Encyclopédie évolutive de la poésie mineure
(ou des femmes et du genre en poésie)
Section « Les poètes par eux-mêmes »
Paul Tojean par lui-même
Rédacteur : Paul TOJEAN
À la découverte de la poésie
À l’âge de 17 ans, au cours de mes études pour devenir compositeur-typographe, je découvre véritablement Les fleurs du mal de Baudelaire. Et c’est un choc, avec L’albatros, Le vin de l’assassin, Les passantes… À la fin du mois de juillet 1980, après avoir perçu mon premier salaire1 je me précipite dans une librairie pour acquérir ce chef-d’œuvre, seulement en livre de poche, car je n’ai pas les moyens encore de m’offrir une édition de luxe. Mais je relis Baudelaire avec délice ! Ensuite, ce fut au tour de Rimbaud, Villon, Verlaine, Victor Hugo, dont Les orientales me séduisent particulièrement. Enfin, je continue ma découverte avec Apollinaire, Aragon, Eluard et dans la foulée, Soupault, Desnos, Breton, Péret, Joyce Mansour… La poésie est entrée en moi pour ne plus jamais en ressortir. Je vis et pense poésie. J’achète des livres de poésies, surtout les poètes du XXe siècle. Évidemment lire du Verlaine et enchaîner ensuite avec Breton ou Apollinaire, n’est pas toujours chose aisée ! Mais d’autres découvertes viennent conforter mes goûts poétiques avec les chanteurs, comme Ferrat, Brassens, Ferré et plus tard Reggiani. Lorsque j’entends pour la première fois Une île de Jacques Brel je suis encore étudiant et j’ai la tête dans les étoiles. Je rêve et éprouve l’irrésistible besoin de m’évader. Un jour tandis que je voyage dans un bus qui longe la côte dans la région de Palavas, je regarde inlassablement les baraques de pêcheurs et puis la mer, cette infinie bleue, qui m’aspire comme une invitation au voyage, synonyme d’évasion et de liberté. C’est alors que je chante pour moi-même ce poème de Brel que j’ai appris par cœur. Je sais déjà que la poésie transite par la chanson. Il n’y a qu’un pas à faire et je deviens bohème… Quelques années plus tard je découvre avec un pur ravissement les poèmes de Rimbaud mis en musique et interprétés par Léo Ferré.
Ce sera aussi le 33 tours avec « Les chansons d’Aragon », puis Baudelaire et Apollinaire avec La chanson du mal aimée, sans oublier le célèbre Frères humains de Villon ou encore Le bateau ivre de Rimbaud… Mais je suis surtout fasciné par les auteurs du XXe siècle. Les plus grands poètes de la modernité contemporaine sont sans conteste : Apollinaire, Larbaud, Cendrars, Morand et tous les surréalistes. Parmi les poètes de langues étrangères, je citerai : Lorca, Machado, Luis Fernandez, Nazim Hikmet, Yannis Ritsos, Octavio Paz, Adonis, Tranströmer…
Les auteurs féminins
Je suis extraordinairement séduit par les écrits d’Annie Leclerc. Le premier ouvrage que j’ai lu, en 1979, s’intitule Épousailles. J’aime beaucoup ce livre. Je découvre une écrivain qui exprime ses sentiments, ses désirs, ses craintes, ses envies. C’est un livre à la fois philosophique et poétique. Car Annie Leclerc était une professeure de philosophie. Un jour, je suis installé confortablement dans un bar, je termine la lecture de cet ouvrage, puis, je me précipite pour acheter à la maison de la presse, située juste derrière le café, Parole de femme qui vient de paraître. L’auteur qui évoque son intimité en dévoilant le corps féminin, signe un livre revendicatif et œuvre « pour le triomphe de la vie ». Cette éternelle jouissance. C’est aussi une révélation avec ce troisième livre Hommes et femmes, paru en 1986 où se mêlent réflexions philosophiques et poésies : « Femme : premier rivage où s’éveille le désir, puis mer opaque hantée de désir, île lointaine enfin, Ithaque à la douceur ultime où s’en va jusqu’à mourir le désir… ». Les récits d’Annie-Leclerc m’inspirent pour la rédaction des poèmes d’amour, concis, quelque peu surréalisants, tel mon recueil inachevé : Au grand jour.
La poésie d’Ariane Dreyfus me comble ! Notamment Une histoire passera ici parue en 1999 aux éditions Flammarion. Ce livre est la chorégraphie du monde. Et je suis cette voyageuse infatigable dans des contrées lointaines, portant un regard sur le « silence des visages » ou presque… Une très belle évasion poétique. Tout comme la fantastique nouvelliste et surréaliste, Gisèle Prassinos avec Le cavalier. Pour mes coups de cœur de la poésie contemporaine, je citerai Vénus Khoury-Ghata et bien entendu Taslima Nasreen. Et puis, il y a Benoite Groult. Son premier livre Ainsi, soit-elle m’a fasciné. La féministe et humaniste appelle les syndicats à se saisir d’une revendication urgente : l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes. Cependant, ces derniers, même après avoir été sollicités, demeurent sourds à cette récurrente injustice… D’autres noms féminins de la littérature contemporaine sont à citer : Annie Ernaux, Albertine Sarrazin, Elsa Triolet, Anaïs Nin (Journal), sans oublier la très belle impertinence de Sophie Chauveau dans « Débandade » (1982), en s’adressant aux hommes. Christine Orban avec L’attente, Camille Laurens avec Dans ces bras-là (dont j’ai consacré un poème ironique dans l’Art de déplaire). Ou encore les romans d’Emmanuèle Bernheim (Vendredi soir, Sa femme) et d’Elisabeth Quin avec La peau dure. Je soulignerai également l’excellent ouvrage de Michèle Sarde : Regard sur les Françaises, paru chez Stock en 1983. Ce livre de 650 pages évoque le chemin parcouru des femmes du Xe au XXe siècle. Une source d’enrichissement considérable.
De même que pour l'ouvrage Voix de femmes, une anthologie de poèmes et photographies du monde entier, au éditions Turquoise. Sous la direction de E. Turgut. Poèmes choisis par Lionel Ray. Un volume de 380 pages. Époustouflant ! Je citerai également : Les femmes qui écrivent vivent dangereusement de Laure Adler et Stefan Bollmann (Flammarion, 2007).
Parmi les auteurs de la littérature érotique, mes préférences se portent également vers les écrivains féminins. Ils ont pour noms : Pauline Réage (bien sûr !), Marie Grey, Françoise Rey, Anaïs Nin (Vénus Erotica), Régine Deforges, Alexandra Lapierre, G. Amoureux, Catherine M… Ces auteures, bien mieux que leurs homologues masculins, décrivent des situations érotico-romanesques sans ambages, particulièrement saisissantes.
Il y a aussi les peintres, les artistes surréalistes : Jacqueline Lamba, Dorothea Tanning, Leonor Fini, Elisa Breton, Remedios Varo, Leonora Carrington, Toyen… Des œuvres fantastiques au cœur même de la poésie…
Les voix féminines sont autant précieuses. Je pense à Franscesca Soleville, Juliette Gréco, Isabelle Mayereau (pour son Crocodile) ou encore Mannick (avec Paroles de femmes ou La chance d’être femme), Christine Sèvres, Nathalie Cardone, Anna Belen (chanteuse espagnole)…
Les origines de la rubrique dédiée à la poésie dans le journal Centre Presse
Depuis quinze ans paraît dans Centre Presse une page poésie. En effet, c’est en mars 2001 que naît l’idée de consacrer un espace poétique dans nos colonnes. Ce projet fait suite à la mise en place par la direction du journal d’une édition supplémentaire de fin de semaine (inexistante jusqu’alors) dotée d’un cahier magazine du dimanche.
Un détail est également de mise qui coïncide avec ce lancement et décide la création de cette rubrique : la publication avec mon épouse d’une plaquette d’un jeu surréaliste intitulée Questions de principe, dont un compte rendu est publié dans le quotidien. Dès le lendemain, Alain Rollat, (directeur de 2001 à 2003) me sollicite : « Je voudrais que vous assuriez chaque semaine une rubrique poésie ». Je contacte alors le groupe poésie au sein de la MJC de Rodez, afin de convenir d’une entrevue avec la direction du journal et dans la foulée je propose à cette dernière une parution littéraire hebdomadaire assurée par un historien local. C’est donc à partir de cette date que la rubrique poésie est née, alternant tous les quinze jours avec une page littérature consacrée à un écrivain. Afin de palier aux interruptions de ces rubriques au cours de la saison estivale, un communiqué est inséré dans le journal.
Dès lors, de nombreux Aveyronnais sont heureux de découvrir leurs poésies publiées pour la première fois. Au fil du temps, nos colonnes s’ouvrent à de nouveaux poètes. C’est ainsi que j’ai l’immense privilège de consacrer plusieurs parutions à Jeanine Baude, Claude Confortès ou Joël Bastard, notamment, que j’ai sollicité lors des rencontres aux Journées poésies à Rodez ; ou encore à l’occasion des deux Concours Centre Presse, organisés en 2008 et 2009, où Françoise Urban-Menninger et Sandrine Davin sont lauréates. En 2006, 2007 et 2008 Centre Presse réalise un hors-série de toutes les rubriques du Groupe Poésie Encres, parues dans l’année. Mais à partir de 2008, les membres de l’association ruthénoise cessent leurs activités suite à la dissolution du club. Désormais, je consacre chaque parution à un auteur, y compris les poètes ayant appartenu au groupe
(Extrait de l’entretien réalisé avec Françoise Urban-Menninger. Revu et corrigé.)
Ainsi, de 2003 à ce jour (octobre 2016), 135 personnes ont fait paraître leurs poésies dans le journal. Les publications se définissent comme suit : 64 poètes féminins et 71 poètes masculins. Ces chiffres ne tiennent pas compte des publications des élèves des écoles publiques de l’Aveyron, ni des membres du Groupe Poésie Encres de la MJC (majoritairement féminin), ni les pages annonçant festivals, salons… ni enfin les poésies des détenus de la maison d’arrêt de Rodez.
Par ailleurs, je prépare une anthologie poétique de tous les auteurs parus dans Centre Presse au cours des douze dernières années (de 2004 à 2016), date à partir de laquelle la rubrique hebdomadaire est consacrée à un et non à plusieurs auteurs.