Image : The Dance of Apollo with the Muses (Baldassarre Peruzzi)
ISSN = 2116-1046
Revue féministe de poésie
électronique et apériodique
©www.pandesmuses.fr
numéro consultable depuis votre mobile à l'adresse suivante :
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Sommaire
Nelly Taza
♦ Éditoriaux
Dina Sahyouni
Nelly Taza
I- Hors-zone ou Bémol
Bémol
Poésie, Danse & Genre
en spectacle
Leïla Da Rocha & Patrick Dupond invitéEs de la revue
[présentation inédite]
Leïla Da Rocha & Patrick Dupond invitéEs de la revue
[exposition inédite]
II- Zone des articles
Dossier majeur
Poésie, Danse & Genre
Michel Briand
[article inédit]
Angèle Bassolé-Ouédraogo
[article inédit]
Céline Torrent
[article inédit]
[entretien inédit]
Avant-première
Tatiana Julien & Alexandre Salcède
[article inédit]
Dossier mineur
Muses & Poètes
Poésie, Femmes & Genre
Yves Citton
Invité
[article inédit]
Patricia Izquierdo
Invitée
[article inédit]
Jo Laporte
Invité
[texte inédit]
III- Zone d'excellence poétique
Territoire dédié aux oeuvres de Jean-Michel Maulpoix invité d'honneur
de la revue
De la poésie dans tous ses états
Jean-Michel Maulpoix
Jean-Michel Maulpoix
IV- Zone de l'entretien poétique et artistique
Avant-première
Armelle Leclercq
[poèmes inédits]
Nicole Coppey
[ poèmes visuels inédits]
Jean-Marc Baillieu
[poème de genre inédit]
Angèle Bassolé-Ouédraogo
Françoise Urban-Menninger
[deux poèmes inédits]
Dina Sahyouni
[cinq poèmes inédits]
Marie Gossart
[poèmes inédits]
Isabelle Voisin
[cinq poèmes inédits]
Anne-Sophie Gosselin
[poème visuel inédit]
Tatjana Debeljački
Fialyne H.Olivès
Jodelle
Damy Tangage
Patrick Aveline
[poèmes inédits]
Bruno Krol
Hervé-Léonard Marie
Siamchinois
Nadine Le Lirzin
[poèmes traduits, inédits]
VI- Zone de la poésie érotique des (et/ou sur les) femmes & de genre
Damy Tangage
[poèmes inédits]
Marceline Desbordes-Valmore
[textes inédits]
La revue LPpdm consacre le dossier principal du numéro 2 à la poésie des femmes poètes romandes, à paraître en automne 2012.
Date limite d'envoi des propositions : 5 (30 juin 2012)
Dossier et poèmes pour le thème majeur
Poésie francophone des femmes
1er volet: la poésie des femmes romandes
Spring by John Byam Liston Shaw (1872–1919)
« Notre élan constructeur (n'est-il
que passager?)
par-dessus l'élément surpris,
domestiqué,
veut qu'entre les deux morts l'horizon
d'élevât,__
l'avant-poste de chair nous gagne
l'au-delà. »
(extrait du poème « Le Pont sur l'Abîme » de Simone Rapin, cité pp.103-104 par Michel R. Doret dans son ouvrage Poétesses genevoises francophones (1970 à 1980))
Si nous devons tomber
Que ce soit d’une même chute
Étincelants
Et brefs comme l’oiseau
L’arbre
La foudre
Pour tout bagage
Pour tout péage
Cet air de flûte qui chancelle d’un silence
À l’Autre
(par Anne Perrier, extrait de son livre La voie nomade)
Être une femme poète, être une poétesse comme on dit, c'est accepter le statut de mineure dans un monde fait de grands poètes qui forment l'essentiel de l'Histoire de la poésie universelle (le simple dépouillement des ouvrages consacrés à la poésie le confirme).
Être une femme poète francophone, c'est constituer au sein de la minorité de ses semblables une branche encore plus minoritaire...
C'est autrement demander à l'histoire de la poésie française de se pencher sur l'apport de toutes ces abeilles éparpillées sur la surface de la terre toute entière et de reconnaître leurs valeurs intrinsèques.
C'est se rappeler enfin que quelque part là-bas, de l'autre côté des frontières réelles et/ou imaginaires, des femmes enrichissent depuis des siècles l'histoire des mineures rendues dernièrement majeures par le geste symbolique récemment attribué à une femme poète romande qui n'est qu'Anne Perrier (elle est la première femme poète qui a obtenu le Grand Prix national de la poésie française, cf. Voir l'art. « La poétesse lausannoise Anne Perrier, Grand Prix national de la Poésie », url. http://www.ambafrance-ch.org/La-poetesse-lausannoise-Anne ).
Or, le récit de l'idée de cet appel trouve ses racines dans une amitié poétique nouvellement nouée avec Nicole Coppey qui m'a permis de m'interroger sur la rencontre entre la poésie dite française et de la poésie dite francophone des femmes.
Y-a-t-il une différence entre ces deux consœurs ? Y-a-t-il une âme commune qui en trace l'essence et en explore la quintessence ? Faut-il encore problématiser la poésie d'une femme en la rendant autre, dans le langage, en évoquant les questions ethniques et/ou nationales ? Que faire d'une belle poésie orientaliste et orientalisante ou d'une belle poésie occidentaliste et occidentalisante ? Comment parler des poésies des femmes vues au travers de leur pluralité identitaires ? Comment se taire et penser que la poésie lumineuse d'une Angèle Bassolé-Ouédraogo ou d'une Alice de Chambrier ne sont pas tour à tour des pratiques de soi poétiques, de belles envolées lyriques, picturales, calligraphiques, restent encore à découvrir au fur et à mesure du temps. N'y-a-t-il parmi nous, les femmes, des poètes à l'instar d'Aimée Césaire ou de Rimbaud ?
Que dire d'une Andrée Chédid, d'une Maryana Marrash, d'une Vénus, d'une Anne Perrier, d'une Simone Rapin et bien d'autres belles voix qui portent en elles leurs patries, leurs souvenirs en lyrisme de soi ?
L'histoire est pleine de femmes porteuses de cette poésie-là, de ce miroir qui laisse entrevoir l'autre autant que le même, le différent et le multiple...
Michèle Bitton, elle, s'est penchée sur la richesse de la poésie des femmes juives. Elle a écrit maintes ouvrages pour déterrer les femmes juives poètes des poussières de l'Histoire universelle qui tend à gommer les différences et à stigmatiser la portée de l'histoire d'une minorité qui s'introspecte.
Michel R. Doret, lui, a tissé par le biais de ses livres dédiés à la poésie des femmes romandes une des plus belles histoires de fidélité à l'histoire des femmes poètes. Une manière de rendre hommage avant l'heure à toutes celles qu'on honore aujourd'hui en la personne d'Anne Perrier provenant d'un poète francophone et d'un universitaire féministe (voir ses livres cités dans la bibliographie ci-dessous).
Comme tout poète prophétique, il voyait déjà l'intérêt qu'il y ait à révéler au monde entier l'importance de la poésie des femmes romandes. Ses livres constituent, par ailleurs, la base de notre appel et son fondement scientifique. D'autres universitaires empruntent le même chemin depuis plusieurs décennies et découvrent au fond des archives, des bibliothèques, des librairies et des collections privées des trésors qu'ils/elles pressent de transmettre à leurs lectorats tout en songeant à la richesse idéologique d'un tel savoir émietté et oublié par l'Histoire des idées.
La démarche de la revue LPpdm s'inscrit dans le sillage critique de cette voie symbolique, dans cette volonté d'aller à la rencontre des poèmes des muses, de laisser la lumière du jour venir enfin s'immiscer aux creux des écrits poétiques des nos aïeules et contemporaines francophones (ou non).
C'est pourquoi aujourd'hui, on propose le premier appel (d'une longue série dédiée à la poésie francophone, ou non, des femmes) qui traite de la poésie des romandes.
Une autre façon de rendre hommage à notre tour à toutes celles, qui à travers les siècles, continuent à questionner la langue et l'art poétique français et nous apportent une des plus belles joies de notre histoire commune couronnée et légitimée (entre autres, par la poésie de Simone Rapin et d'Anne Perrier).
Nous signalons également que l’importance de la problématique de la poésie francophone des femmes poètes n'a pas contribué à la naissance d'une posture universitaire et à ce jour, peu de travaux lui ont été consacrés.
Alors qu’elle ne cesse de faire parler d’elle, la poésie francophone des femmes poètes n’arrivent toujours pas à trouver sa vraie place dans le monde médiatique et surtout dans l’univers universitaire. Jugée secondaire, à l’instar de sa mère (la poésie des femmes dite aussi la poésie de genre), elle ne bénéficie que rarement de l’attention des périodiques et d'autres médias et si l’on en parle, c'est pour exploiter les retombées économiques et culturelles d'un fait littéraire issu d'un prix plus que pour la diffuser et/ou pour opérer un vrai travail de réception journalistique critique.
Si Michel R. Doret, parvient avec une remarquable aisance à dresser une cartographie de la poésie des femmes poètes romandes, le questionnement de leur place demeure ouvert, puisque depuis longtemps, cette même poésie résiste, prolifère, défie les lois de la gravité des crises succinctes qui frappent l'Imprimé. Elle se développe, se peaufine et contourne avec subtilité les contraintes propres à la poésie romande et à la poésie en général. Quelles sont ses voies et voix ? Voici un résumé qui en dit assez pour rouvrir le débat d'une poésie vivante, déjouant les représentations classiques et, qui se voue au corps, à la sensualité, au pays, à l'enfance, à l'au-delà, à l'autre, aux féminin et masculin revus et corrigés dans et par le langage.
Si Michel R. Doret décrit avec grâce la présence des femmes poètes romandes dans la poésie comme un fait poétique, comme l'expression de la virtuosité, comme l'enchantement onirique postmoderne, il laisse également entrevoir la voie vers une histoire commune d'une jubilation créative et d'une poésie en amant comme on peut le constater dans le discours d'une Claire Genoux (une des voix de la nouvelle génération romande) :
La question de la féminité de l'écriture amène la question du féminisme. J'ai conscience que la génération de nos mères a dû lutter davantage que nous et que grâce à elles, nous pouvons prétendre, à ce qu'on nous reconnaisse une certaine autonomie : nous pouvons ainsi revenir sur notre féminité de façon plus légère. Ça me plaît qu'il y ait dans mes textes une trace de mon appartenance à un groupe sexuel et je me sens libre de donner une large place à la sensualité. Qu'est-ce que le féminin ? […] Le féminin, c'est aussi un vaste potentiel affectif, le plaisir de la séduction au sens étymologique d' « emmener à l'écart ». D'autre côté, j'aime jouer avec certaines formes de la masculinité, comme le désir de possession immédiate, l'impatience à l 'aide de l'agressivité ou du jaillissement de l'image. […] Ce n'est ni le militantisme, ni l'égalité que je cherche en écrivant, mais la richesse de la différence entre les deux sexes, qu'il me semble précieux d'aborder comme un jeu, un fonctionnement, comme on parle du jeu d'un ressort ou d'une marge qui reste […] La quête de soi est sérieuse et grave, mais rien n'empêche l'allégresse dans l'écriture et, pourquoi pas d'être homme et femme à la fois. » (Claire Genoux, « L'écriture féminine », dans la revue Poésie 1 Vagabondages, le magazine de la poésie; dossier « Les femmes et la poésie », éd. Le cherche midi, n°38, juin 2004, pp. 35-36)
On dit que la poésie romande est moribonde, mais là voici, secouée et portée par les femmes, par une langue rendue pure, simple, musicale, picturale, sensuelle et foisonnante. Parmi ses caractéristiques, on peut citer : le lyrisme, le questionnement du corps, la spiritualité, la simplicité, la musicalité, la pureté des mots, l'autre femme conçue par la femme-poète, etc. Les nouveaux visages, thèmes et supports de la poésie romande des femmes nous intéressent particulièrement et, d’après le propos exposé plus haut et sans que cela soit exhaustif, nous proposons de traiter les axes suivants :
L'apport des aïeules et l'histoire de leur réception confrontée à la problématique de la diffusion de leur poésie : leur place dans l'histoire des idées. Il s'agit d'éclairer le questionnement sur la place de la poésie romande des femmes poètes dans l'histoire de la poésie française.
La poésie s'écrit, elle ne se pense pas comme on le voit surtout dans les ?dans les œuvres d'Anne Perrier.
Le genre comme une histoire langagière du je (à étudier les spécificités de la poésie des femmes poètes romandes).
Les figures des femmes poètes romandes (compositrice, artiste-peintre, etc.)
Une poésie perchée sur l'au-delà, penchée sur la spiritualité et vouée au lyrisme exacerbé.
La poésie des femmes poètes romandes ou les voix du corps (sensualité, érotisme, désirs, merveilleux, spiritualité, etc.)
Les propositions d'articles (d'une page) pour ce dossier et pour le dossier permanent de la revue (voir page Contribuer, www.pandesmuses.fr) doivent être envoyées au plus tard le 5 juin 2012 à l’adresse contact.revue@pandesmuses.fr
Les contributions complètes (articles, comptes-rendus, poèmes, textes et poèmes peu connus des femmes poètes, dessins, illustrations, etc.) doivent nous parvenir au plus tard le 30 août 2012 à l’adresse contact.revue@pandesmuses.fr
Bibliographie de l'appel
[PDF]
Consignes à respecter
Prénom, nom, nom de plume, adresse postale et profession. Biobibliographie (de vingt lignes maximum). Pièces jointes acceptées : en format Word (pour les textes) et JPEG (pour les illustrations, dessins et annonces), police Book Antiqua, taille 12, interligne double, justifier, notes de fin. La contribution ne doit pas dépasser vingt-cinq mille caractères (espaces compris). La revue accepte de publier des textes, et des poèmes déjà parus.
Pour joindre l'équipe de la revue :
contact.revue@pandesmuses.fr ou contact@pandesmuses.fr
Responsables scientifiques : Michel R. Doret & Dina Sahyouni
Dossier et poèmes pour le thème mineur
Contribuer aux dossier et poèmes
permanents de la revue
Muses & Poètes
Poésie, Femmes & Genre
Depuis l'émergence du champ de recherche de la poésie des femmes à la fin du XXe siècle, les études et les anthologies se succèdent. Notre revue s'inscrit dans cette démarche tout en élargissant les frontières qui la déterminent.
La revue Le Pan poétique des muses se voue à la poésie des femmes comme aux autres formes de leur existence en poésie et elle y inclut le genre.
Vous êtes donc invité(e)s à prendre part à cette manifestation et vous avez carte blanche pour votre contribution en articles, notes de lecture, comptes-rendus, fragments, textes théoriques peu connus et poèmes de vous ou de nos aïeules (par votre intermédiaire).
Pour que votre contribution soit publiée dans le n°2, n'oubliez pas de l'envoyer au plus tard le 30 août 2012. Cet appel à contribution comme cela est indiqué plus haut est permanent, il se renouvelle donc au lancement de chaque numéro de la revue.
Consignes à respecter
Prénom, nom, nom de plume, adresse postale et profession. Biobibliographie (de dix lignes). Pièces jointes acceptées : en format Word (pour les textes) et JPEG (pour les illustrations, dessins et annonces), police Book Antiqua, taille 12, interligne double, justifier, notes de fin. La contribution ne doit pas dépasser vingt-cinq mille caractères (espaces compris). La revue accepte de publier des textes et des poèmes déjà parus.
Pour joindre l'équipe de la revue : contact.revue@pandesmuses.fr
Pour citer ces textes
« Contribuer au dossier et poèmes principaux du n°2 : Poésie francophone des femmes. 1er volet : la poésie des femmes romandes », « Contribuer à une anthologie de la poésie des femmes », « Contribuer aux dossier et poèmes permanents de la revue: Muses & poètes », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques, [En ligne], mis en ligne en Mai 2012. URl. http://0z.fr/3qWG7 ou
URL.http://www.pandesmuses.fr/article-contribution-n-2-102417344.html
[invité de la revue]
Texte inédit
Travestir les travestissements
Hommage aux poétesses et aux Tiptons
Yves Citton
On aime à penser que quelques femmes célèbres ont dû se travestir en hommes pour se faire une place dans des domaines dont elles se trouvaient exclues en tant que femmes. On fait souvent de George Sand l’exemple emblématique d’un tel procédé : se donner un pseudonyme masculin, porter des habits d’hommes seraient une condition d’accès à certains domaines du monde littéraire.
Ce procédé n’est pas particulier à une époque ou à un domaine particulier. Les musiciennes réunies autour de Jessica Lurie et Amy Denio à Seattle au sein du groupe Billy Tipton Memorial Saxophone Quartet ont choisi de placer leur collectif sous le nom d’un(e) jazz(wo)man qui a fait toute sa carrière sous l’identité d’un homme (Billy Tipton) après être né(e) et avoir passé sa jeunesse sous l’identité d’une femme (Dorothy Tipton). Son cas est plus radical que celui de George Sand, née Amandine Aurore Lucile Dupin, mais il aide à éclairer les enjeux poétiques du travestissement.
Les Tiptons
Billy Tipton (1914-1989), pour se faire une place dans le monde des musiciens de jazz des années 1940-1970 en tant que pianiste, saxophoniste et leader, ne s’est en effet pas contenté(e) de s’habiller en homme. Après plusieurs relation de longue durée avec des femmes, Billy/Dorothy a fondé une famille avec Kitty Kelly, adoptant trois enfants. Apparemment, Billy prétendait avoir eu un accident qui avait endommagé son bas-ventre et l’obligeait à se bander la poitrine.
En tant que lesbiennes militantes, les membres du Billy Tipton Memorial Saxophone Quartet ‒ renommé depuis quelques années plus simplement The Tiptons ‒ souhaitaient placer leur travail sous l’effigie de cet exemple de réinvention créative de soi sous contrainte d’oppression sexuelle. Jouer du swing dans les années 1950, faire du jazz bordant sur le free dans les années 1990, c’est déjà se mettre dans une position de marginalité créative au sein de la société américaine. Il devient vite difficile de faire la part de la réinvention provenant du travail artistique, de l’identité genrée ou de l’orientation sexuelle.
Billy/Dorothy Tipton, Amy Denio, Jessica Lurie, Maya Johnson, Barbara Marino, Sue Orfield, Tina Richerson (membres présentes et passées des Tiptons) sont des poétesses au sens le plus profond : elles ont dû se créer elles-mêmes, en tant que musiciennes (avec leur style, leur phrasé, leur punch, leur mode d’interaction collective, leur humour), en tant que penseuses, militantes, activistes, mais aussi bien en tant que business women, puisque la vie de leur groupe qui a déjà vingt ans d’âge dépend de la réinvention constante de connexions, de montages, d’interstices dans lesquels on peut se glisser pour financer un déplacement, un concert, un enregistrement, un logement, un repas.
Tout le monde est artiste
« Tout le monde est artiste », disait avec raison Joseph Beuys. En ce sens, homme ou femme, hétéro ou homo, nous sommes tous les poètes de notre vie. Chaque vie résulte d’un travail de poiésis : de création, de mise en forme, de production d’un mode d’existence qui ne préexistait pas. Les Tiptons (Billy/Dorothy et celles qui se revendiquent aujourd’hui de son nom) nous font toutefois aller au-delà de cette vérité importante mais un peu trompeuse par son universalité abstraite. Se bander les seins chaque matin pour dissimuler ses formes de femme, prendre le risque de la précarité des revenus, de l’inconstance ou de la rapacité des promoteurs de concerts, de la négligence dans laquelle les médias dominants enterrent certains genres musicaux (comme le jazz à tendance free) ‒ tout cela est quand même assez différent de nouer sa cravate pour remplir un emploi de routine assurant un salaire mensuel régulier.
Les Tiptons sont poétesses parce qu’elles risquent leur vie matérielle et symbolique (à savoir leur reconnaissance au sein des communautés où elles vivent) à travers leur activité. Elles doivent re-produire journellement une identité qui ne se soutient pas d’elle-même. Dorothy devait se travestir en Billy ; Jessica et Amy doivent « jouer » un jeu de saxophoniste pour se faire une place dans le monde de la musique. Même si Jessica et Amy peuvent aujourd’hui se revendiquer de ce que Billy/Dorothy devait dissimuler, toutes n’existent qu’en prenant des poses, qu’en se scénarisant d’une certaine façon qui relève du projet et non d’une fonction sociale déjà identifiée, qu’il suffirait de remplir.
On peut toutefois se demander si le fait, pour un homme, de mettre une cravate pour aller faire son travail de comptable n’est finalement pas un travestissement aussi oppressif que celui que s’imposait Billy/Dorothy chaque matin. Ne doit-on pas également réinventer ce que c’est que « jouer » le jeu du comptable, particulièrement en notre époque où des logiciels nouveaux ou des réglementations tatillonnes reconfigurent la profession tous les deux ou trois ans ?
Faut-il dès lors admettre que les comptables sont autant des poètes que les Tiptons ? Que nous sommes tous des travestis ? Que la différence n’est que de quantité (plus ou moins travestis) et non de qualité (les travestis vs., les non-travestis) ? Ceux que nous percevons comme des poètes pratiqueraient simplement le travestissement créatif avec plus d’intensité que les autres.
Les poétesses
On peut esquisser une réponse légèrement différente pour essayer de rendre compte de la poéticité propre au travestissement, de façon à préciser une approche conçue en termes de pure intensité. La particularité des poètes et des poétesses serait de travestir les travestissements.
Lorsque je mets ma cravate pour aller jouer au professeur de littérature ou au comptable, je ne suis pas un poète si je me contente de me conformer au moule que l’institution (universitaire, administrative) a formé pour moi. Je me contente alors de me travestir dans un habit déjà découpé par autrui. Je suis bien « artiste » en ce que je dois inventer ma propre manière d’habiter cet habit et d’occuper ce moule, ce qui requiert toujours un certain art et une certaine part de créativité. Mais je ne suis pas « poète ».
Le poète serait celui qui, par obligation ou par choix ‒ et probablement toujours par un mélange des deux ‒ ne se contente pas de se travestir en ce qui est attendu de lui ou d’elle, mais entreprend de retailler tous les costumes qu’on lui peut lui offrir. Il sait, comme le comptable et le professeur, que ce qu’on lui demande d’être relève du travestissement, mais il s’efforce de travestir ce travestissement, de le reconfigurer, de le déformer, de le réinventer, de le recréer. Il ne peut y être à l’aise que s’il se donne les moyens de le retailler à des dimensions qui lui conviennent en propre. C’est précisément ce que fait un poète avec la langue dont il hérite ; c’est ce que fait un musicien avec les genres dont il s’inspire.
On peut dès lors se demander s’il n’y a pas davantage de poétesses que de poètes. Parce que les hommes ont été en position dominante durant les siècles passés (et largement encore dans nos sociétés actuelles, malgré les énormes progrès accomplis), il leur est plus facile d’accepter les travestissements qu’ils trouvent déjà taillés à leur disposition. Les femmes en général, et parmi les femmes, plus encore les lesbiennes ‒ en tant qu’elles se trouvent en position minoritaire, et, pour les secondes, minoritaires parmi les minoritaires ‒ seraient au contraire bien plus fortement conduites à ne pas se contenter des costumes déjà taillés pour elles. La créativité poétique serait bien plus fortement inscrite dans les paramètres de leur mode de (sur)vie.
Nous sommes donc peut-être tous des artistes et tous des travestis, mais nous ne sommes pas tous ni des poètes, ni des Tiptons. Nous pouvons cependant, toutes et tous, devenir des poétesses et des Tiptons ‒ dès lors que nous entreprenons de travestir nos travestissements.
Des informations, musiques et vidéos de The Tiptons se trouvent sur le site officiel du groupe http://www.tiptonssaxquartet.com/index.htm. Leur cd intitulé Box (CounterCurrents/New World Records, 1996) constitue un bon point d’entrée dans leur discographie.
Pour citer cet article
Yves Citton, « Travestir les travestissements : Hommage aux poétesses et aux Tiptons », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : « Poésie, Danse & Genre » [En ligne], n°1|Printemps 2012, mis en ligne en Mai 2012.
URL. http://www.pandesmuses.fr/article-travestir-102542223.html ou URL. http://0z.fr/Js28O
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Yves Citton - Université Stendhal-Grenoble 3
Yves Citton - Littérature - France Culture
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