Événements poétiques | ReConfinement | Rêveries fleuries | Jour 34
La rêverie du soir
(ÉlégieVII)
Poème choisi & transcrit pour cette revue par Dina Sahyouni
Le texte reproduit ci-dessous provient de VANNOZ, Philippine de (1778-1851), Poésies par Mme de Vannoz, née de SIVRY, Paris, Librairie de Firmin Didot Frères, imprimeurs de l'Institut, 56 Rue Jacob, 1845, pp. 183-186. Ce recueil appartient au domaine public.
Ah ! scorron preste,
E rado score tornano ancor l'ore felici.
(CLEMENTE BONDI)
Quand du soir le calme imposant
Nous invite à la rêverie,
Je vais d'un pas tranquille et lent
Suivre les bords de la prairie.
Là, du passé m'entretenant,
Je remonte pour un instant
Le fleuve agité de la vie ;
Je revois ces jours consumés
Par des désirs en vain formés,
Ou par une attente déçue ;
Ces tristes jours, dont la terreur
Frappant mon âme trop émue,
La ramène vers sa douleur.
Je te vois, ô paisible enfance !
Beau temps d'espoir et d'ignorance,
Échapper trop tôt à mes voeux :
Tel qu'un nuage lumineux
Sur l'horizon qui se colore
Paraît dans les jours orageux,
Se montre, fuit, et laisse encore
Plus d'obscurité dans les cieux.
Amitié, ma seule déesse,
Douce Amitié, dont ma jeunesse
Suivit le fantôme imposteur,
Et n'obtient pour toute faveur
Qu'une fugitive caresse ;
Et vous, chimères des Amours,
Vous qui par des plaisirs si courts
Charmez le rêve de la vie ;
De votre empire passager
Je compte chaque heure embellie
Par une promesse trahie,
Ou par un espoir mensonger.
Hélas ! quelques instants d'ivresse,
Plutôt que de félicité,
Des projets que trompe sans cesse
Le sort, de nos voeux irrité ;
Voilà ce qu'offre à ma mémoire
La plus belle part de mes jours ;
D'un être heureux voilà l'histoire !
Ah ! pour recommencer leurs cours,
Si le Dieu qui seul en dispose
M'offrait de ranimer la rose
De la jeunesse et du plaisir,
Quand ma jeunesse va s'enfuir ;
Paisible temps de mon aurore,
S'il fallait vous payer encore
Par tant de pleurs que j'ai versés,
Tant de regrets mal effacés ;
Voudrais-je, au prix de ces années
Que je comptai par des tourments,
Forcer les Parques obstinées
De filer mon second printemps ?
Quel insensé, si le voyage
Lui promet pour seul avantage
De passer quelques doux moments
Dans un frais et beau paysage,
Franchira d'immenses déserts,
Et bravera, durant l'orage,
L'Océan et ses flots amers ?
Telle est pourtant, telle est la vie :
L'Amour est le seul enchanteur
Oui, bien qu'on le sache trompeur,
Avec elle réconcilie :
Pour aimer encore une fois
Ou reviendrait, même à la peine ;
Pour aimer encor, de sa chaîne
L'esclave reprendrait le poids.
***
Pour citer ce poème
Philippine de Vannoz, « La rêverie du soir (ÉlégieVII) », poème extrait de VANNOZ, Philippine de (1778-1851), Poésies de Mme de Vannoz, née de Sivry, (1845), texte choisi & transcrit par Dina Sahyouni, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événement poétique| Reconfinement « Rêveries fleuries », mis en ligne le 2 décembre 2020. Url :
http://www.pandesmuses.fr/reveriesfleuries/PV-reveriedusoir
Mise en page par Aude Simon
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