23 janvier 2020 4 23 /01 /janvier /2020 16:49

 

Lettre n°14|Être féministe|Écopoésie|Muses au masculin

 

 

 

Le Vallon et Le Lac de Lamartine :

une écriture écopoétique de réinitialisation de la nature 

 

 

 

Ouattara Gouhé

 

Université Alassane Ouattara

Bouaké, Côte d’Ivoire

Résumé 

 

D’un point de vue conceptuel, la nature est considérée comme étant l’« oikos », c’est-à-dire l’habitat paisible, harmonieux, la demeure sans laquelle la vie est impossible. L’actualité révèle, cependant, des tendances discursives socio-culturelles, politiques et scientifiques au sujet de l’impossibilité de la vie consécutive aux problèmes environnementaux. De plus, on doit affirmer, sans risque de se tromper, que très peu de scientifiques et de littérateurs se préoccupent véritablement d’« écouter » la nature dont l’humanité se considère comme la dépositaire attitrée. Or, pour accéder à la compréhension des lois qui interagissent fondamentalement dans l’écheveau compact de la nature, il convient de s’approprier l’essentiel du langage de celle-ci.  Cette dimension, somme toute métalinguistique, se perçoit dans la poésie de Lamartine qui semble présenter quelque fondement d’un « écolangage » poétique. L’écopoétique trouve ainsi sa réelle définition dans l’établissement de rapports connexes entre les phénomènes de la nature et ceux de la poésie.

 

Mots clés : écocritique, écolangage, écologie, écriture écopoétique, nature.

 

 

Abstract

 

From a conceptual point of view, nature is considered to be the “oikos”, that is, the peaceful, harmonious habitat, the dwelling without which life is impossible. Current events reveal, however, socio-cultural, political and scientific discursive tendencies about the impossibility of living as a result of environmental problems. In addition, it is safe to say that very few scientists and writers are genuinely concerned to “listen” to the nature of which humanity considers itself to be the repository. However, to gain an understanding of the laws that fundamentally interact in nature’s compact web, it is necessary to appropriate the essential language of nature. This dimension, in sum, all metalinguistics, can be seen in Lamartine’s poetry, which seems to have some basis for a poetic “eco-language”. Ecopoetics thus finds its real definition in the establishment of related relationships between the phenomena of nature and those of poetry.

 

Keywords  : eco-critical, eco-language, ecology, eco-poetic writing, nature.

 

 

 

 

Introduction

        

Le sujet d’analyse, tel que présenté, suggère des relations conceptuelles entre les lexèmes écopoétique et écocritique. Le souci de clarification conduit donc à cette préoccupation initiale, consistant à tenter quelques définitions, en ayant en conscience la confusion sémantique faite le plus souvent entre ces deux morphèmes lexicaux. Le terme écocritique semble être, en effet, le point de départ depuis 1978, lorsque William Rueckert produit son essai intitulé Litterature and Ecology : An Experiment in Ecocriticism. L’intention a consisté à établir une sorte d’analyse des liens unissant la littérature à l’environnement. De cette disposition fondamentale qu’il faut orienter vers la considération de l’influence mutuelle entre l’environnement et la littérature, il s’avère impérieux d’opter pour une notion plus explicite, suggérant l’idée de « labeur » au regard de la pratique poétique : l’écopoétique.

L’écopétique, dans sa saisie substantive, peut se définir, dès lors, en rapport à l’étymon grec oikos (éco) qui désigne l’habitat, la maison, générant ainsi l’idée de la nature comme domaine d’existence, de coexistence et d’interactivités. Du point de vue qualificatif, l’écriture écopoétique se conçoit dans ses liens avec l'origine verbale poiein comprenant l’intention de travail élaboré par/dans la poésie, avec exaltation et habileté artistique. Le domaine de l’écopoétique est donc la littérature, davantage la poésie, dans son rapport à la recréation d’une esthétique où la nature se repositionne comme étant ce lieu de l’émerveillement existentiel.

De toute évidence, on peut affirmer que la création poétique prolonge le monde et le transforme, en ceci qu’elle peut le représenter, y tracer des lignes de fuites, le réinventer, mais aussi se laisser réinventer par le monde lui-même. C’est bien ce phénomène d’influence mutuelle qui donne à la poésie une double fonction de dé-territorialisation et de re-territorialisation1. On pourra en déduire le fait que certains poètes romantiques, au XIXe siècle, ont véritablement tenté d’établir une sorte d’inter-échange entre la nature et la poésie. Le but étant, dans ce sens, de permettre à la nature de livrer quelques riches secrets qu’elle seule est à mesure d’octroyer ; car elle s’offre, dans tous les genres, comme un domaine inépuisable d’expression, d’interrogation, bref de surimpression infinie.

En cela, Hugo2 et Vigny3 abordent la question de la nature dans leurs œuvres respectives d’où découle l’idée que celle-ci est source de langage supérieur et symbolique, réconciliateur de l’homme avec son environnement. D’un tel postulat linguistique, on dira que la poésie de la nature chez Lamartine ébauche, certes, un univers plus confidentiel, mais au-delà, elle tente d’établir des liens métaphysiques, en quelque sorte, avec les entités naturelles. Ainsi, la poésie devient le lieu ou, comme l’écrit Lamartine, « l’écho profond… des plus mystérieuses impressions de l’âme ». Autant ajouter que la nature est l’écho des plus mystérieuses impressions de l’univers ; car elle « parle » au poète dont le devoir est de dire au monde l’indicible qu’est le langage sacré issu du temple naturel. C’est à cette considération de la nature comme espace consacré à un échange extra-langue qu’ilfaut s’intéresser à travers Le Vallonet Le Lac4 de Lamartine.

Il s’agit, en substance, de voir comment le langage de la nature visite le texte poétique et à quelle fin le poète l’emploie. En d’autres termes, comment le langage poétique lamartinien se présente-t-il à travers le prisme du symbolisme de la nature ? Quelle attitude le poète devrait-il adopter une fois qu’il accède à cette substance idiomatique offerte par la nature ? En substance, il est davantage question de faire prévaloir le langage de l’oikos symbolisé par la nature elle-même. Le choix des deux supports textuels susmentionnés vient confirmer ce postulat. Notre regard sur l’écriture écopoétique lamartinienne, avec comme outils d’analyse la psychocritique et la phénoménologie, fonctionne autour de trois axes essentiels : Lamartine en quête du langage de l’oikos ; Le Lac et Le Vallon, voix poétiques de la nature ; l’écopoésie, une forme d’authentification du monde.

 

Lamartine à l’affut du langage de l’oikos

  1.  

À l’entame de cette série d’analyses sur le langage de la nature, il faut considérer l’écriture du Lac et du Vallon comme étant la mise en mouvement d’un code ineffable de communication découvert par Lamartine. Il s’agit ici de parcourir d’abord quelques bases théoriques évoquées par le poète au sujet de l’encodage d’un certain nombre d’impressions liées à la traçabilité d’éléments langagiers de la nature.

Dans l’un de nos travaux, il a été fait mention de l’idée que Le Lac recèle de questionnements, donnant lieu à la présence d’un imaginaire métaphysique et philosophique5. De plus, l’objectif de  cette émission d’interrogations se situe doublement dans la recherche de la vérité et d’une vocation nouvelle faisant de la poésie le réceptacle des conditions d’un langage à venir. En d’autres termes, ce nouveau langage peut se traduire par la présence subtile de cryptogrammes bien plus universels réservés par la nature à l’art poétique. De ce point de vue, Lamartine nous oriente, dans son commentaire sur le Lac, vers la considération de la nature comme étant « le grand poète »6 :

 

C’est une de mes poésies [Le Lac] qui a eu le plus de retentissement dans l’âme de mes lecteurs, comme elle en avait eu le plus dans la mienne. La réalité est toujours plus poétique que la fiction ; car le grand poète, c’est la nature.

 

 

Mais l’acceptation d’une telle vision métonymique et universaliste de la nature/poésie nécessite une certaine prédisposition psychologique chez l’auteur, si l’on se réfère à quelques passages précis de la préface proposée par Lamartine :

 

 

J’étais né impressionnable et sensible. Ces deux qualités sont les deux premiers éléments de toute poésie. Les choses extérieures à peine aperçues laissaient une vive et profonde empreinte en moi ; et, quand elles avaient disparu de mes yeux, elles se répercutaient et se conservaient présentes dans ce qu’on nomme l’imagination, c’est-à-dire la mémoire, qui revoit et qui repeint en nous. Mais, de plus, ces images ainsi revues et repeintes se transformaient promptement en sentiment7.

 

 

L’âme du poète était ainsi imbibée, dès la prime enfance, de l’imagination qui est « la reine du vrai » selon Baudelaire impressionné par cette faculté. Ce dernier exprime, d’ailleurs, sa conception dans des termes suffisamment fascinants, afin d’indiquer clairement le pouvoir créateur de l’imagination :

 

 

Par imagination, je ne veux pas seulement exprimer l'idée commune impliquée dans ce mot dont on fait si grand abus, laquelle est simplement fantaisie, mais bien l'imagination créatrice,qui est une fonction beaucoup plus élevée, et qui, en tant que l'homme est fait à la ressemblance de Dieu, garde un rapport éloigné avec cette puissance sublime par laquelle le Créateur conçoit, crée et entretient son univers8.

 

 

Baudelaire ne compte pas s’arrêter à la seule considération fantaisiste de l’imagination, il lui donne une fonction à la fois métaphysique et universelle. Pour lui, lerôle universaliste de l’imagination requiert la nécessité d’une sorte de réquisition de toutes les autres facultés qu’il faut mettre en branle, afin de contribuer de manière efficiente à l’acte sublime de créer :

 

 

Tout l'univers visible n'est qu'un magasin d'images et de signes auxquels l'imagination donnera une place et une valeur relative; c'est une espèce de pâture que l'imagination doit digérer et transformer. Toutes les facultés de l'âme humaine doivent être subordonnées à l'imagination, qui les met en réquisition toutes à la fois9.

 

 

Vu la primauté réservée à « l’imagination universelle », on peut s’accorder à l’opinion du poète théoricien pour dire que celle-ci « renferme l'intelligence de tous les moyens et le désir de les acquérir ». « Tous les moyens » supposent aussi bien le langage comme un système communicatif d’expression des ressources de la nature et la volonté d’universaliser celles-ci.

 

De toute évidence, il faut accéder, finalement, à l’idée première qui suggère que le Lacet, Le Vallon de Lamartine constituent une vive expression langagière d’images impressives, en ce que celles-ci ont laissé des empreintes presqu’indélébiles dans la mémoire du poète. De ce fait, il en est arrivé à cette révélation teintée d’émotion : « Mon âme animait ces images, mon cœur se mêlait à ces impressions. J’aimais et j’incorporais en moi ce qui m’avait frappé ». Les images de Lamartine constituent ainsi cette sorte de langage de réverbération de « l’œuvre de Dieu », comme il l’explique lui-même : « J’étais une glace vivante qu’aucune poussière de ce monde n’avait encore ternie, et qui réverbérait l’œuvre de Dieu ! ». Or, d’un point de vue ontologique, on dira que l’œuvre de Dieu est celle de la création dont émane la nature, c’est-à-dire « l’oikos » intériorisé par le poète. Mais, ce paysage mental intérieur mérite d’être authentiqué par la voix poétique empruntée au langage de la nature elle-même. C’est pourquoi le poète ne peut rendre que la parole à lui concédée par le cri de la vie naturelle : « Chanter des vers au bord de mon nid, comme l’oiseau10 ».  

        

Dès lors, il faut penser avec Lamartine que la nature possède, de façon intrinsèque, une sorte d’autonomie artistique et créatrice, à telle enseigne que le poète a tout lieu de sonder son essence, afin d’accéder à l’expérimentation et à l’expression des vibrants symboles charriés par sa secrète « mélodie »11.

 

Pour résumer succinctement ce volet, on dira que le projet poétique de Lamartine se fonde sur la recherche d’une langue dont les paroles sont dictées par la nature pour sa propre réinitialisation. Les caractéristiques majeures d’un tel langage sont découvertes à travers la marque poétique de son père dont les signes semblent aussi proches de la nature que de Dieu :

« Ces belles images qui font voir ce qu’on entend […] Sa parole […] qui me rappelait l’accent religieux des psalmodies du prêtre le dimanche dans l’église de Milly.12 »        Cette « langue », relevant de l’ « ordre divin » semble être, de façon analogique, celle que l’entité nature-poésie transmet subtilement au poète dans le but de la transmutation esthétique.

 

Le  Vallon et Le Lac, voix poétiques de la nature

 

 

La considération de ces deux textes comme voix de la nature suppose la prise en compte, véritablement, d’une « langue » comme l’a indiqué Lamartine. Il s’agit de considérer les aspects par lesquels se révèle une telle expansion langagière et d’en distinguer les caractéristiques diffuses dans les compartiments textuels du corpus choisi. Trois pistes possibles s’offrent à notre investigation et s’expliquent par la présence, la non-présence et l’infinitude de la voix de la nature.

 

1-2. Présence de la voix de la mobilité

 

 

La voix de la mobilité est bien celle qui procède des turbulences et des agitations offertes par l’environnement naturel et qui ont eu quelques impacts impressifs sur la psyché du poète. Celle-ci se perçoit d’abord par l’audition (« […] écouter l’inépuisable balbutiement des vagues »13) avant de se perpétuer dans la conscience psychique du poète.

Dès lors, il lui est loisible d’entendre la voix de la nature, celle qu’il nomme « balbutiement », « gémissements » ou parfois « bourdonnement » ; ces codes langagiers lui réservent, en effet, « des mondes de poésie qui [roulent] dans [son] cœur et dans [ses] yeux »14. Cet aspect des choses se note dans le Lac, visiblement au premier vers de la troisième strophe : « Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ». Également, à la troisième strophe, Le Vallon annonce sa mystérieuse voix ondoyante : « […] deux ruisseaux cachés […] / mêlent un moment leur onde et leur murmure » (vv. 9-11). Dans les deux cas de figure textuelle, l’eau constitue le motif apparent du mouvement de la nature qui se fait audible et suggère l’action poétique. Le vent s’associe à l’eaude façon tacite et complice, afin de lui adjoindre un accord amplificateur de la musique que procure l’environnement naturel.

 

Par voie de  conséquence, on dira que  c’est par l’écoute des « aspects criant »que le poète accède à la réalité de la voix naturelle qu’il s’engage à perpétuer à la mesure de l’immensité ou de la beauté de celle-ci. Un peu comme le poète Wordsworth qui, portant un coquillage à son oreille, entend « une prophétie dite dans une langue qu’il ne connaissait pas mais qu’il comprit ».15 L’expérience prophétique est ainsi mise en avant par Lamartine qui use de ce privilège pour livrer le mystérieux langage de la nature qu’il conçoit comme « des millions de petites voix »16. On pourrait ajouter : « qui lui parlent et lui transmettent une parole à l’horizon de laquelle transparait la vérité ».

 

2-2. La voix de la non-présence

 

 

La non-présence de la voix n’est nullement synonyme ici d’absence absolue de la marque vocale de la nature ; elle est plutôt le signe d’une présence perceptible dans le concret du silence. Le Vallon évoque en effet, « Une voix » [qui] « parle » dans son univers mutique : « son silence » (v. 63)

La voix à laquelle fait allusion Lamartine s’inscrit dans le calme matriciel de la nature ; et pour y accéder, il convient, pour le poète, d’opérer la descente « aux enfers », jusqu’aux entrailles de celle-ci : « Mais la nature est là qui t’invite et qui t’aime ; / Plonge-toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours » (v. 49-50). De ce fait, on peut estimer que le langage est bien présent non pas seulement dans le mouvement, mais aussi dans les éléments statiques qu’offre la nature elle-même, vaste champ mutique. Le Lac présente, avec insistance, un paysage de liens connexes entre les végétaux (« noirs sapins » et les non-vivants (« rocs sauvages »), à tel point que les épithètes attribués entrainent l’interlocuteur-poète vers la révélation d’un message inédit : Tout dise : « Ils ont aimé ! » (V. 64).

Un tableau analogue est évoqué par la textualité du Vallon avec la présence de l’axe astral, « le soleil », générateur silencieux de « Lumière et d’ombrage » (v. 53) et qui véhicule l’amour vrai comme proféré au vers 54 : « Détache ton amour des faux biens que tu perds ».

Ainsi, en poète suffisamment conscient d’un si précieux breuvage verbal, Lamartine inonde son poème d’un langage qui n’est autre que celui issu de la nature. Dès lors, on peut affirmer que le prétexte de la fuite du temps, offert par la textualité du Lac, est le tremplin exutoire lui permettant de faire miroiter ce que la nature possède de pure langue communicative : une langue dont la vocation première est de « dire » l’amour universel, comme au dernier vers du Lac (« Que […] / Tout dise : « Ils ont aimé ! »).

 

2-3. La voix de l’éternité

 

 

La voix de l’éternité se conçoit comme celle qui procède de la Nature saisie dans son essence cosmique, voire spirituelle. De ce fait, les références linguistiques mentionnées dans les deux textes de Lamartine font penser à l’évidence de considérations à la fois microcosmiques et macrocosmiques.

Si l’on s’intéresse à la dernière partie du Lac, c’est-à-dire depuis le vers 53 jusqu’à la clausule, on s’aperçoit de la présence subtile d’un « micro-monde », d’une part, et d’un « macro-monde », d’autre part. Le petit monde, en effet, est celui du poète-homme en proie aux contingences immédiates de la matière, et qui emprunte la parole d’abord au silence du lac : « Qu’il soit dans ton repos […] » (V. 53) ; puis à ses turbulences et aux bruyantes agitations des environs : « qu’il soit dans tes orages », « dans l’aspect de tes riants coteaux »,« Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés »(V.54-55). Mais dans ce processus de transfert par la parole poétique, Lamartine semble privilégier l’action du vent, en complicité avec la végétation et le relief comme on le constate à l’intérieur de ces vers :

 

Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages          

Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire (V. 56-58)

 

 

Ces vers laissent ainsi du champ à la voix de la nature de s’exprimer à travers les verbes « frémit », « gémit », « soupire ». Des verbes de sensation, certes, vu l’impression de douceur, de fraicheur et de bien-être qu’ils insinuent ou qu’ils provoquent, mais il n’en demeure pas moins que la nature parle au poète dans une langue qui est bien la sienne. Par ailleurs, dans le souci d’amplifier surement cette parole pure qui imprègne son âme, le poète l’intègre à une sorte de symphonie en i, renforcé par des notes rythmiques. Le rythme est ainsi marqué à l’envi et de façon régulière par : « Qu’il soit », « dans », « et dans », « qui », « que ». Il s’en suit, consécutivement, le fait que les dernières strophes prennent l’allure d’une ligne musicale avec, entre autre, des sonorités dentales (/d/ et /t/), des occlusives sourdes (/k/) en alternance avec les fricatives sourdes (/s/, / ∫/) et sonores (/Ӡ/). Par ailleurs, il convient de noter que ces récurrences phoniques se répandent sur l’ensemble du poème, afin de marquer la ferme volonté du poète de chercher la parole ineffable et de la célébrer.

D’un point de vue macrocosmique, l’univers est évoqué, toujours à travers Le Lac, par la présence astrale qui se combine avec les éléments aériens :

 

        Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface          

De ses molles clartés !

Que les parfums légers de ton air embaumé,

Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire,          

Tout dise : « Ils ont aimé ! »

 

 

On a l’impression ici que la voix d’amour livrée au poète par la nature ne prend davantage forme que lorsqu’elle est en harmonie avec les éléments de l’univers tout entier. Dès lors, on ne peut être nullement surpris d’une sorte d’ambiance mystique et spirituelle que consacre Lamartine en combinant les manifestations de la terre (« rochers, grottes, forêts »), de l’air (« ton air embaumé »), de l’eau (« le lac ») et du feu (« l’astre »).

Les cas de figure présentés dans Le Vallon suivent la même progression organisationnelle, du cosmique vers le spirituel. Le poète, en voyageur méditatif, « Plonge  dans [le] sein » (V. 50) de la nature, à la rencontre des principes universels qui conduisent à la découverte de la voix primordiale, celle proférée par « Dieu » :

 

                De lumière et d’ombrage elle [la nature] t’entoure encore :

                […]

                Adore ici l’écho qu’adorait Pythagore ;

                Prête avec lui l’oreille aux célestes concerts

 

                Suis le jour dans le ciel, suis l’ombre sur la terre ;

                Dans les plaines de l’air vole avec l’aquilon ;

                Avec le doux rayon de l’astre du mystère

                Glisse à travers les bois dans l’ombre du vallon. (v. 53-60)

 

 

On s’aperçoit, à travers ces deux strophes, de la prédominance de l’élément aérien (« célestes », « le ciel », « l’air »), preuve de l’invitation du poète à l’élévation spirituelle, dans le but de contempler l’harmonie universelle que célèbre la nature. La terre apparait en tant que support latent des formes pures générées par la nature (« l’ombre sur la terre », « l’ombre du vallon » ; l’eau, évoquée plus haut, semble géométriser symboliquement l’univers dans ses manifestations esthétiques : « Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure / Tracent en serpentant les contours du vallon » (v 9-10). Mais encore plus prégnante est la présence du principe igné, c’est-à-dire le soleil, « l’astre » qui procure l’essence mystérieuse indispensable au poète dont l’obsession est de recueillir puis de proférer la « voix » de l’amour divin :

 

                Dieu, pour le concevoir, a fait l’intelligence :

                Sous la nature enfin découvre son auteur !

                Une voix à l’esprit parle dans son silence :

                Qui n’a pas entendu cette voix dans son cœur ?

 

 

En définitive, la voix de la nature ou de l’univers est bien celle de la nature divine concédée au poète qui se trouve dans l’obligation d’authentiquer le monde, afin qu’il soit le lieu du pur chant d’amour.

 

  1. l’écopoésie, une forme d’authentification du monde

 

 

Il s’agit d’admettre, à la lecture du Lacet du Vallon de Lamartine, que la poésie de la nature, en dépit de quelque considération passionnelle, est un processus linguistique de donation d’amour pour la nature elle-même, dans sa saisie universelle comme représentation du monde. C’est donc un devoir assigné au poète de toujours rendre la terre habitable en lui redonnant sens ; la terre doit être habitable certes, mais à la condition que la nature, composante essentielle, soit tout aussi bien viable que vivable. Telle semble être aussi la vision du romantique allemand Hölderlin, lorsque, dans un poème, il prescrit le fait pour l’homme d’ « Habiter poétiquement le monde » : « Riche en mérites, mais poétiquement toujours, / Sur terre habite l’homme17 ».

On peut se représenter cette tirade, au regard de la poésie de Lamartine, en ayant à l’idée qu’elle constitue une interpellation lancée au poète. D’un coté, en effet, allusion est faite ici à l’homme et à son existence rattachée au monde, à son environnement, par référence à la « terre ».De l’autre coté, il y a la considération que l’ « oikos »/nature est encore habitable, à la condition que l’homme soit poète, c’est-à-dire qu’il s’érige d’abord en un contemplateur rigoureux de la beauté de l’environnement très composite. Muni alors des mystères sacrés octroyés par celui-ci, il a le mérite ensuite d’être le canal à travers lequel tout redevient poésie, c’est-à-dire harmonie sacrée.

L’idée du sacré de la nature est reprise environ un siècle plus tard par Heidegger dans une conférence qu’il intitule Le Poème18. Au sujet d’Hölderlin, il conçoit, en effet, que celui-ci est un poète étrange, sinon même « mystérieux » (geheimnisvoller), qui poétise (dichtet) à partir de ce qui donne voix à son poème {aus der Bestimmung). Il en est ainsi de Lamartine dont la poésie, en l’occurrence, Le Lac et Le Vallon,  fait entendre, avec détermination, la voix du mystérieux langage d’amour de la nature. À son insu peut-être, le poète adoptant cette attitude du « recevant-voyant »se transforme en ce « donnant-vu » pour l’homme, surtout le poète qui réceptionne et intègre la sublime idée que la terre est à authentiquer.

 

De ce qui précède, il convient de retenir que la question de l’écologie n’est pas que discours politique, encore moins socio-économique, elle est davantage poétique, en ce qu’elle relève d’un ordre phénoménologique. Il faut donc accéder à la juste opinion que l’écopoétique (terme emprunté à Bate), à laquelle nous préférons le concept d’« écopoésie », eu égard au caractère parfaitement opérationnel du langage poétique, est bien la voie du « Salut19 » dans le contexte mallarméen. Point n’est question de recréer la nature par la poésie, mais d’utiliser le legs langagier pour épargner à l’oikos un écocide perpétuel.

 

Recréer la nature, c’est un peu cette volonté de l’écrivain à rendre à celle-ci sa propre image représentée, c’est-à-dire, comme le souligne Buell, à rédiger un « script vert ». En revanche, l’écopoésie prend en compte par l’écriture, à la fois, la représentation de la nature et le désir du poète de lui redonner sa fonction initiale d’habitat ou « jardin » génésiaque. L’écopoésie, ainsi que nous le voyons à l’œuvre à travers les deux textes de Lamartine, se conçoit d’abord dans un effort de communion du poète avec la parfaite harmonie naturelle. Par la suite, et consécutivement à cette attitude somme toute mystique, l’écriture prend le relais, afin de perpétuer l’ineffable que profère la nature elle-même pour sa propre sauvegarde. De ce fait, on dira que la nature est sauvée parla volonté sotériologique du poète et sa poésie. Comme on peut le voir, la question de l’équilibre de l’écosystème ou de l’écologie, pour être au diapason terminologique de l’actualité, nécessite bien des dispositions de l’ordre de l’utopie. La poésie est fort bien la reine dans ce domaine par son intention d’insuffler à l’homme et à son âme l’essence de l’amour, afin de rendre la terre encore plus habitable. L’écriture écopoétique aide, de ce fait, le lecteur à façonner une sorte d’imaginaire environnemental, « le confrontant ainsi, comme le souligne Thomas Pughe, à sa propre aliénation par rapport au monde naturel et lui suggérant l’utopie d’une réconciliation entre nature et civilisation humaine »20.

 

En résumé, il faut se rendre à l’évidence que l’utopie du Romantisme traditionnel décelée, par nos soins, chez Lamartine au sujet de la nature /oikos, se combine bien, dans la continuité, à l’utopie du Romantisme contemporain : redonner à la nature sa vie d’origine et aider l’homme (nature humaine) à retrouver l’harmonie de son habitat initial.

        

Conclusion

 

De l’écocritique ou de l’écopoétique il faut y voir, de prime abord, une question de terminologie ayant pour but d’épiloguer sur l’essence des choses, ou de signifier la même et unique réalité : la nature dans ses corrélations et ses interactions avec tous les domaines de l’existence. Ces domaines concernent tout aussi bien le cosmique, le politique, l’économique que le social, le culturel et le littéraire. L’option, ici, qui est à la fois une prise de position, est la considération de l’écopoétique, par rapport à l’écocritique, dans une approche typiquement littéraire et centrée sur la pratique poétique. « La nature réinitialisée » se conçoit, en conséquence, comme une injonction faite au poète : la nature doit retrouver, voire réintégrer sa condition première de « jardin d’éden » ; dès lors, celle-ci accorde à l’art poétique le soin de lui emprunter son langage intime. Ainsi, la poésie de Lamartine n’ambitionne nullement de louer la nature mais de tenter d’écouter sa voix, afin de redécouvrir et de réinstaller la demeure harmonieuse qu’elle fut.

 

 

Bibliographie

 

Charles Baudelaire, « Le gouvernement de l’Imagination », dans Curiosités esthétiques. L’art romantique et autres œuvres critiques, Clonard, Paris, 1923.

Friedrich Hölderlin, « En bleu adorable », Traduction d’André du Bouchet in Œuvres, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1977.        

Hugues Marchal, « L’histoire d’une histoire : reprise, diffusion et abandon d’une découverte botanique et poétique », dans Épistémocritique, Études réunies  par Anne-Gaëlle Weber, édition Belles lettres, sciences et littérature, collection « Ouvrages en ligne », 2015.

Maurice Merleau-Ponty, La Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, Collection Tel, 14/05/1976.

Ouattara Gouhé, « Le symbole du temps dans les méditations poétiques modernes : un héritage de la Renaissance », dans Revue Le Didiga, n°9 du 2e  semestre 2013.

Stéphane Mallarmé, Poésies, Paris, Gallimard, 2001.

 

Thomas Pughe, « Réinventer la nature : vers une éco-poétique », dans Etudes anglaises, 2005, (Tome 58). 

Victor Hugo, Les Contemplations,  Paris, Flammarion, 2008. 

Méditations poétiques, Paris, Ebooks libres et gratuits http://fr.groups.yahoo.com/group/ebooksgratuits,  décembre 2006, téléchargé le 29/11/2018.

William Wordsworth, par Jorge Luis Borges, dans Conférences, traduit de l’Espagnol par Rosset, Paris, Gallimard, 1985.

Notes

 

 

 

​​

1 Selon l’idée de Deleuze et Guatari, la poésie procède par la dé-territorialisation du monde en observant rigoureusement ses menues parcelles, puis elle se prête au jeu de re-territorialisation de celui-ci, voire de sa réhabilitation.

2 Victor Hugo, Les Contemplations, Paris, Flammarion,  2008.

3 Alfred de Vigny, La maison du berger, Paris, Hachette, Livre BNF, 1 août 2016.

4 Victor Hugo, Méditations poétiques, Paris, Ebooks libres et gratuits http://fr.groups.yahoo.com/group/ebooksgratuits, téléchargé lé 29/11/2018, pp. 86 et 115.

5 Cf.  « Le symbole du temps dans les méditations poétiques modernes : un héritage de la Renaissance », dans Revue Le Didiga , n°9 du 2e  semestre 2013, p. 95.

6 Commentaire du Lac par Lamartine, Consulté le 12/12/2018 dans l’édition du groupe « Ebooks libres et gratuits », http://fr.groups.yahoo.com/group/ebooksgratuits, p. 117. Nous nous offrons l’opportunité de « piller » de larges extraits de ce commentaire et de la préface des Méditations poétiques, dans le but d’une aide précieuse à la compréhension du fait langagier de l’esthétique lamartinienne.

7 Victor Hugo, Les Méditations poétiques, « Préface », 2 juillet 1847, édition du groupe « Ebooks libres et gratuits », http://fr.groups.yahoo.com/group/ebooksgratuits, p. 5, consulté le 12/12/2018.

8 Charles Baudelaire, « Le gouvernement de l’Imagination », dans Curiosités esthétiques. L’art romantique et autres œuvres critiques, Paris, Clonard, 1923, pp. 278-285.

9 Ibidem.

10 Préface des Méditations poétiques, p. 6.

11 Idem, p. 10.

12 Idem, p. 12.

13 Préface des Méditations poétiques, p. 15.

 

14 Ibidem

 

15 William Wordsworth, cité par Jorge Luis Borges, dans Conférences, traduit de l’Espagnol par Rosset, Paris, Gallimard, 1985, p. 52.

16 Préface des Méditations poétiques, p. 16.

17 Friedrich Hölderlin, « En bleu adorable », Traduction d’André du Bouchet in Œuvres, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1977, p. 940.

18 Le texte revu de cette conférence, prononcée pour le 70e anniversaire de F.G. Jùnger, le 25 août 1968 à Amriswil, se trouve dans M. HEIDEGGER, Erlauterungen zu Holderlins Dichtung, Francfort, Kiostermann, 1981, p. 182-197. Traduction de F. Fédier (Approche de Hôlderlin), Paris, Gallimard. 1973, p. 241-254.

19 Stéphane Mallarmé, Poésies, Paris, Gallimard, 2001, p. 3.

20 Thomas Pughe, « Réinventer la nature : vers une éco-poétique », dans Études anglaises, 2005/1 (Tome 58), p. 68-81.

***

 

Pour citer cet article
 

Ouattara Gouhé, « Le Vallon et Le Lac de Lamartine : une écriture écopoétique de réinitialisation de la nature », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°14|Être féministe, mis en ligne le 23 janvier 2020. Url :

http://www.pandesmuses.fr/lettreno14/lamartine

 

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21 janvier 2020 2 21 /01 /janvier /2020 19:00

Lettre n°14 |Être féministe| Critique & réception

 

 

 

Zainab Fasiki.

 

La révolution des

 

mœurs par l’art

 

 

Photographies de l'artiste fournies par

 

Mustapha Saha

 

Sociologue, poète, artiste peintre

 

 

© Crédit photo :​ ​​​Image n°1.

 

 

La bande dessinée de Zainab Fasiki s’intitule « Hshouma », mot clé qui clignote, depuis des siècles, dans les cerveaux marocains comme une alerte culpabilisante. Une machine morale qui broie d’avance toute résistance. Le livre, rouge et noir, indocile et libertaire, se décline comme un blog réfractaire, un graff’zine pamphlétaire. L’esprit soixante-huitard souffle sur les slogans ravageurs. Le message se condense dans sa métaphore. L’image émoustille et scintille comme un sémaphore. Les slogans, les aphorismes, les fragments livrent l’insoutenable vécu dans sa crudité liberticide. Dans cette sémiotique minimaliste, le signe et le signal se répandent en écho. Le cri se fait symbole. La candeur apparente cache une ambition désarmante. Zainab Fasiki veut, à l’instar du poète Arthur Rimbaud, que son dessin soit plus qu’un dessin, qu’il soit catalyseur de révoltes salutaires et locomoteur d’une libération des mœurs, transformateur de la société et transfigurateur de la vie. Qu’il soit une onde de choc, qui délivre les âmes malades de leur tourmente héréditaire.

 

La hshouma, imposée comme une exigence culturelle, une inhibition nécessaire, est, sans conteste, le facteur principal de la servitude volontaire, la raison profonde de la névrose collective et de la schizophrénie sociale. Le mot synonyme d’interdit, ressenti comme une souillure rédhibitoire, une faute impardonnable, une tare déshumanisante, s’accoutre, pour mieux injecter son dard, d’insinuations vexantes et d’allusions infâmantes. À peine murmuré, il fonctionne comme une angoisse indiscernable, un ressort irrépressible d’émotion incontrôlable. Il signifie la honte, l’humiliation, la peur du ridicule, le malaise collectif provoqué par une incartade individuelle. À la moindre inobservance des règles phallocratiques, s’arbore, contre le mauvais œil, la main de Fatima et sa khamsa, son chiffre purificateur. Cette sémantique du tabou se retrouve, sous la plume de la bédéiste enragée, par un retournement dialectique du sens, sous l’effet de l’ironie socratique, une devise transgressive et une bannière subversive.

 

© Crédit photo :​ ​​​​ Image n°2.

 

Zainab Fasiki se projette dans l’image iconique d’une Vénus géante, posant sa main sur une gratte-ciel casablancais pour dénoncer la dévalorisation du corps féminin et protéger ses concitoyennes des exactions quotidiennes. La victime calomniée, discréditée, avilie, s’enferme dans une solitude mortifère. La cible est en même temps bouc émissaire et souffre-douleur, défouloir des médisances abominables, déversoir des privations individuelles et des frustrations collectives.  La hshouma se cristallise particulièrement sur l’image du corps, s’enkyste comme une flétrissure inexorable, une blessure narcissique. Des recherches génétiques ont mis en évidence l’impact du sentiment de honte sur la diminution de la dopamine, stimulatrice de la mémoire, et sur la détérioration des capacités cognitives. La culture patriarcale somme la femme d’être invisible à l’extérieur et soumise à l’intérieur sous peine d’être jetée en pâture aux fureurs libidinales. Les dessins de Zainab Fasiki démontent les mécanismes diaboliques qui transforment les violences sexuelles en sacralités prescriptives et les insubordinations légitimes en désobéissance blasphématoires.

 

Adolescente, Zainab Fasiki se portraitise en posture de panthère prête à bondir, ongles des mains et des pieds vernis de rouge, aiguisés comme des griffes. Le combat d’une vie se décide dès l’enfance. La rébellion s’exprime d’abord dans les tenues vestimentaires, mini-jupes, shorts jean, débardeurs, avant d’exploser dans la nudité mutine. L’indignée timide se sensualise, se métamorphose, par la magie du graphisme, considéré comme une activité ludique inoffensive, en superwoman activiste, passionaria de la révolution des mœurs. Certains dessins sont des références explicites à Wonder Woman de Charles Moulton, l’Amazone justicière avec ses bracelets protecteurs et son lasso dévastateur. William Moulton Marston est psychologue de profession. Il crée et scénarise, en 1940, Wonder Woman, en collaboration avec le dessinateur Harry George Peter, pour contrer l’hégémonie machiste. Le premier communiqué de presse présente le personnage ainsi : « Wonder Woman a été conçue par le docteur Marston dans le but de promouvoir au sein de la jeunesse un modèle de féminité libre, pour lutter contre l’idée que les femmes sont inférieures ». La superwoman est belle et intelligente. Se précise le paradigme de Zainab Fasiki. L’attitude défensive, protestataire, se transmute, au fil des créations plastiques, en militance intensive. « Mens sana in corpore sano », un esprit sain dans un corps sain (Juvénal). « C’est une erreur bien pitoyable d’imaginer que l’exercice du corps nuise aux opérations de l’esprit, comme si ces deux opérations ne devaient pas marcher de concert, et que l’une ne dût pas toujours diriger l’autre » (Jean-Jacques Rousseau, "Émile ou De l'éducation" ).

 

© Crédit photo : image n°3. 

 

L’artiste prend conscience très vite qu’elle ne peut compter que sur ses prédispositions et sa volonté. Elle adopte intuitivement la philosophie du do-it-yourself. Pour s’exprimer librement, elle ressent un besoin d’autogestion avant de fédérer les exaspérations similaires. Je me souviens, pendant la dépression post-soixante-huitarde, d’une lecture vivifiante, « Do it ! Scénarios de la révolution » de Jerry Rubin (traduction française éditions du seuil, 1971), avec des dessins de Quentin Fiore et une préface d’Eldridge Cleaver, dirigeant du Black Panther Party. Un livre-événement, à la fois manifeste du mouvement antimilitariste Yippies (Youth International Party), bande dessinée, apologie de l’activisme libérateur, manuel d’une jeunesse qui désire construire elle-même son devenir, hors des schémas imposés par l’ordre établi. « Une société qui abolit toute aventure fait de l’abolition de cette société la seule aventure possible ». « Le mythe devient réel quand il offre aux gens une scène sur laquelle ils jouent leurs rêves, où ils tirent le meilleur d’eux-mêmes », où ils inventent, sans entraves et sans contraintes, leurs propres manières. Surtout ne pas grandir. Ne pas s’aigrir comme les adultes. Ne pas abandonner ses rêves. Jerry Rubin trouve l’imparable technique pour casser l’autorité et briser les tabous, en prenant les événements à contre-sens, en transformant les sinistres audiences des commissions d’enquête en fêtes carnavalesques, en démasquant le visage hideux de l’oppressive réalité.

 

Zainab Fasiki affirme et revendique sa démarche didactique. Elle braque son projecteur sur les torts de la raison morale et les vices de la vertu. Son travail artistique est une célébration truculente du corps, de la nudité, des orientations choisies, et une dénonciation virulente du harcèlement, du viol, des valeurs moisies. Ses messages ne s’encombrent pas d’argumentations théoriques. La légende incisive sur image corrosive exploite au mieux la communication numérique, l’effet boule de neige de la transmission internétique, la solidarité réseautique des damnés de la société. L’explicitation philosophique se trouve dans les thèses émancipatrices de Wilhelm Reich. « L’exigence de chasteté des jeunes femmes prive les garçons d’amour physique pour créer les conditions typiques de l’ordre social. La rigueur de la morale engendre l’immoralité réactionnaire, l’adultère et les relations extra-conjugales, qui se doublent de phénomènes sociaux grotesques, la perversion libidinale et la sexualité mercenaire ». « Les perturbations mentales, l’altération de la pensée rationnelle, la résignation, la soumission à l’autorité sont liés aux troubles de la vie sexuelle ». « Qui mange à sa faim n’a pas besoin de voler son pain. Qui jouit d’une sexualité satisfaisante n’a pas d’idées sataniques. La régulation répressive des relations sociales discipline la société et dérègle les individus. L’autorégulation de l’économie sexuelle épanouit le corps et l’esprit » (Wilhelm Reich, "La révolution sexuelle", traduction française éditions Christian Bourgois, 1982).

 

La hshouma, arme terrible de destruction psychique, utilise les mêmes techniques de dénigrement, de rabaissement, de bastonnage que le bashing. Internet est décidément une outil communicationnel à double tranchant, générateur du meilleur et du pire. Les sites apologétiques de la virilité dominatrice, avec des mots d’ordre explicite comme « Sois homme », essaiment aussi vite que les plateformes de lutte contre le machisme. Le phallocratisme se glorifie dans la littérature. « Ce bâton de chair est le calame qui inscrit ta postérité dans le livre des siècles, le soc qui laboure la terre-mère, le flambeau qui transmet son feu aux multitudes que tu génères. Soigne-le comme la prunelle de tes yeux parce qu’il te conduit plus loin que ton regard. Mais, tiens bien ton cheval ailé en bride, sinon il devient le doigt qui t’accuse, le tison qui te brûle, la corde qui t’étrangle » (poésie populaire maghrébine).

Le voile islamique, étendard idéologique de l’intégrisme contemporain, s’exhibe dans les rues comme un obséquieux fétichisme. « Couvrez ce sein que je ne saurais voir / Par de pareils objets les âmes sont blessées / et cela fait venir de coupables pensées » (Molière, "Tartuffe ou l'imposteur" ). Les moralisateurs et les pudibonds, qui perçoivent le corps féminin dans son entier comme un organe sexuel, sont les premiers promoteurs de la culture du viol. Les femmes, même voilées de la tête aux pieds, ne sont pas à l’abri des harcèlements incessants. L’intégrisme s’attaque prioritairement liberté vestimentaire préjugée comme une fitna, une source de discorde. Les prêches hargneuses contre le tabarouj (le refus de porter le hijab) sur les télévisions satellitaires s’apparentent aux inquisitions moyenâgeuses.

 

Les citadines, depuis l’époque du protectorat, combinent les tenues traditionnelles et les toilettes occidentales selon les circonstances et les situations. La reconfessionnalisation massive de la société après l’indépendance, dans une confusion délibérée entre gouvernail profane et boussole religieuse, s’est traduite par la moudawana de 1958 (code du statut personnel), inspirée par la charia, conçue comme un texte inaltérable, de droit divin. Cette loi légalise le mariage des filles à quinze ans, la polygamie et la répudiation, et donne un pouvoir régalien au père sur sa famille. Le texte, qui abolit la loi coutumière berbère institué par le mandat français, est érigé en symbole de l’unité nationale dans son identité islamique. La réforme de 2004 arrondit les angles, mais n’abolit le dogme malékite. L’âge minimum légal de mariage pour les filles passe à dix-huit ans. La famille est placée sous la responsabilité des deux époux. Mais la polygamie et la répudiation demeurent même si elles nécessitent un contrôle judiciaire et qu’elles ne dépendent plus des adouls. Les timides refontes législatives ne remettent pas en cause la tutelle de fait sur les femmes. Chaque année, quinze mille personnes sont poursuivies pour liens sexuels hors mariage au titre de l’article 490 du code pénal. Trois mille personnes sont incarcérées pour adultère. L’article 449, dans un inventaire à la Prévert,  punit d’un an à cinq ans de prison tout responsable d’un avortement ou d’une tentative d’avortement « par aliments, breuvages, médicaments, manœuvres ou tout autre moyen », et particulièrement « les médecins, les chirurgiens, les officiers de la santé, les dentistes, les sages-femmes, les pharmaciens, les étudiants en médecine ou en art dentaire, les étudiants ou employés pharmaciens, les herboristes, les bandagistes, les marchands d’instruments de chirurgie, les infirmiers, les masseurs, les guérisseurs, les mouwalidats et les qaldats (accoucheuses traditionnelles) ». L’avortement est permis par l’article 45 uniquement quand un praticien juge la vie de la mère en danger ou que sa santé est en péril. Et l’article 454 punit d’une peine d’emprisonnement de deux mois à deux ans quiconque fait de la publicité pour l’avortement, même si la provocation n’est pas suivie d’effet, « par des discours publics, des livres, des écrits, des imprimés, des annonces, des affiches, des dessins, des images ».

 

Le projet de loi contre les violences faites aux femmes traîne pendant une décennie dans les sous-débats du parlement marocain avant d’être adopté en février 2018 avec de flagrantes lacunes. La loi, qui n’assigne aucune obligation à la police et à la justice, contraint les victimes à prendre l’initiative de poursuites pénales. Le système judiciaire recèle des absurdités abracadabrantes. Les témoignages féminins ne sont toujours pas recevables dans l’établissement des actes adulaires et pourtant, la fonction d’adoul, notaire de droit musulman, s’est ouverte récemment aux femmes, qui font aussi partie des plus hautes instances théologiques, le Conseil supérieur des Oulémas entres autres. Le communiqué entérinant ces nouvelles dispositions est un joyau de sophistique. « La Conseil supérieur des Oulémas a émis un avis autorisant la femme à exercer la profession de adoul, conformément aux dispositions de la charia relatives au témoignage (chahada) et ses différents types, et les constantes religieuses du Maroc, en premier lieu les principes du rie malékite, et en considération du haut niveau de formation et de culture scientifique acquis par la femme et de par la qualification, la compétence et la capacité dont elle a fait preuve dans les différentes fonctions qu’elle a assumées ». Et pourtant, les règles de l’héritage musulman, le taâssib, accorde toujours la part de lion aux hommes et ne laisse aux femmes que des miettes. Les inégalités plongent leurs racines séculaires dans une organisation sociétale à géométrie variable où les oulémas constituent le remparts infranchissables.

 

Les contradictions et les ambiguïtés se concentrent dans la loi fondamentale. La Constitution du 11 juillet 2011 reconnaît à toutes les citoyennes et les citoyens les droits et les libertés garanties par les conventions internationales, notamment l’égalité des femmes et des hommes, mais n’accompagne ces principes d’aucune application. La charia régit toujours les affaires familiales, le mariage, l’héritage. Et pourtant, d’autres modèles juridiques perdurent ouvertement, comme traditions locales, ou secrètement. Dans le marché du mariage, souk zouaj, qui connaît un regain d’intérêt, ce sont les femmes qui choisissent leurs futurs époux. Des sites sur internet reprennent l’exemple. Certaines sociétés berbères préservent des caractéristiques matrilinéaires. Les figures mythiques de reines berbères comme la Kahina, la prophétesse, Dihya comme la nomme Ibn Khaldoun, morte au combat contre les arabes ou la princesse sahélienne Tina Hinan, originaire du Tafilalt marocain, ancêtre des touaregs du Hoggar, sont des icônes de l’amazighité renaissante. Ibn Batouta constate la liberté sexuelle des femmes et l’absence de jalousie masculine chez les pasteurs nomades. Le tombeau de Tina Hinan est antérieur à l’islamisation d’après les datations au carbone 14. Cette culture ancienne fait prévaloir la filiation maternelle dans l’héritage du droit au commandement. Ses mythes expliquent la naissance des fils de la femme par son accouplement aux espèces non-humaines des djinns et des géants. Les femmes, entretiennent des relations spéciales avec le surnaturel, qui leur procure le pouvoir de divination. Les pratiques matriarcales échappent aux logiques dominatrices par qu’elles s’alimentent d’imaginaires féériques, de cosmogonies fantastiques, de solutions thaumaturgiques. Aucun groupe féminin ou masculin n’a de pouvoir exclusif dans cette organisation égalitaire. La fonction même de chefferie se légitime par la reconnaissance de contre-pouvoirs et ne désigne en fin de compte qu’un rôle d’arbitrage. L’atavique attachement aux valeurs utérines ressurgit dans la résolution des dissensions familiales. La société, sans autorité pyramidale, fonctionne dans l’interactivité transversale.

 

La langue vernaculaire darija manque cruellement de vocabulaire se référant positivement à la sexualité. La libido est considérée, sans autre forme de procès, comme le mal absolu, le domaine sulfureux des furies tentatrices et des harpies débaucheuses. Les parlers amazigh se distinguent, a contrario, par la richesse de leur vocabulaire érotique. Le matrimoine inaliénable, s’allégorise par l’expression « lait vivant ». La matrilignée applique sa sémantique bienfaisante, enveloppante, stabilisante, aux allégories anatomiques, charnelles. L’antériorité du féminin sur le masculin se véhicule dans les récits légendaires. Une goutte originelle se détache du vide cosmique, tombe sur la terre et marque le début des temps. La goutte roule, dépose sa partie la plus dense, le principe féminin, et largue en fin de course sa partie la plus légère, le principe masculin. Les deux pôles complémentaires nécessaires à l’orientation du monde sont issus de la même substance, dissociée par l’entrechoc de la stabilité et de la mobilité. Les généalogies berbères sont générées par les femmes. Les hommes apparaissent comme des êtres étranges, frustes, incultes, surgis d’univers invisibles, contrairement aux femmes créatrices de culture. La femme incarne l’origine, la maison, l’intérieur, le cœur de la société. L’homme, figurant l’extérieur menaçant, l’obscur intrigant, l’inconnu fascinant, nécessite des rituels de domestication, notamment son voilement. La femme, dans sa beauté transparente, demeure dévoilée. Son rayonnement éclaire son environnement. La capacité d’attraction de la femme se mesure au nombre d’adorateurs qui la portent aux nues. Elle choisit librement son amant parmi les compétiteurs des joutes poétiques. Son prestige rejaillit sur toute sa famille. La morale monothéiste, restrictive et répressive, cède la place à une éthique jouissive. La pluralité dialogique se substitue à la prescription uniciste. Les rôles sont réversibles dans l’horizontalité des équivalences. L’entité sociale se dynamise de la dualité stimulante de ses composantes. La centralité féminine se ramifie dans la diversité des existences. Le monde a besoin de ses racines féminines et de ses frondaisons masculines pour épanouir ses potentialités civilisationnelles. Sans ancrage, la mobilité dérive. Sans mouvance, l’assise s’entombe. Le matriarcat berbère est une dynamique humaine.

 

 

 

Note

* Zainab Fasiki, "Hshouma", Massot Éditions. Paris. 2019.

***

 

Pour citer ce texte
 

Mustapha Saha, « Zainab Fasiki. La révolution des mœurs par l’art », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°14|Être féministe, mis en ligne le 21 janvier 2020. Url :

http://www.pandesmuses.fr/lettreno14/zainabfasiki

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans La Lettre de la revue LPpdm
16 janvier 2020 4 16 /01 /janvier /2020 15:21

Lettre n°14 |Être féministe| Critique & réception

 

 

 

Le Prix Simone de

 

Beauvoir consacre

 

le Mouvement

 

social Hors-La-Loi

 

 

 

Mustapha Saha

 

Sociologue, poète, artiste peintre

 

© Crédit photo :​ ​​​Image n°1.

 

Paris, Maison de l’Amérique Latine, 9 janvier 2020, devant un parterre de célébrités intellectuelles sorties des années glorieuses de la lutte féministe, la représentante du mouvement marocain  Hors-La-Loi, Sonia Terrab, reçoit le Prix Simone de Beauvoir des mains de Sylvie Le Bon de Beauvoir. Pierre Bras, délégué général, et Nicole Fernandez Ferrer, directrice du Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, réalisatrice et gardienne des archives, veillent discrètement au bon déroulement de l’événement. L’avocate Ghizlane Mamouni enregistre la scène sur son portable. Le prix est obtenu sur suggestion de l’algérienne Sihem Habchi, militante active contre les exclusions sociales, membre de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.

 

Le discours de Sylvie Le Bon rappelle d’emblée la pertinence de la philosophie beauvoirienne : « Simone de Beauvoir affirmait sans cesse l’unité nécessaire de la pensée et de l’action. Penser sans agir n’est qu’un jeu. Agir sans penser n’est qu’un geste sans conséquences. L’écriture n’est ni un jeu futile, ni un geste inutile, mais un acte dans lequel se risque et se justifie toute l’existence. En s’inscrivant dans la réalité du monde, une œuvre relayée, réfractée dans la conscience des lecteurs, peut devenir une force  redoutable, une arme puissante contre le scandale de l’inhumain, qui prend de nombreux visages, l’arbitraire, l’injustice, l’oppression, l’iniquité, la tyrannie, et tous les dénis cyniques et sournois de la liberté. « Le Deuxième sexe » a été conçu par son autrice en 1949 comme un essai, une réflexion théorique sur la condition des femmes. L’histoire a changé la destinée du livre. L’ouvrage a révélé toute sa portée vingt ans après quand la célèbre formule, qui condense ses analyses, « On ne naît pas femme, on le devient », a inspiré et fédéré des luttes féministes décisives, à partir des années soixante-dix, quand le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) s’est fait reconnaître et entendre  aux Etats Unis, en France et dans le Monde entier. « Le Deuxième sexe » continue d’être traduit et de gagner davantage d’aires linguistiques. Le collectif signataire du manifeste des Hors-La-Loi reflète dans sa quintessence l’esprit beauvoirien, une philosophie de la liberté qui, bien que les femmes soient les premières concernées, s’adresse aussi aux hommes puisque les expressions fondamentales de la liberté, qui sont le libre choix et la libre pratique sexuelle, doivent être des droits incontestés de tout être humain. Or, c’est loin d’être le cas aujourd’hui ».

Ma dilection pour Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre est si vivace qu’il me semble qu’ils sont toujours vivants. Je sais d’expérience la richesse naturelle de leur intellect et la probité foncière de leur affect. Je dors sous une  bibliothèque contenant tous leurs livres, dans leurs éditions originales. Je ferme les yeux pendant le discours de Sylvie Le Bon de Beauvoir. Je suis abasourdi par le mimétisme physique, vocal, verbal, une incroyable gémination. Même coiffure, même posture intimidante, même attitude prévenante et distante à la fois, mêmes intonations tranchantes, mêmes expressions péremptoires et convaincantes.  À croire que Simone de Beauvoir a malicieusement prolongé son existence en se réincarnant dans sa fille adoptive. Sylvie Le Bon de Beauvoir, admirable d’abnégation, exhume, annote, édite les textes inédits, les cahiers de jeunesse, le Journal de guerre, les deux tomes des Lettres à Jean-Paul Sartre, les Lettres à Nelson Algren, la Correspondance croisée avec Jacques-Laurent Bost, établit la chronologie des deux volumes des mémoires dans la collection La Pléiade. Comment s’étonner que l’œuvre prolifique de sa mère soit l’œuvre de sa vie ? Simone de Beauvoir ne disait-elle pas : « Une journée où je n’écris pas a un goût de cendres » ? La belle filiation élective s’immortalise dans « Tout compte fait ».

 

© Crédit photo :​ ​​​​ Image n°2

 

Simone de Beauvoir fait, à dix-huit ans, quatre séjours au Maroc avant d’y retourner avec Jean-Paul Sartre. Leur infaillible engagement pour l’Indépendance se retrouve dans leurs écrits prémonitoires. Elle est sans doute fière, dans sa demeure éternelle, d’être, post-mortem, la marraine de cette nouvelle génération de féministes maghrébines sans complexes. Les juges, Les législateurs, Les gardiens scrupuleux de la morale publique sont dangereux. « L’homme sérieux est dangereux. Il est naturel qu’il se fasse tyran. Méconnaissant avec mauvaise foi la subjectivité de son choix, il prétend qu’à travers lui s’affirme la valeur inconditionnée de l’objet, et d’un même mouvement, il méconnaît aussi la valeur de la subjectivité et de la liberté d’autrui, si bien que, les sacrifiant à la chose, il se persuade que ce qu’il sacrifie n’est rien. L’administrateur colonial qui a élevé la route à la hauteur d’une idole n’aura pas de scrupule à en assurer la construction au prix d’un grand nombre de vies d’indigènes. Car, quelle est la valeur d’un indigène présumé maladroit, inefficace et paresseux ? Le sérieux conduit à un fanatisme aussi redoutable que le fanatisme de la passion. C’est le fanatisme de l’Inquisition, qui n’hésite pas à imposer un credo, c’est-à-dire un mouvement intérieur par des contraintes extérieures. C’est le fanatisme des Vigilants d’Amérique, qui défendent la moralité par des lynchages. C’est le fanatisme politique, qui vide la politique de tout contenu humain et impose l’ordre étatique non pour les individus, mais contre eux » (Simone de Beauvoir : "Pour une morale de l'ambiguïté", éditions Gallimard, 1947).

 

Dans une société régie depuis des siècles par le silence, la  hchouma faisant office de cadenas indéverrouillable, le déblocage des mœurs commence par la libération de la parole. La prohibition de la sexualité hors mariage rappelle la situation française des années soixante où la légalisation de la contraception n’intervient qu’en décembre 1967 sur proposition du député  Lucien Neuwirth. S’obtient ainsi l’abrogation de la loi de juillet 1920, qui interdit non seulement toute contraception, mais également toute information sur les moyens contraceptifs. L’interruption volontaire de grossesse est illégale jusqu’à la dépénalisation de l’avortement par la loi Simone Veil de janvier 1975, reconduite sans limite de temps par la loi de décembre 1979. Le manifeste des 343, rédigé par Simone de Beauvoir en 1971, s’ouvre sur ce paragraphe applicable en tous points aux réalités marocaines : « Un million de femmes se font avorter chaque année. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ce million de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre ». Le manifeste est un fait patent de désobéissance dans la mesure où aucune signataire se déclarant hors-la-loi n’est  poursuivie. Le procès de Bobigny, jugeant cinq femmes pour complicité d’avortement, est une dénonciation spectaculaire des lois scélérates. Simone de Beauvoir, qui préside l’association féministe « Choisir » et l’avocate Gisèle Halimi déclenchent une offensive politique devant le tribunal en démontrant l’injustice des lois liberticides. L’une des inculpées rétorque au juge d’instruction : « Monsieur le Juge, je ne suis pas coupable. C’est votre loi qui est coupable » avant de se voir sommée de se taire sous peine d’une seconde inculpation pour outrage à magistrat. La jeune Marie-Claire, à l’origine de l’affaire, finalement relaxée, dont le prénom explose à la Une des journaux, devient une héroïne malgré elle. L’aveuglement du procureur atteint son paroxysme quand il exige des médias de respecter l’article 39 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse censurant la publication des débats sur l’avortement.

© Crédit photo :​ ​​​​ Image n°3

 

Sonia Terrab érige la raison subjective en profession de foi romantique : « Notre mouvement a commencé par des colères individuelles, qui ont suscité une volonté collective de dire et de changer les choses. Notre génération représente une nouvelle vague du féminisme, qui ose formuler les problèmes tels qu’ils se posent dans leur rudesse quotidienne. Pour sortir de la résignation, il faut libérer la parole, la parole bâillonnée des femmes, la parole asphyxiée des jeunes, la parole de l’individualité, la parole de l’intimité. La révolte est avant tout une révolte individuelle contre les tabous et les interdits imposés dès la naissance par les parents. Le changement commence dans le cercle familial. Il n’y a pas d’épanouissement de l’être humain sans liberté. La jeunesse marocaine n’est pas motivée par des pensées politiques, des idées politiques, des engagements idéologiques. La jeunesse marocaine, en connexion avec la planète entière sur internet, a essentiellement besoin de liberté. Les jeunes veulent marcher librement dans la rue, faire la fête, rire, se toucher, s’aimer. Dans notre société pudibonde et moraliste, mettre l’amour en avant est en soi révolutionnaire. Nous avons du mal à nous aimer parce que l’amour est identifié au mal. Notre combat n’a d’autre but que la liberté d’être, d’aimer, d’exister ».

 

L’intervention de Sonia Terrab, chargée d’attendrissantes effusions sentimentales, réveille en moi les souvenirs de mes séjours universitaires  à Berkeley, quand les hippies agitaient joyeusement leurs pancartes « Peace and love » au Golden Gate Park de San Francisco et jetaient des fleurs sur les barrages policiers. Je reconnais du coup les signes avant-coureurs d’une bifurcation socioculturelle. Ainsi en va-t-il de l’atavisme marocain, une étoile verte pacifique, sur fond rouge hérétique. Des slogans soixante-huitards résonnent dans ma mémoire, « Faites l’amour, pas la guerre », « Vivre sans temps morts, jouir sans entraves »,  « Ils peuvent couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront pas la venue du printemps », « Ne me libère pas, je m’en charge », « Cours camarade, le vieux monde est derrière toi ». L’émergence du désir, du plaisir, comme exigences vitales, et leur expression sur la place publique sont les meilleurs antidotes au harcèlement sexuel. Quand les pelouses interdites se couvrent de silhouettes enlacées, de corps relaxés, la société recouvre sa concorde et sa pleine santé. La génération actuelle, accablée par la terreur intégriste, n’a pas connu les défilés en bikini égayant les fameuses piscines Tahiti, Miami, Acapulco, Kon-Tiki… de la corniche casablancaise jusqu’aux années soixante-dix, et les femmes se promenant tranquillement en jupes courtes sur les boulevards du centre-ville. L’émancipation sociale se reflète en premier lieu dans la liberté vestimentaire. La servitude s’inscrit dans les uniformes. Les jeunes activistes marocaines,  ni fatalistes, ni soumises, font voler en éclat les tabous sur le corps féminin, se maquillent et se font belles pour elles-mêmes, démystifient les stéréotypes de l’éternel féminin et du pater familias, le père, le professeur, le patron.

 

 

Sonia Terrab évoque volontiers le roman « La Servante écarlate » (The Handmeid’s tale) de Margaret Artwood, qui décrit un système totalitaire régi par la religion, où les femmes sont rabaissées au plus bas de l’asservissement, divisées en castes, les Épouses aliénées par les affaires domestiques, les Marthas épuisées par les tâches ménagères, Les ÉconoFemmes mariées aux miséreux et les Tantes, vêtues de grandes robes écarlates, chargées de la reproduction de l’espèce humaine. Les femmes âgées, bouches inutiles, sont condamnées à trier des déchets toxiques dans des colonies isolées. Le taux de natalité est bas à cause de la pollution. Les rares nouveaux nés naissent handicapés. L’interjection « Ne laissez pas les salopards vous exterminer » (Nolite te salopardes exterminorum) explicite le message de la fiction. Sonia Terrab commente et applique la leçon : « Quand les femmes s’autonomisent, elles se responsabilisent et responsabilisent leur entourage ». Elle investit son savoir-faire communicationnel pour motiver et mobiliser les journaux et les réseaux sociaux, lancer le mouvement sur tous les fronts médiatiques, tisser des passerelles au-delà des frontières. La solidarité sur le web fonctionne à merveille. Les témoignages se propagent par centaines. Les tabous se fracassent dans l’interactivité déculpabilisatrice. Les ralliements se multiplient par milliers. L’opération est si bien réussie, si bien relayée par la presse internationale, que l’indignation réactive se transforme en revendication législative. Demeure le problème de la jeunesse masculine qui, pour une bonne partie, entretient le culte de la virilité et pratique, dans les milieux déshérités particulièrement, la persécution morale, sinon physique. Les jeunes gens scolarisés, sexuellement frustrée, faute de profiter de la société de consommation, participent, en revanche, à la société de communication, se distinguent par leur activisme sur la toile et réclament, dans l’étouffoir sociétal, leur bulle d’oxygène.

 

Le mouvement  « Hors-La-Loi » naît d’un manifeste dénonçant l’article 490 du code pénal, qui interdit  toute relation entre deux personnes hors mariage. Les signataires, 15 000 citoyennes et citoyens marocains,  se déclarent ouvertement hors-la-loi, sous transparente identité, en assumant une liberté sexuelle juridiquement prohibée, délit pour lequel 15 000 personnes en moyenne sont chaque année poursuivies et condamnées à des peines de prison ferme. L’arrestation de la journaliste Hajar Raïsonni en août 2019  sert de détonateur à des protestations collectives et à des manifestations massives, qui, faute d’être comprises, semblent avoir excité la sévérité des tribunaux. Le combat se résume dans un slogan, brandi comme irrécusable étendard, « L’amour n’est pas un crime ». La lutte somme toute pacifique et défensive, qui ne revendique que l’abolition des lois régressives, antinomiques des droits humains proclamés dans la Constitution, est probablement la prémisse d’une incontournable révolution des mœurs. Le droit de disposer de son corps est une liberté individuelle inaliénable qui ne tolère aucune ingérence publique.

 

Il a donc suffi  de quelques écrivaines et artistes, Karima Nadir, animatrice de l’Association des droits numériques (ADN), Sonia Terrab et Fatima-Zahra Bencherki, réalisatrices des capsules Marokkiat, qui donnent la parole aux jeunes femmes sans-voix et démontent sans ménagement les préjugés dominants,  pour fédérer des exaspérations latentes depuis des décennies, depuis la Moudawana régissant le droit familial et le statut personnel, adoptée en 1958, qui livre, malgré ses amendements ultérieurs, la vie privée des citoyens aux prescriptions phallocentriques des oulamas. Les tournants historiques génèrent des minorités agissantes, qui saisissent opportunément les signaux des transformations radicales. Les mentalités tardent, les idées avancent. Qu’on se souvienne de la vieille taupe marxienne, « notre vieille taupe, qui sait si bien travailler sous terre pour apparaître brusquement ». Cette vieille taupe n’est autre que l’histoire. « Bien travaillé, vieille taupe » (Hegel : Leçons sur l’histoire de la philosophie, éditions Gallimard 1954). Hegel reprend les mots d’Hamlet parlant au fantôme de son père, pour désigner  l’œuvre de l’esprit dans les sous-sols de l’histoire et la capacité de la pensée de secouer la croûte de notre présent (William Shakespeare : Hamlet, traduction d’Yves Bonnefoy, éditions Mercure de France, 1962). « Les petits craquements, les petites déchirures dans l’écorce solide de la société bourgeoise dévoilent l’abîme que recouvre cette écorce, sous laquelle bouillonne un océan sans fin capable, une déchaîné, d’emporter des continents entiers » (Karl Marx, discours du 14 avril 1856). Mais que font les mandarins, à part courir les récompenses et les distinctions ? Ce mouvement, par bonheur, qui s’implante et se répand à la base, n’a pas besoin d’idole, fût-elle couronnée d’un prix littéraire prestigieux. Le ruisseau qui gonfle et deviendra fleuve est contenu dans la source matriarcale. La taupe, qui creuse ses galeries invisibles pour saper les fondations des prépotences oppressives, est la figure appropriée de la résistance persévérante. (Daniel Bensaïd : Résistances. Essai de taupologie générale, éditions Fayard, 2001).

 

Ce que les esprits chagrins, les fkihs obscurantistes, les exorcistes de mauvais augure perçoivent comme des ruptures dangereuses, préfigure en réalité des transitions heureuses vers un futur conciliateur de la mutation civilisationnelle, engendrée par la révolution numérique,  et l’organisation matriarcale ancestrale, respectueuse des solidarités naturelles, des libertés individuelles et des dignités personnelles. Le mouvement Hors-La-loi, malgré ses maladresses tactiques et ses carences théoriques, est symptomatique de la société transversale où la citoyenneté s’oppose activement, à la base,  aux législations iniques, imposées de haut. La société pyramidale en décrépitude ne peut plus sévir impunément. Les antagonismes schizophréniques de la société marocaine s’avèrent paradoxalement propices aux expériences novatrices d’émancipation. Le phallocratisme archaïque a beau s’appuyer sur la technocratisation makhzénienne, instrumentaliser les nouvelles technologies pour optimiser ses techniques de surveillance et de contrôle, le libre exercice des idées et l’instantanéité des mobilisations dans l’espace internétique, contrecarre désormais ses manœuvres coercitives.

 

Photographies en ordre par Élisabeth Saha :

Mustapha Saha avec Sylvie Le Bon de Beauvoir, Sonia Terrab et Nicole Fernandez Ferrer.

***

 

Pour citer ce texte
 

Mustapha Saha, « Le Prix Simone de Beauvoir consacre le Mouvement social Hors-la-loi », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°14|Être féministe, mis en ligne le 16 janvier 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/lettreno14/prixsimone

Page publiée par le rédacteur David Simon

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