa une empreinte précise dans le paysage artistique du début du vingtième siècle.

 

Ce travail n’est pas spécifique aux femmes poètes de l’époque, nous trouvons des accents communs chez Jean Dominique et Verlaine, Laforgue ou Francis Jammes, et nous voyons des procédés équivalents chez Maeterlinck, Henri de Régnier ou Paul Claudel, en attendant Paul Valéry.

Trois influences notables expliquent cet engouement : le symbolisme bien sûr mais aussi les résurgences du romantisme ou plutôt des romantismes en incluant le romantisme allemand et le préromantisme, et également le néoclassicisme et l’Antiquité païenne et hellénique. À un moindre degré, pour Marie Krysinska, la mode des cabarets de Montmartre.

Cette poétique musicale conféra une légitimité culturelle bien utile à ces femmes si dénigrées à l’époque et leur permit d’exprimer leur sensualité de façon raffinée.

La recherche de convergences rythmiques et mélodiques confirme également leurs préoccupations stylistiques que de nombreux contemporains niaient. Il est important aujourd’hui de les (re)découvrir.

 


 

 

i Cet article inédit résulte d’une communication que j’ai effectuée lors du passionnant colloque organisé par Eric Lysøe en 2010 à Clermont-Ferrand: « Genres littéraires et formes musicales ».

ii Voir Patricia Izquierdo : Devenir poétesse à la Belle Époque, L’Harmattan, 2009. Cette étude littéraire, historique et sociologique analyse les parcours de Natalie Barney, Marguerite Burnat-Provins, Gérard d’Houville, Marie Dauguet, Lucie Delarue-Mardrus, Jean Dominique, Judith Gautier, Marie Krysinska, Amélie Murat, Anna de Noailles, Cécile Périn, Hélène Picard, Cécile Sauvage, Renée Vivien.

iii L’un des modèles le plus cité est Sarah Bernhardt que Lucie Delarue-Mardrus admire : « Ô Sarah ! dont la voix a le timbre des lyres » (Occident, Paris, édition de la revue blanche, 1901, p. 174).

iv Jean Dominique, L’anémone des mers, Paris, éd. Mercure de France, 1906, p. 63. Jean Dominique, alias Marie Closset, emploie fréquemment le distique qui favorise la cadence grâce au rythme binaire.

v Voir Patricia Izquierdo : « Une femme poète à redécouvrir: Lucie Delarue-Mardrus », in Regards sur la poésie du vingtième siècle, tome 1, éd. Presses Universitaires de Namur, éditions Poiêtês, collection « Essais/recherche », sous la direction de Laurent Fels, 2008, pp. 169-185.

vi Hélène Picard, Les fresques, Paris, éd. Sansot, 1908, « La poésie », p. 30.

vii Marie Dauguet, Par l’amour, Paris, éd. Mercure de France, 1904, p. 319.

viii Elle le cite dans Primevère, son ultime recueil inachevé.

ix M. Burnat-Provins, J. Gautier, M. Krysinska, L. Delarue-Mardrus, A. de Noailles et R. Vivien.

x H. Picard, ibid, p. 43.

xi Dans une lettre du 21 mai 1894, adolescente, elle confiait à Marie Charneau : « Je joue du piano, j’étudie deux heures par jour et je fais des gammes ».

xii Voir Sylvie Croguennoc « Renée Vivien ou la religion de la musique », Romantisme, n° 17, 1987, pp. 89-100.

xiii S. Croguennoc précise que Renée Vivien vouait « un culte passionné à la musique de l’Antiquité grecque et, à l’exclusion de toute autre, à celle de l’Àcole saphique dont elle s’efforcera de ressusciter, à travers ses propres poèmes, la Magie », op.cit., p. 89.

xiv C’est l’un des titres les plus fréquents ; voir Lucie Delarue-Mardrus (Occident, Paris, éd. La revue blanche, 1901, p. 218 et Ferveur, Paris, éd. La revue blanche, 1902, p. 130, La figure de proue, Paris, éd. Fasquelle, p. 112 et p. 266), Anna de Noailles (Les Éblouissements, Paris, éd. Calmann-Lévy, 1907, p. 362), Marie Krysinska (p. 164) et Jean Dominique (L’anémone des mers, ibid., p. 77). Gérard d’Houville écrit « Prélude » dans Poèmes, Paris, éd. Grasset, 1931, p. 15.

xv S. Croguennoc rappelle que la première édition de ce roman contient en tête de chapitre une citation musicale choisie parmi les auteurs préférés de Vivien « et qui prétend résumer les lignes qui la suivent » (op.cit., p. 100).

xvi S. Croguennoc (op.cit.  , p. 92).

xvii Voir Patricia Izquierdo : « Les femmes poètes de la Belle Époque et le vers libre » in Le vers libre dans tous ses états Histoire et poétique d’une forme (1886-1914) sous la direction de Catherine Boschian-Campaner, éd. l’Harmattan, 2009.

xviii Voir Le Collier des jours paru en 1902 réédité chez Christian Pirot en 1994.

xix Elle était issue d’une famille de musiciens et d’artistes lyriques de premier plan, les Grisi de Milan. Carlotta, sa marraine, était danseuse, Giuditta, chanteuse d’opéra, Ernesta artiste dramatique et cantatrice, et Giulia actrice et artiste lyrique. Voir Le collier des jours, ibid., p. 20.

xx Anne Danclos, La vie de Judith Gautier, égérie de Victor Hugo et de Richard Wagner, éd. Barré et Dayez, 1990, p. 35.

xxi Un article paru dans Le Temps du 23 février 1914 intitulé « Les Grandes et Petites Querelles de Richard Wagner », raconte la collaboration nécessaire pour cette traduction. Cet article est repris à la fin du volume de souvenirs sur Wagner, (pp. 241-248). Malgré les réticences extrêmes du Maître, Judith s’en sortit en 1881, et Wagner fut finalement satisfait. Après une traduction littérale publiée en 1893, Judith proposa une traduction nouvelle s’adaptant à la musique en 1898 et 1900. La traduction et la correspondance parurent en 1914. Le livret seul fut aussi réimprimé en 1914.

xxii Ce livre, très rare aujourd’hui, est paru chez Charavay frères.

xxiii Cet ouvrage de souvenirs (1861-1882) paru en volume au Mercure de France en 1943, faisait déjà partie du Troisième rang du collier, le troisième tome de souvenirs de Judith Gautier, paru chez Juven, en 1909.

xxiv Elle écrit ce terme déférent avec une majuscule.

xxv Voir Les musiques bizarres à l’Exposition de 1889. Bénédictus les a recueillies et transcrites ; J. Gautier les a traduites sans les signer. En 1900, elle renouvelle l’expérience, toujours avec Bénédictus, et s’intéresse aussi aux musiques chinoise, japonaise, indo-Chinoise, égyptienne, javanaise, et aux chants de Madagascar. Toutes ces brochures sont publiées séparément chez Ollendorff en 1900.

xxvi Anne Danclos, ibid., p. 39.

xxvii Ibid., p. 40.

xxviii Ibid., p.138.

xxix Cet opéra parut en 1894 chez Armand Colin.

xxx C’est amusant vu la hargne que Judith enfant nourrissait à l’égard de Rossini qui côtoyait son père.

xxxi A. de Noailles, L’ombre des jours, Paris, éd. Calmann-Lévy, 1902, pp. 19-20.

xxxii Voir Une femme poète symboliste Marie Krysinska La Calliope du Chat noir de Florence Goulesque, Paris, Honoré Champion, 2001 ; et Marie Krysinska Innovations poétiques et combats littéraires, sous la direction de Seth Whidden, Saint Etienne, PUSE, 2010.

xxxiii Voir ses neuf pièces, dont « Chanson moderne » dédiée à Armand Masson dans l’anthologie des Poètes du Chat Noir d’André Velter, Paris, éd. Gallimard, 1996.

xxxiv Voir la longue préface technique explicative, p. XVII.

xxxv Ibid, p. XXXVIII.

xxxvi Seul « Le champ aux coquelicots » (p. 99) donne la parole à un paysan ; la prononciation elliptique est respectée et l’allusion au cabaret amusante : « De c’te mauvaise herbe ! Ah ! l’feignant./On voit ben qu’c’est au cabaret/Qu’il passe la moitié d’son temps, /Au lieure d’soigner son champ ».

xxxvii Le terme virelai vient du verbe virer qui signifie tourner ; en 1280, il désigne à l’origine une danse médiévale et l’air sur lequel elle se dansait ; en 1360, un poème construit sur un refrain de danse avec des contraintes strictes ; par la suite, ces contraintes disparaissent : ne restent que celles du refrain et des deux rimes. Virelai a remplacé en fait vireli ; faire le vireli signifie « se livrer à un divertissement accompagné de danse ».

xxxviii Lucie Delarue-Mardrus, Ferveur, ibid., p. 34. Nous soulignons.

xxxix Lucie Delarue-Mardrus, Occident, ibid., p. 139.

xl L’ode, déjà très prisée dans l’Antiquité (Anna de Noailles cite Pindare et Anacréon dans Les vivants et les morts) le fut à nouveau à l’époque de la Pléiade. Victor Hugo, à son tour, la met à l’honneur et rappelle que « C’était sous cette forme que les aspirations des premiers poètes apparaissaient jadis aux premiers peuples » (préface de 1822 de ses Odes et Ballades). Pour lui, c’est le poème lyrique par excellence. L’ode anacréontique, moins codifiée, privilégie l’hétérométrie de vers courts.

xli La chute de « Camaraderie » en est un bon exemple : « Que de fois nous avons bien ri de tous nos rires/Ensemble, et bien pleuré ! »

 

 

 

 

Pour citer cet article

 

 

Patricia Izquierdo, « Femmes poètes de la Belle Époque et formes musicales », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : « Poésie, Danse & Genre » [En ligne], n°1|Printemps 2012, mis en ligne en Mai  2012.

URL.  http://www.pandesmuses.fr/article-femmes-poetes-belle-epoque-103104351.html  ou URL. http://0z.fr/IatoB
 

 

 

 

Pour visiter les pages/sites de l'auteur(e) ou qui en parlent


Biographie aux éditions L'Harmattan 

 

En écoute : séminaire du 13 janvier, 2e partie, Patricia Izquierdo et ...

P. Izquierdo - amisldms

 

Sa notice réalisée par la revue Le Pan poétique des muses

 

 

 

Auteur(e)

 

 

 

 

Patricia Izquierdo

 

 

 

 

Patricia Izquierdo, agrégée de lettres modernes et docteur ès lettres, PRAG à l’Université Lorraine, elle a publié fin 2009, Devenir poétesse à la Belle Époque chez l’Harmattan. Elle est rattachée depuis 2006 au laboratoire de recherche LIRE (Lyon 2, projet « Genre et culture »). Elle a publié de nombreux articles et communications destinés à promouvoir l’écriture des femmes et créé en 2007 l’Association des Amis de Lucie Delarue-Mardrus, dont elle est l’actuelle présidente (voir le site http://www.amisldm.org). Elle prépare actuellement un essai biographique critique à propos de Lucie Delarue-Mardrus pour les Éditions de la Lieutenance (Honfleur).

En 2012, elle a coordonné et présenté les Actes du colloque « Genre, Arts, Société : 1900-1945 » (parution aux éditions Inverses) organisé en 2010 à Reid Hall avec Anne-Marie van Bockstaele (voir http://www.fabula.org/actualites/patricia-izquierdo-etudes-reunies-et-presentees-pargenre-arts-societe-1900-1945_49757.php).

 

 

Le Pan poétique des muses - dans n°1|Printemps 2012
23 mai 2012 3 23 /05 /mai /2012 05:30

 

 

 

 

 

[invité d'honneur de la revue]



 

Deux poèmes

 

« Emma aimait le bleu »


« Ses robes, il faudrait en parler »

 

Extraits du recueil Une histoire de bleu


 

 

 

Jean-Michel Maulpoix

 

 

Poèmes reproduits avec l'aimable autorisation de l'auteur et de l'éditeur Mercure de France

 

 

 

 

 

 

Emma aimait le bleu.

Celui des robes et des rubans que vendent les camelots de passage, ou des stores de soie que l'on tire aux fenêtres des calèches. Celui qui recouvre les livres où l'on parle d'amour.

Celui que laisse dans la tête la musique après que l'on y a dansé.

Elle n'avait pourtant jamais vu la mer.

 

 

(extrait du livre de Jean-Michel Mauploix, Une histoire de bleu, éd. Mercure de France MCMXCIV, 1992, « Dernières nouvelles de l'amour », p.107)

 

 

 

 

Ses robes, il faudrait en parler.

 

Cette manière qu'elle a d'en changer. D'en découdre avec la terre, avec le ciel. Ses ourlets blancs qui se déchirent et se rapiècent. Ses déforques d'algues à marée basse sur le sable mouillé. Ses fourures et ses boléros quand elle s'en va danser au large. Et ce bleu, ce vieux bleu fétiche qui en voit de toutes les couleurs quand elle retrousse ses manches et se met au travail.


Les tentures brodées de myosotis et les miroirs profonds encadrés de faïence avouent quelle nostalgie l'habite. Ici se dissimule une vie recluse de femme, avec ses paquets de lettres noués de rubans violets, ses dentelles mauves, ses coffrets de turquoise, et toute la bijouterie des saphirs, des émeraudes et des perles, la pacotille des verroteries et des pendentifs de nacre, et quantité de fleurs exotiques aux tons indescriptibles piquées dans les vases de procelaine dont aucune main humaine ne change jamais l'eau.



(extrait du livre de Jean-Michel Mauploix, Une histoire de bleu, éd. Mercure de France MCMXCIV, 1992, « Dernières nouvelles de l'amour », p.108)

 

 

 

Pour citer ces poèmes

 


Jean-Michel Maulpoix, « Deux poèmes : "Emma aimait le bleu", "Ses robes, il faudrait en parler".  Extraits du recueil Une histoire de bleu » (poèmes reproduits avec l'aimable autorisation de l'auteur et de la maison d'édition Mercure de France, Jean-Michel Maulpoix, Une histoire de Bleu© Mercure de France, 1992), in Le Pan poétique des muses|Revue de poésie entre théories & pratiques : « Poésie, Danse & Genre » [En ligne], n°1|Printemps 2012, mis en ligne en Mai 2012.

URL. http://www.pandesmuses.fr/article-deux-poemes-une-histoire-de-bleu-103239026.html  ou URL. http://0z.fr/MydYu
 

 



Pour visiter les pages/sites de l'auteur(e) ou qui en parlent

 

 

http://www.maulpoix.net/index.html

 

 

http://www.u-paris10.fr/1768/0/fiche___annuaireksup/&RH=rec_rev

 

Jean-Michel Maulpoix

 

Jean-Michel Maulpoix - Littérature - France Culture

Jean-Michel Maulpoix - Wikipédia

 

 

Auteur(e)


 

Jean-Michel Maulpoix



Tous nos remerciements vont à l'auteur et à la maison d'édition Mercure de France.


Jean-Michel Maulpoix, Une histoire de bleu © Mercure de France, 1992

 

 

Le Pan poétique des muses - dans n°1|Printemps 2012

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  • Les mots timorés s'émeuvent
    N° IV | AUTOMNE 2024 | NUMÉRO SPÉCIAL 2024 | Les femmes poètes européennes par Lya Berger (1877-1941) | 1er Volet | Florilège des poèmes primés au Concours féministe de « Poèmes engagés & féministes pour le 25 novembre 2024 » & REVUE ORIENTALES (O) |...