La fièvre
Je rêvais éveillée. Oh ! Sublime folie !
Sous le reflet brillant d'un magique lointain,
Mon âme entrevoyait de l'éternelle vie,
Des saintes voluptés le prestige divin.
Un ange, me prenant sur ces ailes dorées,
Bientôt vint m'enlever de mon triste séjour,
Fit entendre à mon cœur des notes adorées,
M'entretint doucement de son mystique amour.
« Sur ton aride sol laisse tomber ta chaîne ;
Avec moi, me dit-il, dans ma belle cité
Viens : dans ce doux Éden, toujours l'âme est sereine ;
Viens respirer enfin l'air de la liberté.
Mon asile est plus beau que toute la nature,
De festons verdoyants nos chemins sont parés,
Et les sens sont bercés par un divin murmure :
Le chant harmonieux des esprits éthérés.
L'âme de mille fleurs dans les airs est semée,
Le génie et l'amour se plaisent parmi nous ;
Pour ces âmes de feu notre vallée aimée
Seule a des charmes purs, mystérieux et doux. »
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Mon ange, poursuivant son envol léger, rapide,
De ses deux ailes d'or agitait mes cheveux,
Du souffle parfumé de son baiser humide
Rafraîchissait mon front qui bouillonnait de feux.
Parcourant avec lui les champs de son empire,
Je vis les Chérubins, dans leurs riants berceaux,
M'accueillir en chantant, tendrement me sourire,
Jeter sur mon chemin des fleurs et des rameaux.
Marchant, marchant toujours de miracle en miracle,
Je vis se dessiner un splendide palais ;
Puis, franchissant le seuil d'un sacré tabernacle,
Des délices des saints je savourai la paix.
Du grand livre éternel je tournai chaque page,
J'épelai chaque mot d'un langage divin,
Je compris de mon Dieu le magnifique ouvrage,
Je connus les secrets du sublime écrivain.
Alors dans ma pensée, à cette heure suprême,
Surgirent des transports enivrants, inconnus ;
Mon âme, concevant tout le plan d'un poème,
Dans les airs exhala ses accents ingénus.
Reine aux charmes puissants, la belle Poésie
Parut, et me tendant ses fertiles pinceaux,
Elle-même humectant ma lève d'ambroisie :
« Travaille, me dit-elle, et rends ces beaux tableaux. »
Sous ses regards brûlants, près de cette âme pure,
D'un magique pouvoir tout à coup pénétré,
Mon esprit, s'essayant, par sa chaude peinture
Rendit tout le brillant de ce séjour sacré.
Et, pendant mon travail, ma divine maîtresse
De sa lyre tirait des sons harmonieux ;
Mon cœur, épanoui d'une céleste ivresse,
Se croyait pour toujours un habitant des cieux.
À l'heure du repos, sur ma couche d'ivoire,
Les décentes Vertus vinrent me déposer ;
Mon ange me berça par des songes de gloire,
Mais tout s'évanouit dans un dernier baiser !
Adieux à la poésie
D'un délirant nectar en vain j'emplis mon verre,
Pour tromper ma douleur je cherche à m'enivrer :
Mon esprit est vaincu, maîtresse est la matière ;
Je me sens expirer.
Arrêtée un instant sur une haute cime,
Pour cueillir une fleur, soudain, mon pied glissant,
Le vertige me prend et, d'abîme en abîme,
Je roule en gémissant.
Quand je veux de nouveau vers les champs de lumière.
Par un bond insensé, reprendre mon essor,
Un bras de plomb m'étreint, me repousse en arrière
Et rend vain mon effort.
Fantômes de l'esprit, vous n'avez plus de ruse
Pour mon cœur ulcéré ; dans vous je n'ai plus de foi.
Ce terrible ennemi qui nous ronge et nous use,
L'ennui pèse sur moi !
Heures de triste attente et de longue insomnie,
Heures de désespoir, qui pourra vous tromper ?
Sur un triste destin mon semblant de génie
Ne peut plus l'emporter.
Ô douleur ! ô regret ! Quand mon âme en délire
Poursuit en rêve encore un drame commencé,
Je ne puis rattacher mes pensers, les écrire...
Mon corps est affaissé.
Ô poésie, amour, ma volupté suprême,
Adieu ! et vous, à moi venez, oubli, néant !
Renoncer à mon art, c'est plus que la mort même
Pour mon esprit ardent.
Adieu, bords enchantés où je m'étais assise,
Croyant me ranimer par un air pur, vital.
Je l'ai trop aspiré, car mon âme se brise
Sous un souffle fatal.
Sous vos ombrages verts, chantant avec ivresse,
Un jour je m'endormis dans une douce erreur :
Le vent froid m'a saisie et des flots de tristesse
Ont étouffé mon cœur.
Adieu, riant vallon ; adieu, plaine fleurie
Où j'ai trouvé trop tard un précieux trésor,
Adieu, beau ciel d'azur ; adieu, sainte patrie.
J'échoue auprès du port !
Recueille mes accents, muse, trop chère amie ;
En pressant sur mon cœur ton fantôme adoré,
Ô toi, toi que j'aimai, je t'ai donné ma vie.
Mon esprit meurt du feu dont il est dévoré.