18 juillet 2016 1 18 /07 /juillet /2016 09:55

                           

S'indigner, soutenir, lettres ouvertes, hommages

 

la baie des Anges

 

Françoise Urban-Menninger

Rédactrice de la revue LPpdm et membre de la SIEFEGP

Responsable de la rubrique Lettres & Arts

Blog officiel : L'heure du poème

                                           


 

un linceul de douleur

trempe ses larmes de sang

dans la mer azurée

 

où nos âmes endeuillées

en ce mois de juillet

n'ont pas fini de pleurer

 

dans la baie des Anges

où la fête a tourné au drame

des innocents nous ont quittés hier

 

ils ont ouvert leurs yeux

sous d'autres cieux

pour devenir nos anges de lumière


15 juillet 2016

 

***

 

Pour citer ce poème

Françoise Urban-Menninger, « la baie des Anges »Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°8 [En ligne], mis en ligne le 18 juillet 2016. Url : http://www.pandesmuses.fr/2016/07/baiedesanges.html

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Le Pan poétique des muses - dans La Lettre de la revue LPpdm
17 juillet 2016 7 17 /07 /juillet /2016 10:14

 

Poème suivi de son court-métrage

Vidéo poème

 

 

Circumabulation

 

Trihn Lo

Réalisatrices du film : Trihn Lo & Cristina Rap

 

 

 

l'os long

l'os court

les plats

l'omoplate

les irréguliers

l'épicondyle

l’épitrochlée

 

les 24 côtes

les fausses

les flottantes

les vraies

le sacrum

le coccyx

l'os iliaque

tous les os

tes os

mes assoiffées eaux

 

le carpe

le métacarpe

les phalanges

la distale

la moyenne

la proximale

toutes les phalanges

tes phalanges

mes ailes rouges d'archange

 

ta main-trace

ta main trace

presse s'empresse imprime

sur la peau rugueuse des choses

sur ta peau frileuse

ton écorce filamenteuse

d'ombre      la chromatique fêlure











 

tu sens

tu te sens

tu te sens      sentir

au-dehors      au-dedans

ici      pas là

ici      à l'espace

ici      en tes nerfs

tes muscles

ta langue respirante

tes papilles bruissantes

 

tu te sens

dans le toucher des mots

 

tu te sens      sentir

ici      dans l'absence

ici      et là

en toi      au loin

à gauche      à droite

en bas      en haut

 

tu te sens      mouvoir

de ta chair émue

même au fond

même au fond d'un plat ciel      bleuté

 

 

 

 

 

 

***

 

Titre : Circumambulation

Poème de Trihn Lo

Réalisation de Trihn Lo et Cristina Rap

Durée : 2'40 . Date : juillet 2016

© Circumambulation

***

 

Pour citer ce poème

Trihn Lo (poème), « Circumambulation », vidéo-poème réalisé par Trihn Lo & Cristina RapLe Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°8 [En ligne], mis en ligne le 17 juillet 2016. Url : http://www.pandesmuses.fr/2016/07/circumabulation.html

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Le Pan poétique des muses - dans La Lettre de la revue LPpdm
17 juillet 2016 7 17 /07 /juillet /2016 10:11

 

Court-métrage ou Vidéo poème inédit

 

disApparition

Trihn Lo

 

Réalisatrice du film :  Cristina Rap

 

 

Titre : disApparition

Poème et musique de Trihn Lo

Réalisation de Cristina Rap

Durée : 2'00. Date : juillet 2016

 

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***

 

Pour citer ce poème

Trihn Lo (poème et musique), « disApparition », vidéo-poème réalisé par Cristina RapLe Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°8 [En ligne], mis en ligne le 17 juillet 2016. Url : http://www.pandesmuses.fr/2016/07/disapparition.html

 

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Le Pan poétique des muses - dans La Lettre de la revue LPpdm
16 juillet 2016 6 16 /07 /juillet /2016 10:09


Nouvelle (3ème partie)

 

Clair de femmes

(3ème partie)

 

 

Sarah  Mostrel

 

Site officiel : www.sarahmostrel.online.fr

Page facebook officielle : www.facebook.com/sarah.mostrel

 

 

Table

 

  • Vous tu elles

 

  • Confidence

 

  • Portraits

 

  • Séance 1 : dialogue imaginaire
  • Séance 2 : énigme
  • Séance 3 : le collectionneur bourru
  • Séance 4 : l’emprise amoureuse
  • Séance 5 : la générosité affective

 

  • L’ignorance d’un monde perdu

 

***

 

Clair de femmes

 

 

 

Séance 5 : la générosité affective

 

 

Prendre le temps du regard, de la considération… À l’encontre de la froideur apparente, du silence, des demi-mots, de la cruauté.

 

 

Voudrais-tu vivre ?

Je vis…

Je veux dire, vivre normalement. Ce hors-norme constaté ou cultivé, sans forcément en être conscient depuis des années, ne voudrais-tu pas le comprendre ?

Il n’y a rien à comprendre, je suis comme ça, c’est tout.

Ce besoin d’être aimé et de te conforter dans ton pouvoir de séduction ne t’apporte rien. Tu sais pourquoi ?

Mais je suis heureux, je suis dans la joie…

Tu es dans le factice, le mensonge et l’illusion. Ne voulant pas reconnaître tes faiblesses, tu les ériges en philosophie. Les femmes peuvent mourir d’amour pour toi, tu te présentes comme victime de ta séduction. Et tu y crois. C’est une illusion d’amour.

Les mots que je dis sont vrais. Je suis vrai quand je suis avec toi.

Tu sembles entier quand tu es avec quelqu’un, c’est ça qui trompe, tu y crois. Cette ferveur et foi que tu démontres ont les allures de la pureté, celle qui m’a touchée, mais ce qui te fait défaut, c’est ton absence totale de conscience, de cœur, ou si peu.

Tu te trompes !

Tu as un charme fou et rien ne t’embarrasse sur le fait de charmer. Tu penses aux autres uniquement dans le cadre de ton intérêt. C’est comme si tu n’étais pas arrivé à une maturité affective.

Qu’est-ce que tu racontes ?

L’état de l’enfant est l’inconscience. Quand il frappe quelqu’un, il rit. Tu n’as pas conscience qu’il y a une relation à autrui, tu n’es pas capable de t’abstraire de toi-même, tout d’abord, pour te regarder toi-même, ensuite pour regarder les autres. Ta séduction diabolique et monstrueuse fait preuve d’un égocentrisme absolu, comme celle d’un enfant immature dans le corps d’un homme mature, brillant, séducteur. Ces atouts du diable qui poussent les femmes jusqu’à l’extrême, voire la mort, sont comme le résultat d’un retard affectif. Comme un petit chat destructeur, tu tortures avec délice, dans la pureté absolue de la cruauté. Tu as un manque profond de sociabilité, de générosité affective. Comme l’enfant contrarié, tu piques ta crise quand on ne te donne pas ce que tu veux. Tu fais abstraction des autres. Le monde devrait être statique, avec seulement des gens joyeux d’être avec toi. Ça s’appelle le bonheur sélectif, artificiel. C’est un piètre bonheur. C’est la plénitude du bébé repu. Le vrai bonheur va bien au-delà de ça.

Comment oses-tu ?

Tu as un comportement puéril, tu nies toute réalité et psychologie humaine. On a tous été blessés à un moment ou à un autre. Tu as décidé de vivre dans le factice. C’est une malhonnêteté intellectuelle. Tu te mens à toi-même et trouves les excuses qui justifieraient ton comportement. Tu n’es pas capable d’osmose, de te tourner vers l’autre. Tu es ambitieux, tu as des qualités, mais il y a des qualités intellectuelles et morales. L’habitude du mensonge est ancrée en toi. Quand je te dis ces vérités, tu en as même une espèce de jouissance. Quand quelqu’un souffre à cause de toi, tu en es presque heureux.

Mais je m’en sors très bien comme ça…

Oui, parce que tu as fait théorie et justification le mensonge, afin de ne pas te découvrir toi-même. Tu ne peux aller au bout de tes velléités artistiques en éludant la sensibilité. Tu t’acharnes à défendre des causes humaines pour te démontrer qu’il y a de l’humain en toi mais quand ça touche ton relationnel direct, tu n’as plus aucune humanité. Tu n’as jamais pensé à moi en tant que moi. Comme sûrement d’autres femmes, j’ai voulu être ta Pygmalion, t’ouvrir les yeux sur le monde, sur l’amour, sur la réalité, sur le don. Cette pureté que tu te dégages dans ton effort de manipulation s’est confondue avec mon désir de pureté à moi d’amour, de relation…

Il faut que tu te détaches de moi !

Ce n’est pas le problème, il faut que tu m’entendes. Tu dis m’aimer mais tu ne penses pas une seconde à moi, tu es même plutôt en colère quand je souffre à cause de toi. « Comment puis-je te faire ça à toi ? Dis-tu… Je ne t’ai pas permis ce soir de passer une bonne soirée. Tu es tant concentré sur ton intérêt personnel ! Tu ne te poses même pas la question de savoir comment je vais… Tu as une absence totale de doute sur toi-même, de compassion, de remise en question, une psychorigidité cachée sous une forme de tolérance, de timidité feinte…

Mensonge, mensonge !

Dans l’amour, il doit y avoir échange, complicité, abandon, lâcher prise. Chez toi, cela est ponctuel. Ton cynisme ne t’embarrasse pas car tu n’as pas de conscience.

Qu’est-ce que tu fais avec moi ?

J’essaie de façon ultime de sauver celui que j’aime, sans trop y croire désormais. Je ne suis pas psy ! Le principe du psy, c’est justement cette absence de lien affectif, cette neutralité qui permet à l’autre de se regarder lui-même. Tu induis autour de toi l’amour total mais toi, tu ne ressens rien.

Quand je suis avec toi, je ressens parfois…

Dans l’illusion de l’instant seulement, ça n’a aucun rapport ! Tu as besoin d’être aimé mais tu te présentes comme une victime : Tu te gausses de « Regarde comme elles souffrent pour moi ! ». Tu en tires du plaisir ! À tes yeux, ce n’est pas toi qui fais du mal aux autres et de toute façon, ça ne te touche pas. Rien ne t’embarrasse dans le fait de jouer avec les gens, tu es absent de culpabilité et feins d’ignorer les incidences que tu induis. Cette drogue dont tu as besoin que tu infliges aux autres, cette dépendance mortelle que tu crées n’aurait, selon toi, aucun rapport avec toi. Ce serait ton charme irrésistible qui, sous l’habitude du mensonge, créerait cela. Pour les femmes, dont tu as terriblement besoin, c’est un cas psychanalytique idéal. Jouer le rôle d’une mère Térésa, sauveuse de l’humanité, aimant le père, l’enfant, puisque tu incarnes les deux ! Les bébés, on les aime parce qu’ils sont charmants, capricieux, inconscients, alors on les excuse. Tu n’as pas dépassé cette maturité affective, paradoxe total avec ton aspect adulte, brillant intellectuellement, cultivé…

Je ne sens rien…

Tu es obsédé par toi-même et ne peux envisager l’interaction à autrui. Quel gâchis de vie, de compétence, quel mal fait autour de toi !

Balivernes, allez, viens !

Rien ne te touche. Tu préfères le confort du leurre. Les autres te servent à alimenter ta pathologie. Tu as une négation totale des êtres, qui ne sont qu’objets pour servir ta cause. Ils n’existent pas en tant que tels. Ainsi, tu restes dans l’illusion et tu n’es pas blessé. Le mensonge cache et te cache certaines choses, mais tu verras qu’un jour, tout s’arrêtera. Ton fonctionnement ne portera plus. C’est une question de temps. Alors peut-être tu comprendras. Là, malgré mon amour, je vais partir. Ça ne m’intéresse pas d’être une marionnette dans un jeu, un objet de ton talent manipulateur, et je sais que tu as besoin de plusieurs personnages… Je sais que ça t’est égal de me perdre. Si je souligne ta manipulation, tu vas même en être fier, flatté, parce que tu es dans un cycle infernal qui ne te fait plus rien discerner. Toutes les âmes sont liées. L’errance et ton mauvais penchant n’acceptent pas d’excuses vu le nombre de personnes qui ont tenté de t’ouvrir les yeux. Ta maladie ne semble pas pouvoir se guérir. C’est la pire des condamnations. Une seule solution pour moi, la fuite ! Non seulement tu ne feras rien mais, et je le vois sur ton visage, tu es comblé de mon attention, flatté que je t’aie psychanalysé et je sais ce que tu vas faire instantanément après que j’aie fermé définitivement cette porte, tu vas sourire, sans être le moins du monde concerné…

 

 

L’ignorance d’un monde perdu

 

 

 

Dans un moment de sa vie, lors d’un amour intense qui ne fonctionnait guère, Laurence rencontra un homme, lors d’un anniversaire. Il n’y avait là essentiellement que des couples. Après avoir salué les amis qui l’avaient invitée, elle fut priée de se servir au buffet accueillant qui ornait la table du salon. La maison offrait une verrière donnant sur un magnifique jardin se prolongeant au loin par une forêt. Elle prit place à une table autour de laquelle étaient assis trois femmes et un homme. Charmant, le quadragénaire, qui semblait être le mari d’une des dames assises près de lui, était très jovial. Ils discutèrent de tout et de rien, mais quand ils abordèrent le thème de l’écriture et qu’elle lui annonça qu’elle avait déjà publié quelques livres, son attention s’aiguisa. Il lui confia que lui aussi écrivait mais que c’était un secret, et il ne l’avait jamais révélé à personne. Sa femme se désintéressait de lui et méprisait toute forme dexpression quelle qu’elle fût. Emprisonnée dans la logistique quotidienne, c’était une bonne mère mais hélas, se plaignait-il, incapable de s’adonner à quelque sujet intellectuel.

Laurence sentit que la révélation qu’il lui fit là était une confidence intime et douloureuse. Il lui livra n’avoir jamais montré ses écrits et lui demanda si elle voulait bien lui donner un avis sur ses textes. Elle lui répondit qu’elle le ferait avec plaisir. Son épouse, qui n’entendait pas ce qui se tramait, la regardait fixement et elle fut gênée de l’attention exclusive que Tim portait à son égard au milieu de la tablée. Il ne quitta pas sa nouvelle amie de la soirée et les regards ambiants ne cessèrent d’aller dans leur direction.

Peu après cette rencontre, Tim lui envoya des textes. Laurence les trouva très riches et découvrit avec étonnement la profondeur que cette personne avait enfouie en lui. Elle lui fit quelques remarques par mail, l’encourageant à continuer, à persévérer dans son écriture. Flatté et heureux de ce retour, il l’invita à dîner quelques jours plus tard.

Tim était un bel homme, plein d’humour et de sensibilité. Son intérêt pour la jeune femme grandissant, celle-ci était embarrassée, ne pouvant et ne voulant se détacher d’un amour qui l’envahissait encore. Dans quinze jours, elle commencerait un nouveau travail. Elle aspirait à partir avec l’homme qu’elle aimait mais celui-ci ne prêtait plus guère attention à elle, vaquant à des activités auxquelles il avait du mal à la mêler. Pourtant, elle ne demandait que ça, le voir, partager rires et émotions, élaborer des projets dont elle avait une soif effrénée. Mais il la maintenait à une telle distance qu’elle était, malgré tous ses efforts, devenue une étrangère pour lui. Cette situation lui était très difficile. Elle fonctionnait à découvert, dans l’authenticité, lui se dispersait dans des chemins obscurs qu’elle peinait à saisir.

 

Cet homme avait derrière lui une histoire sordide qu’il évoquait parfois, sans jamais se retourner vraiment. Une déception de jeunesse qui, semble-t-il, avait définitivement déterminé sa voie. Plus on avance en âge, avait-elle déduit (il avait 10 ans de plus qu’elle), plus on préfère ignorer son passé, celui-ci pouvant révéler un échec. Remettre en cause un fonctionnement de quarante ans de vie, se dit-elle, pouvait aboutir à un constat de déconvenue guère avouable. Et il était nettement plus confortable pour lui de continuer à fonctionner comme il l’avait toujours fait. Entre les femmes qui le portaient sur un piédestal et celle qui le titillerait sur son fond afin d’éclaircir le chemin, le choix était vite fait, conclut-elle. Repenser un mode opératoire construit au fil des années - qui lui permettait de vivre tant bien que mal - était malvenu. Enfermé dans un processus sans recours possible, il avait créé son propre enfermement. Ses contradictions, ses peurs, sa dureté et son intransigeance n’étaient que le symptôme d’un système clos auquel tout changement perturberait un équilibre présumé.

La vie pourtant le ramenait sans cesse aux mêmes épreuves, ses conquêtes féminines étaient l’expression d’un désir jamais assouvi et immédiatement, s’éveillait en lui la peur de la nature enfermante de l’amour. Dépendance ravageuse du désir de la mère et pourtant besoin continuel de l’éprouver !

 

Le travail, l’efficacité, les heures passées dans l’étude et les livres le dotaient d’une culture sans précédent, mais étaient aussi le signe de ce repli sur soi qui ne lui accordait pas de pause et encore moins l’introspection. Car cette course intellectuelle était une fuite, un paravent pour « épater la galerie ». L’« intelligence » qui en découlait n’avait rien des qualités essentielles que sont le discernement et une forme promise de sagesse. Elle ne lui servait qu’à se mettre en valeur, gonflant un ego déjà disproportionné, sans réel fondement. Pas de générosité affective, une sensibilité qui n’apparaissait pas, une sorte de connaissance à l’état brut, sans sensations ni appel au cœur…

Malgré ces traits de caractère qu’elle avait distingués, elle avait perçu autre chose. Et elle avait la prétention de le lui montrer. Mais pourquoi lui était-elle si dévouée ?

À quoi avait-il fait écho chez elle ? Avait-elle projeté sur lui un idéal, ou était-elle, comme tant d’autres, tombée dans le panneau de sa séduction, dont peu semblaient se relever… ? Si son fond était apparemment inatteignable, la forme prenait des effets pervers, « un jeu », ainsi qu’il le définissait. Il s’était vendu que pour bien vivre, il ne fallait s’accrocher à rien ni personne et avait donné à cette théorie le nom de « liberté. » Cette peur qu’une femme le « dévore » correspondait en fait à sa propre crainte de se lier. Il créait le désir, mais n’y répondait pas, ne s’y investissait pas, comme s’il appréhendait d’être mangé, avalé par l’autre. Ne pas s’attacher pour ne pas souffrir ?

Dans un besoin éternel de reconnaissance, tout était contrôlé chez lui. Paradoxalement, il s’appliquait à créer un lien qui n’en serait pas un, comme il plongeait dans une charge de travail à outrance dont ce n’est même pas la rétribution qui l’attirait. Il cherchait plutôt à éviter de se retrouver face à lui-même. Consommer, être reconnu, étaient son obsession, ignorant que ce qu’il attendait ne viendrait pas de là mais de sa libération intérieure !

Elle avait tout essayé pour lui faire entendre des choses, qu’aurait-elle pu faire d’autre ? Elle avait saisi la source de son comportement, ayant dès le départ perçu son errance malgré une résistance très forte, et elle persévérait, parce qu’elle l’aimait ! Elle tenait à lui, elle cherchait sa liberté d’aimer. Il ne l’avait pas compris et lui en voulait d’avoir décelé ses failles. Aujourd’hui, sa démarche tournait à l’absurde. Il refusait toute analyse, lui disait son attachement mais en venait à la repousser…

 

Comment en était-elle arrivée là ? Elle n’avait, pendant trois ans, vécu que pour lui, se souciant de son bien-être, l’aimant à chaque minute, à chaque seconde, jusqu’à une totale déroute. Elle était allée au bout de ce que tout être peut endurer, elle n’avait plus rien à dire. Il ne bougeait pas d’un pouce, repartait vers d’autres projets, l’ignorant, ne s’impliquant pas, ne la reconnaissant pas, ni pour ce qu’elle était, ni pour ce qu’elle avait ouvert en lui. L’avait-elle touché quelque part ? Elle ne le savait même pas. Il cherchait son contact, mais ne s’épanchait pas. Il disait lui écrire, mais ne lui adressait pas de lettres. Il n’avait pas le temps, ironisait-il, de se poser, de regarder, de contempler, de parler ! Et elle se sentait comme un objet… ou pire, comme un Jiminy Cricket servant de morale, de conscience, qu’il n’avait pas…

Il s’était forgé un refuge, alibi infini de la vie où l’on écarte l’essentiel. Penser, sentir, ressentir, confier seraient un aveu trop pénible, trop douloureux. Le temps l’avait recouvert de labeur, le labeur avait pris la forme de la survie, l’essence était écartée ou abordée très superficiellement. Il n’assumait pas les préjudices qu’il causait aux alentours. Il avait détourné la responsabilité, la culpabilité de ce qu’il engrenait, faisant fi des conséquences. Il avait créé ce mur d’insensibilité si contradictoire d’avec son aspect chaleureux et généreux. Il savait évincer habilement toute incohérence. Son activité lui permettait d’occuper l’espace, le lieu et les pensées, emplissant le temps dont il n’avait plus réelle notion.

« Il y a des gens qui ont l’amour, d’autres qui ne l’ont pas. J’ai la chance d’être de ceux-ci », fanfaronnait-il. Ainsi s’enchaînaient visages anonymes, figures multiples, femmes éperdument amoureuses, toutes enchaînées à lui par la dépendance qu’il provoquait.

« Il y a des gens qui se jouent de l’amour, d’autres qui en meurent, pensait-elle, d’aucuns qui invitent puis se retirent, qui attirent puis écrasent, tu as ta part dans le filet dans lequel tu saisis ces donzelles, et non des moindres. Tu t’en sers à ta guise puis tu passes à la suivante. Cela te remplit-il ? Tu es si méprisant ! ». « La femme de ma vie devra être ce qu’elle est, heureuse, je ne veux rien lui apporter, juste être un petit plus, surtout, qu’elle ne me demande rien ! Je ne veux partager que joie… Me voir sera pour elle allégresse, je ne veux pas entendre parler de souffrance, même celle que je peux induire ! », se déresponsabilisait-il. « Mais tu ne peux manier les gens à ton gré ! Une liaison, c’est un échange, le bonheur de rendre heureux aussi ! », clamait-elle. L’homme niait sa responsabilité, ses aspirations, son passé, ses douleurs, ses désirs, son fondement. Il était sans cesse en quête, comme s’il était normal que les autres réparent sa vie, se vengeant quelque part de ce qu’il n’avait pu obtenir, et attribuait aux autres ce qu’ils subissaient à cause de lui, s’affranchissant de ce qu’il induisait.

Elle détestait l’image qu’il lui avait accolée. Elle ne prônait qu’amour et douceur, ne recevait que dérision et disparition. Se taire étant pour elle impossible, elle était devenue, malgré elle, une sorte de sainte à ses yeux, parce qu’elle ne le brossait pas dans le sens du poil et tentait d’émettre une vérité. Au début de leur relation, il l’avait accueillie comme sa libératrice, lui avait demandé de l’aider à changer et elle s’était jetée corps et âme dans cette entreprise. Elle était si désolée pour lui. Elle voulait qu’il se libère, elle souhaitait son bonheur, son ouverture, sa reconnaissance, mais elle ne se sentait d’aucun recours, lui continuait sa ronde infernale et elle souffrait de ce potentiel gâché et de son papillonnage incessant. Bien sûr, elle ignorait à cette époque le piège qui lui était dressé. Elle était sous emprise, mais ne le concevait pas encore. Le prédateur tirait à lui ses marionnettes et elle incarnait son pygmalion…

 

Pourquoi est-elle partie dans ces considérations… Tim… Tim lui proposa instantanément de partir avec lui une semaine en vacances. S’étant engagée dans une formation professionnelle, elle savait que pendant six mois, elle ne pourrait plus être disponible pour quelque congé... Elle était donc libre et ne le serait pas avant longtemps. Elle interrogea le père de famille : « Mais… ta femme, ton fils... ? » « Je m’arrange », avança-t-il.

En avait-elle envie ? Oui, elle aimait les voyages, elle avait besoin de se changer les idées, mais Tim, qu’elle connaissait seulement depuis deux semaines, lui proposait ce dont elle rêvait, non avec lui, mais avec son amant. Les week-ends qu’elle avait passés avec ce dernier s’étaient interrompus sans qu’elle comprenne pourquoi… Tim, dans sa spontanéité et l’amour qu’il lui portait déjà, l’invitait si gentiment, se souciait d’elle, de son bien-être, de son état…

Elle hésita cependant, elle aimait son ami et non Tim. Et elle ne voulait pas casser l’union de ce dernier... Elle lui proposa de lui donner une réponse un peu plus tard.

La semaine qui suivit, il ne cessa de la relancer, lui rendit visite, se préoccupant d’elle comme on ne l’avait jamais fait. Sans se confier à lui totalement, elle lui avait raconté un peu son histoire, son amour fou pour cet homme pour qui elle avait risqué ma vie, sans qu’il le sût, cet élan qu’elle ne pouvait s’empêcher d’avoir vers lui. Elle évoqua ses amis, ceux qui l’avaient sauvée in extremis et pour qui elle vouait une éternelle gratitude, ceux-là mêmes qui par leur présence, leur sollicitude, leur bienveillance, l’avaient tant soutenue, quand elle pleurait, criait, tomba…

Ces proches, qui furent présents en toute circonstance (même quand elle ne pouvait plus marcher dans la rue !), l’avaient supportée malgré leur désapprobation, leur colère sur son état, lui procurant amitié, amour… mais malgré tout cela, son sentiment pour celui qui lui disait parfois qu’il est beau de penser à la mort (!) était resté intact…

Alors Tim, nouvelle conquête donc, arrive, sincère, aimant, prévenant… Forcément, il l’interpelle dans ce moment où elle pointe de plus en plus les incohérences de l’Autre, qui ne fait qu’aspirer son amour sans rien donner en retour… « Les sentiments… ça n’existe pas, ça dure cinq minutes. Juste après, je n’y pense plus », s’amusait-il à lui dire, hautainement. Être rentable, efficace… « Et puis, les hommes sont lâches et égoïstes, pourquoi échapperais-je à la règle ? » Que dire après cela, qu’elle aimait ses cheveux longs et qu’elle n’était pas là pour l’encenser, qu’elle ne pouvait rentrer dans ce divertissement dont quiconque en dévie est hors circuit, que ces fatalités n’étaient qu’alibis, effronterie ? Ses sentiments si difficiles à déceler, il ne les exprimait pas directement, mais par allusion. Ne pas avouer, ne pas entretenir un lien continu, ne pas se détacher du nœud intérieur... Usant de son pouvoir, de son charme et de sa fragilité apparente pour amorcer les relations, il simulait l’inconscience, reportant sa propre problématique sur les autres, écartant tout ressenti : « La vie est un jeu… » Et même s’il n’était jamais heureux, il se disait joyeux, gai, croquant la vie. « Il fait froid, je veux ma couverture, mes livres, mon travail, le reste n’est que futilité… » Sentences, actes manqués…

 

Elle essuya ses larmes (à quoi servent donc ces bouts d’eaux qui coulent sur les joues ?), revenant à Tim. Le lendemain, elle accepta d’être du voyage, pour faire une pause ; oublier les lettres, qu’elle n’avait jamais reçues, malgré ses promesses ; oublier ce qui lui revenait sans cesse, l’empêchant de passer à autre chose, de continuer sa vie… Le drame l’avait couverte, recouverte, emprisonnée – tout son monde se focalisait désormais en cet homme, qu’elle avait entrepris de sauver ! – Elle ne cessait de l’analyser, troublée, sidérée qu’on puisse se conduire de façon aussi désinvolte, irrespectueuse. Elle en souffrait, et se souvint que des femmes en étaient mortes. Il fallait enrayer le phénomène, si ce n’est pour elle, pour elles…

 

Elle passa un agréable week-end avec Tim dans un superbe hôtel de charme en Normandie. Il était enfin heureux, lui susurra-t-il. Elle lui rappela que c’était un autre qu’elle aimait. Il opina de la tête...

À leur retour, il la rappela sans cesse, mais elle ne pouvait plus. Elle ne voulait plus. Elle ne jouait pas avec les hommes, elle ne pouvait le laisser espérer. Elle eut peur quand un soir, il débarqua chez elle, avec deux valises à la main. Il venait de téléphoner à sa femme et de lui annoncer qu’il la quittait. Elle était paniquée, ne voulait surtout pas qu’il commette un tel acte, pas pour elle. Il lui rétorqua que cela n’avait pas de rapport avec leur liaison, qu’il vivait depuis quinze ans « dans le non-sens », qu’il était enfin libéré. Il la remerciait pour son honnêteté et sa prévenance.

Laurence était désolée et profondément émue. Elle n’était pas prête, il le comprit, il savait depuis le départ, il lui sourit. Elle fut soulagée. « Je t’aime, je serai là si tu le veux » émit-il.

« Ne m’attends pas, Tim, mon cœur est pris, tu le sais ».

« Oui, je sais… »

 

Le roman est aujourd’hui terminé. Les années ont passé. Si le temps est censé porter conseil, quel conseil tirer d’une manipulation sordide ? Le prédateur qu’elle a tant aimé ne trouve plus de femmes, est atteint d’andropause, et de cataracte - qu’il ne soigne pas car il a peur de se faire opérer. Avant, les femmes s’attachaient à lui, maintenant, les proies se font rares, ne rentrent plus dans son jeu, et il ne séduit plus. Il effleure la surface et tente de sauver la face, mais elle sait qu’il est perdu. Il est trop douloureux de se réveiller après tant de temps.

« T’estimer », a-t-il conclu.

 

Toutes ses tentatives restèrent vaines. Elle fut un intermède, dans un carcan éternellement fermé. Jamais il ne l’honora, ne la considéra, ne commenta ses paradoxes. Clos dans sa prison dorée, il ne put briser le monde de la fuite et du silence. Avec Lui, elle fut loin de la célébration, elle fut dans une terre dépeuplée, sans repères, un univers nié dans lequel, la confiance bafouée, la rigueur du caractère avait pris le pouvoir sur la sensibilité reconnue. Il est impossible de secourir les morts...

 

© S. Mostrel

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Biographie

 

SARAH MOSTREL : de formation initiale ingénieur, Sarah Mostrel est écrivain, journaliste, musicienne. Recueils de poésie : Chemin de soi(e), éd. Auteurs du monde (2015) ; Tel un sceau sur ton cœur, éd. Auteurs du monde, 2012 ; Le parfum de la mandragore, éd. Atlantica-Séguier, 2009 ; La caresse de l’âme, éd. La Bartavelle, 2003 ; La rougeur des pensées, éd. La Bartavelle, 2001 ; L’absolu illusoire, éd. La Porte des Poètes, 2000. Livres d’artiste : À mesure que je t’aime, éd. Transignum, 2015 ; À cœur défendant, bilingue français/anglais, éd. Transignum, 2011. Essai : Osez dire je t’aime, éd. Grancher, 2009. Recueils de nouvelles : La dérive bleutée, éd. L'Échappée Belle, 2014 ; Révolte d’une femme libre, éd. L'Échappée Belle, 2013. CD : Ces heures où tout s’efface, texte-voix-chant de Sarah Mostrel, musique de Jean-Pierre Brouard, 2015 ; Poser le monde, texte-voix-chant de Sarah Mostrel, musique de Pierre Meige, 2011 ; Désirs pastel, texte-voix-chant de Sarah Mostrel, musique de Pierre Meige, 2010.

Distinctions

  • Médaillée de l’académie ARTS-SCIENCES-LETTRES (2015)

  • Médaille du rayonnement culturel de LA RENAISSANCE FRANÇAISE (2014)

  • Prix de poésie néoclassique ANDRE OMBREUSE, SAPF (2014)

  • Grand prix international CHARLES LE QUINTREC (Mention spéciale), SAPF (2012)

  • Primée lors du 7e concours international de Poésie La Porte des Poètes (1999)

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Pour citer ce texte

Sarah Mostrel, « Clair de femmes (3ème partie) »Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°8 [En ligne], mis en ligne le 16 juillet 2016. Url : http://www.pandesmuses.fr/2016/07/clair3.html

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Le Pan poétique des muses - dans La Lettre de la revue LPpdm

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