12 juin 2024 3 12 /06 /juin /2024 13:42

Événements poétiques | Festival International Megalesia 2024 « Amies » & « Elles » | Revue des Métiers du livre | Revue culturelle des continents

 

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Crépuscule du Maghreb des livres

 

 

 

 

Chronique par

 

Mustapha Saha

 

Sociologue, artiste peintre & poète

 

Photographies par

 

Élisabeth Bouillot-Saha

 

Artiste photographe

 

 

 

​​​​​© Crédit photo : Mustapha Saha et Yasmine Chami au Maghreb des livres. Paris. Hôtel de Ville. Juin 2024.

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Paris. Lundi, 3 juin 2024. Le Maghreb des Livres s’achève sur une triste décrépitude. Une fréquentation en chute libre. Des entretiens, des tables rondes devant des publics parsemés. Le Maroc, fantomatique invité d’honneur. La salle des signatures timidement fréquentée. Plusieurs bonnes plumes, insuffisamment connues, en déplacement pour rien, expectent vainement des demandes d’autographes. La déception se lit dans les regards égarés. Les médias français ignorent la manifestation. Les polygraphes starifiés boudent l’événement. Les éditeurs marocains désespérément absents. Les tables de livres elles-mêmes soupirent leur indigence. En contrepoint, des apartés fructueux, des souvenirs de temps plus vertueux. Driss El Yazami me demande une étude historique sur la jeunesse marocaine et les droits humains. Le gauchisme marocain se réhabilite. 

 

 

​​​​​© Crédit photo : Elisabeth et Mustapha Saha au Maghreb des livres. Paris. Hôtel de Ville. Juin 2024.

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L’association Coup de Soleil voit ses années fertiles s’éloigner dans le rétroviseur. Atmosphère de fin de règne. Appels pathétiques aux dons et aux cotisations. Quand le bateau coule, l’étendard prend l’eau. Deux notabilités se demandent si elles ne se sont pas trompées de rendez-vous. Hubert Védrine présente son dernier ouvrage, Camus notre rempart, éditions Plon, devant  trois oreilles distraites. Retrouvailles émouvantes avec Louis Mermaz, témoin majeur des années mitterrandiennes, curiosité toujours vive. Le Fonds Louis Mermaz, éditions Le Bord de l’eau, rassemble les travaux d’une journée d’études sur ses archives. 

Que retenir ? Des livres, bien entendu. Les éditions du Jasmin remettent opportunément en vente des classiques, tarifés en francs, Voyage dans l’Empire du Maroc de Jean Potocki (1761-1815), Reconnaissance au Maroc de Charles de Foucault (1858-1916), Le Culte des grottes au Maroc d’Henri Basset (1892-1926). Des ouvrages sous-estimés, dénigrés par l’idéologie décoloniale, la cancel culture, la post-vérité.  Le besoin de ressusciter l’esprit de Toumliline se fait nécessité vitale dans le monde à la dérive. 

Je découvre le livre La Maison du Maroc à la Cité U de Mostafa Bouaziz et  Guillaume Denglos, éditions Riveneuve. La Maison du Maroc à la Cité internationale universitaire de Paris, construite en 1953 par l’architecte Albert Laprade dans le style mauresque, avec son entrée monumentale, son patio andalou, son salon tapissé de zelliges, fut,  dans les années soixante et soixante-dix, un lieu d’activisme révolutionnaire et de dialogue des cultures. Je me souviens des assemblées en son sein contre la guerre du Vietnam d’associations africaines snobées par les groupuscules gauchistes. L’établissement s’investit totalement dans Mai 68. Les étudiants l’occupent, l’autonomisent, l’autogèrent pendant deux ans. La Maison du Maroc est aujourd’hui une institution bien sage, organisant, de temps en temps, des conférences promotionnelles et des expositions inoffensives.

 

 

​​​​​​​​​​© Crédit photo : Mustapha Saha et Louis Mermaz au Maghreb des livres. Paris. Hôtel de Ville. Juin 2024.

 

 

Tanger et Casablanca se réactualisent. Le roman Casablanca Circus de Yasmine Chami décrit les contradictions urbaines, les antinomies sociales, les discordances culturelles de la métropole casablancaise à travers le couple d’un architecte et d’une historienne formés dans les universités parisiennes. Les discriminations entre  quartiers bourgeois et périphéries populaires se perpétuent identiquement depuis l’époque coloniale. Contrastes terribles entre enfants nantis, vivant dans des villas luxueuses, trimballés dans des limousines, et marmots déguenillés des bidonvilles. Les pauvres et les riches n’ont en commun que le phallocratisme, le machisme, la domination patriarcale. Regard anthropologique, enrichi de données géographiques, historiques, fondu dans une plaisante narration littéraire. 

Mohamed Métalsi republie, aux éditions Malika, Tanger, fortunes et infortunes d’une ville, après l’avoir entièrement réécrit. Il reprendra probablement l’inépuisable sujet de la cité en perpétuelle métamorphose dans d’autres communications, dans d’autres ouvrages. L’urbaniste scrute inlassablement les spectaculaires transformations urbaines accélérées par le gigantesque complexe portuaire de mille hectares, la plateforme industrielle de mille entreprises. La métropole compte désormais un million d’habitants. Se noient les quartiers historiques dans une extension rhizomique. Tanger  multimillénaire, diversitaire, interculturel, phénicien, carthaginois, grec, romain, byzantin, arabe, portugais, espagnol, britannique, brade son âme. Tanger englouti dans le béton de la mondialisation. Tanger oublie ses rêves. Tanger ne parle que de ses performances économiques.

 

 

​​​© Crédit photo : Mustapha Saha et Driss El Yazami au Maghreb des livres. Paris. Hôtel de Ville. Juin 2024.

 

Depuis mon adolescence, je revisite régulièrement des écrivains envoûtés par la cité du détroit, Tennessee Williams, Truman Capote, Jack Kerouac, Jean Genet, Juan Goytisolo, Paul Bowles, Samuel Beckett. Les lieux mythiques, hantés par des plumes ensorcelées, disparaissent les uns après les autres. Tanger perd ses muses et ses mystères. La ville se technocratise, se dépoétise, se déromantise. Je relis Au Grand Socco de Joseph Kessel, éditions Gallimard, 1952. La trame narrative épouse le dédale des ruelles. S’évite le misérabilisme du Pain nu de Mohamed Choukri. Le discours du pauvre peut être enchanteur. Au marché du Grand Socco, Bachir, enfant des rues, clochard céleste, fabuliste errant, alter ego méditerranéen de Tom Sawyer et de Huckleberry Flint, envoûte son auditoire de contes merveilleux. Le parfum hoggarien de Tin Hinan embaume ses récits. Puis, un jour, Bachir, en quête d’aventures extraordinaires, entreprend le tour du monde sur son petit âne blanc. L’empathie animale compense l’ingratitude humaine. L’esthétique plébéienne rattrape l’insensibilité bourgeoise. Les multiples facettes de la psychologie populaire se ramifient dans l’onirisme. 

Le marché d’antiquités et de brocantes du Grand Socco, au pied de la médina, antique chalandage de l’or, jalonné de bijouteries, fixe mes souvenirs d’enfance. Hypnotiques clameurs. Entremêlement de voix, de couleurs, de fragrances. Des productions artisanales à profusion, tapisserie, broderie, plumasserie, verrerie, faïencerie, émaillerie, argenterie,  maroquinerie, orfèvrerie, ferronnerie, cuivrerie, ébénisterie, marqueterie, damasquinerie. De vrais produits locaux, parfois des faux. L’art du marchandage se conclut le plus souvent sur un sourire et une poignée de mains. Je me revois dans ce souk à dix ans, immobile, fasciné par des scènes d’incroyable théâtralité. Le souk, c’est aussi la halqa, le cercle de spectateurs formé autour des saltimbanques, la circularité solidaire, fraternelle, les démonstrations de musiques, de chants, de danses, d’acrobaties, les narrations d’épopées, les déclamations de poèmes, les harangues morales. Toute l’effervescence culturelle, créative du Maroc passe par les halqas.  

 

Les découvertes appellent des relectures, des actualisations, des focalisations.  Je ressors l’Enquête sur les corporations musulmanes d’artisans et de commerçants au Maroc de Louis Massignon (1883-1962), éditions Ernest Leroux, 1925, rééditée par l’Université Mohammed V en 2014. En 1923, Hubert Lyautey confie à Louis Massignon une étude sur les artisanats marocains après avoir lu ses mémoires sur Hassan Al Wazzan, dit Léon l’Africain, et sur La géographie du Maroc dans les quinze premières années du XVIème siècle. La méthodologie se décline dans une recherche multidimensionnelle à Fès, Marrakech, Rabat, Salé, Meknès, accessoirement  Casablanca et Taroudant. Une vingtaine de pistes, les spécialisations tribales, les typologies professionnelles, leur agencement, leur encadrement, leur hiérarchisation, leur répartition spatiale, leur administration coutumière, leurs chants religieux et satiriques, l’influence des confréries, l’empreinte andalouse, le fonctionnement des marchés. Des chroniques anciennes sont exhumées, étudiées, confrontées aux réalités postérieures. Louis Massignon trouve à cette occasion sa vocation d’intercesseur de la diversité culturelle. 

 

 

​​© Crédit photo : Saha et Abdellah Baïda au Maghreb des livres. Paris. Hôtel de Ville. Juin 2024.

 

Petites et grandes histoires du Maroc de Rachid Boufous, éditions Le Fennec, narre des personnages excentriques, des anecdotes allégoriques. L’histoire s’aborde par des fenêtres latérales. Vingt-trois récits tramés sur internet. Des faits historiques saisis comme des contes fantastiques. Une coutume remontant à Moulay Rachid fait,  chaque année, pendant des lustres, d’un étudiant de la Qarawiyine un Soltane des tolbas, un roi régnant pendant une semaine avec toutes les prérogatives de la fonction. Tout aussi insolite, le royaume des Berghouata, confédération tribale berbère, libertaire, dissidente du califat omeyyade, prône l’égalitarisme total et la démocratie directe, se perpétue sur la côte atlantique durant quatre siècles. Des confréries comme les Regraga toujours en activité. Des cultes de saints toujours observés. Des rites ésotériques toujours pratiqués. La culture se nourrit d’épopées lunaires et d’imaginations collectives, de transmissions millénaires et de reconstitutions inventives, de genèses visionnaires et de variantes alternatives. 

 

 

​​© Crédit photo : Mustapha Saha et Rachid Boufous au Maghreb des livres. Paris. Hôtel de Ville. Juin 2024.​​​​​

 

L’intemporelle figure de proue des lettres marocaines Edmond Amran El Male s’invite dans Le Monde d’Edmond d’Abdellah Baïda, éditions Agora, Tanger. Edmond Amran El Maleh me confie un jour qu’il est sursollicité depuis son retour au Maroc, qu’il se sent un devoir de répondre aux multiples incitations tant cette reconnaissance lui a manqué pendant son éloignement de la terre natale. Le livre s’ouvre sur un exergue. « Être en situation d’entretien, c’est être sur le grill. On est tourné et retourné. On est l’objet d’une violence ». Et pourtant, on plonge au fond de soi pour  trouver des réponses improbables. Quinze entretiens sur le vif. Il est surtout question d’écriture, de littérature, de philosophie. L’ombre de Walter Benjamin plane à chaque détour. Je retrouve des expressions familières, des tournures particulières. Ressurgissent des réminiscences de conversations montparnassiennes, de causeries pimentées de nostalgies marocaines, de promenades parisiennes le long des quais, ponctuées de longues haltes devant les boîtes des bouquinistes.

 

 

©Mustapha Saha

 

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Pour citer ce texte inédit

 

Mustapha Saha, « Crépuscule du Maghreb des livres », photographies par Élisabeth Bouillot-SahaLe Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événements poétiques | Festival International Megalesia 2024 « Amies », « Elles », mis en ligne le 12 juin 2024. URL :

http://www.pandesmuses.fr/megalesia24/fum-crepuscule

 

 

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Megalesia 2024 HORS-SÉRIE 2024 Métiers du livre
17 février 2024 6 17 /02 /février /2024 17:59

N° I | HIVER 2024 | Seules, seulettes : des poésies de nos solitudes / 1er Volet | Revue des métiers du livre / S'indigner, soutenir, lettres ouvertes & hommages

 

 

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Lutte des bouquinistes parisiens. Épilogue

 

 

 

 

Tribune 4 par

 

Mustapha Saha

 

Sociologue, poète & artiste

 

Photographie par

 

Élisabeth Bouillot-Saha

 

Photographe

 

 

 

© Crédit photo : Mustapha Saha chez les bouquinistes des quais de Seine,  image par Élisabeth Bouillot-Saha, septembre 2023.

 

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Mardi, 13 février 2024. Coup de théâtre. J’apprends l’annulation du déplacement des bouquinistes par la présidence. Une dépêche de l’AFP annonce la décision élyséenne : « Constatant qu'aucune solution consensuelle et rassurante n'a pu être identifiée avec ces acteurs, le président de la République a demandé au ministre de l'Intérieur et au préfet de police de Paris que l'ensemble des bouquinistes soient préservés, et qu'aucun d'entre eux ne soit contraint d'être déplacé ».

 

La presse étrangère se réjouit du rétropédalage du pouvoir. Des médias européens, américains, asiatiques ont réalisé des reportages sur place tout au long des sept mois de lutte. Le soir du simulacre du test de démontage, des télévisions japonaise et sud-coréenne étaient présentes. Le journal bavarois Süddeutsche Zeitung écrit « Bonne nouvelle. À la surprise générale, le président français décide le maintien des boîtes de bouquinistes, authentiques monuments culturels,  sur leurs parapets. L’art et la manière de gagner des points de popularité à bon compte. L’opinion publique est largement acquise aux bouquinistes. Une pétition de soutien a réuni 184 000 signatures. Des voix nombreuses se sont indignées contre la liquidation de l’âme de la Seine ».

 

La résistance a payé. Dès juillet 2023, nous nous sommes mobilisés, avec Élisabeth, pour les bouquinistes des quais de Seine. J'ai publié une douzaine de chroniques. Je prépare un livre sur cette question sous le titre Les Bouquinistes parisiens, Ad vitam aeternam. Je reçois plusieurs messages jubilatoires de bouquinistes. Prochaine étape, immortaliser le témoignage.

 

© Mustapha Saha

 

 

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Pour citer ce texte inédit

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Mustapha Saha, « Lutte des bouquinistes parisiens. Épilogue  », photographie par Élisabeth Bouillot-SahaLe Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° I | HIVER 2024 | « Seules, seulettes : des poésies de nos solitudes », 1er Volet, mis en ligne le 17 février 2024. URL :

http://www.pandesmuses.fr/noi/ms-bouquinistesparisiens4

 

 

 

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N° I | HIVER 2024

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17 février 2024 6 17 /02 /février /2024 17:53

N° I | HIVER 2024 | Seules, seulettes : des poésies de nos solitudes / 1er Volet | Revue des métiers du livre / S'indigner, soutenir, lettres ouvertes & hommages

 

 

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Fétichisme olympique & folie des grandeurs

 

 

 

 

Tribune 3 par

 

Mustapha Saha

 

Sociologue, poète & artiste

 

Photographie par

 

Élisabeth Bouillot-Saha

 

Photographe

 

 

 

© Crédit photo : Mustapha Saha chez les bouquinistes des quais de Seine,  image par Élisabeth Bouillot-Saha, septembre 2023.

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Paris. Vendredi, 9 février 2024. Pérégrination rituelle sur les quais de Seine. Discussion avec Jean-Pierre Mathias, ancien professeur de philosophie, bouquiniste depuis trente cinq ans sur le quai Conti. Bouquiniste n’est pas uniquement un métier, un gardien de la tradition médiévale de la boutique permanente dans la rue, c’est une vocation. Pour être un honnête bouquiniste, il faut avoir une culture éclectique, une insatiable curiosité intellectuelle, une prédilection pour la communication et surtout une santé à toute épreuve. Au bord du fleuve, les éléments s’apaisent ou se déchaînent. L’hiver est toujours rude. Le vent fouette les arbres et les présentoirs. Les bourrasques malmènent les livres. Le printemps apporte les brises consolatrices. L’été attire les flâneurs et les fureteurs.

 

Le programme sécuritaire des Jeux Olympiques, prévoyant le déplacement des bouquinistes,  draine les rumeurs et les contre-rumeurs. Mercredi 31 janvier 2024, réunion à l’Élysée pour examiner des alternatives si la cérémonie d’ouverture devait être empêchée. La Maire de Paris rêvait d’une fiesta nautique avec un million de personnes. La façade de l’Hôtel de Ville exhibe des panneaux promotionnels tapageurs, aberrants, risibles. Les Jeux camelotés comme une foire du trône. Le design et le marketing sans signification imposent leur post-vérité, leur cancel culturel. Sur les boîtes des bouquinistes de nouveaux slogans en langue anglaise, War on culture, Culture kills

Les bouquinistes des quais de Seine, en attendant, sont ballotés entre fausses promesses et vrais menaces. Les réunions avec les autorités municipales et préfectorales, auxquelles ils se prêtent à contrecœur, exaspèrent  la mésentente. Le pouvoir ne démord pas de sa volonté de  déloger les bouquinistes coûte que coûte. La rencontre du lundi 15 janvier 2024 s’est soldée par un désaccord total. Vendredi 19 janvier 2024, les bouquinistes décident de saisir le tribunal administratif. Ils demandent le maintien de leurs boîtes ou, en ultime recours, une indemnisation qui compense leur manque à gagner et sauvegarde leur dignité.

Mardi, 6 février 2024. Conseil de Paris. L’intervention du représentant écologiste relève de l’accrobatie rhétorique. « Les écologistes estiment que la Ville devrait accompagner les bouquinistes dans leurs contentieux avec les instances étatiques. Nous pensons qu’il ne faut pas déplacer les boîtes. Nous sommes dans l’incertitude. Y aura-t-il finalement une cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques sur la Seine ? On se retrouverait dans une situation paradoxale si on annule l’événement à la dernière minute après avoir évacué les caisses. Nous trouvons que les questions de sécurité sont un prétexte pour se débarrasser des bouquinistes. La Ville de Paris met trop d’argent dans les Jeux Olympiques. Le financement devrait être intégralement pris en charge par le Comité d’Organisation. Par rapport aux bouquinistes et leur déplacement éventuel, comment on va financer cette opération ? » Comprenne qui pourra le soutien sans soutien. Pour Aristote, la sophistique est une sagesse superficielle,  trompeuse. La sophistique élude les questions essentielles. Elle ne s’attache qu’aux effets oratoires. Elle escompte les rentabilités matérielles. Sous apparence de vérité, le mensonge sème ses nocivités.

Les Jeux olympiques bouleversent de fond en combe la vie sociale, économique, culturelle. Les compétitions sont prévues au cœur de la ville, aux abords des monuments historiques, Louvre, Pont de la Concorde, Tour Eiffel, Grand Palais… Circulations  bloquées. Accès interdits. Contrôles drastiques. La navigation sur la Seine sera prohibée une semaine avant la cérémonie d’ouverture du 26 juillet 2024 et interrompue pendant les épreuves de nage. Seule la sécurité prime. Les pollutions passent sous silence. La filière céréalière redoute un été catastrophique. Le fret fluvial assure 20% des transports de marchandises. Pendant les moissons, 25 péniches sont chargées de 1 500 tonnes de grains, l’équivalent de 1 250 camions. 4 400 exploitations agricoles d’Île-de-France seront impactées. 800 000 tonnes de céréales risquent la destruction faute d’être acheminées.

 

Dimanche, 11 février 2024. Inauguration de la salle polyvalente, modulaire, multisports L’Arena de 8 000 places à la Porte de la Chapelle. Gadgets écologiques : récupération des eaux de pluie, toiture végétalisée, sièges en plastique recyclé. En sous-sol, une usine de production de froid permet le rafraîchissement de la salle. La machinerie sert également à chauffer les habitations du quartier. La Maire supplie les parisiens de ne pas fuir la ville. Elle déclare dans un emportement lyrique : « Cette inauguration, c’est un peu le début du commencement de la magie olympique. Paris va être magnifique. Ne partez pas pendant les Jeux. Ce serait une connerie. On va vibrer ensemble ». Tel est le niveau discursif du langage politique en vigueur. Juste avant l’arrivée de l’édile, une manifestation des sans-papiers, Pas de papiers, pas de Jeux Olympiques sur banderole. Un contrat avec la Mairie autorise l’équipementier allemand Adidas d’accoler son nom sur l’édifice pendant cinq ans. Le sport business contamine toute la société. Tout se vend. Tout se marchandise. Tout se privatise. Le patrimoine culturel, les bibliothèques, les musées, les écoles, les squares… Jamais les affaires publiques et capitalistes n’avaient fait aussi bon ménage.  La Porte de la Chapelle demeure un lieu de détresse. Sous le pont traversant le boulevard Ney vivotent sans logis et toxicomanes. Un slogan tagué sur le mur rappelle : La Chapelle, porte de l’enfer. Des réfugiés ignorés par les institutions meurent de faim, de froid. Des crackers se livrent à des trafics misérables. Violences du dénuement. Les migrants affamés, épuisés, malades  sont érythréens, irakiens, afghans, maliens pour la plupart. Certains sont marocains.

La folie des grandeurs bute sur la faisabilité. La jauge de spectateurs est d’ores et déjà rabaissée de 600 000 à 300 000 par le ministère de l’Intérieur. 100 000 personnes ont  payé leur place sur les quais bas pour assister au spectacle fluvial, jusqu’à 2 700 pour les mieux placées. L’interrogation lancinante,  la vulnérabilité des athlètes embarqués sur une centaine de bateaux face à une éventuelle attaque terroriste,  revient obsessionnellement  dans chaque tour de table. La gouvernance technocratique ne comprend toujours pas l’incompatibilité de la fête et de la sécurité. Les principaux dirigeants du Comité olympique sont dans le collimateur de la justice. Le Président de Paris 2024 et trois collaborateurs sont visés par des enquêtes judiciaires pour favoritisme, infractions financières, prises illégales d’intérêts, irrégularités relatives aux marchés publics, recels. Les procédures pénales s’accumulent.

Je ressors une vieille note. La folie des grandeurs est la maladie commune de tous les tyrans, à quelqu'échelle qu'ils sévissent, du despotisme municipal au césarisme mondial. L'autocrate se place d'emblée au-dessus des lois pour imposer sa seule et unique volonté. Le monde n'existe que parce qu'il s’en proclame le maître. Il accapare tous les pouvoirs. il persécute les détenteurs du savoir. Il traite ses alliés comme des corsaires, ses amis comme des adversaires. Et quand il est gavé d'omnipotence, il dégorge ses déboires sur ses derniers serviteurs, creuse sa propre tombe et, par avance, édifie un mausolée à sa gloire.

 

 

© Mustapha Saha

 

 

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Pour citer ce texte inédit

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Mustapha Saha, « Fétichisme olympique et folie des grandeurs  », photographie par Élisabeth Bouillot-SahaLe Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° I | HIVER 2024 | « Seules, seulettes : des poésies de nos solitudes », 1er Volet, mis en ligne le 17 février 2024. URL :

http://www.pandesmuses.fr/noi/ms-bouquinistesparisiens3

 

 

 

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N° I | HIVER 2024

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27 novembre 2023 1 27 /11 /novembre /2023 16:09

N°15 | Poétiques automnales | S'indigner, soutenir, lettres ouvertes & hommages | Revue des métiers du livre

 

 

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La municipalité parisienne inaugure

 

les tests antibouquinistes

 

 

 

 

 

Tribune 2 par

 

Mustapha Saha

 

Sociologue, poète & artiste

 

Photographies par

 

Élisabeth Bouillot-Saha

 

Photographe

 

 

 

© Crédit photo : « Bouquinistes parisiens », image par Élisabeth Bouillot-Saha, 17 novembre 2023, no 1.

 

 

 

Paris. Samedi, 17 novembre 2023. 20 heures 30. Le Quai de la Tournelle sous projecteurs, réflecteurs, gyrophares, lumières éblouissantes. La rue bloquée par des estafettes, des véhicules de toutes tailles, estampillés mairie. La police municipale quadrille sévèrement Sur le pont de Sully, un camion-grue avec longue remorque en attente. Une mise-en-scène hollywoodienne. Les grands moyens déployés pour décourager toute velléité de résistance. Des journalistes, des reporters de télévisions françaises, japonaises, coréennes, confinés sur quelques mètres carrés. Une armada de guerre pour démonter et remonter quatre misérables boîtes. Des bouquinistes assistent, médusés, à la tragi-comédie où se jouent leurs destinées.

 

© Crédit photo : « Bouquinistes parisiens », image par Élisabeth Bouillot-Saha, 17 novembre 2023, no 2.

 

La mairie se réfugie derrière l’autorité supérieure, étatique, omnipuissante, irrécusable.

Communiqué municipal : « Dans la nuit du vendredi 17 novembre 2023, faisant suite à la demande de l’Etat via la préfecture de police de faire retirer temporairement les boîtes de bouquinistes sur le parcours  de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, les services de la Ville de Paris ont procédé à un test de dépose et de repose de plusieurs boîtes sur le quai de la Tournelle. Le test s’est bien déroulé ». Mission couronnée de succès : « Quatre boîtes appartenant à un bouquiniste volontaire, lesquels, après avoir été vidées de leur contenu, ont été détachés, puis retirées du quai, avant d’être réinstallés sur le même emplacement. Huit boîtes abandonnées, davantage dégradées, ont été détachées définitivement ». 

 

© Crédit photo : « Bouquinistes parisiens », image par Élisabeth Bouillot-Saha, 17 novembre 2023, no 3.

 

© Crédit photo : « Bouquinistes parisiens », image par Élisabeth Bouillot-Saha, 17 novembre 2023, no 4.

 

 

L’absurde décision est validée par un test aléatoire. Aucune contestation n’est admissible. Pourquoi ne dit-on pas qu’il s’agit surtout de dégager des visibilités publicitaires ? La raison mercantile commande les actions politiques. Le fétichisme olympique légitime toutes les exceptions. L’alibi sécuritaire autorise tous les arbitraires. L’injustice sociale se drape d’utilité publique. Les médias institutionnels reprennent en chœur l’élément de langage municipal : « Le test s’est bien déroulé ». La communication est verrouillée.

 

© Crédit photo : « Bouquinistes parisiens », image par Élisabeth Bouillot-Saha, 17 novembre 2023, no 5.

 

 

Le fait accompli s’impose comme une évidence. La municipalité, dans un geste de grande commisération, prend en charge le démontage et le stockage des boîtes. Qu’importent les emplois sacrifiées, les vies brisées, les morbidités inoculées. Quatre de siècles et demi de pratiques bibliographiques à l’encan.

 

© Crédit photo : « Bouquinistes parisiens », image par Élisabeth Bouillot-Saha, 17 novembre 2023, no 6

 

© Mustapha Saha

 

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Pour citer ces texte & images inédits

 

Mustapha Saha, « La municipalité parisienne inaugure les tests antibouquinistes », photographies par Élisabeth Bouillot-SahaLe Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° 15 | AUTOMNE 2023 « Poétiques automnales », volume 1, mis en ligne le 27 novembre 2023. URL. http://www.pandesmuses.fr/no15/ms-bouquinistesparisiens

 

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Numéro 15 Métiers du livre S'indigner - soutenir - etc.

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  • Vient de paraître le recueil de poèmes « Nos coutures apparentes » par Imèn MOUSSA
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  • Maternité éternelle
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  • 2024 | Charmille de Poèmes pour Toutes à l'École et La Journée Internationale des Droits des Filles
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  • La vie japonaise
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  • Concours de poèmes engagés & féministes pour le 25 novembre 2024
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  • Les pieds ont une pointe
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  • Biographie de Monique CHARLES-PICHON
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