N° I | HIVER 2024 | Seules, seulettes : des poésies de nos solitudes / 1er Volet | Critique & réception | Dossier mineur | Articles & témoignages
Matériau Maman, roman de Paloma
Hermina Hidalgo, paru aux Éditions de
Corlevour avec en couverture
une photo de Lou Sarda
© Crédit photo : Première de couverture illustrée par une portrait photographique de Lou Sarda du roman « Matériau Maman » de Paloma Hermina Hidalgo aux Éditions de Corlevour.
Après deux recueils de poèmes, Paloma Hermina Hidalgo poursuit son travail au sens étymologique du terme, car il s’agit bien là d’une œuvre où la femme, comme dans l’accouchement, est « au travail » dans un écartèlement de son corps qui renvoie au tripalium, l’instrument de torture. Sauf que dans ce livre, ce n’est pas la mère qui enfante mais l’enfant qui remet sa mère au monde en l’exorcisant dans une œuvre où elle en est le matériau extirpé des chairs mêmes de l’autrice avec les forceps d’une écriture qui ne cesse de se transcender.
Maman, la mère de l’autrice, est bien le matériau de ce texte à nul autre pareil que son amie imaginaire Svet, qui n’est autre que sa voix intérieure, lui a suggéré de faire parler sur le papier. Maman devient le corps du texte dans ce livre où l’autrice en la couchant, ou l’accouchant sur la page blanche, la fait renaître de son propre corps. Car l’amour fusionnel dans toutes ses dimensions qu’elles soient affectives ou intellectuelles, l’est également sur le plan charnel.
Lorsque sa mère meurt après avoir été renversée par une voiture, Paloma Hermina Hidalgo bascule dans la folie car sa mère continue à lui parler et à lui lancer des injonctions. L’autrice finit par se mutiler sous le prétexte d’enlever une épine dans sa main que sa mère lui ordonne d’extirper. Cette bascule de l’autre côté des mots, en territoire de folie, conduit l’autrice dans un hôpital psychiatrique où elle est internée à la demande de sa sœur Cara.
L’on perçoit en sourdine, une musique de tango, une danse envoûtante et lancinante avec les mots, car la mère née en Argentine, pays qu’elle avait fui lors de la dictature, aimait ce corps à corps jusqu’à sombrer dans la perte de soi. Ernesto Sabato disait du tango qu’« il est une pensée triste qui se danse ».
Cette pensée triste irrigue la peau vive des mots de ce roman de lave et de feu à la beauté incandescente qui brûle et foudroie le lecteur irradié. Le parfum des roses, leur couleur écarlate telles les lèvres sanguines de la mère, reviennent en leitmotiv dans ce jardin d’écriture, elles sont à la fois bonheur et douleur, amour, poison et symbole mortifère... L’on songe au cercueil « tout en roses rouges » de la mère et l’on lit : « Terre fraîche sur les roses-l’image m’éblouit. Je suis un œil sans paupière » et plus loin « Et cette rose, la dernière de sa fosse ». Le rouge sang des roses met en exergue la blancheur de Paloma que sa mère appelait Nieve (Neige) en référence à Blanche-Neige qui renvoie au conte des frères Grimm. Dans l’une des versions de cette histoire, la reine fait faire un tour de carrosse à Blanche-Neige et lui demande de descendre cueillir des roses…
Que nous dit ce roman sur la perte de la mère, chair de la chair de l’enfant qui lui survit, sinon qu’elle continue à vivre dans la chair du texte. L’autrice nous rappelle « les épisodes du coucher » de Proust « où se joue l’impossible séparation de la mère ». Quant à Albert Cohen, il écrivait « Pleurer sa mère, c’est pleurer son enfance ».
Dans « Matériau Maman », Paloma Hermina Hidalgo conclut « Amputée de toi, j’ai vécu dans l’envers de ton amour ». Nul doute que l’autrice, avec ce roman enfanté dans les ténèbres et la douleur, vient de renaître dans une roseraie auréolée de lumière où son âme blessée a retrouvé dans l’écriture la part belle du sourire de sa mère à laquelle elle dédie le cœur de son amour qu’elle éternise dans la grâce et la splendeur de sa poésie.
© Françoise Urban-Menninger
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Pour citer ce texte inédit
Françoise Urban-Menninger, « Matériau Maman, roman de Paloma Hermina Hidalgo, paru aux Éditions de Corlevour avec en couverture une photo de Lou Sarda », Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° I | HIVER 2024 | « Seules, seulettes : des poésies de nos solitudes », 1er Volet, mis en ligne le 26 février 2024. URL :
http://www.pandesmuses.fr/noi/fum-materiaumaman
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