Nicolas et Câlin l’âne blanc
Il était une fois un jeune garçon qui s’appelait Nicolas. Il demeurait dans une grande villa, dans l’Oise près d’une ferme dans laquelle vivait un âne blanc appelé Câlin. Cet âne appartenait à Raphaël, le fermier, qui l’avait acheté au marché de Noël à une pauvre femme, qui avait besoin d’argent pour offrir un cadeau à sa petite-fille pour son anniversaire.
Nicolas aimait tellement les animaux qu’il demanda à ses parents la permission d’aller chez le fermier découvrir sa ferme. Ils acceptèrent volontiers et Raphaël, le fermier qui vivait seul, était heureux de faire connaissance avec Nicolas, qu’il invitait à venir à la ferme à ses temps libres.
Ainsi, un dimanche après-midi sur deux, Nicolas s’y rendait pour apprendre avec bonheur la vie des animaux. Raphaël était toujours ravi de recevoir son visiteur, qui lui tenait compagnie et écoutait attentivement ses explications. Nicolas était pour sa part, très intéressé d’apprendre à traire les vaches. On aurait dit qu’il avait su le faire depuis sa naissance.
*
À son départ, Câlin, l’âne blanc, l’aborda. Il le salua de la tête. Étrange geste pour un animal ! Raphaël le fermier observa aussi Câlin et chercha à comprendre ce que signifiait ce geste, car c’était la première fois qu’il se montrait si attentif à un jeune visiteur de la ferme.
De retour à la maison, Nicolas repensa à ce geste affectueux de Câlin, l’âne blanc, et en parla à sa maman et lui dit ensuite, qu’il aimerait bien l’avoir dans son jardin. Sa maman lui répondit :
– Sais-tu, mon chéri, qu’un âne a besoin d’un très grand espace pour vivre, on appelle ça « pâturage » ? Notre jardin ne lui conviendrait pas du tout. Quand il aurait faim, il nous tondrait bien la pelouse.
– Mais maman, un âne ne sait pas tondre : il n’a pas de bras.
– C’est vrai, dit-elle, l’air amusé. Mais je veux dire qu’il mangerait tout le gazon. Papa avec une tondeuse ne saurait pas mieux faire.
– C’est vrai maman, il a de grandes mâchoires garnies d’énormes dents. Et si nous lui donnions de la viande ?
– Mon petit, la nature n’a pas créé les animaux pour se nourrir comme des humains. Sinon, ils tomberaient malades. Donc, nous ne pouvons pas donner de la viande à un animal qui a l’habitude de manger de l’herbe, c’est-à-dire un herbivore. On n’a pas le droit de lui donner à manger ce qu’on veut pour ne pas fâcher la nature.
– Mais comment cela ?
– Sais-tu pourquoi les vaches sont devenues folles ces jours-ci ?
Non. Raconte-moi, maman.
– Parce que tout simplement, depuis toujours, elles mangeaient de l’herbe. À ce moment, elles vivaient heureuses en plein air. Quand les êtres humains ont décidé de changer leur façon de manger en leur donnant de la farine de viande, cela les a rendues folles.
– Maman, si elles pouvaient parler comme nous, cela ne leur serait peut-être pas arrivé ?
– C’est une idée. Mais les personnes qui leur donnent à manger devraient se montrer plus attentives afin de prendre mieux soin d’elles.
– Eh bien ! Elles ne respectent pas les animaux !
– Elles ne respectent pas les lois de la nature non plus.
– Les lois de la nature ? Qu’est-ce que cela veut dire, maman ?
– Ce sont des règles et des principes à respecter pour ne pas avoir des problèmes, des ennuis qui font souffrir. Par exemple, pour aller dans le jardin tu ne dois pas sauter de la fenêtre de ta chambre, car tu peux tomber et te casser un bras ou une jambe ; le mieux c’est de prendre l’escalier même si c’est le chemin le plus long. Me comprends-tu ?
– Bien sûr, maman chérie. Mais je n’aimerais pas que les vaches de Raphaël deviennent folles, sinon je ne pourrai plus les traire.
– Ne t’inquiète pas, mon enfant, Raphaël élève ses animaux en pleine nature ; il les respecte. Donc, ses vaches ne peuvent pas devenir folles.
– Ouais ! Ouais ! Super ! Comme ça, j’irai toujours traire les vaches un dimanche sur deux et je verrai avec plaisir Câlin, l’âne blanc.
*
Un dimanche comme les autres, Nicolas s’en allait à la ferme de Raphaël, cette fois-ci avec son cousin Jérôme. Câlin, l’âne blanc, broutait tranquillement de l’herbe dans l’enclos de la ferme. À peine Nicolas eut-il franchi la barrière d’entrée, l’âne interrompit son repas pour aller accueillir les deux visiteurs. Il se dirigea vers Nicolas et lécha affectueusement ses chaussures. En retour, Nicolas se mit à lui caresser sa belle robe blanche. À ce moment arriva Raphaël qui invita les deux enfants à le suivre jusque dans l’étable des vaches encore en train de faire leur sieste. Nicolas les observa avec beaucoup d’attention dans leur sommeil, puis il lança :
– « Oh ! elles ne ronflent pas comme les grandes personnes ! »
– Les vaches ne sont pas des personnes, bon sang ! renchérit Jérôme.
Peu après, Raphaël les invita à visiter le poulailler où couvait une poule et où une autre était en train de pondre un œuf en caquetant : « cot, cot, cot, cot cot, ». Plus loin, deux coqs lui répondaient en chantant de temps à autre : « coquerico-o-o-o ! ». On aurait dit une vraie chorale de basse-cour.
Ce jour-là, Raphaël avait préféré laisser les vaches tranquilles en proposant à Nicolas et Jérôme de nourrir les volailles aux grains de céréales biologiques. Et cela les enchanta. Après les avoir nourries, ils leur donnèrent à boire dans une bassine.
Là-bas, dans une mare deux canards se partageaient un ver de terre tandis que Pitou, le chiot, s’amusait avec son os en plastique. Et encore quatre paons faisaient la roue avec leurs queues. Cela plaisait tellement à Nicolas qu’il s’écriait :
« Quel bonheur de passer un moment avec ces merveilleuses bêtes ! Oh ! c’est sublime ! »
Il eut également une pensée pour Câlin qui brayait : « hi-han ! hi-han ! hi-han ! », comme pour marquer sa présence. Aussi, eut-il l’idée d’aller le voir un moment, dans son pâturage. Câlin se mit à tourner autour de Nicolas, une façon de lui dire : « Je suis très heureux que tu m’aies rejoint ! »
Ensuite, il s’allongea sur le sol et Nicolas s’assit tout près de lui, en caressant sa belle fourrure blanche. Câlin n’hésita pas à poser sa tête sur les cuisses de son ami Nicolas. Et cela ne l’effraya guère. Au bout d’un quart d’heure, Câlin s’endormit tout doucement. Mais, le sommeil fut très bref. Au réveil, il respirait tellement fort que Nicolas croyait qu’un malaise s’était emparé de l’agréable animal. Pourtant il n’en était rien.
Pendant que Nicolas lui caressait le museau, il cracha dans sa main un objet lourd, qu’il laissa tomber par terre. En le regardant de près, il se rendit compte que c’était une grosse fève en or. Il la ramassa en poussant un cri de joie ; il s’essuya les mains dans l’herbe et glissa la fève en or dans sa poche et revint vers Câlin pour lui donner un gros baiser.
Cependant, Raphaël et Jérôme ne s’étaient rendu compte de rien. Nicolas les rejoignit dans le poulailler sans rien leur dire. Puis, il se dirigea vers la lapinière pour donner à manger aux lapins des carottes, qu’ils grignotèrent avec plaisir.
À la fin de cet agréable après-midi passé à la ferme avec Raphaël et ses animaux, Nicolas et Jérôme rentrèrent chez eux.
Arrivé à la maison, Nicolas était tellement ému qu’il se mit à pleurer à chaudes larmes (mais il eut quand même le temps de cacher sa fève dans un endroit bien secret). Sa maman lui demanda s’il n’était pas satisfait de son après-midi à la ferme. Il lui répondit qu’il était chagriné de repartir en laissant Câlin, qu’il aimerait avoir plutôt avec lui à la maison. Sa maman lui fit comprendre qu’il était plutôt chanceux d’habiter à côté de la ferme et qu’il aurait l’occasion de le revoir quand il voudrait. Finalement, il pria sa mère de demander à Raphaël de lui vendre l’âne, qu’il ferait garder par son grand-père dans son écurie dans le sud de la France.
Ainsi, il pourra être sûr de l’avoir pour lui toute la vie.
Comme Nicolas ne voulait rien entendre, ses parents s’en allèrent supplier le fermier de leur revendre Câlin, même très cher. Il hésita longuement, puis, il lança :
– C’est un âne que j’ai acheté au marché de Noël. La vendeuse, une vieille dame très pauvre, m’avait dit que c’était un âne porte-bonheur. Comme je suis un peu vieux et que je n’ai pas d’enfants ni de petits-enfants, j’accepte de le donner en cadeau à Nicolas et souhaite qu’il lui porte bonheur toute sa vie.
Il se tourna vers Nicolas et lui dit :
– Mon petit, à présent, cet âne est à toi, tu le prendras quand tu voudras.
Nicolas était tellement ému et surpris qu’il sauta au cou du fermier en lui disant :
– Cher Raphaël, je ne sais comment vous remercier ; papa et maman sauront mieux le faire à ma place.
*
Peu de jours après, arrivèrent les grandes vacances, Nicolas fit chercher Câlin et l’emmena chez son grand-père, qui l’accueillit dans son écurie. Et depuis, le bonheur est entré pour toujours dans le cœur de Nicolas surnommé désormais « le bienheureux ».
Chaque été, il descendait dans le Midi chez son grand-père pour voir Câlin et en profiter à merveille. Un jour, une jolie princesse appelée Marjolaine le remarqua avec Câlin, son âne porte-bonheur, pendant qu’elle se promenait toute seule non loin du château de son père, un vieux roi très malade, à qui il ne restait plus beaucoup de temps à vivre. La princesse avait le cœur en peine parce qu’elle avait déjà perdu sa maman et, en plus, elle n’avait pas encore trouvé un amoureux. Enfant unique, elle était très gâtée ; son père était toujours prêt à satisfaire tous ses désirs, parce qu’il la voulait toujours heureuse.
Nicolas et la princesse firent connaissance et ne tardèrent pas à s’aimer. Nicolas chargea ses parents de demander la princesse Marjolaine en mariage auprès du roi. Le roi accepta et le mariage de Nicolas avec la princesse fut célébré au château en présence de Câlin, qui ne poussa même pas un seul cri. Trois jours plus tard, le roi mourut. C’était douloureux pour Nicolas et Marjolaine, mais ils s’y attendaient. Les jours passèrent et leur chagrin finit par s’estomper. Ils vécurent heureux au château avec Câlin.
Un poisson nommé Charlie
Il était une fois un pauvre petit poisson noir qui vivait dans un bocal en verre empli d’eau et tapissé de pierres de différentes couleurs qui illuminaient ses jours dans ce milieu aquatique très réduit.
Quelques centimètres de diamètre et peu de profondeur, le tour est vite fait, il faut avoir beaucoup d’imagination pour ne pas s’ennuyer dans ce bocal et avoir des idées noires à force d’y tourner en rond tous les jours du matin au soir. Pas un seul petit camarade avec qui se chamailler en lui mettant un coup de dents, un coup de queue ou de nageoire.
Que c’est triste et bête la vie d’un poisson emprisonné dans un bocal !
Charlie, la misérable petite créature était incapable d’aller chercher sa nourriture comme le font les poissons des rivières et des mers si étendues et forcément riches en nutriments. Malheureux, il n’avait pas eu la chance de découvrir la beauté des fonds marins, de connaître la joie de vagabonder et de rencontrer d’autres copains.
Ses yeux ne voyaient jamais le spectacle d’un lever et d’un coucher de soleil, il était témoin de l’unique spectacle que lui offrit le fond de son bocal garni de pierres exposées à la pâle lueur d’une ampoule au néon quand elle était allumée, bien évidemment. Dans sa vie monotone, il ne distinguait même pas les saisons. Le temps passait et il s’agita, sautilla, frétilla dans son bocal de façon répétitive jusqu’à ce qu’à ce qu’il tombât de sommeil. Rêvait-il aussi !
Sa seule chance c’était d’avoir le même prénom que le grand acteur britannique qui s’appelait Charlie Chaplin et qui a joué dans un film en noir et blanc qui s’appelle Le Kid, ou Le Gosse au Québec, qu’il a lui-même réalisé et qui a été vu sur les écrans de cinéma du monde entier. C’est un film muet comme un poisson dans un bocal. Les acteurs ne faisaient que des gestes et des mimiques.
Mais le pauvre et minuscule poisson noir n’avait connu que le maigre privilège d’avoir été offert en cadeau d’anniversaire à Chloé qui lui donnait à manger et tapait de temps en temps dans le bocal en verre pour le sortir un peu de sa grande solitude. Il frétillait en signe de contentement et de reconnaissance.
Ô le pauvre petit poisson noir ! On le retrouva sans vie dans son bocal en verre. Triste fin pour Charlie, le poisson noir !
Serait-il mort de tristesse et de solitude ? Était-il si faible qu’il n’ait pu passer l’hiver ? Il ne reste que le bocal en verre, les pierres de différentes couleurs et l’eau toute trouble, peut-être aussi troublée par la mort du poisson. Garderait-elle en mémoire les traces de l’existence de Charlie ? Paix à son âme de poisson !
© Maggy DE COSTER, Contes tirés « Histoires à écouter assis ou allongé », Éditions Unicité, 2023 et reproduits avec l'aimable l'autorisation de l'auteure et de la maison d'édition citées précédemment.