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Ce fanal obscur
Roman de Françoise Baqué Jacqueline
Chambon éd., 2014
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Visite guidée de ce qui fut
Ce fanal obscur emblématise un roman pur et dur, dont le personnage favori, Arthur Vergobret, « rescapé du temps des cendres, espère le retour du Paradis perdu ». Ce nom propre évoque celui d’un chef gaulois. Arthur le bien nommé survit derrière les remparts d’un château.
Une visite rêvée pour des non-voyants ouvre le récit telle « une source noire ». Ce magnifique récit de rêve porte en germe différents récits. Chaque élément de visite guidée du monument est incrusté non de façon savante, mais étrange, bizarre. C’est Dumas et Nerval à la fois ! La connaissance est traitée pour devenir fascinante. Ce rêve extrêmement puissant est transcrit au rythme des profondeurs, des vertiges maîtrisés. Le rire devient des « éclats de ténèbres ». Tout est dit, et pourtant la soif n’est pas étanchée.
Le rêve d’une visite guidée, comme point de départ, nous entraîne dans un roman éclairé de très belles phrases, et totalement désenchanté. Un roman qui relève de la haute littérature, et révèle le néant de notre temps. Alors que le vide se fait envoûtant, le désenchantement se concentre sur la connaissance. L’oxymore baudelairien « fanal obscur » décrit une méthode de construction cérébrale, extraordinaire, qui fait penser à celle des histoires d’Edgar Poe. Cette construction met en scène un quotidien de cendres « reflet de la pensée qui va de forme en forme sans jamais sortir d’elle-même » (p. 80). Le roman saisit les cendres, les triture avec rigueur, et maîtrise. Il exprime l’addiction à un univers clos.
Bien sûr, c’est l’écriture du « désastre ». Un désastre dans lequel Vergobret, avec son nom à la Vercingétorix, survit. Il « involue », relevant le « fanal obscur » des personnages d’un précédent roman de Françoise Baqué qui m’a aussi beaucoup touchée, Exister le moins possible. A l’heure des tragédies prévisibles dont seront victimes les peuples de la terre, cette fable du dernier vivant inquiète et fait réfléchir. Derrière les remparts, avec un guide qui garde, distribue et distille de subtiles influences.
Les teintes lunaires qui colorent cette histoire ne s’effacent pas après la lecture. Elles disent la nostalgie de l’état de bien être. Manque et plénitude ne sont plus là, mais leur intensité subsiste, leur « résilience », pour employer un terme à la mode. Le bonheur est plus qu’improbable, il a fui. Faute d’allégresse, privé de joie, Arthur Vergobret, « dernier humain » (expression clairement polysémique…), régit son existence comme un théâtre d’ombres. De là renaissent les conversations que Françoise Baqué rétablit d’une manière unique. Là s’opèrent de minuscules et passionnantes métamorphoses, de celles que La d’Hélène Cixous a transcrit dans une sensualité solaire. Elles sont là par magie, par influences, faites pour bouleverser nos certitudes. On sait que tout est perdu, et pourtant… même cette conviction est instable, pas fausse, mais angoissante, entraînée dans le processus d’involution de ce roman.
On a pu parler de « chambre d’échos » pour l’univers littéraire créé par Françoise Baqué, mais son écriture est plus intense, plus profonde. Pas de style affecté, pas de poésie facile. Des lignes sombres dessinées dans un ciel crépusculaire balayé de souffles qu’une lumière intérieure éclaire. Ces lignes se lisent d’une seule traite. On ne pense plus au « progrès » ou à la « croissance ».
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http://www.pandesmuses.fr/2015/11/ce-fanal-obscur.html |