Lettre n°16 | À nos ivresses & aux Bacchantes | Poésie des ancêtres | Poétextes thématiques
L'Automne, Velléité,
Locusta & Vers d'amour
Poèmes choisis & transcrits par Dina Sahyouni
Crédit photo : La danseuse étoile Anna Pavlova en bacchante. Image de Commons.
L'Automne
L'Automne s'exaspère ainsi qu'une Bacchante,
Folle du sang des fruits et du sang des baisers
Et dont on voit frémir les seins inapaisés...
L'Automne s'assombrit ainsi qu'une Bacchante
Au sortir des festins empourprés. Elle chante
La moite lassitude et l'oubli des baisers.
Les yeux à demi-morts, l'Automne se réveille
Dans le défaillement des clartés et des fleurs,
Et le soir appauvrit le faste des couleurs.
Les yeux à demi-morts, l'Automne se réveille :
Ses membres sont meurtris et son âme est pareille
Aux coupes sans ivresse où s'effeuillent les fleurs.
Ayant bu l'amertume et la haine de vivre
Dans le flot triomphal des vignes de l'été,
Elle a connu le goût de la satiété.
L'éternelle amertume et la haine de vivre
Corrompent le festin où le monde s'enivre,
Étendu sur le lit de roses de l'été.
L'Automne, ouvrant ses mains d'appel et de faiblesse,
Se meurt du souvenir accablant de l'amour,
Et n'ose en espérer l'impossible retour.
Sa chair de volupté, de langueur, de faiblesse,
Implore le venin de la bouche qui blesse
Et qui sait recueillir les sanglots de l'amour.
Le cœur à demi-mort, l'Automne se réveille
Et contemple l'amour à travers le passé.
Le feu vacille au fond de son regard lassé.
Le cœur à demi-mort, l'Automne se réveille :
La vigne se dessèche et périt sur la treille...
Dans le lointain pâlit la rive du passé.
Velléité
Dénoue enfin tes bras fiévreux, ô ma Maîtresse !
Délivre-moi du joug de ton baiser amer,
Et, loin de ton parfum dont l'opulence oppresse,
Laisse-moi respirer les souffles de la mer.
Loin des langueurs du lit, de l'ombre de l'alcôve,
J'aspirerai le sel du vent et l'âcreté
Des algues, et j'irai vers la profondeur fauve,
Pâle de solitude, ivre de chasteté !
Locusta
Nul n'a mêlé ses pleurs au souffle de ma bouche,
Nul sanglot n'a troublé l'ivresse de ma bouche,
J'épargne à mes amants les rancœurs de l'amour.
J'écarte de leur front la brûlure du jour,
J'éloigne le matin de leurs paupières closes,
Ils ne contemplent pas la ruine des roses.
Seule, je sais donner des nuits sans lendemains.
J'allume dans leurs yeux d'inexprimables fièvres,
Et, fastueusement, je leur offre mes lèvres,
Mes flancs, et la lenteur savante de mes mains.
Je verse les soupirs, l'accablante caresse
Et les mots de langueur murmurés dans la nuit.
J'estompe les rayons, les senteurs et le bruit.
Je suis la pitoyable et la tendre Maîtresse.
Car je sais les secrets des merveilleux poisons,
Insinuants et doux comme les trahisons
Et plus voluptueux que l'éloquent mensonge.
Lorsque au fond de la nuit un râle se prolonge
Et se mêle à la fuite heureuse d'un accord,
J'effeuille une couronne et souris à la Mort.
Je l'ai domptée ainsi qu'une amoureuse esclave.
Elle me suit, passive, impénétrable et grave,
Et je sais la mêler aux effluves des fleurs,
Et la verser dans l'or des coups des Bacchantes.
J'éteins le souvenir importun du soleil
Dans les yeux alourdis qui craignent le réveil
Sous le regard perfide et cruel des amantes.
J'apporte le sommeil dans le creux de mes mains.
Seule, je sais donner des nuits sans lendemains.
Vers d'amour
Tu gardes dans tes yeux la volupté des nuits,
Ô Joie inespérée au fond des solitudes !
Ton baiser est pareil à la saveur des fruits
Et ta voix fait songer aux merveilleux préludes
Murmurés par la mer à la beauté des nuits.
Tu portes sur ton front la langueur et l'ivresse,
Les serments éternels et les aveux d'amour,
Tu sembles évoquer la craintive caresse
Dont l'ardeur se dérobe à la clarté du jour
Et qui te laisse au front la langueur et l'ivresse.*
* « L'Automne », « Velléité », « Locusta » & « Vers d'amour » sont des poèmes de VIVIEN, Renée (1877-1909), Cendres et poussières, Paris, Alphonse LEMERRE, Éditeur, 23-31, Passage Choiseul, MDCCCCII/1902. pp. 25-27, 67, 83-85 & 107-108. Ce recueil appartient au domaine public.
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Pour citer ces poèmes
Renée Vivien, « L'automne », « Velléité », « Locusta » & « Vers d'amour », poèmes extraits de VIVIEN, Renée (1877-1909), Cendres et poussières (1902), choisis & transcrits par Dina Sahyouni, Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°16, mis en ligne le 13 juillet 2021. Url :
http://www.pandesmuses.fr/lettreno16/rv-ivresses
Mise en page par Aude Simon
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