N° III | ÉTÉ 2024 | Florapoétique / 1er Volet | Dossier mineur | Florilège & REVUE ORIENTALES (O) | N° 4-1 | Créations poétiques
Inclinaison :
I. Berceau & II. L’abat-jour
Crédit photo : « Sunset seascape morning ». Capture d'écran de l'image libre de droits du site Depositphotos.
I. Berceau
Je regarde par la fenêtre. Une rue passante. Il est 13h. Un moment comme un autre de cette journée interminable. Le grand bougainvillier du quartier danse avec le vent, presque malgré lui. Ses feuilles se ramollissent, jaunissent et finiront par tomber.
On sonne à la porte. Un vieux monsieur vient récupérer le berceau en bois massif. La girafe y est toujours accrochée. Elle a perdu un œil et a le cou légèrement tordu.
Mon berceau…
Je n’aime pas ce monde.
Depuis le cocon et jusqu’à l’aube à la lumière hésitante. Depuis le berceau en bois à bascule dans lequel on m’avait posée en pensant que ce dernier aurait des vertus protectrices et relaxantes. J’avais le tournis. Une sorte de vertige de naissance. Plus je pleurais, plus mes tendres mères, car je pense que j’en ai eu plusieurs, s’adonnaient à cœur joie dans l’art de la balance. Je transpirais et les draps en soie rose fleuris me collaient à la peau. La chambre sentait le talc, la rose et le lait en poudre. Une girafe multicolore accrochée au dessus du lit, pour assurer l’éveil de mes sens, me regardait. Elle louchait légèrement.
L’été on enveloppait mon berceau en bois massif d’une moustiquaire de chine. Ce bout de tissus donnait une autre allure aux visages des taties et des tontons qui se penchaient, toujours souriants, pour admirer mes gigotements. Je n’en pouvais plus. Exaspérée, j’ai appris à parler très jeune pour exprimer mon mécontentement après de longs mois de souffrance et de silence. Personne ne comprenait d’où venait mon caractère coriace contracté à la naissance. C’était un instinct de survie. Je ne me sentais pas, et ne me sens toujours pas en sécurité avec les adultes.
Je n’aime pas ce monde depuis le premier jour.
Je regarde par la fenêtre. Une rue passante. Il est 13h. Un moment comme un autre de cette journée interminable…
II. L’abat-jour
La nuit arrive lentement. La lumière est déjà allumée comme pour raviver un matin qui ne respire plus.
Le chapeau de cet abat- jour gothique, appartenant à une autre vie, est incliné.
Mille fois j'ai tenté de le redresser. Il revient à chaque fois à sa posture initiale. Il est moche. Exactement comme la lumière qu'il propage et autant que cette fin de journée.
La télé diffuse un reportage sur les tueurs en série.
Tout semble banal ici : la colère, les inclinaisons, les incertitudes...
C'est laid un abat -jour gothique avec un chapeau incliné.
© Emna Louzyr
___________
Pour citer ces poèmes inédits en prose
Emna Louzyr, « Inclinaison : I. Berceau et II. L’abat-jour », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : ÉTÉ 2024 | NO III « Florapoétique », 1er Volet & Revue Orientales, « Déesses de l'Orient », n°4, volume 1, mis en ligne le 18 juillet 2024. URL :
http://www.pandesmuses.fr/periodiques/orientalesno4/2024/noiii/el-inclinaison
Mise en page par Aude
© Tous droits réservés
Retour aux Sommaires des numéros ▼ Liens à venir