14 juin 2024 5 14 /06 /juin /2024 16:54

Événements poétiques | Festival International Megalesia 2024 « Amies » & « Elles » | II. « Elles » | Articles & témoignages | Chroniques cinématographique de Camillæ | Poésie Audiovisuelle  

 

 

 

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Foudre, long métrage de

 

 

Carmen Jacquier, Suisse, 2024

 

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Camillæ (Camille Aubaude)

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Le premier long-métrage d’une talentueuse cinéaste suisse, Foudre, manie les thèmes de l’amour à mort et de la déesse mère, allégorie de la Nature. Je le dis d’emblée : j’eus préféré qu’il les remanie avec sprezzatura, plutôt qu’avec une maîtrise logique. À la différence du Smoke sauna, un dispositif sans faille montrant que la plus forte détermination de nos patriarcats est de s’approprier la jouissance féminine ne renouvèle rien. Ce dispositif narratif crée un nouveau conformisme, à l’aide d’images sublimes, de beaux paysages, d’acteurs envoûtants, comme dans le film de Terence Davies sur le poète Siegfried Sassoon, œuvre ultime qui use d’un formalisme de génie. Une autre comparaison s’impose : Romance de Catherine Breillat, qui montre en plus l’appropriation du sexe de la femme par la médecine.  Foudre est donc « un film de femme », formaliste et communautariste, montrant comment quatre sœurs peuvent s’unir contre la puissante adversité du monde patriarcal.

Déflorons un peu l’intrigue : c’est encore le thème de la sexualité féminine dont l’aboutissement serait le désir de posséder plusieurs hommes à la fois. Foudre manie à fond la culpabilité brassée par le prêtre et par le père, le prêtre étant l’hypertrophie du Père.

L’ancienne novice, Elisabeth, retrace en miroir le destin de sa sœur nommée Innocente. Cette « innocente » est traitée de « pute » et suicidée par amour, à la suite de relations sexuelles à plusieurs. L’irénisme est si grand qu’il est exclu d’employer certains mots vulgaires. Grande figure de la mise au tombeau des femmes : le prêtre interdit qu’un hommage, fut-ce une simple prière, soit rendu à cette âme satanique incarnée dans l’enveloppe charnelle d’une innocente. Or cette innocente écrit de la poésie. Secrètement, comme il se doit, et dans l’intention d’être lue par sa Sœur. La poésie d’Innocente révèle son désir du corps de l’homme et sa conviction de trouver de la sorte Dieu. 

 

Quand une femme écrit de la poésie si son mari est assassiné, elle est la principale coupable (voir Louise Weissmann). Autrement, c’est une mangeuse d’hommes, au statut revendiqué par Grise délice, poétesse nymphomane vendant ses services sexuels — je remarque qu’une « vendue » est soutenue par des écrivaines contemporaines, selon l’adage : qui veut faire l’ange fait la bête. Elisabeth, la novice, comprend le sens profond de la « pute » qui est le grand mystère de la Nature et de la Déesse Mère. S’ensuit le cliché de l’amour universel... L’ex novice reprend la voie de la sœur morte, contamine les deux sœurs plus jeunes, et se révolte de la sorte contre l’esclavage domestique de la mère, le bras servile de môssieur le père, l’homme « agrandi » (ou rétréci…) qui n’a de cesse d’imposer un destin de mère à ses filles. L’épouse coupe court à la jouissance féminine, qu’elle circonscrit, endigue, jusqu’à mener à la puissante image du cercueil en feu. Eh oui, nous brûlons les lettres des poétesses et des philosophes (voir Diderot et Sophie Volland, Balzac et Mme Hanska : « j’adore que les femmes écrivent mais elles doivent faire comme vous, brûler leurs lettres » — je cite de mémoire).

 

Le cahier de la morte ressortit au même conformisme. C’est bien qu’il y ait du texte. Un journal intime à l’écriture tourmentée, tout comme il faut… Et des chansons aussi, très bien faites. Tout est prêt pour la grâce, mais la grâce ne vient pas sur commande. Où est passé le zeste d’anarchie qui la nourrit ? Foudroyé ?

Il manque la prudence, la sagesse et la folie dans cette quête d’absulu. Carmen Jacquier donnera une grande œuvre si elle n’est pas empêchée par le système qu’elle dénonce. La grande leçon de la poésie est qu’on ne peut rien faire contre elle. 

 

À la fin du XIXè siècle, dans la jolie cité de Morzine, à la frontière suisse, dans le domaine de ski des Portes du Soleil, quand une petite fille se roulait par terre en hurlant, les autres l’imitaient. Aussitôt, les psychiatres décodaient un cas d’hystérie collective, que j’ai évoqué dans ma maîtrise de lettres sur « Stéphane Mallarmé et le stade du miroir ». 

Alors Foudre ou pas foudre…?

 

© Camillæ

 

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Pour citer ce texte inédit 

 

Camillæ (Camille Aubaude), « Foudre, long métrage de Carmen Jacquier, Suisse, 2024 »Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événements poétiques | Festival International Megalesia 2024 « Amies », « Elles », mis en ligne le 13 juin 2024. URL :

http://www.pandesmuses.fr/megalesia24/camillae-foudredecarmenjacquier

 

 

 

 

 

 

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15 mai 2024 3 15 /05 /mai /2024 17:29

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Le jardin qui bascule, de Guy Gilles

 

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Camillæ (Camille Aubaude)

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Le jardin qui bascule est une figure de rêve. Ce rêve est fait par un tueur à gages, il le raconte aux trois quarts du film. Il est chargé d’éliminer Kate (Delphine Seyrig), destinataire de ce récit de rêve, qui compose le sens de ce film de 1975 qu’une copie avec des génériques rose vif fait revivre en 2024.

Je me serais passé de la cheville narrative du tueur* pour me laisser emporter par la poésie de ce film indéfinissable car d’une puissance émotionnelle jusqu’au-boutiste. Les personnages typiques des seventies ont un rythme lent comme dans les films de Marguerite Duras. La liberté d’après mai 68 est illustrée par les cheveux longs des jeunes hommes, et il n’est pas besoin d’insister sur les pantalons pattes d’éléphant, si datés qu’ils marquent le pouvoir déclinant de la révolution. Le beau blond de cette bande de « petits prolos », et de cette « chair fraîche condamnée à la défraîcheur », selon Jean-Louis  Bory** se sait filmé sous son meilleur profil. Alors il souffle sur sa mèche. Lui, il ne tue pas, mais il connaît déjà la prison modèle de Fleury-Mérogis : il vole des voitures pour payer une maison à ses parents... Pas besoin non plus d’insister sur les stéréotypes masculins, toujours les mêmes dans ces films d’hommes qui à travers une actrice divinisée donnent à voir leur désir comme de l’art brut, sans naturel. Eux déglingués. Elle distinguée. Tout la met en valeur, le récit, la technologie, le maquillage, et la violence imminente. 

Que ce soit ce film-là qui ressorte est pataphysique : il veille sur le danger ! Le temps qui passe et donne la mort s’élève à l’amour passion. Avant de basculer, la fraîcheur s’incarne dans la beauté d’une déesse qui lit. Nul besoin de préciser que Delphine Seyrig est éclatante et lumineuse pour ces corps d’hommes qui dodelinent avant que bascule le couperet. Elle dit qu’elle peut lire dix heures sans s’arrêter. A quarante ans passés, elle est retirée dans une maison au bord d’un fleuve. La liberté des seventies n’a rien à voir avec la prise de parole des femmes en 2014. Quarante ans : vieillesse. Jeune, « elle travaillait », comprenez qu’elle se prostituait, et elle devient un accessoire. Pouvons-nous parler de « féminicide » pour ces œuvres où la femme est mise à mort, tandis que l’homme travaille ? Gros travail, ces films…

Préservons la surréalité poétique ! Passer une vie à lire les classiques de l’Antiquité grecque et romaine, et quelques œuvres de la Renaissance est ce que nous pouvons faire de mieux parmi les fleurs et les arbres d’une Nature non aseptisée — il n’est pas question de « vert » en 1975... Laissons aux « petits soldats » les missions et les énigmes réductrices, et les ficelles de la narration, pour suivre le fil du temps. Lire et écrire. Et chanter, le front haut, la tête légère. Il y a dans Le jardin qui bascule une des meilleures prises de vues d’une chanson de Jeanne Moreau. Parole et visage illuminent le jeu des correspondances qui raniment la fidèle espérance. La maison de ce jardin est ce qui fait percevoir la beauté incertaine, où la chanson est l’exacte vanité de l’instant, sa grâce et son plaisir.

 

 

© Camillæ

 

 

* & ** voir URL. https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Jardin_qui_bascule

 

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Pour citer ce texte inédit 

 

Camillæ (Camille Aubaude), « Le jardin qui bascule, de Guy Gilles », Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événements poétiques | Festival International Megalesia 2024 « Amies », « Elles », mis en ligne le 15 mai 2024. URL :

http://www.pandesmuses.fr/megalesia24/camillae-lejardinquibascule

 

 

 

 

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2 avril 2024 2 02 /04 /avril /2024 16:21

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Smoke Sauna Sisterhood par Anna Hints,

 

2023, « Documentaire », 1h 29m

 

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Camillæ (Camille Aubaude)

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Smoke Sauna Sisterhood, par Anna Hints, 2023 ‧ Documentaire ‧ 1h 29m

Il faut entrer dans ce sauna de fumée de la sororité. Au-delà d’un documentaire, ce film reconstruit les témoignages de la condition des femmes selon « cette fabrication texte, temple, rite », comme a écrit Claude Rétat pour le recueil Ivresses d’Égypte de Camille Aubaude, qui s’avère passionnante.

Le Texte monte crescendo pour énoncer des aveux qu’une femme ne peut faire au cours d’un interrogatoire de police. Le tour de force est d’avoir placé des actrices telles de simples femmes d’un sauna de fumée pour tout dire du sabotage, voire du massacre, de la spécificité sexuelle des femmes. Il serait bien de lire ce qu’elles disent, après avoir entendu l’interprétation de ces témoignages.

Le Temple est un chalet en rondins, un four, une forge, une matrice inaliénable que décorent de fines branches d’arbres chargées de neige. Cette maison de bois assure la stabilité et l’équilibre dans l’alternance des saisons. Une femme creuse un trou dans la glace. Elles vont y plonger nues.

Et le Rite : à l’opposé des non-spectacles chinois et des codes de narration américains, la fumée, telle les nuages, les rêves, les mirages, la pierre chaude, le sol corrosif, la chasteté qui libère la parole, des confessions dans une église primitive qui relie la maison à la naissance. La face magique du champ de bataille. La grand-mère trône comme le moi féminin gelé dans la glace immémoriale.

« Cette fabrication texte, temple, rite »  promeut la puissance tutélaire de la femme. Cette somme incomparable sur la vie des femmes dans le patriarcat est dénuée d’orgueil, de narcissisme, de décoration et de gloire. Elle pourrait s’appeler Totalité du féminisme, ce qui dirait le contenu… Les récits pourtant connus sur les façons d’arnaquer les femmes éclosent andante et s’entrelacent les branches noires et blanches qui zèbrent le ciel. Quand la neige est remplacée par l’herbe puissante et le délicat feuillage des arbres, nul besoin de parler d’écologie… L’art de la filmeuse associe monstration et démonstration. Il rend ce « reverdi » plus magique que tous les tours de lanternes magiques. Et le rythme vital de l’hymne final porte le sentiment d’éternité. 

 

 

© Camillæ (Camille Aubaude), mars 2024.

 

AVIS DE LA REVUE LE PAN POÉTIQUE DES MUSES :

 

 

Smoke sauna sisterhood

À ne pas manquer !

 

 

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Pour citer ce texte inédit

 

Camillæ (Camille Aubaude), « Smoke Sauna Sisterhood par Anna Hints, 2023, « Documentaire », 1h 29m », Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événements poétiques | Festival International Megalesia 2024 « Amies », « Elles », mis en ligne le 2 avril 2024. URL :

http://www.pandesmuses.fr/megalesia24/camillae-smokesaunasisterhood

 

 

 

 

 

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8 septembre 2023 5 08 /09 /septembre /2023 15:36

N°14 | Les conteuses en poésie | Entretiens poétiques, artistiques & féministes & REVUE ORIENTALES (O) | N° 3 | Entretiens

 

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Hala MOHAMMAD : « Avant d’être cinéaste,

 

 

je suis d’abord une poète. »

 

 

 

 

 

 

Propos recueillis par

 

Hanen Marouani

 

 

Entrevue avec

 

Hala Mohammad

 

 

 

​​​​​​© Crédit photo : Portrait photographique de la poète Hala MOHAMMAD.

Biographie

 

Hala MOHAMMAD

Poète syrienne

 

Est née à Lattaquié, sur la côte syrienne. Après avoir effectué des études de cinéma en France, elle a travaillé dans le milieu du cinéma syrien. Elle a réalisé plusieurs courts métrages, des documentaires sur le thème de la littérature en prison et a été assistante réalisatrice sur deux longs métrages, et costumière sur différents longs métrages, tous tournés en Syrie, tandis que ses recueils paraissaient au Liban. Connue dans le monde littéraire arabe, elle contribue régulièrement à divers journaux et a été traduite dans de nombreuses langues (anglais, français, allemand, suédois ou encore turc).

Elle a publié huit recueils de poésie en arabe. Le premier L’âme n’a pas de mémoire a été publié à Damas en 1993 par le Département de publication dirigé à l’époque par le philosophe syrien Antoun Al Makdidi. Le deuxième Sur ce Blanc Fade a été publié à Amman en 1998 par l’Institut arabe de publications. Elle a publié quatre recueils à Beyrouth aux éditions Riad El- Ryyes Books dont le recueil Ce peu de vie en 2001.

À la fin de 2011, menacée d’arrestation par le régime syrien de dictature, elle a pris la route de l’exil comme des millions de syriennes et de syriens. Elle vit aujourd’hui en France, où elle a publié deux recueils Prête-moi une fenêtre (2018) qui paraîtra aussi au Danemark le 27 octobre 2023 aux éditions Screaming Books Foundation et Les hirondelles se sont envolées avant nous (2021) en français aux éditions Bruno Doucey, les deux livres sont déjà parus en arabe aux éditions Alutawassit-Milano.

Entre 2005 et 2006, elle a réalisé plusieurs documentaires sur le thème de la littérature des prisons, des films qui dénoncent l’emprisonnement des artistes et des intellectuels pendant la période de la présidence d’El-Assad père. Parmi lesquels Lorsque le Quassion est fatigué sur le poète syrien Mohammed Al Maghouth, Voyage dans la mémoire et Pour un morceau de gâteau.

À son arrivée en France, elle a cocréé l’association NORIAS d’échanges interculturels et a dirigé le ciné-club syrien à Paris pendant quatre ans d’avril 2014 à mai 2016. Ensuite, du début 2014 à la fin de 2015, elle a eu carte blanche pour animer des soirées poétiques à l’Institut des Cultures d’Islam ICI à Paris. Elle est actuellement dès l’année 2023 parmi l’équipe des poètes présentateurs et animateurs du festival de Sète – France.

 

​​​​​​© Crédit photo : Couvertures des recueils de poésies les plus récents de la poète Hala MOHAMMAD « Prête-moi une fenêtre » & « Les hirondelles se sont envolées avant nous ».

 

Bibliographie

Poésie 

L’âme n’a pas de mémoire 

Sur ce Blanc Fade 

Ce peu de vie 

Cette peur 

Comme si je frappais à ma porte 

Le papillon a dit 

Prête -moi une fenêtre

Les hirondelles se sont envolées avant nous.

Filmographie

Voyage dans le mémoire

Lorsque le Quassion est fatigué

Pour un morceau de gâteau 

Nous en avons autant !

Un film a été fait sur Hala Mohammad en 2012 pour the Arab Spring poets. Un Opéra a été mis en scène par la réalisatrice Allemande d’Opéra Verena Stopper sur le l4ème exil de l’Égypte de Händel, dans lequel le récit d’un exil moderne, celui des syriens en 2011, a été évoqué à travers la poésie de Hala Mohammad.

Entrevue

« Hala MOHAMMAD : « Avant d’être ci​néaste, je suis d’abord une poète. »

Hanen MAROUANI – Pourriez-vous nous partager votre parcours en tant que poète ? Évoquez comment vous avez écrit votre tout premier poème, s’il vous plaît.

Hala MOHAMMAD – Mon premier poème est une ode à la beauté des herbes et aux brises légères d’air, des éléments naturels qui avaient le pouvoir de réveiller en moi des émotions profondes, tout comme la nature elle-même qui semble exprimer, à son tour, ses propres sentiments. J’ai toujours vu les émotions comme les fragrances de l’âme, parfois empreintes de joie, parfois chargées de douleur.

C’est dans ces moments de silence, entre la joie et la tristesse, entre les mots et les respirations, que j’ai découvert ma voie vers la poésie. Mon lien avec les autres est indissociable de mon parcours poétique. C’est la connexion entre le « moi » et les autres qui m’a poussée à explorer les rives de la poésie tout en étant profondément influencée par le rôle significatif des chansons dans la vie quotidienne, particulièrement en Orient et en Syrie. Toute cette atmosphère a vraiment influencé et a façonné mon amour pour les mots. Ce qui a vraiment nourri et alimenté mon imagination, ce sont les nuances qui composent une chanson et les infimes écarts entre la voix et sa réception, entre la voix de ma mère qui semblait s’étendre jusqu’à toucher la lune et l’horizon, créant ainsi un lien profond entre l’art de la musique et ma propre créativité poétique. C’est cet émerveillement pour la magie de la musique et de la voix qui m’a inspirée et qui a fait naître en moi l’irrésistible désir d’écrire de la poésie.

 

Hala Mohammad, qu’est-ce qui vous inspire le plus dans votre travail créatif ?

H.M – Mon parcours poétique tire son inspiration de sources diverses, chacune jouant un rôle essentiel dans ma passion pour l’art de la poésie. La nature, avec ses splendeurs et ses mystères, a été l’une de mes premières muses. J’ai ressenti une connexion profonde avec elle, une harmonie entre mes émotions intérieures et les phénomènes naturels qui m’entouraient. La voix de ma mère, empreinte de mélodies arabes envoûtantes, a également été une source d’inspiration inestimable. Ces chansons arabes ont bercé mon enfance et ont tissé un lien indéfectible entre la musique, la langue et mes émotions.

Puis, il y a cette fascination pour la notion de distance, une magie qui opère entre le « moi » et les autres. Cette distance, qu’elle soit physique ou émotionnelle, m’intrigue profondément et m’attire vers le monde de la poésie.

Mon père, maître de la langue arabe, a fait de l’amour pour la poésie une part essentielle de notre quotidien familial. Ses enseignements et son influence ont marqué mon parcours, m’imprégnant d’un amour durable pour les mots et pour les vers.

Mon enfance a été marquée par des moments empreints de courage, de beauté, de nostalgie et d’attente. Ces expériences ont laissé une empreinte indélébile dans ma mémoire, formant une partie précieuse de ma sensibilité artistique. La mémoire collective qui imprègne notre être, a indéniablement contribué à faire émerger une sensibilité distincte dans mes écrits et mes réalisations cinématographiques.

 

Avez-vous envisagé d’intégrer votre poésie dans la création de vos films documentaires ?

H.M – Non. À mon avis, le retour le plus gratifiant que je puisse recevoir est lorsque l’un de mes films est qualifié de cinéma poétique ou de poésie cinématographique.

 

De votre premier film à votre dernier poème, vous avez constamment mis en lumière les relations complexes entre la liberté et la condition féminine, entre le passé et l’avenir, entre l’exil et la patrie. Pourquoi cette récurrence de thèmes ?

H.M – J’éprouve une profonde affection pour autrui, la liberté et la beauté, car ils enrichissent notre humanité d’une beauté à la fois intérieure, symbolique et énigmatique. Cette beauté, parfois difficile à définir ou à saisir, pourrait bien être le reflet de la justice. La liberté est comparable à une respiration essentielle qui éclaire nos vies. Elle nous permet de regarder l’autre à travers notre propre prisme, de percevoir le monde de notre propre regard.

La justice, bien qu’universelle, possède une dimension féminine, ancrée profondément dans l’histoire en tant qu’élément étroitement lié à l’amour. Cette caractéristique transcende les genres pour devenir un attribut intéressant à la femme.

J’ai vu le jour et vécu dans la splendide Syrie. Cependant, les cinquante années de dictature qui ont régné, ont étouffé la diversité des genres, opprimé la liberté et érodé l’égalité, afin de préserver un pouvoir unique et immuable. Cette dictature s’est allée aux extrémistes pour museler toute forme de liberté. C’est pourquoi, pour moi, la féminité symbolise la main de la justice, toujours tendue pour instaurer l’égalité et restaurer la liberté. Je suis fière de mon peuple qui a pris en main son histoire et qui a osé dire « non » à la dictature. La liberté a toujours été une nécessité, une urgence et jamais un luxe. Sinon, l’oxygène serait un luxe, tout comme la lune…et l’amour.

 

Quelle a été la motivation derrière votre transition vers la poésie après une carrière prolifique dans le cinéma ?

H.M – Avant d’être cinéaste, je suis d’abord une poète. J’ai entrepris des études en cinéma à Paris 8 en France, dans l’espoir de découvrir la poésie que les mots seuls ne parvenaient pas à exprimer. À mes yeux, toute forme d’art porte en elle une dimension poétique.

 

Avez-vous intentionnellement cherché à refléter une similitude entre votre approche cinématographique de la souffrance liée aux frontières et votre écriture sur ce même thème ?

H.M Oui, je demeure la même personne, utilisant ma voix pour narrer mon propre récit. Ces moyens d’expression, je les ai hérités de ma langue et de ma culture arabes, avec leur richesse et leurs vastes horizons imaginaires. Les frontières que je questionne ne se limitent pas à la vie et la mort, mais englobent notre existence, coincée entre les rives de ces deux réalités, qui parfois restreignent notre créativité et notre imagination.

Cependant, la frontière qui m’importe le plus est de nature politique. Elle incarne l’injustice, l’inhumanité, les conflits, la haine, le racisme, ainsi que toutes les souffrances endurées par l’humanité à cause des dictatures et du système libéral sauvage qui accentue la pauvreté et creuse le fossé social. Cette frontière est le résultat de la culture de barbarie et du règne de la famille Assad, qui s’est maintenue au pouvoir pendant plus de 50 ans avec le soutien des forces internationales. À mes yeux, il s’agit d’une des frontières les plus cruelles qui soit.

Pourtant, je crois que les distances ne sont pas seulement des obstacles, mais aussi des sources de désir qui nous poussent à aller à la rencontre des autres, à plonger au plus profond de nous-mêmes, et ce, grâce à la magie de la poésie.

 

Pouvez-vous nous partagez vos poèmes préférés parmi ceux qui ont été traduits de l’arabe vers le français dans vos recueils édités par Bruno Doucey, à savoir, « Les hirondelles se sont envolées avant nous » et « Prête-moi une fenêtre » ? Pourquoi ces poèmes en particulier ont-ils une signification spéciale pour vous ?

H.M – Je crois profondément que la signification de chaque poème est unique pour chaque lecteur, car elle est influencée par leurs expériences personnelles, leurs émotions et leurs perspectives uniques. Dans mes recueils, je m’efforce de créer une toile d’émotions et d’imaginaire qui permet à chaque lecteur de trouver sa propre vérité et sa propre compréhension. Ainsi, mes poèmes forment un ensemble cohérent, mais chaque lecture offre une exploration nouvelle et enrichissante, révélant des détails et des émotions qui touchent le cœur de chacun de manière unique.

 

Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a motivé à choisir Bruno Doucey, l’éditeur français, pour la publication de vos poèmes ?

H.M – En tant que poète, c’est un véritable bonheur que de voir des œuvres publiées par la maison d’édition Bruno Doucey. Cette maison d’édition, au fil du temps, ne se contente pas d’être une simple adresse publique, elle devient une adresse personnelle, un lieu où l’âme poétique peut s’exprimer en toute liberté. Ma rencontre avec mon éditeur s’est produite lors du Marché de la Poésie en 2015, puis au magnifique festival de poésie de Sète en 2016, sous la direction éclairée de Maithé Vallés-Bled.

L’une de mes poésies, extraite du recueil publié en arabe intitulé « Le papillon a dit » en 2013, a été sélectionnée pour figurer dans l’anthologie du festival de Sète. Cette anthologie a été publiée par la personne qui allait devenir, par la suite, mon éditeur attitré. En 2018, mon tout premier recueil, « Prête-moi une fenêtre », a vu le jour, suivi en 2021 par « Les hirondelles se sont envolées avant nous ». Au fil de ces années, une amitié s’est tissée entre moi et Bruno Doucey, ainsi qu’avec toute l’équipe de cette maison d’édition.

 

Pouvez-vous partager avec nous votre expérience de collaboration avec le traducteur de vos deux recueils ?

H.M – J’ai résolument choisi Antoine Jockey, un traducteur émérite, pour donner vie à mes poèmes en français. Sa réputation est solidement établie, ayant déjà brillamment traduit maints poètes arabes que j’admire profondément. Ce qui m’enthousiasme tout particulièrement dans sa démarche, c’est la façon dont il édifie le poème dans la langue de Molière. Il réalise une véritable réécriture qui préserve, voire embrasse, le rythme profond de l’original, ou du moins s’en rapproche sensiblement.

Cette expérience m’a permis de prendre pleinement conscience de l’importance cruciale de la traduction dans nos vies. Le métier de traducteur est véritablement noble, car il construit des passerelles entre les cultures et les langues, contribuant ainsi à un enrichissement mutuel inestimable. 

 

Avez-vous eu l’occasion de collaborer avec des auteurs d’autres nationalités pour co-écrire des poèmes ou des textes ?

H.M – Non.

Quels effets ou impressions aimeriez-vous susciter chez vos lecteurs grâce à votre style d’écriture ?

H.M Bien sûr, je désire ardemment que ma poésie suscite de l'amour ou qu'elle permette au lecteur de saisir pleinement la nature de la poésie. Les rencontres poétiques jouent un rôle vital dans le tissage de liens et la facilitation de la communication entre diverses cultures. Elles revêtent une importance cruciale en tant qu'initiative. Le poète les recherche pour éclaircir ses doutes, valider ou réfuter ses hypothèses, ainsi que pour confirmer ou réfuter ses vérités.

 

Pourquoi pensez-vous qu’il soit particulièrement important de vivre de manière poétique, surtout dans le contexte actuel ?

H.M – La poésie représente l’essence de la vie elle-même. Face à la violence, aux conflits et à la montée de la barbarie, la poésie persiste comme l’âme immuable de notre existence quotidienne à travers les âges. Elle incarne une force à la fois juste et douce, peut-être même la déesse intemporelle de tous les temps. 

 

En quelques mots, quelle est la signification de la Syrie pour vous ? 

H.M La Syrie, c’est mon pays plongé dans une tragédie, victime d’une trahison internationale en faveur de la dictature. C’est la terre des poètes, des maisons chaleureuses et familiales, baignée de soleil, le berceau de la culture et de la lune. C’est l’olivier, symbole de paix et d’abondance. La Syrie incarne l’union entre le soleil et la lune, le lieu où l’amour de ma mère a pris racine. Elle symbolise le courage d’un peuple désarmé et l’art de vivre dans l’adversité. 

 

Et la France ?

H.M – La France incarne une terre riche en civilisation, culture et histoire, tout en étant une terre accueillante. C’est le pays qui allie harmonieusement les lumières et les ombres, créant ainsi une palette de nuances inégalée. Pour moi, c’est le berceau du sourire et des éclats de rire de ma petite fille, une terre où la vie s’épanouit pleinement.

 

À la fin, que diriez-vous à ceux qui souhaitent se lancer dans l’écriture des textes poétiques ?

H.M – La poésie mérite de s’engager dans cette aventure et de s’épanouir au sein de ce rêve. Elle est omniprésente, à portée de tous, accessible comme contempler la lune à travers sa fenêtre. Elle évoque à la fois la douleur et la félicité, une alchimie où ces deux sentiments se mêlent harmonieusement. C’est cette magie qui insuffle le courage de dépasser les frontières, de repousser les limites, et d’explorer des horizons inconnus. 

 

© Ces propos ont été recueillis par Hanen Marouani en septembre 2023.

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Pour citer cet entretien illustré & inédit

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​Hanen Marouani, « Hala MOHAMMAD : “Avant d’être cinéaste, je suis d’abord une poète.” », Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° 14 | ÉTÉ  2023 « Les conteuses en poésie », volume 1 & Revue Orientales, « Les conteuses orientales & orientalistes », n°3, volume 1, mis en ligne le 8 septembre 2023. URL : 

http://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientales/no3/no14/hmarouani-entrevueavechalamohammad

 

 

 

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