26 mars 2020 4 26 /03 /mars /2020 11:06

Lettre n°14 | Être féministe | Entretiens

 

Douze questions

 

suivies de six poèmes 

 

en guise de présentation

 

 

 

Catherine Andrieu​​

Entretien réalisé par JA (Jacqueline Andrieu)

 

 

Entretien

 

JA — Catherine Andrieu, qui êtes-vous ?

 

Catherine Andrieu Je suis une femme qui écrit. Pas un poète, non, juste ça : une femme qui écrit, avec son histoire et sa chair. Bien qu’il y ait souvent une ouverture spirituelle dans mes livres, je reste et veux rester sur un registre émotionnel, parce que je pense que c’est là la note que j’ai à jouer dans l’univers, si chacun en a une. Je suis une grande contemplative, une musicienne de l’onirisme, tout m’est donné par une forme de grâce quand je me relie à plus grand que moi. Mes textes ont la réputation d’être complexes à cause d’une sorte de fantasmagorie symboliste ou néo-surréaliste, mais j’écris aussi des choses parfaitement simples et dépouillées. J’ai deux chats qui prennent beaucoup de place dans ma vie, créatures mystérieuses et inspirantes. Je suis malade psychique et c’est une réalité de mon existence indépassable... Ce que je ne suis pas ? Une personne engluée dans la matière, comme l’avait écrit l’un de mes éditeurs des éditions Rafael de Surtis, Paul Sanda.

 

JA — L’ouverture spirituelle est en effet très prégnante dans votre œuvre. Comment l’émotion est-elle pour vous une voie vers cette ouverture spirituelle ?

 

CA La spiritualité vaut pour moi à titre d’hypothèse poétique, pardon d’être si peu élevée dans ma réponse. Des femmes qui sont violées, des enfants qui crèvent en Afrique noire ou au bas de chez moi, je suis si démunie face à leur souffrance, c’est ce qui m’est inacceptable. C’est une vision naïve que j’exprime là, celle d’une enfant. Mais je n’ai jamais pu m’habituer à rien, c’est ce qui me caractérise. Où que se porte mon regard je ne vois que beauté et souffrance, parce que, pour paraphraser Kundera, le propre de l’homme est  de mettre en scène le beau jusqu’au seuil de sa propre mort. L’émotion est à ma portée, elle est humaine, la spiritualité ne l’est pas. Et que dire des témoignages de ceux qui sont « revenus » de la mort ? Pourquoi pas un gros shoot chimique dans le cerveau quelques secondes avant que la vie n’échappe complètement ? Il y a eu des recherches récemment qui allaient en ce sens : le dernier orgasme du mourant... La mort, celle dont personne n’est revenu, personne ne peut en parler en restant honnête d’un point de vue existentiel, c’est ce que je crois. Le sens, pour moi, vient du Cosmos, il a un début et aura une fin, et de l’animal dont les espèces s’éteignent. C’est le sens global de la vie qui m’inspire et m’émeut, le Bigbang, l’originaire. La mort de l’individu n’est sauvée de la pourriture que lorsque celui-ci vit au creux d’un cœur aimant. Je suis fondamentalement une tragédienne, mais une tragédienne libre d’imaginer ce que cette vie pourrait avoir de si magique. J’aime raconter des histoires dans ce théâtre où je ne suis plus seule. Je m’intéresse aux mythes et symboles car ils sont porteurs d’un Sens qui touche bien plus à la vie qu’à la mort, et qui rassemble. Et je suis « sensible aux fantômes », ce qui se traduit par un qualificatif unique en Japonais, c’est à dire que j’admets l’existence d’une grâce et d’un mystère qui échappent malgré tout et que j’ai envie de convoquer dans ce travail d’une écriture qui est avant tout imaginative. Pour répondre, donc, à votre question, l’émotion c’est l’âme, cette âme qui s’éternise au moment présent. Personnellement je n’ai accès à rien d’autre qu’à l’émotion, alors je suis à ma place.

 

JA — Vous dites que vous n’êtes plus seule. Pourquoi ? Y a t-il une « solitude poétique » ? Quels sont « les autres » que vous convoquez ? Quelle est la nature de la relation que vous entretenez avec eux ?

 

CA J’ignore ce que pourrait être une « solitude poétique », parce que je refuse d’être dans la mystification de la poésie qui pourrait être sociale et politique, changer le monde ou autres âneries que l’on entend partout. La poésie, ça ne sert à rien, c’est la définition même de la poïesis, et je n’aime pas l’art « engagé ». La poésie c’est juste un état de conscience modifié, comme l’est la méditation, qui permet d’ouvrir les portes de la perception. La solitude c’est autre chose, c’est existentiel, et ça peut d’ailleurs être un bon terreau à la création. Je crois que mon sentiment de solitude est plus essentiel, et vient de ce que ma conscience est si complexe et mes intérêts épars, que personne ne peut combler ce manque. C’est peut-être ça, la solitude.

C’est intellectuel aussi. Il y a l’Autre, il y a l’Animal, mais l’on est seul, toujours, face à la mort. Je convoque ceux qui peuvent m’entendre crier du fond d’une cave où je me terre (taire ?), car ce sont eux qui me sauvent de ma folie. Il suffit d’un seul lecteur pour être sauvé. L’art (je pratique aussi la peinture), est une échappée dont il faut revenir. L’instant où l’on crée, c’est l’instant où l’on convoque les spectres dans ce voyage à travers la folie. Mais le ticket retour est essentiel, qui inscrit l’art dans sa réalité matérielle. Sinon, c’est l’hôpital psychiatrique. Il suffit, je me répète, d’une ou deux personnes qui soient dans l’intelligence de votre expression artistique comme autant de garde-fous, et vous n’êtes plus seul. Par la suite, c’est pour ces personnes-là que vous écrivez.

 

 

JA — Il y a donc quelques « autres essentiels » dans votre vie, lecteurs de votre œuvre. Comment définiriez-vous ce lien qui vous relie à eux ? Sont-ils eux-mêmes poètes ? Sont-ils co-créateurs de votre œuvre ? Qu’est ce qui fait qu’ils entendent quelque chose de ce que vous dites ? Et pourquoi d’autres n’entendent pas votre note ou votre dire ?

 

CA — J’ai longtemps eu des lecteurs imaginaires (rires) ! Un jour un écrivain et penseur remarquable, Stéphane Sangral, qu’à présent j’affectionne, m’a fait parvenir son dernier livre accompagné d’une lettre d’admiration par le biais de ma maison d’édition. Je venais juste de publier mon second recueil, si ma mémoire est bonne. Ça a été vraiment un choc, j’étais bouleversée : l’un de mes lecteurs à présent avait un nom ; suite à ma seconde lecture publique, il a eu un visage. Pour moi, il était mon premier lecteur, au milieu d’une masse informe d’anonymes. D’ailleurs je me demande encore, à bientôt treize livres publiés, qui peut bien me lire ; je trouve que c’est un petit miracle ! Ma parole est toujours singulière et idiosyncratique, ce qui m’a beaucoup été reproché par un ami et maître philosophe, Max Latgé. Elle ne s’inscrit dans aucun universel mais, à bien y réfléchir, c’est en étant au plus intime de soi que l’on peut toucher quelques autres, car l’on est alors parfaitement authentique, enfin je crois. Vous êtes ma meilleure lectrice, vous ma sœur ! Mais vous êtes artiste vous-même, et vous êtes co-créatrice de mon œuvre, par la lecture originale et qui n’appartient qu’à votre fantaisie que vous en faites. Vous faites mentir l’adage « nul n’est prophète en son pays »... Vous êtes une femme intelligente et ouverte à l’inconscient collectif, aux symboles. Quelques familiers, dont notre mère et notre tante Marie Josèphe de Clermont-Gallerande, artiste peintre et écrivain, quelques amis, Noémie, Claudine, Laetitia, Joël, quelques poètes amis : Daniel Brochard, Éric Dubois, Étienne Ruhaud, la discrète Prisca Poiraudeau, Laurence Bouvet, Julien Boutreux et beaucoup (jamais assez) de personnes dont j’ignore en quoi mes livres trouvent un écho chez elles. Mes amis poètes ne sont pas forcément mes meilleurs lecteurs, je crois qu’ils trouvent mes textes déroutants parce que complexes souvent, pas dans « l’air du temps », lyriques, denses et délirants. Je peux me tromper. Je pense que mon travail sur l’onirisme n’est pas compris. En revanche, mes éditeurs, D’abord Jean Hourlier, directeur de la collection « Le Semainier » aux éditions du Petit Pavé, qui a été, avec le revuiste Jean-Pierre Lesieur (revue « Comme en poésie »), le premier à avoir cru en moi, puis Paul Sanda (Rafael de Surtis), artistes eux-mêmes ou écrivains, sont tombés amoureux de mon écriture. Ce furent de très belles rencontres, à la fois foudroyantes, réciproques et durables, et j’ai vraiment eu beaucoup de chance ! Je ne reprendrai pas le concept de « co-création » que je comprends assez mal finalement. Je suppose qu’il faut que l’œuvre reste assez mystérieuse pour que ses lecteurs puissent y projeter quelque chose d’eux-mêmes, ou quelque chose dans ce goût-là. Quant à savoir pourquoi beaucoup, a fortiori des poètes, restent à l’orée de mon travail, je crois que ça tient à l’imaginaire que je développe et qui nécessite d’avoir gardé un esprit d’enfance. Prisca Poiraudeau a cet esprit d’enfance, il y a une communication entre nos univers. Il y a la cruauté pourtant, et l’érotisme parfois morbide, mais l’on sait depuis Freud que l’enfant est un pervers polymorphe ! Et je pense au tableau de Dali avec un sourire.

 

JA — Vous pensez que l’artiste est un fou ? Créer serait un jeu d’aller-retour entre la folie et ce que vous nommez la réalité matérielle ?

Comment s’assurer du ticket retour depuis l’état de conscience qui vous permet de créer ? Pourriez-vous ne plus écrire ?

 

CA — Je veux aussi me garder d’une mystification de la folie, d’un discours romantique sur le fou génial, parce que c’est une erreur, la plupart des fous croupissent au fond des asiles et ont perdu la parole. Ce fut l’objet de ma correspondance, récemment publiée au Petit Pavé, avec le poète ami Daniel Brochard. En revanche, les artistes flirtent beaucoup avec la folie, je le crains, je crois même que le fou est la version « pauvre » de l’artiste, et l’artiste la version mondaine du fou. La plupart de mes amis poètes sont, comme moi, schizophrènes. Créer n’est pas un jeu, ou alors c’est un jeu où l’on risque sa vie : créer est une urgence vitale, une nécessité absolue, la tentative désespérée d’inscrire quelque chose de soi et d’une réalité fuyante dans la réalité des autres et, par là-même, à la marge d’une société qui a aussi besoin de ses artistes. Un aller-retour, oui, pour moi c’est le propre de la création, et le peintre qui jette sa peinture sur la toile le fait à la face du monde une fois la toile peinte, devenue objet, peut-être exposée, voire vendue. L’on ne peut jamais savoir si le voyage à travers la folie aboutira à une inscription dans la vie matérielle, il n’y a pas d’assurance sur la santé mentale. La parole du fou est précieuse et, si quelqu’un la recueille, elle l’empêche de sombrer. Pourrais-je ne plus écrire ? L’écriture m’accompagne depuis ma plus tendre enfance, écrire est la seule chose que je sache vraiment faire. Si cette faculté m’était retirée, je ferais du piano, ou de la peinture, je m’exprimerais quoi qu’il en soit. La Nature est intelligente, elle a ses ruses !

 

 

JA — Pourquoi dites-vous que la société a besoin de ses artistes ? Et diriez-vous qu’en contrepartie l’artiste a besoin de la société ? Quelle articulation voyez-vous entre ce qui relève de la société et ce qui relève de l’art ? Qu’est ce qu’un artiste ? Et in fine qu’est ce qui l’engendre selon vous dans la société qui est la nôtre ? 

 

CA — Il y a cette notion de pharmakos, victime expiatoire dans un rite de purification, largement utilisée dans les sociétés primitives et dans la Grèce antique. Comme dans une analyse systémique où l’on découvre que le schizophrène est porteur du « symptôme » de la famille, l’artiste est ainsi désigné comme exilé de la Cité dans un but cathartique. Mais, depuis la marge où il est relégué, il offre des miroirs subversifs à la Cité, il renvoie ce qu’il interroge et critique. Alors seulement il est réintégré à une société qui s’interroge sur elle-même. Le poète, banni de la République de Platon car trop dangereux, trouve ainsi une place à la marge, certes, mais qui l’inscrit dans une réalité sociale, un principe de réalité. L’art fait rêver, penser, s’interroger, choque parfois, j’en sais quelque chose : combien de personnes ont disparu après m’avoir lue ! J’adore l’œuvre de Garouste, quitte à retomber dans le piège du fou génial, j’ai vu ses peintures monumentales il y a une dizaine d’années à la galerie Templon, ça m’a complètement bouleversée. Sa cartographie d’un corps différent, morcelé, démembré, démultiplié, ouvre au questionnement sur l’intégrité corporelle. Garouste a sa piqûre de neuroleptiques chaque mois ! Je crois, pour être simple et concise, qu’un artiste est une personne qui propose une réalité alternative. Il est difficile de répondre à la question de savoir ce qui engendre l’artiste dans notre société, car il faudrait s’entendre sur la notion de « création », dans un monde non plus d’artistes mais de « stars ».

 

 

JA J’aimerais que vous nous parliez de votre œuvre écrite poétique : comment peut-on la qualifier ? Que diriez-vous de ses évolutions ? Vous inscrivez-vous dans un projet d’écriture ? Quelle est selon vous la place de votre œuvre dans le paysage de la poésie contemporaine ? Quel rapport entretenez-vous avec votre lecteur dans l’acte même d’écrire ?

 

CA — J’essaie de ne pas être dans l’obsession de l’artiste qui crée toujours la même œuvre, alors il m’est un peu difficile de trouver un qualificatif englobant mon travail d’écriture. Je crois néanmoins que l’on peut dire de celui-ci qu’il est un travail sur l’onirisme. C’est volontairement que je dis « travail », car pour beaucoup il est simple fantasmagorie de mon esprit dérangé, alors que je travaille depuis des années sur ce qu’est le rêve pour en comprendre le langage et en faire Œuvre. Ainsi je suis guidée par une « logique » d’abolition des principes d’identité et de contradiction. Ça n’est pas si simple, il faut que chaque personnage soit aussi un peu un autre, dans une réalité évanouissante où l’on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, comme le dit Héraclite, c’est-à-dire pas même une fois : ça supposerait une identité ! Je suis toujours un peu étonnée d’avoir si peu d’articles sur un travail si symbolique et iconogène, je crois que les commentateurs ont peur (Rires !). L’article de Didier Ayres sur « Des nouvelles du Minotaure » (éditions Rafael de Surtis), publié dans la revue en ligne d’Éric Dubois, le « Capital des mots », fait exception. Ce livre, le Minotaure, qui regroupe en fait cinq de mes textes en prose, me paraît être mon livre le plus abouti, car je m’y enfonce dans l’épaisseur du silence assourdissant d’une forêt faite de symboles, de chuchotements et de magie. Ce texte m’a laissée exsangue. J’ai besoin d’imaginaire, réalité alternative, sinon je crève, le monde m’ennuie profondément. J’aime à dire que je ne suis pas viable, alors que j’ai presque quarante-deux ans, ça traduit bien la façon dont je me sens inadaptée à la vie matérielle. En ce moment je reviens à la poésie en vers libres, comme à mes débuts aux éditions du Petit Pavé, parce que cette forme m’est moins douloureuse émotionnellement. Mais j’ai quand même besoin que ce soit fort, la rencontre un « choc », car j’ai besoin d’intensité. J’essaie de créer une « littérature d’atmosphère », héritage, mutatis mutandis, d’une enfance nourrie par Verlaine, Marguerite Duras, André Gide, Christian Bobin, Samuel Beckett, ces auteurs dont, pour la plupart, Max Latgé disait qu’ils s’adressaient aux adolescents (rires !).

Mon écriture est pure expérience esthétique, elle n’a pas de finalité, elle ne porte pas de message. Elle se nourrit de ma vie. Je crois qu’elle n’a pas d’équivalent dans une poésie que je qualifierais de « jardin Zen » , en raison du dépouillement de ces écritures contemporaines et, parfois, de leur manque de vie. C’est du moins comme ça que je le ressens, peut-être à tort. À dire vrai, je ne lis que peu mes contemporains, à part mes amis bien sûr, ce qui fait déjà pas mal : c’est surtout le cinéma qui m’inspire ! Cela explique peut-être que mon œuvre soit si picturale... Par ailleurs, à mesure que j’avance dans celle-ci, elle devient moins violente. Les lecteurs de mon premier recueil, « Poèmes de la mémoire Oraculaire », étaient fous ou le devenaient. Je n’ai rien fait pour changer ça, à part peut-être dix-sept ans de psychanalyse ; je me regarde de l’extérieur aller vers davantage d’harmonie et de sérénité, de clarté aussi, et d’autobiographie.

 

JA — Comment présenteriez-vous votre œuvre, pour inviter une personne qui ne vous connaîtrait pas à vous lire. Quels repères faut-il lui donner ?

À quelle expérience l’invitez vous ? Et quelles difficultés pourrait-elle rencontrer, à vous lire ? Qu’est ce qui fait obstacle à votre poésie ?

 

CA — Je dirais avant tout que c’est une œuvre profondément ésotérique, c’est-à-dire confidentielle, car exigeante, bien qu’elle évolue peu à peu vers plus de clarté. C’est un happy few assumé. Elle présuppose que l’on connaisse l’histoire de la poésie, du symbolisme d’un Baudelaire jusqu’au néo surréalisme, puis qu’on l’ait oubliée. Elle est, en outre, porteuse d’une certaine morbidité, mais aussi d’une forme de grâce. Les éléments, comme l’eau, la mer où j’ai grandi, ou la forêt, sont toujours en toile de fond. C’est une poésie fantasmagorique et picturale. Rien n’y est rationnel. La réalité échappe, comme dans un rêve. L’Animal, mythologique ou réel, du minotaure au chat (cf. « Seuls les oiseaux sont libres », Petit Pavé, 2016), y occupe une grande place. C’est un travail de « rencontre » avec le lecteur au sens spinoziste du terme, c’est à dire de « choc ». Parfois violente et parfois tendre, mon œuvre est profondément iconoclaste et, si elle convoque Dieu, c’est pour mieux le provoquer. La colère gronde. Je suis un peu chamane aussi, et je crois aux forces de la nature et à la magie. J’essaie de créer une « atmosphère », quelque chose d’oppressant. Pour écrire « J’avais bien dit Van Gogh » et « Très au-delà de l’irréel » (publiés tous deux aux éditions Rafael de Surtis), j’ai même travaillé avec des lampes de couleurs : lumière verte pour la forêt, bleue pour la mer. C’est, pour moi, chaque fois, une immersion. Je ne suis pas sûre que cette description puisse « inviter » qui que ce soit à me lire (rires). Je crois que pour entrer dans mon univers, il faut accepter de ne pas comprendre intellectuellement le propos et laisser son inconscient divaguer d’image en image. Ma poésie est un voyage dans l’épaisseur de l’inconscient. C’est, pour moi, plus un travail d’artiste que d’écrivain, c’est peut-être ça l’obstacle, et ce qui me distingue de mes amis.

 

 

JA — Vous avez évoqué plusieurs fois une œuvre peinte. Est-elle en lien avec cette œuvre écrite ?

 

CA — J’ai écrit de ma plus tendre enfance à l’âge de dix-huit ans. Puis j’ai fait de longues études de philosophie qui ont « formaté » mon écriture en quelque sorte, l’ont rendue plus intellectuelle ; et j’y ai perdu ma fraicheur et ma spontanéité. J’allais mal, j’avais besoin d’un retour à la terre, d’expérimentations sensorielles, d’un renouveau. Alors j’ai jeté des couleurs sur du papier comme en un cri, et me suis mise à peindre, nuit et jour. Par la grâce de l’innocence, j’ai fait dès le début un autoportrait qui est l’un de mes  plus réussis. Je ne crois pas que je saurais le refaire d’ailleurs (rires). Je n’étais pas inculte en art, mais je n’étais pas impressionnée par son Histoire, naïveté qu’un étudiant en arts plastiques ne peut plus avoir et qui fut, pour moi, un atout. La conscience que je manquais de technique de dessin est venue bien plus tard. Mon point fort était l’expressivité (mes peintres préférés sont Van Gogh et Munch), l’émotion (encore !), j’avais une douleur à transmettre. Et mes tableaux étaient créatifs. Symbolistes au début (l’un de mes tableaux s’intitulait « Lithium anthropophage ou le meurtre d’Ophélie », et il fallait y voir le Lion-Lithium dévorer la partie Ophélienne de chacun, c’est-à-dire sa folie !), ils sont devenus expressionnistes, je les peignais à toute vitesse avec les doigts, des chiffons, des couteaux. Il y avait deux constantes : j’auréolais mes personnages, les nimbais d’une clarté qui signifiait la grâce, et, en même temps j’y ajoutais des tourbillons, figure de mon enfance que je vous ai volée mais qui, pour vous, représentait l’Energie, alors que je m’en sers pour signifier la folie.

Je crois que mon œuvre écrite est entièrement faite de ça... J’étais un peu plasticienne aussi, je faisais des dessins numériques sur photo, une série érotique qui flirtait avec la pornographie et plaisait beaucoup aux galeristes en raison de son apparence ultra contemporaine, et qui a été maintes fois exposée. Pendant cinq longues années je n’ai pas écrit, mais quelque chose était en train de me traverser. Je me suis remise à l’écriture. De la poésie. J’avais des fulgurances, c’était extraordinairement fort et voluptueux. À présent j’écrivais de la façon dont j’avais peint : sensoriellement, médiumniquement. Peu à peu, je suis revenue à l’écriture comme on rentre à la maison.

 

 

JA — Je voudrais revenir à la question de l’émotion dans votre œuvre : vous nous avez dit que vous avez une note à jouer en relation avec l’émotion. Est-ce à dire que vous projetez l’émotion comme une donnée incontournable ? Une forme de mission à accomplir dans le monde ? Pensez-vous qu’on ne sort jamais de son passé ou de son histoire ?

 

CA — Il y a un présupposé dans votre question : l’émotion serait ce qui nous retient à notre passé, notre « histoire personnelle » comme vous dites ; je refuse ce présupposé. L’émotion est une entité psychophysiologique complexe. Charles Darwin, déjà, la définit comme cette faculté d’adaptation et de survie de l’organisme vivant. Il la voit comme innée, universelle et communicative. D’un point de vue comportemental, l’émotion est un « motivateur », ce qui nous é-meut nous met en mouvement, en réponse à un stimulus interne ou externe. Je ne nie pas qu’il puisse y avoir comme une « encapsulation » cellulaire de nos émotions passées, à laquelle notre présent nous renvoie douloureusement ou avec délice. L’inconscient a l’âge de sa blessure ! Mais je crois avant tout que le vivant, c’est l’ému. Pourquoi mes chats sont-ils jaloux lorsque je vous réponds ? Pourquoi se couchent-ils sur l’ordinateur ? Certainement pas à cause d’une histoire mal réglée (rires !) ?!! Je prendrai l’exemple de l’acteur, dont on peut penser que les émotions sont feintes. J’ai moi-même fait du théâtre lorsque j’étais adolescente, à raison de dix heures par semaine. Mes modèles, c’était l’Actors Studio, Marylin Monroe. Ça me détruisait complètement, car je puisais loin dans ma propre histoire pour y retrouver l’émotion juste. J’étais écorchée, je devenais folle. J’étais jour et nuit dans la tragédie. Un jour un comédien m’a enseigné le plus précieux : les émotions ne sont pas qu’à l’intérieur de  nous, elles nous entourent, elles sont énergie. Je l’ai ressenti très fort quand j’ai passé des vacances à Paris pour la première fois. À l’époque, j’habitais Aix-en-Provence, et j’étais en mal d’inspiration, alors que je me savais artiste depuis l’âge de six ans. Il y avait cette énergie extraordinaire dans ce lieu d’histoire et de culture. Deux années plus tard j’y emménageais et me mettais à la peinture. Il n’y a aucune mission de rien et je ne suis investie de rien, pour répondre à votre question. Mais oui, je crois que l’émotion c’est la vie, et je veux à la fois capturer et créer cette énergie du vivant. Quant à savoir si l’on peut sortir de sa petite histoire personnelle, oui, je le pense, et vider l’émotion passée aussi, mais c’est un vaste sujet qui intéresse plutôt les psychanalystes (rires) !

 

 

JA — Est-ce plus facile pour vous de décrire votre peinture que votre travail d’écriture ? Pourquoi ? Pourriez-vous dire que vous jetez les mots sur la page comme vous jetez la peinture sur une toile ?

 

CA — La peinture, tout le monde croit y avoir un accès direct, et je n’échappe pas à la règle. On oublie juste que la peinture ne fait référence qu’à la peinture, il faut de la culture pour ça ! Mais l’écriture impressionne. Quand on ne comprend pas un texte, l’on ne peut que s’en rendre compte. L’écriture, pour moi, c’est la liberté absolue, l’horizon sans limite, la contemplation des ciels de mon enfance au bord de la mer, à Collioure. Je courais pieds nus sur les rochers où, parfois, j’écrivais. Mon écriture part de là, et elle n’a aucune limite, elle est ma maison-bateau pour l’éternité. Quand l’écriture arrive, c’est toujours un peu mystérieux, il y a des fulgurances, la poésie permet ça. Je crois qu’au moment où j’écris, l’œuvre est déjà toute entière en mon esprit. L’écriture, ce sont mes profondeurs, ma liberté et ma douleur, je n’ai pas envie de faire de commentaires de textes, l’œuvre est miroir et silence, elle ne m’appartient plus. Et j’entends encore Deleuze dire que ce n’est pas à Spinoza d’expliquer Spinoza...

 

 

JA — Pensez-vous qu’un artiste soit contraint à créer « une légende personnelle »  pour être pris au sérieux ? Quelle est la vôtre ?

 

CA — Je ne crois pas que ce soit nécessaire mais c’est généralement le cas, oui. Du point de vue de mon expérience, c’est très vrai dans les arts visuels contemporains : les artistes sont des mystificateurs. Quant à moi, immodestement, je crois être passée par tous les scenarii possibles, de l’artiste maudite à la folle géniale ! C’est très aidant d’avoir une légende personnelle, ça accompagne gestes, paroles et déplacements. Pour ce qui me concerne, la psychanalyse a tout déconstruit : je ne suis rien, et c’est bien comme ça. Je ne suis rien, juste une femme qui écrit… 

 

Poèmes

 

Ça n’était pas l’été de Haydn

Mais c’était le nôtre.

Il y avait la balancelle 

Au fond du jardin ombragé

Nous avions quoi ? Sept, huit ans ?

Je me sentais tellement libre

Il y avait la mare aux poissons

Quand tu t’es penchée quelque chose m’échappe

Quand tu t’es penchée

Pourquoi t’avoir poussée à ce moment précis ?

Un impromptu de Chopin

Puis vite, se fabriquer des larmes.

 

*

 

à A.T

 

Tu es admirable, toi l’universitaire,

Tu portes haut ta pipe éteinte dans les dîners mondains

Au Consulat d’Espagne où je passe pour ton assistante,

Ce qui ne trompe personne : j’ai le pied cambré de la danseuse étoile.

Ta parole ciselée est un ravissement comme le chant des oiseaux. 

Chaque fois que tu parles je jouis. Oui, tu es admirable. 

Mais tu n’as pas de cœur.

Je me sens si fragile entre tes mains d’argile 

Tu m’as façonnée et chaque jour tu me détruis un peu plus 

Au prétexte que je mens. Mais je ne mens jamais, c’est ma tête 

Qui est percée et laisse s’engouffrer la pluie, le vent, la vie.

J’ai connu l’idiot et le fou échappé d’un tableau de Van Gogh

La marguerite au bec comme d’autres le clope

Son amour et sa bonté sont infiniment supérieurs

À ton génie.

 

*

 

Je voudrais me blottir contre toi

Tous deux enveloppés dans ton pyjama bleu

Tu me ferais penser encore aux nuits magiques

Quand ma grand-mère dormait avec moi

Au bruit des vagues se fracassant contre les vitres

Y ajoutant ton ronflement puis le mien

Ça me rendait amoureuse.

Tu es devenu doux et je ne veux plus 

Jamais te rendre jaloux, parce que de la tendresse

Il y en avait beaucoup aussi.

Quand je te regarde aujourd’hui tu me plais

Mais tu as plus de trente ans de plus que moi

Mignonne allons voir si la rose j’ai vingt-six ans

Mon vieux Corneille et je t’emmerde en attendant

Chantait Brassens dans cette langue qui n’est pas celle de ta mère

Et que tu maîtrises avec un tel génie ce qui te rend si désirable

À mes oreilles s’il est vrai que mon corps n’appartient à personne

Je te le retire, jouissances fulgurantes et mécaniques

Tu m’émeus infiniment et je t’aime à jamais

Cela sonne comme un very bad end.


*

 

Les mots d’amour tu les as bus à ma bouche, rien n’est impossible, même seize ans trop tard. J’ai vu le vieil homme que tu es devenu, il y a quelque chose qui me fait mal mais quoi ?.. Tu es doux à mes cils... Ta chevelure est blanche, poudrée putréfaction ignominie du Temps qui dévore ses enfants... Comme toi je décline, j’ai quarante-et-un ans, j’ai dit au revoir à la jeune femme qui si fort doutait d’elle-même et pourtant... Trente-quatre ans d’écart et je couche avec ton squelette... Ne vois-tu pas comme c’est dérisoire ?!! Je n’irai pas à ton enterrement de fossile faux cils éblouis d’une lune trop claire. Je ne boirai pas ton sang... Désormais et depuis onze ans, je m’abreuve à la lumière de l’être le plus pur et le plus idéal, mon vieux chat Paname, qui partira avant toi encore... Tu me parles Éros, je réponds Agapé... Ses yeux jaunes sont ceux de l’homme crucifié réincarné, de sa viande abjecte boucherie et ces yeux sont ceux de mon seul amour terrestre. Pourquoi toi et ta cartographie érotique et le corps encore et encore dans le tombeau encore ?.. Quand Paname plonge son regard dans le mien, je sais qu’aucun autre amour, fût-il charnel, n’est réel, car j’y vois tout l’Univers.

*

 

À ceux qui pleurent ma beauté perdue

Celle de la nymphette qui jouait Eurydice

Ou Ondine, perdue dans l’espace de ses théâtres

Bon Dieu, j’avais quinze ans à peine

Comparée à celle qui fut moi mais qui est morte

À ceux qui pleurent ma beauté perdue je dis

Soulevez mon cadavre enveloppé dans ses voiles

Somptuaires et mes cheveux en cascade abandonnée

Déchirez-vous, démembrez-moi, que je sois nourriture

Que je sois celle qui est morte, l’autre moi faite pour les rapaces

Tournoyant au ciel et quelle muse pour les faux poètes

J’ai quarante années passées de folie et quelques-unes de création

Regardez-moi donc avec vos oreilles !


 

*

à N.H

 

Ce Révolutionary de Chopin par Nikita Magaloff

Je te l’offre, pour toutes les fois où tu n’as pas exigé

De moi que je sorte de mes entrailles, mon univers

Où je me calfeutre bien à l’abri avec mes petits chats.

Parce que tu n’as jamais rien attendu de moi et m’as

Tout donné avec un cœur gros comme Paname

Parce que tu vouvoies mes chats et qu’ils tiennent 

Tellement à toi, c’est drôle tu vois,

Pour ce sourire que je viens d’esquisser en pensant à toi

Pour ta grâce subtile et ta délicatesse, pour ton écoute,

Parce que mes amis jadis étaient amoureux 

Puis m’ont abandonnée dans mes révolutions

Parce que j’ai peint mes vitres en noir

Parce que je suis si malade et toi tellement là.

 

***

 

​​​​​​Pour citer ces entretien et poèmes

 

Catherine Andrieu« Douze questions suivies de six poèmes en guise de présentation », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°14|Être féministe, mis en ligne le 26 mars 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/lettreno14/catherineandrieu

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans La Lettre de la revue LPpdm
24 mars 2020 2 24 /03 /mars /2020 16:05

Lettre n°14 |Megalesia 2020 | Chroniques de la pandémie de COVID-19 | Faits divers & catastrophes | Poésie de circonstance

 

 

 

Le Pari(s)

 

 

du COVID19

 

 

 

Maggy de Coster

Site personnel

Le Manoir Des Poètes

 

 

 

Nous sommes le lundi 16 mars 2020 et Paris a l’aspect d’une ville morte. « Une première en temps de paix », martèlent les journalistes à la télé. 

 

© Crédit photo : Maggy de Coster, "Le Pari(s) du COVID19, n°1", 16 mars 2020.

 

 

Les bus circulent à vide dans la Capitale sauf sur la ligne du RER B où les wagons sont presque pleins avec des voyageurs debout dans les couloirs.

 

Au jardin du Luxembourg on distingue quelques coureurs faisant leur jogging habituel ainsi qu’une poignée d’aventuriers qu’on pouvait compter aisément, qui s’y promènent seuls pour les touristes sans doute atterrés par le Paris désert et pour les autres avec leurs chiens en laisse. 

 

© Crédit photo : Maggy de Coster, "Le Pari(s) du COVID19, n°2", 16 mars 2020.

                  

En face Au Rostand, les portes sont closes et la transparence des baies vitrées indique le vide absolu qui règne à l’intérieur. 

 

© Crédit photo : Maggy de Coster, "Le Pari(s) du COVID19, n°3", 16 mars 2020.

 

Au Monoprix, Boulevard Saint-Michel, une file d’attente de dix mètres s’observe de loin. Un homme sort du magasin, les bras chargés de plusieurs sachets remplis de paquets de papier toilette.

 

© Crédit photo : Maggy de Coster, "Le Pari(s) du COVID19, n°4", 16 mars 2020.

 

Sur le Boulevard Saint-Germain, les salles de cinéma sont fermées, du jamais vu. 

                       

© Crédit photo : Maggy de Coster, "Le Pari(s) du COVID19, n°5", 16 mars 2020.

 

Les cafés, les bars et restaurants sont clos et les chaises empilées sur les terrasses ou à l’intérieur. Les magasins et les bureaux sont fermés sauf les pharmacies, les commerces alimentaires, les kiosques à journaux et les bureaux de tabac.

 

 

© Crédit photo : Maggy de Coster, "Le Pari(s) du COVID19, n°6", 16 mars 2020.

 

Au Père tranquille c’est le calme plat. 

 

 

© Crédit photo : Maggy de Coster, "Le Pari(s) du COVID19, n°7", 16 mars 2020.

 

Faisant face au Père Tranquille, le Père Fouettard mais là, pas un chat à fouetter. 

 

© Crédit photo : Maggy de Coster, "Le Pari(s) du COVID19, n°8", 16 mars 2020.

 

À la station Odéon, il n’y a presque pas âme qui vive ! Pourtant le Covid-19 continue de vivre en sévissant.  Sur chaque quai, une personne attend en solitaire l’arrivée du métro.

 

 

© Crédit photo : Maggy de Coster, "Le Pari(s) du COVID19, n°9", 16 mars 2020.

 

© Crédit photo : Maggy de Coster, "Le Pari(s) du COVID19, n°10", 16 mars 2020.

 

Au quartier des Halles, quartier souvent très animé, demeure un calme olympien. Idem dans le Forum : les magasins sont fermés sauf la pharmacie, on pouvait même y entendre une mouche voler. 

 

© Crédits photos : Maggy de Coster, "Le Pari(s) du COVID19, n°11 et n°12", 16 mars 2020.

 

© Crédit photo : Maggy de Coster, "Le Pari(s) du COVID19, n°13", 16 mars 2020.

© Crédit photo : Maggy de Coster, "Le Pari(s) du COVID19, n°14", 16 mars 2020.

 

La vacuité est manifeste à l’intérieur de la station Châtelet-Les Halles où il y a toujours pléthore de voyageurs.   

Les bureaux de Poste sont fermés sauf celui de la rue Etienne Marcel où une file d’attente dépasse jusque sur le trottoir, avec une distance physique d’un mètre réglementaire entre chaque client.

***

 

Pour citer ces texte & photographies

​​​​​Maggy de Coster, « Le Pari(s) du COVID19 », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020|V- Chroniques de la pandémie de COVID-19, mis en ligne le 24 mars 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/lepari

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Megalesia Maggy De Coster
22 mars 2020 7 22 /03 /mars /2020 17:19

Megalesia 2020 | Chroniques de la pandémie de COVID-19 | Faits divers & Catastrophes | Poésie de circonstance

 

 

 

Confinitude

 

 

 

Maggy de Coster

Site personnel

Le Manoir Des Poètes

 

 

 

La nuit lugubre embrasse les nuages de désespoir   

qui dansent dans le ciel de ces pauvres êtres 

fauchés par un cortège viral 

Pas besoin d’être un as 

pour savoir où piquer

pour porter le mal à son paroxysme

comme la piqûre  létale de l’aspic


 

Le coronavirus est l’as de pique fort

qui fait fléchir les joueurs impuissants

et tomber les mal armés

Point de pare-feu pour évincer  l’hécatombe

sauf renvoie à la case confinitude 

quand ce ne sont pas les cases tombales 

qui s’offrent à la réception des milliers

de corps délaissés par la vie

 

MDC

22-03-2020 

 

***

 

Pour citer ce poème

​​​​​Maggy de Coster, « Confinitude », poème inédit, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020|V- Chroniques de la pandémie de COVID-19, mis en ligne le 22 mars 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/confinitude

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Megalesia
19 mars 2020 4 19 /03 /mars /2020 15:37

Lettre n°14 | Être féministe | Faits divers & catastrophes | Megalesia 2020 | Chroniques de la pandémie de COVID-19 

 

 

​Quelles mains invisibles

injectent la peste

et contaminent

les mouches ? 

 

 

 

Mustapha Saha

 

Sociologue, poète, artiste peintre*

 

 

© Crédit photo : Mustapha Saha, "Abert Camus", Portrait, peinture sur toile, dimensions (100 x 81cm), photographe : Élisabeth Saha

 

 

 

Les vivants d’aujourd’hui pourront témoigner, sans être pris pour des fous, qu’ils ont vécu la fin du monde. L’apocalypse se réalise à l’échelle planétaire. Aucune fraction de l’humanité n’échappe au cataclysme. Les pays s’enclosent. Les frontières se ferment. Les avions s’abandonnent sur les tarmacs. Les  navires se déroutent. Les peuples se terrent. Les sociétés s’immobilisent. Les économies se paralysent. La culture s’ankylose. Les théâtres, les opéras, les cinémas, les music-halls se cadenassent. Les musées, les sites archéologiques se virtualisent. Les individus s’encagent devant leur ordinateur, sans d’autre ouverture que leur lucarne à cristaux liquides. 

 

Le président, d’un ton martial, déclare la guerre au virus, et par-delà, aux velléités de résistance des réfractaires, des frondeurs, des regimbeurs, des irresponsables, des inconscients qui, faute de cafés ouverts, s’agglomèrent dans les parcs publics et les berges de la Seine. L’anaphore « Nous sommes en guerre » se martèle comme un coup de clairon.  « Une guerre sanitaire ». Paradoxe des paradoxes, une guerre thérapeutique. La rhétorique jupitérienne, à force de justifier l’audace des oukases, finit par se trahir : « Jamais la France n’avait eu à prendre de telles décisions par temps de paix ». « La situation est grave, mais qu’est-ce que cela prouve ? Cela prouve qu’il faut des mesures encore plus exceptionnelles » (Albert Camus, La Peste, éditions Gallimard, 1947). La théorie microbienne des maladies impose la viralisation mentale, la moléculisation sociétale, l’atomisation totale. « L’ennemi est là, invisible, insaisissable ». La personnalisation du poison amplifie l’angoisse. « Les regroupements familiaux ou amicaux ne sont plus permis ». Les boucs émissaires sont les autres, tous les autres, condamnés préventivement pour leur proximité physique. S’invente le délit de contact. Il est désormais interdit de se tenir la main sous peine d’une forte amende. Les agents sanctionnateurs traquent  sans merci les accolades, les embrassades et les promiscuités coupables. Cent mille policiers et gendarmes sont mobilisés pour effectuer les contrôles et aligner les contraventions. Se joue, à vrai dire, une répétition générale d’incarcération globale de la population.

 

L’idéologie sécuritaire s’infiltre dans l’intime sous prétexte hygiénique. Les gestes-barrières formatent les comportements et les agissements. S’entretient la phobie collective à force de dramatisations graduellement intensifiées. Se distillent les mots-clés anxiogènes. Les contraintes s’ajoutent aux contraintes jusqu’à privation de la liberté de circulation. La disciplinarisation des citoyens ne souffre aucune contestation. Se dissimule sous discours d’urgence des modalités de conditionnement de la population, d’habituation au consentement, de domestication des consciences. « Nos concitoyens se sont mis au pas. Ils se sont adaptés, comme on dit, parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Ils ont encore, naturellement, l’attitude du malheur et de la souffrance, mais ils n’en ressentent plus la pointe. C’est cela le malheur. L’habitude du désespoir est pire que le désespoir lui-même » (Albert Camus, La Peste). Le président : « À mesure que les jours suivront les jours, que les problèmes succéderont aux problèmes, il faudra, en lien avec les éclairages donnés par les scientifiques,  nous adapter ». « Vous avez cru que tout pouvait se mettre en chiffres et en formules. Mais, dans votre belle nomenclature, vous avez oublié la rose sauvage, les signes du ciel, les visages d’été, la grande voix de la mer, les instants du déchirement et la colère des hommes… Le désespoir est un bâillon. C’est le tonnerre de l’espoir, la fulguration du bonheur qui déchirent le silence de cette ville assiégée… Détruisez vos certificats, crevez les vitres des bureaux, quittez les files de la peur, criez la liberté aux quatre coins du ciel… Jetons tous ces bâillons. Sur la terre sèche, dans les crevasses de la chaleur, voici la première pluie. Voici l’automne où tout reverdit, le vent frais de la mer » (Albert Camus, LÉtat de siège).

Dans sa retraite montpelliéraine, mon ami Edgar Morin allume chaque soir sa lanterne philosophique, lance de temps en temps une flèche éclairante dans la confusion twitterienne. J’assemble, combine et recombine ses aphorismes sur le coronavirus.  « La prévisible imprévisibilité est arrivée. Le petit virus a déclenché sur la planète des interactions et des rétroactions innombrables. Le coronavirus a non seulement éclairé crûment l’interdépendance et la communauté de destin des peuples du monde, il la perturbe en y introduisant de nouveaux conflits. Plus je lis des informations sur le virus, sur les stratégies de lutte, sur le confinement et ses conséquences à terme, et plus je suis dans l’incertitude. Alors, il faut supporter toniquement l’incertitude. L’incertitude contient en elle le danger et l’espérance. Les confinements prolongés, les transports bloqués, les frontières fermées dans un monde interdépendant auront des effets énormes. On en arrive à l’état de siège total contre les milliards d’invisibles passe-frontières et passe-murailles. Faut-il plonger dans plus de chaos pour pouvoir en sortir ? Le Corée du Sud, où le taux de mortalité est le plus faible, a endigué l’épidémie sans confinement ni mesures coercitives. Une autre voie a été choisie : l’hygiène, la détection systématique des malades, l’information et les soins individualisés. La vie est une chose fabuleuse, étonnante, incroyable, créatrice, que l’on trivialise et banalise en la réduisant à des jeux de molécules » (Edgar Morin, mars 2020)

 

L’interdiction des rassemblements signifie aussi la prohibition des activités collectives, la proscription des manifestations protestatives, la répression des volontés rétives. L’inconscient collectif ingère les nouvelles lexies frustratives, le confinement, pour ne pas dire cloisonnement, enfermement, la distanciation sociale, pour ne pas dire éloignement, séparation, les gestes-barrières…. "Ce que nous devons faire en ce moment, c’est tout simplement éviter au maximum de se rassembler, limiter les réunions amicales et familiales, n’utiliser les transports en commun que pour aller au travail et seulement si la présence physique au travail est indispensable, ne sortir de chez soi que pour faire ses courses essentielles ». « Impatients de notre présent, ennemis de notre passé, privés d'avenir, nous ressemblons bien  à ceux que la justice ou la haine humaines font vivre derrière des barreaux » (Albert Camus, La Peste).

 

L’épreuve incontrôlable, ingérable, devient une aubaine pour reprendre les cartes en main, renverser le jeu politique, faire renaître le phénix de ses cendres. La nécessité occulte l’austérité. Le golem rothschildien se rooseveltise. L’intrépide néolibéral se métamorphose en samaritain providentiel.  Une société totalement paralysée n’est-elle pas le meilleur étouffoir des grèves récurrentes, des colères transparentes, des récusations populaires. La presse répercute docilement les semonces présidentielles comme des prescriptions impératives. « La presse, si bavarde dans l’affaire des rats, ne parle plus de rien. C’est que les rats meurent dans la rue et les hommes dans leur chambre. Et les journaux ne s’occupent que de la rue » (Albert Camus, La Peste).

 

Le président s’entoure d’un Conseil scientifique, investi de prérogatives exclusives, composé de onze membres, huit médecins, un mathématicien, un sociologue, une chercheuse, tous spécialistes d’immunologie, d’infectiologie, de virologie, d’épidémiologie, de réanimation. L’encoffrage de soixante-six millions de personnes dépend d’une poignée de techniciens. L’incohérence se drape d’intransigeance. Le président du Conseil scientifique motive le confinement par l’accélération de la contagion, mais aussi par l’attitude problématique des citoyens. La raison sanitaire légitime les liberticides. On dresse le bétail. On achève bien les chevaux. Pour effectuer des achats de première nécessité, sortir pour des soins médicaux, se porter au secours d’un proche en détresse, se rendre à une activité professionnelle qui ne peut être accomplie sous forme de télétravail, il faut être muni d’une attestation de déplacement dérogatoire en bonne et due forme. « Deux ou trois médecins s’exclament. Les autres semblent hésiter. Quant au préfet, il sursaute et se retourne machinalement vers la porte, comme pour vérifier qu’il a bien empêché cette énormité de se répandre dans les couloirs… Les hypothèses, en science comme dans la vie, sont toujours dangereuses » (Albert Camus, La Peste).

Le président concède que « dans l'immense majorité des cas, le Covid-19 est sans danger », sauf bien entendu, pour « les personnes âgées ou affectées par des maladies chroniques comme le diabète, l’obésité ou le cancer ». Le discours équivoque, ambivalent, élusif,  salue les citoyens pour leur calme et leur civisme, et les critique pour leur grogne et leur indiscipline.

Le technocrate récuse méthodiquement l’imprévisible, l’insoupçonnable, l’inexplicable, tout ce qui échappe à ses planifications rigides. Et dans les situations imprédictibles, il se réfugie derrière la science. La science, rien que la science. La science comme connaissance absolue, irréfutable, irrécusable. Le Conseil scientifique est érigé en d’arbitre suprême. Tous les autres ne sont que des « experts autoproclamés ». Le président : « Les irresponsables ne deviennent pas intelligents avec un simple virus ». À bon entendeur politique, salut. 

 

​​© Crédit photo : Edgar Morin et Mustapha Saha, photographiés par Élisabeth Saha.

 

 

L’éponge rhétorique absorbe sans complexes ses paradoxes, ses contradictions, ses dissonances. Le virus sans passeport dicte les pires mesures protectionnistes, impose des frontières entre régions, entre villes, entre quartiers, entre personnes. « À l’intérieur même de la ville, on isole certains quartiers particulièrement éprouvés... Ceux qui y vivent considèrent cette mesure comme une brimade spécialement dirigée contre eux et pensent, par contraste, aux habitants des autres quartiers comme à des hommes libres. Ces derniers, en revanche, dans leurs moments difficiles, trouvent une consolation à imaginer que d’autres sont encore moins libres qu’eux » (Albert Camus, La Peste). Se justifient les agonies dans la solitude. « Les malades meurent loin de leur famille. On interdit les veillées rituelles si bien que celui qui est mort dans la soirée passe sa nuit tout seul... C’est au moment du malheur qu’on s’habitue à la vérité, c’est-à-dire au silence » (ibidem).

Le préfet du Morbihan suspend toutes les messes, toutes les obsèques, toutes les épousailles, toutes les célébrations publiques. Les séances de catéchèse et d’aumônerie sont annulées. Les fidèles suivent les cérémonies religieuses par procuration sur les ondes de Radio Sainte Anne. L’archevêque de Paris dispense ses ouailles de l’obligation dominicale. Les curés célèbrent la Messe et les Vêpres  entre eux. Pendant la confession, le prêtre garde une distance sanitaire d’un mètre avec le pénitent. « Trop longtemps, ce monde a composé avec le mal, trop longtemps, il s’est reposé sur la miséricorde divine » (ibidem). Lourdes, capitale des miracles, ferme ses portes pour la  première fois de son histoire. La Sainte Vierge elle-même est mise en quarantaine. 

 

L’efficacité recommande le confinement à la source, et quand les sources se déplacent et se multiplient, c’est l’humanité entière qui se retrouve en ergastule. Les rumeurs ancestrales, les peurs séculaires, se réactivent et se répandent sur le web comme vérités éternelles. Les recommandations prophylactiques côtoient les recettes délirantes.

Des  mécréants se remettent à jeter du sel par-dessus l’épaule pour éloigner le virus délétère, neutraliser son mystère, amadouer les mauvais esprits. Retour spectaculaire au millénarisme. L’apocalypse s’abat sans crier gare sur le monde à la dérive. Nous voilà devant les sept plaies d’Égypte et la malédiction de pharaons. « Les eaux du fleuve se changent en sang. Les grenouilles   envahissent les terres. Les poussières se transforment en moustiques. Les mouches dévorent les corps. Les sauterelles dévastent les cultures. Les troupeaux périssent. Le pays entier plonge dans les ténèbres »  (Le livre de l'Exode). La mémoire collective intériorise d’ors et déjà le coronavirus comme un désastre historique. Les réseaux internétiques donnent  au fléau une ampleur mythique. La charge émotionnelle prend une démesure tétanisante. Le terreau des légendes se fertilise. Le traumatisme partagé annonce des ruptures irréversibles. « À mesure que les jours passent, on se met à craindre que ce malheur n’ait véritablement pas de fin et, du même coup, la cessation de l’épidémie devient l’objet de toutes les espérances. On se passe ainsi diverses prophéties de mages et de saints. Des imprimeurs voient très vite le parti qu’ils peuvent tire de cet engouement… Lorsque l’histoire elle-même est à court de prophéties, on en commande aux journalistes qui, sur ce point au moins, se montrent aussi compétents que leurs modèles des siècles passés » (Albert Camus, La peste). 

 

Le président : « Je vous demande de continuer à faire des sacrifices et plutôt d’en faire davantage pour notre intérêt général ».  « Le prêche rend plus sensible à certains l’idée, vague jusque là, qu’ils sont condamnés pour un crime inconnu à un emprisonnement inimaginable… La seule façon de mettre les gens ensemble, c'est encore de leur envoyer la peste  » (Albert Camus, La Peste).  Le président : « Nous fermons, sans délai, les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités pour une raison simple,  nos enfants et nos plus jeunes, selon les scientifiques toujours, propagent, semble-t-il, le plus rapidement le virus, même si, pour les enfants, ils n’ont parfois pas de symptômes et, heureusement, ne semblent pas aujourd’hui souffrir de formes aiguës de la maladie ». Une jeunesse entière cloîtrée par principe de précaution. « Ce n’est pas la loi qui compte, c’est la condamnation… Si c’était un tremblement de terre ! Une bonne secousse et on n’en parle plus. On compte les morts, les vivants, et le tour est joué. Mais cette cochonnerie de maladie ! Même ceux qui ne l’ont pas la portent dans le cœur » (Albert Camus, La Peste).  

 

Les politiques ne tranchent plus entre le pour et le contre. Ils n’ont d’autres obsessions que les transitions électorales, la conquête du pouvoir, qu’ils gèrent au hasard. « Leur seule tâche consiste à donner des occasions à ce hasard qui, trop souvent, ne se dérange que provoqué » (ibidem). Je pense à ce dialogue entre Denis Diderot et Jean Le Ronde d’Alembert : «  Diderot : Croyez-vous qu’il y ait une seule question discutée sur laquelle un homme reste avec une égale et rigoureuse mesure de raison pour et contre. D’Alembert : non, ce serait l’âne de Buridan ». L’âne de Buridan ou l’allégorie selon laquelle un âne est mort de soif et de faim parce qu’il n’a su choisir  entre le seau d’eau à sa droite et le pot d’avoine à sa gauche. « Diderot : en ce cas, il n’y a donc point de sceptique, puisqu’à l’exception des questions de mathématiques, il y a du pour et du contre dans toutes les autres. La balance n’est donc jamais égale, et il est impossible qu’elle ne penche pas du côté où nous croyons le plus de vraisemblance. D’Alembert : Mais, je vois le matin la vraisemblance à ma droite, et l’après-midi, elle est à ma gauche. Diderot : C’est-à-dire que vous êtes dogmatique pour le matin, et dogmatique contre l’après-midi. D’Alembert : Et le soir, quand je me rappelle cette circonstance si rapide de mes jugements, je ne crois rien, ni du matin, ni de l’après-midi. Diderot : C’est-à-dire que vous ne vous rappelez plus la prépondérance des deux opinions entre lesquelles vous avez oscillé, que cette prépondérance vous paraît trop légère pour asseoir un sentiment fixe…» (Diderot, Le rêve de d«Alembert, 1769, éditions Marcel Didier, 1951). 

Nous sommes, dans tous les domaines, dans la fabrique du doute. Le néolibéralisme confectionne, avec un art consommé, des rideaux de fumée  pour transformer le mal en bien et le bien en mal. La fabrique du doute, conçue par l’industrie du tabac dans les années cinquante, génère des lobbyings redoutables. Les laboratoires pharmaceutiques financent les fausses études scientifiques, manipulent les protocoles méthodologiques, instillent la perplexité dans les esprits, corrompent les décideurs politiques, contrecarrent furieusement l’interdiction des médicaments toxiques. Il est pourtant prouvé que le paracétamol, molécule présente dans deux cents analgésiques, prise à forte dose, détruit irrémédiablement  le foie. L’Agence du médicament se contente d’inciter les fabricants à inscrire un avertissement sur les boîtes. L’endoctrinement des consommateurs transite par les médias sans scrupules. Les substances nuisibles s’écoulent librement dans les pharmacies. Il en va de même pour les pesticides, les organismes génétiquement modifiés (OGM), les additifs alimentaires léthifères… Il est avéré que le bisphénol, composé chimique utilisé massivement dans la fabrication des plastiques et des résines, est cancérigène, avec des effets catastrophiques sur la reproduction, le métabolisme des sucres et des graisses, les pathologies cardiovasculaires. La société de consommation empoisonne le peuple en toute légalité malgré les rapports alarmants de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). 

La gestion de la crise du coronavirus révèle des projets de restructuration économique, de réorganisation sociétale, élaborés de longue date. Se dévoilent les alternatives programmées, les robotisations fantasmées, les remodelages des services publics, les virtualisations abstractives, la dislocation des sociabilités dans l’atomatisation généralisée. Les écoles se dissolvent subrepticement  dans les plateformes en ligne. Le président : « Je demande aux entreprises de permettre à leurs employés de travailler à distance. Nous avons beaucoup développé le télétravail. Il faut l'intensifier au maximum ». Un vieux rêve technocratique. Le télétravail, baptisé telecommuting par Jack Nilles, est perçu par le gouvernement français,  dès les années soixante-dix, comme une méthode d’aménagement du territoire. Le juste-à-temps, ou flux tendu, issu du toyotisme, promu par le rapport Martin Bangemann (1994) et la commission européenne,  utilise l’ordinateur personnel comme outil d’externalisation, de délocalisation, de précarisation de l’emploi. L’ordonnance du 24 septembre 2017, dont la paternité revient au président, définit comme télétravail « toute forme d’organisation dans laquelle un travail, qui aurait également pu être exécuté dans les de l’employeur, est effectué par un salarié hors de ces locaux, de façon volontaire, en utilisant les technologies de l’information et de la communication ». Un simple accord épistolaire ou verbal suffit. Aucun avenant au contrat de travail n’est exigé. L’accord de l’employé n’est pas requis dans les circonstances exceptionnelles d’épidémie et de force majeure. L’inviolable « continuité de l’activité de l’entreprise » permet toutes les dérogations. Le tiers des salariés français du privé ont été placés en télétravail pendant les mouvements sociaux contre la réforme des retraites. Ainsi se réalise l’intangible désirabilité patronale dans la flexibilisation des ressources humaines, l’augmentation de la productivité, la réduction des investissements, des coûts et des frais généraux, l’optimisation des profits. La logistique s’y prête. Trente millions des foyers français sont pourvus d’un Internet fixe haut débit (ADSL) ou très haut débit (fibre ou 4G). Le paradigme néolibéral instrumentalise la révolution numérique,  les technologies de l’information et de la communication, pour cognitiver la machine et déshumaniser l’humain. Le brouillage du temps personnel et du temps professionnel se traduit par des pratiques internétiques addictives et des comportements autistes. Des mutualisations anciennes disparaissent. Des pathologies psychiques inédites apparaissent. 

Le mea-culpa présidentiel rappelle un triste souvenir, la fameuse phrase « Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance » (discours du Bourget 22 janvier 2012), immortalisée, sans d’autres effets, dans les anthologies des formules démagogiques. Le président : « Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies, qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties. Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, est un bien précieux, un atout indispensable quand frappe le destin. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, nos soins, notre cadre de vie à d’autres est une folie… Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai ». Et l’on retrouve la sainte maxime des temps de guerre, « cette union sacrée qui consiste à suivre tous ensemble un même chemin ». 

« La bêtise insiste toujours… Nos concitoyens, à cet égard, sont comme tout le monde. Ils pensent à eux-mêmes, autrement dit, ils sont humanistes. Ils ne croient pas aux fléaux. Le fléau n’est pas à la mesure de l’homme. On se dit donc que le fléau est irréel, c’est un mauvais rêve qui va passer. Mais, il ne passe pas toujours et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes en premier…  Nos concitoyens ne sont pas plus coupables que d’autres. Ils oublient d’être modestes, voilà tout. Ils pensent que tout est possible pour eux, ce qui suppose que les fléaux sont impossibles. Ils continuent de faire des affaires, ils préparent des voyages. Ils ont des opinions. Comment penseraient-ils à la peste qui supprime l’avenir, les déplacements et les discussions ? Ils se croient libres. Personne n’est jamais libre tant qu’il y a des fléaux » (Albert Camus, La Peste).

 

 

 

* Nouveau livre : Mustapha Saha, Haïm Zafrani, PestePenseur de la diversité, éditions Hémisphères / éditions Maisonneuve & Larose, Paris, 2020.

***

 

Pour citer ce texte
 

Mustapha Saha, « Quelles mains invisibles injectent la peste et contaminent les mouches ?  », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°14|Être féministe & Megalesia 2020|V- Chroniques de la pandémie de COVID-19, mis en ligne le 19 mars 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/lettreno14/peste

 

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  • AUTOMNE 2024 | NO IV | Les femmes poètes européennes par Lya Berger (1877-1941)
    BIENVENUE À NOTRE NOUVELLE DIRECTRICE DE PUBLICATION ( DE L'ENSEMBLE DE NOS PÉRIODIQUES) QUI REMPLACE DINA SAHYOUNI L’ÉDITRICE INDÉPENDANTE SARAH-MARIE DEREZ À QUI NOUS SOUHAITONS UNE BONNE CONTINUATION ! NOS MEILLEURS REMERCIEMENTS À L’ANCIENNE DIRECTRICE...
  • Faïrouz pour l'éternité
    N° IV | AUTOMNE 2024 | NUMÉRO SPÉCIAL 2024 | Les femmes poètes européennes par Lya Berger (1877-1941) | 1er Volet | Dossier mineur | Articles & Témoignages | Poésie, Musique & Arts visuels / Poésie visuelle & Revue Orientales | O | N° 4 | Critiques poétiques...
  • Sophie Brassart, « Geste de toile », Éditions du Cygne, Paris 2024, 49 pages, 12€
    N° IV | AUTOMNE 2024 | NUMÉRO SPÉCIAL 2024 | Les femmes poètes européennes par Lya Berger (1877-1941) | 1er Volet | Critique & réception | Dossier mineur | Articles & Témoignages Sophie Brassart, « Geste de toile », Éditions du Cygne, Paris 2024, 49 pages,...
  • Vient de paraître le recueil de poèmes « Nos coutures apparentes » par Imèn MOUSSA
    N° IV | AUTOMNE 2024 | NUMÉRO SPÉCIAL 2024 | Les femmes poètes européennes par Lya Berger (1877-1941) | 1er Volet | Invitation à lire | Annonces diverses / parutions & REVUE ORIENTALES (O) | N° 4-1 | Varia & Actualité Vient de paraître le recueil de poèmes...
  • Maternité éternelle
    N° IV | AUTOMNE 2024 | NUMÉRO SPÉCIAL 2024 | Les femmes poètes européennes par Lya Berger (1877-1941) | 1er Volet | Critique & réception / Chroniques cinématographiques de Camillæ | Matrimoine poétique | Poésie audiovisuelle & REVUE ORIENTALES (O) | N°...
  • 2024 | Charmille de Poèmes pour Toutes à l'École et La Journée Internationale des Droits des Filles
    Ce site basculera sous peu en HTTPS et il risque de changer d'apparence graphique, la rédaction optimisera le nouveau thème ou réajustera les couleurs et la présentation si cela s'avère nécessaire. Nous vous remercions pour vos patience & indulgence ! Venez...
  • La vie japonaise
    N° IV | AUTOMNE 2024 | NUMÉRO SPÉCIAL 2024 | Les femmes poètes européennes par Lya Berger (1877-1941) | 1er Volet | Florilège | Matrimoine poétique | Astres & animaux /Nature en poésie | Presses, Médias, etc. & REVUE ORIENTALES (O) | N° 4-1 | Créations...
  • Concours de poèmes engagés & féministes pour le 25 novembre 2024
    N° IV | AUTOMNE 2024 | NUMÉRO SPÉCIAL 2024 | Les femmes poètes européennes par Lya Berger (1877-1941) | 1er Volet | Appels à contributions Concours de poèmes engagés & féministes pour le 25 novembre 2024 Crédit photo : Samuel Woodforde (1763-1817), «...
  • Les pieds ont une pointe
    Événements poétiques | Charmille de Poèmes pour Toutes à l'École & La Journée Internationale des Droits des Filles & N° IV | AUTOMNE 2024 | NUMÉRO SPÉCIAL 2024 | Les femmes poètes européennes par Lya Berger (1877-1941) | 1er Volet | Florilège | Poésie...
  • Biographie de Monique CHARLES-PICHON
    Biographie & publications disponibles numériquement Monique CHARLES-PICHON Agrégée de philosophie, docteur en psychologie, autrice, romancière & poétesse © Crédit photo : Portrait photographique de l’autrice Monique CHARLES-PICHON. Agrégée de philosophie,...