Poème traduit suivi de la biographie de l'auteur
Promenade amnésique
Traduction du roumain : Dana Shishmanian
Poème reproduit avec l'aimable autorisation des auteurs et de leur maison d'édition
La mémoire est un palais inconnu, hanté par des fantômes –
vapeurs perdus d’une respiration grelottante –
quelqu’un respire donc dans la mémoire
et la mémoire même n’est peut-être que cette respiration
incompréhensible
matérialisée par le froid
la mélancolie était peinte sur les murs
en des couleurs transparentes,
et disparaissait continuellement dans une orgie de solitude,
l’obscurité racontait tout au sujet de l’horreur des éclipses
et les ombres n’arrêtaient pas de cueillir des syllabes
dans l’éclipse d’Œdipe
l’œil interroge, du vol des paupières, l’horizon des mirages
combien de pages se cachent dans les livres de ces mains
feuilletées jusqu’au sang
combien de lettres, dans cet arc-en-ciel
lu par des rayons altérés
les regards planaient doucement tels des messagers
descendant de l’abolition mélancolique du soleil,
le palais de la mémoire fredonnait
se fondant dans les reflets des miroirs –
l’autre s’était perdu dans les couloirs alors que Personne
avait encore un labyrinthe à atteindre,
seul s’était perdu dans sa propre solitude,
et mort déjà, il attendait sa résurrection
à l’entrée ou peut-être seulement à la sortie,
il attendait sa résurrection
ou n’attendait, éventuellement, que son non-soi
Personne arrachait à travers une fenêtre ouverte
les algues de quelques vols oubliés
et n’arrivait pas à comprendre depuis quand l’air
était devenu si océanique et lui-même, si amnésique –
les tréfonds des absences lui avaient enseigné peut-être
à plonger ses regards avec autant d’intensité hypnotique
comme dans des cavernes où l’on aurait oublié plusieurs fois
sa propre ombre
on aurait pu raconter bien d’autres souvenirs –
quoique le plus véridique de tous
demeure sans doute le silence –
si Personne n’avait compris, à peine étonné,
que pendant tout ce temps il avait déambulé uniquement
à l’intérieur de la respiration de mésonge du néant –
à savoir, sa propre respiration
Traduction du roumain : Dana Shishmanian (extrait du recueil Le sang de la ville, L’Harmattan, novembre 2016)
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Présentation du poète traduit
Historien des religions, diplômé de l’Université de Bucarest, Ara Alexandre Shishmanian a dû s’exiler en France en 1983, suite à des persécutions politiques. Il a publié des études sur l’Inde védique et la Gnose, dans des publications de spécialité en Belgique, France, Italie, Roumanie, États-Unis. Il est également l’auteur de 17 volumes de poèmes publiés en Roumanie depuis 1997.
Ara Alexandre Shishmanian (image fournie par Dana Shishmanian)
Des poèmes en traduction française et anglaise sont parus dans des revues et anthologies et sur des sites de poésie en France et États-Unis.
Recueils : Fenêtre avec esseulement (juillet 2014), Le sang de la ville (novembre 2016), dans la collection Accent tonique de l’Harmattan (traduction française par Dana Shishmanian).
Présentation en français d'Ara Alexandre Shishmanian : Dana Shishmanian
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Ara Alexandre Shishmanian, « Promenade amnésique », poème traduit du roumain et suivi d'une présentation du poète par Dana Shishmanian, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°10, mis en ligne le 5 avril 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/promenadeamnesique.html
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