31 mars 2020 2 31 /03 /mars /2020 13:25

Megalesia 2020 | Équinoxe | Poèmes, textes & chansons

 

 

 

La vie est

comme le sable

 

 

 

Nathalie Guiot

 

 

 

 

 

 

Elle emporte tout  

Seuls les sentiments  

Restent 

  

Alors que faire  

Si ce n’est aimer  

À tort et à travers  

À gorge déployée  

  

À tomber dans l’ivresse  

Du désir d’aimer, oh Isis  

A en perdre la tête  

À sombrer dans le vice  

  

Du temps de vie 

Près d’elle  

Prédelle d’un duo  

Qui s’appelle  

  

Là où sont mes valeurs  

A l’écoute de sa voix  

Humer sa chevelure d’or 

Sans compter les heures  

  

Paresse amoureuse  

Méditation solaire  

Déviant parfum de tubéreuse  

Isis, déesse plantureuse  

  

Sur son chemin terrestre  

L’homme aux gants  

Et son visage si fin 

Comme le tableau de Titien  

  

Vertige de l’amour 

La déesse saisie 

Chavire  

Devient alors Humaine, tout entière ​​​

 

 

***

 

Pour citer ce poème

​​Nathalie Guiot, « La vie est comme le sable », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020|IV-ÉQUINOXE sous la direction de Barbara Polla, mis en ligne le 31 mars 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/equinoxe/guiot

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Megalesia Équinoxe
30 mars 2020 1 30 /03 /mars /2020 16:35

Megalesia 2020 | Équinoxe | Poèmes, textes & chansons

 

 

 

Je n'aime plus l’océan

 

 

 

Christine Guinard

 

 

 

 

1

 

La petite enfant tourne sur elle-même et caresse du pied le sable tiédi. Elle n’aura plus assez de ses deux mains tendues pour agripper l’air, se faufiler, s’approcher de l’eau molle, sur le sable amassé par la mer. 

Je n’aime pas l’océan, c’est trop grand. Elle le dit et le dit encore, sans y penser, depuis quelques jours. Je n’aime que la mer qui est plus verte, plus douce, plus lente. 

Et puis elle tourne et retourne, depuis trois jours au moins, sur elle-même, parfois elle joint les mains, elle danse même et s’arrête. 

C’est justement ça, la mer en face, au bas, déployée en océan grondeur, qui l’a appelée. C’est ça qui la porte et la tourne, sur elle-même, c’est une sensation embarrassante. 

Je n’aime pas l’océan, se dit-elle. 

 

Elle cherche au loin la main sur le front, en visière, un point d’accroche. Elle se demande si elle est née aussi de l’eau, elle. Si la mer l’a portée. Si l’enfant vient de l’eau comme sa mère l’a entendu, ou raconté, un soir d’été. 

Elle a pris peur parce que tout de même, elle n’aime pas trop être sortie de l’eau. Elle a peur qu’on la noie, que l’eau l’emporte, que si elle est née de l’eau, elle ait failli être aspirée quand elle a voulu s’extraire. 

Je n’aime plus l’eau, dit-elle. Pourtant sur la plage, elle sent le vent frais du matin qui la porte, qui l’étreint.      

Elle est si petite, elle sait déjà ce qu’est l’étreinte du vent.  

Ce qu’est la peur et le désir en même temps, de trop grand. 

Elle connaît la joie de courir pied nu sur le sable doré au soleil, même si la masse d’eau est immense, au bord, et l’attire par le côté, le flanc gauche quand elle court vers la ville, le flanc droit quand elle tourne les talons et s’échappe vers les dunes. 

Je n’aime plus l’océan, maman m’a parlé de son ombre, de ses grottes, de sa taille d’ogre. Je le trouvais beau et brillant, mais maintenant j’ai peur. Je sens que si je descends un peu, ce sera fini, je ne pourrai plus rien faire : j’irai jusqu’à lui et me jetterai dans la masse opaque. 

Elle saute vers les dunes et tente de se hisser sur leur crête, chaque fois elle dégringole un peu mais légère, elle grimpe à nouveau, et c’est cela qu’elle cherche, tomber pour remonter, inlassablement. 

Elle part vers les dunes de plus en plus vite, elle court presque, comme si l’ogre liquide avait voulu remonter la pente de sable, et courir à sa poursuite. Comme s’il s’était étendu et avait envahi tout l’espace audessus, devenu air. 

Elle court et rit, mais elle sent la peur d’être toute seule, de courir seule, de trébucher. Elle a de plus en plus peur. 

Pourtant nul monstre étendu à ses trousses, occupant l’espace vacant du ciel ; pourtant le soleil brille toujours plus et rien ne vient perturber la clarté. 

 

Justement c’est peut-être cela qui la gêne, ce soleil incessant, presque dur, presque trop tenace. Elle ne sait plus comment s’en défaire, elle sent la chaleur extrême sur la nuque et les genoux qui portent un peu moins bien, les pieds s’inscrivant dans le sable brûlant qui s’enfoncent davantage, prisonniers peu à peu de leur difficulté à s’extraire. 

 

Elle peut continuer de courir avec ce monstre absent qui l’oppresse et la pousse dans le dos, elle peut précipiter sa course vers les dunes au loin ; mais elle ne voit pas de ligne, pas de but, elle sent le sable toujours plus fort, qui la tient peu à peu captive aux pieds. Ou bien elle peut décider de changer de cap, d’essayer autre chose, de s‘échapper

 

Voilà que tout à coup elle tourne sur elle-même, il faut changer quelque chose. Elle pivote et se laisse guider par la matière, par la gravité, par l’inclinaison de la surface sablonneuse. 

 

Soulagée d’avoir pu faire quelque chose, d’avoir pu résister, de ne pas avoir été poussée toujours davantage comme elle le craignait, elle se précipite dans le sens qu’elle vient de trouver, dans le dévalement de la pente à la course, précautionneuse mais rapide, veillant à ne pas trébucher. 

 

Elle dévale la pente peu à peu, croyant simplement changer de route, échapper au grand monstre qui n’existe pas. 

 

Et elle dévale, elle ne peut plus réellement stopper sa course, qui s’emballe. Elle ne le souhaite même plus vraiment, grisée par le vent et les jambes qui volent presque. 

 

Devant elle, lorsqu’elle pense à regarder, elle voit qui s’approche la grande toile sombre mais scintillante de la mer, la masse qui appelle à la suivre. Elle court toujours davantage et sent le désir de s’immerger, de déposer son corps dans l’eau sans réfléchir, de se tremper comme dans un bain doux amer. 

 

Alors elle continue sa course et ne se demande pas si l’eau sera froide, elle a le soleil sur la tête qui la persuade : l’eau sera bonne et tendre. Courons. De toute façon elle n’entend pas penser à tout cela, elle est si petite, penser sous le soleil brûlant ne l’attire pas, elle n’y avait même pas songé : elle court, elle brûle, elle vole, elle sent l’air tiède qui la soutient comme pour l’ascension d’une montgolfière, elle est grisée par le sel. 

 

L’eau s’approche au bas de la pente, l’eau qui paraît autre chose, qui paraît un immense terrain conquis d’avance, de dérapages et glissades béates, bouche ouverte, ivre de bonheur. 

 

On imagine que l’on va se lancer en patin à glace sur la patinoire géante, sans fond, sans bout, sans contour, la patinoire de sous le ciel, d’après le sable, celle que personne n’a osé entamer –on ne voit personne, ici. 

 

Elle poursuit un rêve qu’elle connaît bien, celui d’approcher la première d’une terre nouvelle, de ne rien voir devant qui gêne les yeux, de n’entrevoir aucun obstacle. 

 

 

Le choc se produira bientôt, plus tard. C’est après, seulement, que cela arrivera. Le coup de massue plein face, le sable qui devient métal planté, barrière à l’à plomb, ici on n’a jamais pied, l’eau est déjà haute, même si elle ne le dit pas. 

La claque violente et puis l’entrée dans l’autre corps, la peau cinglante qui délimite le ciel, on ne dirait pas qu’elle est mouillée, on dirait qu’elle bâtit des forteresses, on dirait que c’est l’entrée dans le château, passe-muraille, au travers du mur sans porte ni fenêtre. 

 

Il y a encore la joie, abrupte, insensée, neuve comme l’écume qui vient de se former, d’entrer à l’eau. Mais l’enfant est abasourdie par la claque, elle ne sait plus rien, si elle a peur, si elle doit faire cela, elle entre stupéfaite, et la stupeur fera place à l’effroi. 

 

L’ogre du corps mouvant s’empare d’elle, la rentre de force dans l’eau par la tête, et l’expulse à nouveau, pour la faire tomber à pic tout au fond, contre le sable devenu glace. La banquise, sous cette eau lamée, au-dessus le ciel comme un vertige, le ciel vide, et sans matière, sans rien. 

 

 

L’enfant ne sait plus rien, n’entend plus rien, le poumon s’enfle et elle repère le soleil, sa brûlure qu’elle fuyait, là-derrière, le soleil comme une mère bienveillante, qui vous chauffait les pieds et puis le creux de la nuque, qu’elle fuyait pourtant sans savoir, le soleil caresse de chat qui miaule, qu’elle avait cru monstrueux, tout chaud là-bas au fond, loin d’elle qui sent son corps se pétrifier, gelée par la glace du sable. 

 

 

2

 

 

Parfois le ciel peut tomber sur la tête. Ou bien l’océan se muer en mur de verre ou de glace, selon.  

 

Et l’enfance balancée tête par-dessus pied qui tournoie dans l’autre sens, le sens contraire à sa vitalité, qui se jette au fond du trou, loin de l’avoir désiré pourtant, pour courir ailleurs, plus loin. 

 

Il n’y a pas de raison pour laisser filer les nuages, sans rien leur dire. Et s’ils s’arrêtent devant moi, juste au-dessus, leur formation compacte devient orage et juste pour moi, pour ma tête à découvert, c’est le déluge, les coups de grêle et de poings dans la tête, on ne sait plus s’ils doivent filer ou se déposer, on ne sait plus comment faire pour empêcher leur nature de nuage. 

 

Plus rien à espérer non plus de la mer, on s’est baignés trop tard le soir, ça m’a découragée, chaque fois il faisait bientôt nuit, moi qui aime tant la chaleur sur la peau, le soleil encore puissant, et on avait peur de s’éloigner du rivage –d’ailleurs, on n’en avait pas le droit. On devait attendre sur le bord, en jouant un peu, nous, devoir d’être sages, et puis on rentrera. 

 

Ce n’est pas bien grave, se dit-on, en attendant le printemps. Le corps se déploiera, on sera la chenille qui devient papillon, de toutes les couleurs, les plus belles, fauve, pourpre et rosé. 

 

 

3

 

 

Le roi se réveille dans la vaste pièce reculée du château, celle qu’il a exigée comme retraite. 

 

Le son des oiseaux, jaillissant, l’a réveillé tout juste, délassé, heureux d’être là au grand jour. 

 

Le roi se réveille et il a un oiseau, je me souviens d’un roi et d’un oiseau. Il se dit qu’il pourrait se taire à jamais, même cesser de rêver. Que les sons du printemps suffiront à le combler, sa petite fille les aurait aimés à en mourir, elle se serait endormie bercée comme par une vague. 

 

Sa petite fille ne s’endormira pas près de lui, elle a disparu près de la mer, il y a très longtemps. La petite fille d’un roi qui a pris la mer, seule, trop petite encore pour savoir lire ou compter, vive comme le vent, pressée d’avoir sur le bout de la langue tous les airs et toutes les histoires. Elle n’aura pas vu la mer, elle aura coulé. 

 

Non. À travers les murs on perçoit l’écho lointain du phrasé des arbres du jardin. Le roi est seul dans le château, il ne supporte que cela, il attend. Il préfère attendre seul. Il attend sa petite fille qui s’est perdue vers la mer. Vive comme l’argent, rapide comme la lumière, elle apparaîtra bientôt, le roi le sait. 

 

 

Le murmure de l’eau venu de la rivière, celle qui sillonne le verger, nous entraîne et le sommeil nous prend. On a toujours attendu ensemble, elle et moi, sa mère qu’elle adorait comme si elle était un ange. Sa mère était un ange et la petite fille avait le visage transi de lumière lorsqu’elles étaient ensemble. 

 

 

Le roi a oublié l’ampleur de son royaume, il ne sait plus ce qu’est au juste, un royaume. 

 

Il n’est pas le roi d’un royaume, il est simplement assis là dans cette chambre éloignée, il écoute le murmure des cascades. Il ne souhaite plus qu’écouter, et chantonner en-dedans l’air de cristal, il ne veut plus parler, il ne veut plus écrire, il ne veut plus lire. 

Les mots sont sourds, les mots sont lâches, et la petite fille n’est pas revenue. 

 

La petite fille aimait comme lui les fleurs et le mouvement des nuages. Comme lui elle entendait tous les mondes en même temps, elle prêtait attention aux glissements de l’eau tout au bout du jardin, malgré la distance, malgré son jeune âge. Elle aimait le goût d’être au point de ne plus savoir et parfois même, elle s’était tenue là, figée, à attendre. 

 

Comme lui la petite fille était née d’une pluie d’herbes mordorées sur la pente douce de la colline, l’effritement soudain d’un nuage de pluie qui a rencontré la tiédeur du jardin. 

 

Ici la nuit couvrait de soie la surface des champs quadrillés, on savait la respiration des poissons d’eau douce, des pinsons voletant, on n’avait pas peur de la nuit longue et noire. La nuit amenait la lune et le froufrou constant des vies minuscules. La nuit nourrissait la peau des rêveries du jour, et c’est la nuit, même, qui a empli la petite fille de ces merveilles à venir, au matin, près de la mer.

 

 

4

 

 

La nuit me repose de la lumière, elle n’est pas à craindre. La nuit est le coffret qui renferme les trésors cachés sous les feuilles, les pierres et au fond de l’eau. 

 

Si je m’envole dans la nuit, peut-être que je disparaîtrai et pourrai m’accrocher au rideau du royaume que j’ai aperçu près de la lune. On m’a soufflé que ce serait possible. 

 

Je ne suis pas sûre de vouloir devenir plus grande, je serai plus lourde, pour voler et puis j’aurai sur le dos des pierres, près de la lune pelotonnée comme un chat, perchée sur le croissant, je pourrai penser à mon histoire, je garderai le fil. 

 

Personne ne devrait m’en déloger, n’est-ce pas ? 

 

Normalement si l’on atteint le bas du croissant, et qu’on s’assied de façon stable, il paraît qu’on intègre à jamais le paysage céleste, on fera partie des constellations, on portera un nom, un vrai nom qui dit qui je suis, que j’existe. 

 

Ce n’est pas important, je préfère m’en éloigner, du jardin.  

 

Je partirai voir la mer demain, si je ne peux atteindre cette lune toute pleine. 

 

 

5

 

 

L’oiseau s’est posé en haut des dunes, on ne comprend pas ce qu’il dit. On dirait qu’il guide, il tire derrière ses petites ailes de grands tourbillons d’air invisibles, il pousse le bec à l’avant comme porteur d’une bonne parole, il faut regarder derrière lui, loin derrière sur le sable. 

 

La petite fille chantonne en gravissant la pente ardue. 

 

Lorsque le ciel recouvre ainsi l’à-plat de la mer, et que les dunes brûlent le regard jusqu’aux marches du grand royaume, les oiseaux ne volètent plus ; et la petite fille devrait s’asseoir en haut des dunes à l’ombre unique du grand pin. 

 

Mais la petite fille marche, elle ne tient pas compte du ciel, elle ne tient pas compte du soleil, elle voit le grand pin et s’élance courageusement. 

 

L’enfant n’a pas peur, elle progresse vite, bientôt elle aura gagné le terreplein surplombant l’étendue de sable gris. 

 

Au loin se dit-elle, au loin les anges m’indiqueront le chemin de l’amour, j’aimerai le monde tel qu’il se présente à mes yeux, et j’aimerai les enfants, les femmes, les hommes. 

 

 

6

 

 

Le roi ne veut plus rester dans cette chambre reculée ; il voudrait parcourir le jardin et sentir les bourgeons bientôt mûrs. Il vêt sa cape d’intérieur doublée, qui le protégera de la rosée, et fait quelques pas vers la porte d’entrée. Il raversera de ce pas les longs couloirs puis le vestibule doré. Il franchira le seuil et se demandera soudain comment il a pu trouver la force. 

 

Comme au premier jour, lorsque si jeune il avait pris l’habitude de sortir dans ce jardin délicieux, contre l’avis de sa mère, il a ouvert la porte la faim au cœur. Il a passé le pas et pénétré le grand havre de douceur, de senteurs fraîches, il a reçu au visage l’appel plus corsé des pétales de jasmin et de bougainvilliers : le jardin se réveille. 

 

Il suivra le chemin étroit qui longe le lac et puis le petit bois, il s’adressera aux étourneaux, il guettera les mésanges, comme avant. 

 

Le roi quittera son palais dans l’instant, sans réfléchir, il lui manque la petite fille, pour rester assis là, il lui manque l’enfant à choyer, à protéger de sa couronne. Le monde alentour peut bien tenir tout seul debout, désormais, il ne peut plus rien pour le monde dehors, et dedans il n’y a plus personne. Pour la première fois c’est la solitude qui l’étreint, profonde et sèche. 

 

Pour la première fois, il ne peut plus rester là, à attendre, il doit se mettre en route, sans savoir le chemin, il ira vers la mer. 

 

Je ne peux rien pour vous autres, pense-t-il, je vais retrouver l’enfant de mon âme, je la verrai de loin, je le sais bien, et de loin je l’appellerai.  

 

Elle viendra en courant, me sautera au cou, et puis nous reprendrons le chemin, sa main dans la mienne.

***

 

Pour citer ces poèmes 

​​Christine Guinard, « Je n'aime plus l’océan », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020|IV-ÉQUINOXE sous la direction de Barbara Polla, mis en ligne le 30 mars 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/meglesia20/equinoxe/guinard

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Megalesia Équinoxe
30 mars 2020 1 30 /03 /mars /2020 08:04

Megalesia 2020 | Muses au masculin | Portrait poétique  | Revue culturelle d'Afrique & d'Orient 

 

 

 

Mohamed Zafzaf

 

implacable chroniqueur

 

des bas-fonds marocains

 

 

 

 

Mustapha Saha

 

Sociologue, poète, artiste peintre

 

© Crédit photo : "Mohamed Zafzaf", Portrait par Mustapha Saha, Peinture sur toile, dimensions 100 x 81 cm.

 

 

 

Mohamed Zafzaf (1945-2001), écrivain marocain de langue arabe, abandonne sa profession de professeur de philosophie, vécue pendant vingt-ans comme un sacerdoce,  pour se consacrer à l’écriture. Il porte une longue barbe bifide prématurément blanchie, regard ignescent de vaticinateur halluciné, figure dostoïevskienne par excellence. Orphelin de son père fellah à cinq ans, il traîne son enfance malheureuse dans un bidonville de Kénitra comme une malédiction.  Il n’est de fuite possible que dans les livres. Il s’improvise crieur de journaux pour s’offrir ses lectures. Il écrit convulsivement dans tous les genres. La muse varie ses accoutrements. Le drame reste le même. Corps fragile secoué d’incessantes fulgurations.

 

La plume capte comme elle peut les calcinations scriptables. Ses cahiers d’écolier, méthodiquement noircis, lui servent de couche consolatrice. Il s’établit dans le quartier populaire Maârif de Casablanca,  s’installe du matin au soir à la terrasse d’un café, observe l’effervescence ambiante, noue conversation avec ses voisins, immortalise ses annotations, ses extrospections, ses impressions, sans se soucier de leur emballage stylistique.

 

Mohamed Zafzaf restitue les résistances ancestrales aux déferlantes modernisantes, les acclimatations  judicieuses aux contraintes uniformisantes, les adaptations astucieuses aux contingences traumatisantes. L’option célinienne constitue son atypique esthétique. Il disparaît dans la force de l’âge à cinquante-six ans, foudroyé par la plus cruelle des maladies.

Il compose, entre temps, des œuvres majeures, Dialogue au bout de la nuit,  (Damas, 1970), La Femme et la Rose, (Beyrouth, 1972), Trottoirs et murs , (Bagdad, 1974), Des Tombes dans l’eau (1978), Des Maisons basses (1979),  Le Serpent et la mer (1979), L’Arbre sacré (1980), Les Gitans dans la forêt (1982), L’Œuf du coq (Casablanca, 1984), Tentative de vie (1985), Le Roi des djinns (Casablanca, 1988), Ange blanc (1988), Le Renard qui apparaît et disparaît (Casablanca, 1989), Le Quartier derrière (1992), La Charrette (1993), Bouches grandes ouverts… Sept romans, neuf recueils de nouvelles et quelques pièces de théâtre :

 

Le Renard qui apparaît et disparaît  est emblématique de la description pointilleuse,  traversée d’ironie socratique, d’une société schizophrène écartelée entre audaces novatrices et nesciences inhibitrices, empêtrée tout entière dans le complexe de Sisyphe. Le récit narre le quotidien d’un pauvre travailleur, constamment à la tâche, sans maîtrise sur sa destinée, qui guette ponctuellement par-dessus son épaule les catastrophes qui se succèdent. Les cortèges sans fin drainent les marmiteux et les loqueteux, les gueux et les galvaudeux, les dévoyés et les fourvoyés, les égarés et les effarés, les vagabonds et les moribonds, les saltimbanques des ruelles mauresques et les misérables des cloaques pittoresques. 

 

Dans l’Œuf du coq (Editions Le Fennec, 1998)  s’introduit par effraction Mohamed Choukri, l’enfant prodige des bas-fonds tangérois, l’alter ego littéraire, le compagnon des beuveries mémorables, des disputes lamentables, des réconciliations honorables. « Notre pays compte de grands écrivains, beaucoup sont méconnus. L’un d’eux, un enfant de la rue, est célèbre dans le monde entier. (Son Pain nu le nourrit au-delà de toute espérance). Il mène une vie étrange. Il ne s’est jamais marié. Il prend un verre de whisky en guise de petit-déjeuner… ». Mohamed Zafzaf comme Mohamed Choukri écrivent au jour le jour, modèlent les petits faits sans contours, qui  forment au final de formidables mosaïques mouvantes, fourmillantes d’imprévisibilités romanesques. Tout au long de l’Œuf du coq, l’alcool coule dans les veines comme une toxine purificatoire, le sexe se consomme comme une catharsis blasphématoire. Lhaja, une juive convertie à l’islam par convenance, accueille dans son immeuble miteux des sans-logis et des filles de joie, ectoplasmes survivant dans le simulacre faute d’avoir trouvé une place au soleil. Plus ils rêvent d’une vie confortable, plus ils sombrent dans les ténèbres. Nul salut en enfer pour les meilleures volontés. L’indigence matérielle se double de misère psychologique. 

 

Dans la nouvelle « Une Nuit à Casablanca », Mohamed Zafzaf brosse en quelques phrases l’atmosphère sordide et dangereuse des quartiers lubriques de la capitale économique : « La mer prenait les couleurs glauques de la nuit profonde et de la pluie battante. Les voitures, pilotées par des conducteurs avinés, slalomaient tombeau ouvert sur la chaussée glissante. Les collisions faisaient partie du spectacle. Les passants s’agroupaient comme essaims d’abeilles. Les policiers arrivaient toujours en retard, dispersaient les curieux, embarquaient à coups de gifles et de coups de pieds les réticents, les jetaient hors véhicule sur le chemin moyennant un billet glissé de la main à la main. Les sirènes des ambulances, encore plus en retard, signalaient la gravité des accidents. Les grondements de tonnerre se conjuguaient aux houles mugissantes. Les néons tentateurs clignotaient aux entrées des bars et des hôtels. La musique tapageuse du night-club Oklahoma assourdissait les oreilles. Des corps ensanglantés gisaient par terre. L’averse perdait de son intensité. Des lames abandonnées scintillaient dans le noir. La mer reprenait de plus belle son rugissement. Souad, épuisée,  passa la porte étroite, fit quelques pas dans la cour circulaire. Saïd, moyennement éméché, s’approcha, l’entoura de ses bras, l’attira vers lui. « La voiture est près d’ici, où veux-tu aller ». Elle lui répondit : « Où tu veux ». Ils s’engouffrèrent dans le bolide. Elle sortit une cigarette bourrée de kif et la tourna entre les doigts. Elle dit : « J’aime la vie. Je ne veux pas mourir » (traduction Mustapha Saha)

 

Mustapha Saha expose, en avant-première, son portrait de l’écrivain Mohamed  Zafzaf, une peinture sur toile, dimensions 100 x 81 cm, à la Rencontre Internationale des Artistes de la Kasbah à Paris du 6 au 11 avril 2020.*

 

* Manifestation annulée suite au confinememt en France pour lutter contre la maladie infectieuse à coronavirus (COVID-19).

 

***

 

Pour citer ce portrait

​​​​​Mustapha Saha, « Mohamed Zafzaf, implacable chroniqueur des bas-fonds marocains », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020, mis en ligne le 30 mars 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/portraitzafzaf

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Megalesia
29 mars 2020 7 29 /03 /mars /2020 15:52

Megalesia 2020 | Le néopaganisme & la sexualité dans la culture populaire du XXIe siècle | Articles & témoignages

 

 

 

 

​Qu’est-ce que

 

le Djèlénin-nin ? 

 

 

 

Emmanuel Toh Bi

Maître de conférences

Université de BOUAKÉ Côte d’Ivoire

Écrivain-poète, concepteur de l’IVOIRONIE

 

Crédit photo : "Danse de  réjouissance ou Zaouli", traditionnelle du centre-ouest de la Côte d'Ivoire à la cérémonie de la flamme de la paix à Bouaké, domaine public, Commons. 

 

 

 

Introduction

 

 

Le Djèlénin-nin est une poésie médiatisée, sous-genre de la poésie orale négro-africaine, d’origine ivoirienne. La tradition orale africaine est traversée d’un vertige initiatique inestimable. Ses divertissements et cérémonies de réjouissance ou d’intronisation, ses connaissances de la nature, ses instants de baptême et rites funéraires, ses organisations politique et sociale, ses philosophies vestimentaires, ses ingénieuses langues plurielles, ses modules d’artisanat, ses fêtes de génération, sa sagesse cynégétique, ses danses consacrées, son art musical et littéraire qui interpelle mythes, contes et légendes, ses chaumières ancestrales, ses rites sacrificiels fervents, ses femmes dévotes… sont autant de paramètres civilisationels qui mettent le continent noir en phase avec la poésie, littérature d’inspiration sacrée et subliminale, qui donne lieu à une refonte de l’existence par une didactique cultuelle interactionnelle entre l’esprit humain et l’effluve cosmique insondable. Dans ce rituel de fécondité intellectualo-spirituelle, le souffle du mot a rang de point focal d’idolâtrie.  

Le Djèlénin-nin, on peut le dire, est un des multiples rituels de notre civilisation noire qui exposent, cumulativement, créativité artistique et spiritualité nègre. Chez le Nègre, en effet, le spirituel est source, sinon, souche, de créativité, de façon telle à enseigner et à édifier l’esprit humain en le détendant, dans la pure banalité quotidienne.  Par ricochet, il y a bien de raisons de rapprocher le Djèlénin-nin de la poésie qui, elle, se réduit à être un instinct de création littéraire aux contours spirituels. Le Djèlénin-nin désigne un rituel funéraire poétique du pays gouro, dans le Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire. En 2007, nous l’avons, de façon artistique, porté à l’attention de la communauté culturelle et scientifique à travers une œuvre : Djèlénin-nin pour toi mon Afrique1, jusqu’à ce jour, référence majeure du concept traditionnel nommé. Et depuis, le concept a de plus en plus intéressé l’opinion scientifique. Nous éprouvons, maintenant, la nécessité de le présenter à la communauté savante, dans l’objectivité du langage lucide.

Pour ce faire, seront nécessaires, un examen de l’exécution du Djèlénin-nin par une relative immersion dans son ontologie culturelle,  les théories du genre poétique, appuyées par celles de sa déclinaison civilisationelle négro-africaine, le sens artistique et philosophique du peuple gouro, quelques passages de l’unique texte poétique inspiré par le Djèlénin-nin, la vision négro-africaine, précisément, gouro, de la mort, et l’instinct communautariste nègre.

L’Afrique, par les diverses créations poétiques de ses fils, en a substantiellement apporté au genre poétique, genre littéraire d’élitisme et de spiritualisme émotionnel. Ce sacerdoce de contribution canonique à l’écriture poétique, l’Afrique n’en a jamais démordu. Le Djèlénin-nin, et ses inspirations, en est la dénotation.  Le continent noir est un continent de poésie. Depuis des lustres, la parole bien entretenue et magnifiée, lui a toujours servi de soulagement psychique et de délivrance spirituelle. C’est pourquoi, tous les rites traditionnels et événements sociaux et politiques de l’Afrique, lui donnant sujet à méditation sur les affres de la société et la complexité de l’existence, ont toujours eu pour instrument médiatique d’affranchissement et pour mise en train idéologique, la parole, la parole créatrice et mystique. Le Djèlénin-nin et les préoccupations politiques qui minent le continent, en sont didactiquement la matière.

Succinctement, pour tenter d’appréhender le concept gouro, nous examinerons les points suivants : I- Une esthétique de création, II- Une autorité morale, III- Une poétique du salut communautaire.

 

I- Une esthétique de création

 

 

De son ontologie traditionnelle gouro, le djèlénin-nin est un rituel funéraire ; de son étymologie, "djè" traduit le deuil, "lé" indique la préposition d’attribution ou de destination "pour", et "nin-nin", "danse". En gros, il faut y entendre : "danse de funérailles". Les langues africaines sont, pour la plupart, des langues à ton, à l’échelle de l’émotivité de l’âme négro-africaine. La sémantique d’un mot, dans cette civilisation, varie en fonction de sa tonalité, donc, de sa phonétique et de sa phonologie. Ainsi, pour une même orthographe, on peut associer deux réalités référentielles différentes. C’est le cas de "nin-nin" en gouro, qui désigne la danse selon que, tonalement, les deux syllabes identiques soient d’allure descendante, et selon que la tonalité des deux syllabes soit d’allure ascendante, le même mot renvoie à l’adjectif "doux". 

En règle générale, la propriété tonale des langues africaines, témoignant d’une âme particulièrement religieuse et exceptionnellement psychique, est charrieuse de poésie si elle n’en est pas intrinsèquement marquée. Ici, il ne s’agit pas de dire le fait, mais, le dire avec épanchement carillonnant, d’humanisme animé. Tant et si bien que le fait dit gagne en prolifération sémantique et en « gravité » idéologique.

Bien à propos, la poésie est l’opportunité expressionelle des mouvements évasifs et accentuels de l’âme, et témoin de l’intimité psychique de l’être, donnant prise à une fécondité sémantique du fait dit. Et la voix, dans ce contexte, est le baromètre de l’état d’âme. En réalité, la voix, quand elle est tonalement marquée, elle semble avoir plus d’effet sur l’esprit humain que lorsqu’elle est béatement émise. Le mythe d’Orphée en est vraisemblablement l’ancrage. L’esprit ayant plus d’attrait pour la valeur ajoutée des êtres, des phénomènes et des choses. La voix négro-africaine, donc, parce qu’elle est essentiellement tonale, est prioritairement poétique. C’est cette voix de dotation orphique qui accompagne et encadre les rites d’initiation locaux qu’on retrouve théoriquement dans Religions d’Afrique noire2. Avec justesse, le Djèlénin-nin est un rituel funéraire à trémoussement corporel et à voix tonale, avec litanies consacrées, dans une atmosphère particulière qui, évidemment, est celle du deuil.

Le deuil, en Afrique noire, est un instant, certes, de douleur et d’abattement psychologique, mais, surtout, un instant d’humanisme et de production artistique, donc, d’évasion et de re-création mentale. C’est ainsi qu’en pays gouro, les pleureuses spécialisées, ayant conscience de leur responsabilité ou sacerdoce civilisationel, tiennent l’assemblée en laisse, par le biais d’un art que leur inspirent les muses ancestrales. Et comme le fait savoir le premier, et, peut-être, le seul texte poétique écrit, inspiré de ce ferment traditionnel, l’aspect corporel, la mine ou physionomie du visage, l’aspect vestimentaire, la frénésie corporelle, la rythmicité des pas, constituent un langage didactiquement décodable :       

« Ce chant lorsqu’on le chante

L’esprit des danseuses esthètes s’éveille

Et elles dansent…

Sans instrument de musique

Sans sonorité

Seulement avec émissions saccadées

et intermittentes de voix

Pourtant elles dansent elles dansent

elles dansent

Elles dansent avec gymnastique

Elles dansent avec agilité

Et avec harmonie de charme

Jusqu’à pétrifier l’âme.

Comme si elles exécutaient des pas au rythme

d’une musique inaudible aux non initiés.

La poésie est un philtre

Et le poète sait que l’obsession de la parole

consume sa chair…

Youan Bi lèè Borlia n’est plus. »

(Djèlénin-nin pour toi mon Afrique, pp. 26-27)

 

 

Avant toutes choses, qu’il nous soit permis d’évoquer le grand embarras psychologique et moral qui est le nôtre aux instants de cette brève réflexion sur le Djèlénin-nin qui, malheureusement, peut-être, n’a été porté à l’attention de la communauté scientifique et culturelle que par nos soins. Malheureusement, encore, ce ne l’a été qu’à la faveur notre première œuvre poétique, Djèlénin-nin pour toi mon Afrique, dont un extrait vient d’être étalé et dont des extraits seront certainement proposés au cours de cette modeste étude. C’est le malaise de l’exégète face à l’exploitation d’une ressource culturelle dont il est lui-même issu et qu’il a été le premier, sinon, le seul, à présenter artistico-poétiquement au public. La perplexité psychologique à en citer des extraits, ici, n’est pas négligeable. Tout de même, il faut bien que, en marge du jet poétique du Djèlénin-nin, on en ait, relativement, une opinion scientifico-objective. De toutes façons, si l’œuvre fictionnelle nommée, elle, est marquée auctorialement, la souche culturelle qui lui sert d’ancrage ne peut l’être ; un ferment traditionnel  est inaliénablement de paternité communautaire ou de propriété patrimoniale. De ce fait, le regard nôtre sur cette dernière ne peut être taxé de sombrer dans la confusion subjectivante. Et puis, décisivement, l’armature littéraire de Djèlénin-nin pour toi mon Afrique est  calquée sur le schéma oral du rituel gouro. Apprécions-le, donc, lucidement, sans auto-contemplation écrasante.

 

À l’aune de l’extrait sus-cité, le poète, visage symbolique et incarné de la danseuse, décrit, à la fonction référentielle, le rituel du Djèlénin-nin dont il est a priori extérieur. Le poète, par la magie de création à lui conférée par l’Olympe, a le pouvoir d’être à la fois regard et regardé, scène et spectateur, sujet et objet. À juste titre, la poésie est l’alchimie verbale d’un microcosme vivant, parlant et agissant, aux allures d’un dialogue de la nature, et avec elle-même, et avec le public ou l’interface. David DIOP reprend savamment cette idée : « Mais puisqu’il faut donner une définition, si vague soit-elle, de a poésie, disons qu’elle est la fusion harmonieuse du sensible et de l’intelligible, la faculté de réaliser, par le son et par le sens, par le rythme et par l’image, l’union intime du poète avec le monde qui l’entoure. La poésie, langue naturelle de la vie, ne jaillit et ne se renouvelle que par son contact avec le réel. »3

 

Tout compte fait, le pacte de la fonction référentielle est celui du poète spectateur qui, empiriquement et par extase, vit la scène qui lui est donné de voir, fût-ce, par le truchement du champ lexico-sémantique que voici : "ce chant lorsqu’on le chante", "L’esprit des danseuses esthètes s’éveille", "Et elles dansent…", "Sans instrument de musique", "sans sonorité", "avec émissions saccadées et intermittentes de voix", "elles dansent avec gymnastique", "avec agilité", "avec harmonie de charme", "pétrifier l’âme", "musique inaudible aux non initiés", "un philtre", "l’obsession de la parole", "consume"… Une telle atmosphère inscrite par le Djèlénin-nin, est celle de l’émotion du sacré, celle d’un imaginaire symbolique. Opportunément, le djèlénin-nin est la logique de l’intensification de l’émotion face à une scène indicible. On en viendrait à « lier…étroitement la poésie à la pensée religieuse ou, au moins, à la sensibilité mystique et sacrée. »4 Dans ce sens, le Djèlénin-nin est une idolâtrie parolière qui, par contrebalancement, tente d’exorciser l’indicible tragique, de façon telle à le désubstantialiser de son contenu fatal. Si tant est que, selon le dicton, les grandes émotions sont muettes, il n’y a, tout de même, pas de poésie dans le mutisme. Subséquemment, on reconnait à la poésie sa capacité à lutter intellectuellement et spirituellement contre les drames ou tragédies négatrices de l’existence. Si, donc, devant une intrigante situation quelconque, l’Humain n’a plus suffisamment de force mentale pour émettre la poésie affranchissante, le Djèlénin-nin s’offre à lui comme ressource adjuvante de renforcement psychique, apte à transcender l’émotion de l’indicible pour produire un « dit » de niveau irradiant, tant purificateur que libérateur. On en comprendrait que le Djèlénin-nin, telle une poésie spirituelle ou religieuse, se présente comme un breuvage mystique, inspirateur d’un amour forcené de la parole, mais de la parole curative de l’esprit endommagé dans des périodes infestes. C’est pourquoi, à l’image du Djèlénin-nin,  « La poésie est un philtre. »

 

En outre, la danse du Djèlénin-nin est présentée par le poète comme se déroulant " Sans instrument de musique" et "sans sonorité". C’est cette incongruité énigmatique qui a toujours assuré à la poésie son socle chansonnier. En effet, le genre poétique, à l’enseigne d’une terre inconnue, « se présente comme un continent abrupt dont l’immensité effraie celui qui l’aborde. »5  La poésie négro-africaine, elle-même, "sans sonorité", c’est-à-dire, sans langage versificatif classique, parvient à être très rythmée, très imagée et très symbolisée. Sous ce rapport, la poésie négro-africaine relève de la poétique du Djèlénin-nin, à savoir qu’elle est une poésie d’improvisation circonstancielle et d’utilité psycho-curative. Comme le Djèlénin-nin, elle parait abrupte, parce que sans forme précise, mais elle a une vertu thérapeutique, psycho-curative, au démeurant. Elle est le Djèlénin-nin.

   

Le Djèlénin-nin, en marge d’être relaté à la fonction référentielle par le poète, est un expédient cérémoniel à double vertu : particularisme et idéologie. Entrera en jeu la fonction conative du langage, témoin actant de l’action exorciste en cours, mettant en jeu l’interpellation de l’âme pour exercer, sur cette dernière, un effluve de soulagement.

   

Le particularisme concernera le bref examen d’un extrait du rituel gouro dans son contexte spécialisé de scène funéraire quelconque, relayée par l’œuvre poétique :

        

 

« Mon frère si c’est dans l’univers du sommeil que tu es

Réveille-toi

Grand-père le jeu auquel tu joues là est dangereux

Arrête-le…tu vois tout le village est rassemblé cloué

à cause de toi

Je dis : si c’est dans l’univers du sommeil que tu es

réveille-toi

Nous n’en pouvons plus

Nous n’en pouvons plus

Le désarroi est à son comble

Même la panthère du fond de la forêt te pleure

 

 

Et ses cris envoûtant répandent les pleurs

dans les cœurs.

Tah Lou Tanan que tu connais que tu aimes, a perdu

haleine

Avec son pagne traditionnel attaché à la hanche.

Le torse nu

Le corps couvert de boue

Les seins pendants

Les yeux tuméfiés

Elle va et vient sans discontinuer

De sa bouche on n’entend plus que des râles de délire

Je dis : mon oncle : si c’est dans l’univers du sommeil

que tu es réveille-toi

                     

Djèlénin-nin !

Gaston, tes cousins du Zougounéfla voisin sont venus

te voir

Ils sont venus

En exode interminable

En file massive

Ils sont là…interdits interloqués

Gaston, je dis : pourquoi veux

qu’on conçoive

l’inconcevable ?

La lune brille-t-elle à midi 

Et le soleil en pleine nuit ? » (DPTMA, p. 34)

 

Si l’extrait précédent donnait un aperçu de la danse du rituel, celui-ci s’attarde plutôt sur les paroles émises par la pleureuse, substitut du poète désarçonné. On pourra excuser sa relative longueur, ici ; le rituel négro-africain ayant le propre de s’épancher remarquablement, et en temps, et en espace, d’une sorte d’ivresse ou d’écervèlement baroque. L’on n’a vraiment pas le choix pour l’étude de cette poésie-sociologie ou de cette poésie-anthropologie, c’est selon. Dans ce dernier extrait, le répertoire d’indices de la fonction conative interpelle manifestement : "Mon frère," "que tu es", "réveille-toi", "le jeu auquel tu joues là", "Arrête-le", "tu vois tout le village est rassemblé", "Tah Lou Tanan que tu connais", "à cause de toi", "que tu aimes", "si c’est dans l’univers du sommeil que tu es", "te pleure"… Dans les fonctions du langage élaborées par Roman Jakobson, la fonction conative est celle qui relève de l’adresse à un interlocuteur dont on attire l’attention, de l’ordre d’une interpellation. Singulièrement, le cas échéant, l’interlocuteur est un être aux sens éteints, un mort. On parle d’extinction des sens que tous les thanatologues reconnaissent à tout sujet victime du phénomène existentiel qu’est la mort. Tout simplement, se dessine, ici, la vision négro-africaine de la mort qui objecte que les morts ne sont pas morts. Le poème « Messe mandingue pour des funérailles négro-africaines »6 du Sénégalais Mamadou Traoré DIOP en paraîtrait le repère le plus illustratif. On parlerait de prosopopée alchimique à charme de résurrection. Particulièrement, la fonction conative du Djèlénin-nin, dans une perspective mystique d’exorcisme, a pour vocation de ressusciter le Mort, sinon, de le faire vivre symboliquement, annihilant ainsi Le phénomène tragique souligné. Par cette verve conative, donc, la mort s’en trouve toisée par la pugnacité olympienne de la pleureuse-poète. Les mots, rythmes, images et interrogations, qui jonchent son élocution rapportée plus haut, sont le reflet de la divine sensibilité nègre en cet instant de pointe civilisationel que constitue le deuil.

 

La vertu idéologique du rituel du Djèlénin-nin se ramène à son extirpation  de son foyer anthropologique de particularismes funéraires, au profit de sa transposition artistique au chevet de la société ou le village stylistiquement malade, l’Afrique affligée, par exemple. Le Djèlénin-nin, du fait qu’il est un rituel d’expulsion de la tristesse, il a un pouvoir curatif mental, valable pour les hommes éplorés, valable spirituellement pour la communauté, pour des personnes morales et structures sociales. C’est que, dans l’exécution du rituel, la pleureuse, après avoir vomi l’inacceptabilité de la situation tragique, comme dans l’extrait sus-cité, relate la dignité, la valeur, la brillance, l’éminence, les hauts faits ou la dignité généalogique du Mort, de sorte à consoler les cœurs endoloris et peinés, et à leur inspirer que leur personne chère n’est pas morte :

 

               

« Je suis venu rendre visite au frère de mon papa

Il me manquait

Je raffolais de le revoir

Je suis venu le voir et regardez l’état dans lequel

je le trouve

Il s’en va

Le voilà qui va là

Il s’en va dans la tombe

L’homme éléphant s’en va

La terreur des fauves s’en va

Il s’en va dans la tombe

Djèlénin-nin ! » (DPTMA, pp. 38-39)

 

 

 

 

Les prédicats "L’homme éléphant, "terreur des fauves", indiquent bien la dignité du défunt ayant tendance à nier son état déplorable en cours. L’état d’esprit de positivation, on le retrouve artistiquement et de façon inédite, dans le texte, au chevet de l’Afrique symboliquement morte et que la pleureuse voudrait remettre en vie par l’art quasi spirituel du Djèlénin-nin :

 

              

« Brute Afrique des âmes exaltées            

 

 

Brute Afrique de la chaleur nostalgique du royaune congénital

L’oiseau louangeur te chante

De sa voix chuchotante de vin de palme frelaté

C’est un chant de magnificence

Ce chant Samory l’a chanté

 Chaka l’a chanté

 …

 …

"Afrique originelle de l’activation des artères sanguines

Tu as bercé l’enfance de l’existence

Au moment où tous les mythes nourriciers

Se mettaient en place et éditaient leurs littératures" 

danse

                                                            danse

danse… » (DPTMA, p. 26, p. 28)

 

 

L’Afrique, donc, est symboliquement morte, du fait des coups d’Etat à répétition, des rébellions, des meurtres politiques, de la précarité de ses infrastructures, des maladies chroniques, de la pauvreté. En exécutant rituellement à son chevet le Djèlénin-nin, le poète nourrit le dessein sacral de l’affranchir des fanges boueuses qui enchaînent son éclosion et nouent son développement ; d’où la nécessité de susciter en elle le déclic en la rétablissant dans sa dignité première et en lui rappelant ses exploits historiques, et ce, par l’adjuvance de la force incantatoire qu’insuffle le charme envoûtant des paroles et des pas des pleureuses consacrées, visage symbolique des poètes initiés des temps modernes. Dans cette poétique, l’évocation "Djèlénin-nin !" à une instance ou à un niveau d’articulation du récit, stipulerait un sursaut salutaire pour nier la fatalité narrée. Dans le texte oral du Djèlénin-nin, la fonction conative du langage prête main forte à celle référentielle, pour donner, à ce sous-genre de la poésie orale africaine, de résorber son taux d’abstraction intellectualiste, et ce, en dépit de son élitisme avéré ; l’âme négro-africaine, parce qu’elle rattache sacerdotalement le sensible au métaphysique, se plait, avec hauteur, à ne pas réduire l’élitisme à l’abstraction spéculative. Pareillement, la distribution éparpillée de la lexie "danse" sur la page blanche, témoigne de l’importance de l’empirisme qui nourrit substantiellement l’art poétique. Ainsi, toute activité littéraire orale ou écrite en solidarité d’une terre sinistrée ou d’une structure sociale éprouvée, souscrit au Djèlénin-nin, pourvu que soient mis en code, dans l’inspiration, rythmes, symboles et images, dévoilant, avec émotion, l’intimité ancestrale, l’honorabilité, la grandeur humaine et les promesses d’espérance de cette dernière.

 

Dans ce cadre, une éventuelle scansion du texte par un éventuel "Djèlénin-nin !" ne serait pas œuvre futile; le tout, ici, est de nier le malheur pour que poigne le rayonnement du bonheur. C’est le culte de la positivation.

 

 

 

 

II- Une autorité morale

 

De notoriété, tout rite traditionnel, qu’il soit négro-africain ou non, se déroule sous l’onction d’un officiant qui fait office de guide du culte et qui, investi de la sagesse ancestrale, est dépositaire de l’orthodoxie du rite en cours. Il en atteste de la validation ou de l’invalidation. Cette équation mystique est plus visible dans les rites sacrificiels et l’est moins dans des rites de spectacle évasif comme le Djèlénin-nin. Dans D’éclairs et de foudre7, le poète assure lui-même cette autorité morale, cultuelle, du reste ; la poésie négro-africaine entretenant une interaction fluide avec les rites traditionnels. Dans le texte évoqué, le poète, commandant aux composantes du rituel, « parraine » la cérémonie par une souveraine litanie invocatoire où les mots de la langue locale et les mots français, s’enchainent dans une verve éruptive de libération. D’enseigne disciplinaire, le poète, de son sens olympien de créateur, est une autorité morale ; il a une emprise indéniable sur l’existant qu’il a le pouvoir de démonter ou de transformer spirituellement par l’acte illuminant de transfiguration. C’est la dénotation de l’impact magique de la parole qui, ainsi que le confessent même les livres saints, a le charme coercitif de faire passer du Néant à l’Existence, et vis-versa.

 

Dans le Djèlénin-nin, rituel moins vénératif et moins pieux, et surtout spectaculaire, sinon, d’apparence, l’autorité morale a l’allure d’un prophète de consolation, diseur de bonnes nouvelles rassurantes qui engagent un futur dégagé de toute nébuleuse. Dans le rituel gouro, l’officiant ou l’autorité morale, est d’une telle assurance rageuse du futur que l’unique texte poétique d’inspiration, sus-nommé, l’identifie à un prophète, tout simplement. Dans La Prophétie de Joa8, il est initié un dénommé Prophète de Joal, un genre de prophète de malheur qui, au sixième chant du texte, débite toute une suite d’imprécations tonitruantes sur la vie des fils indignes, ceux qui négligent et profanent le legs culturel. Celui du Djèlénin-nin, lui, est appelé Prophète du Djèlénin-nin, un genre de prophète du bon devenir futuriste, annonciateur d’un lendemain enchantant. C’est lui qui, tenant la cérémonie sous sa caution paternelle, intervient en un moment donné dans l’arène, non artistiquement, mais, de préférence, lucidement, pour consoler le public endeuillé, par un acabit d’amas de paroles illuminées. C’est ce personnage de prestige qui assure la manivelle, mieux, qui est le concentré véhiculaire des promesses d’espérance et du culte de la positivation annoncés plus haut.  Pour cela aussi, il porte le nom commun de Djèlénin-nin ; il est le Djèlénin-nin ; il est un Djèlénin-nin. Voici comment il est présenté dans le texte poétique :

         

« Il est apparu le prophète du Djèlénin-nin

 

Avec son visage radieux

Radieux comme le soleil des grands jours…

De l’écroulement des murs de Jéricho

De la chute du mur de Berlin

De la libération de la terre d’Eburnie.

 

Son visage épouse son récit

Célébrons-le… » (DPTMA, p. 41)

 

 

La gamme de prédicats à lui associés achève de convaincre de la singularité d’un personnage illuminé, devin, interchangeable, presque, à un démiurge, pont de communication entre les dieux et les périssables : "visage radieux", "soleil des grands jours", "libération"… C’est le statut du poète, intellectuel et être spirituel à la fois, visionnaire de son temps. Le prophète du Djèlénin-nin en donne libre cours. Dans la suite du texte, ses interminables élocutions "Je la vois venant du ciel", "Je vois… je vois … je vois", "Je vous dis que je vois, Croyez", "Je vous dis que je vois, Ne doutez pas", "Je vois", "J’entends… j’entends", "J’entends" … l’attestent. Spirituellement, le prophète du Djèlénin-nin est la systématisation verbale, du passage de la tristesse à la joie, des ténèbres à la lumière, de la désespérance au rêve le plus fou. Victor HUGO a sujet de dire que le poète est un mage qui conduit l’Humanité vers la Vérité. La Vérité, ici, c’est le bonheur de l’âme, conséquente à l’observation d’une parole liée à l’éthique intellectualiste et dont le poète est le proférateur. Ainsi, le prophète du Djèlénin-nin, doublure du poète, est « la pointe même au glaive de l’esprit. L’abeille du langage est sur leur (son) front. »9  Figurativement, on pourra, usuellement et par corrélation, dire d’une personne qu’elle est un Djèlénin-nin si elle a l’art, au milieu d’un désastre communautaire ou individuel, d’entretenir une rhétorique inspirée qui ferait espérer le ou les suppliciés en l’avenir, de façon telle à panser en eux la douleur morale interne. Le Prophète du Djèlénin-nin, donc, porteur du flambeau platonicien, tire ses congénères, prisonniers d’une pesanteur obscure, du gouffre, sinon, de la caverne, pour qu’ils jouissent, non de l’ombre du Réel, mais, plutôt, de la lumière du Réel, donc, de la plénitude du Réel.

   

D’autre part, le poète, être symbolique, a les allures d’un être imaginaire, en raison de sa multifacialité ; au chapitre précédent, il se recouvrait de la silhouette de la danseuse du Djèlénin-nin, la pleureuse esthète. En ce chapitre-ci, il porte le manteau du Prophète du Djèlénin-nin. On en dénote que la poésie, littérature symbolique et imaginaire, n’est pas cernable, mieux, n’est pas embastillable dans de prétendus canons d’écriture figés. Il en ressort que son herméneutique est ancrée dans un pluralisme vertigineux et infini. Et le poète lui-même, parce qu’il n’est pas d’une citoyenneté matérielle et sensible, est mouvant et échappe aux entendements mathématisants du monde sensible. Le poète, donc, en changeant presque versatilement son masque, voit ses fonctions et modes d’action varier. Sous la silhouette de la danseuse, il consolait l’auditoire endeuillé en étalant, par virtuosité, le panégyrique ou la laudation du défunt. Sous le casque du Prophète du Djèlénin-nin, il console et fortifie l’assemblée peinée par l’évocation rhétorique d’un futur d’espérance, et pour la famille éplorée, et pour toute la communauté, dans un récit ou dans une phase moins artistique que la première. C’est que la poésie, quand elle veut se réduire à une berceuse, s’emmure dans des figures tropiques, images, symboles et rythmes, larmoyant stylistiquement. Quand elle veut revendiquer sa part d’opérationnalité sociale, elle rend son discours plus incisif sans se dérober à son intégrité disciplinaire de langage enchanteur. Soit que la poésie rit avec la communauté quand cette dernière est visitée par des joies existentielles, soit qu’elle s’alarme au chevet de la communauté lorsque la patrie se trouve être niée par des incartades historiques. La poésie négro-africaine, au sondage de son histoire littéraire, a connu toute ces étapes initiatiques. Bien à propos, le Prophète du Djèlénin-nin, doublet du poète, bénéficie de la caution initiatique des ancêtres pour pouvoir officier. Roger CAILLOIS en donne l’avertissement : « De tout personnage ou objet sacré, on ne peut approcher qu’avec précaution, car il exercerait une influence funeste sur celui qui s’exposerait sans garantie à son contact. Cependant, si l’homme doit éviter ce contact direct avec la divinité, il ne peut pas se passer des concours divins : pour les obtenir, il a recours au sacrifice et à l’offrande. »10 

Ainsi, le poète, autorité morale de la société, en plus de la âpre initiation intellectuelle qui est la sienne, voit sa sensibilité forgée par les multiples épreuves de la vie. Cela fait office, pour lui, de sacrifice et d’offrande, faisant de lui l’allié privilégié des ancêtres et du monde métaphysique.

   

Le Djèlénin-nin, en dépit de son ludisme, de son intellectualisme et de son spiritualisme, perdrait de son mordant en dehors de la chaleur communautaire.

 

 

III- Une poétique du salut conmunautaire

   

Le Djèlénin-nin est un des instincts du communautarisme nègre, synonymie de son oralité. ZADI ZAOUROU en donne le ton : « L’oralité n’est pas seulement le fait de communiquer avec l’autre par le moyen de paroles non écrites. L’oralité, c’est aussi et surtout un ensemble d’institutions visant à instaurer entre les membres du groupe social un type particulier de rapport (rapports communautaristes), un style de relation et de vie dessinant une éthique communautaire, un art d’aimer la terre des ancêtres, l’attachement au pays, impliquant l’intégration positive de l’intérêt particulier à l’intérêt collectif. L’oralité, c’est toute une vision du monde, tout un art de servir la cité pour le bien de tous. »11

   

Le Djèlénin-nin est un instant de deuil. Le deuil, en Afrique noire, sonne la trompette du passage en revue des troupes claniques et lignagères, à l’effet de se solidariser devant un phénomène tragico-existentiel qu’il faut nécessairement dédramatiser. Le Djèlénin-nin, donc, cumule parole et vivre ensemble, mieux, le Djèlénin-nin sacralise la parole virtuose comme lien actionnant du vivre ensemble chaleureux 

 

« Gaston, tes cousins du Zougounéfla voisin sont venus te voir

Ils sont venus

En exode interminable

En file massive

En queue serpentiforme

Ils sont là…interdits interloqués » (DPTA, p. 35)

 

 

« Tes amis des contrées lointaines

Que les rayons de ta célébrité ont couvertes

Sont venus te secourir

Ils sont venus

En colonie innombrable

En grappes

En essaims

Ivres de ce qu’ils ont entendu » (DPTA, p. 36)

 

« …tout le village est rassemblé cloué à cause de toi » (DPTA, p. 34)

 

En Afrique noire traditionnelle, dont le Djèlénin-nin gouro est un archétype, le deuil est un instant d’humanisme et un test d’audience sociale, pour refuser de perdre la vie, legs inaliénable de la divinité. En réalité, il est de conception négro-africaine que la vie humaine est vie éternelle. Point n’est question, dans ce cas, de se laisser berner par les caprices trompeuses et mal inspirées de la matérialité sensible qui réclamerait ce qui est à lui : le corps, valeur périssable. Ainsi, c’est au milieu de cette atmosphère de compréhension, de hauteur philosophique, de tolérance, de paix, d’amour, de lumière spirituelle, de solidarité et de partage, d’acceptation d’autrui, que s’exécutent, de façon édifiante, les principaux acteurs du rituel, en l’occurrence, Tah Lou Tanan, pleureuse esthète, et le Prophète du Djèlénin-nin. Bien à propos, le texte poétique, du fait qu’il est, selon Michael Riffaterre, une Représentation, il obéit toujours aux canons du communautarisme universel ; il s’appuie, certes, sur des particularismes mais il les transcende et les dépasse, pour donner à l’abstrait universaliste. C’est d’ailleurs l’origine de son autonomie herméneutique. Si, dans l’entendement naturel, l’Universel peut s’opposer au Communautaire, on va en objecter que l’Universel est une échelle du Communautaire, et que, vis-versa, le Communautarisme est une échelle de l’Universel ; les deux notions étant fondées sur des repères humains identiques, éminemment didactiques et difficilement trahissables. C’est la logique du rapport magnétique et interpénétré du général au particulier. Avec bon sens, ARISTOTE s’était intéressé à la question. Jamais, le communautarisme ne peut être ravalé au stade de ce qui est isolé, marginal ou de piètre importance. On en résout que le Communautaire nourrit l’Universel auquel il sert de support didactique et de maquette architecturale. L’Afrique, donc, ainsi que l’impulse le Djèlénin-nin, est riche de poésies parce dotée d’un communautarisme exaltant. Le Djèlénin-nin en est une indication plausible.

   

Le peuple gouro est du Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire, en Afrique de l’Ouest. Il est du grand groupe mandé, précisément, mandé du Sud, en lien analogique au peuple senoufo qui relève des mandé du Nord avec lequel, naturellement, il entretient une parenté à plaisanterie. Il aurait, pour ancêtre, un certain Hammadi Gouro, d’origine peule. Les recherches scientifiques sont en cours pour se prononcer décisivement sur cette origine ancestrale des gouro. En attendant, on peut, à tout le moins, constater que des reliques culturelles gouro ont des empreintes peules. C’est le cas du masque flaly, par exemple. En effet, le terme flaly est d’une étymologie littérale qui signifie « femme peule». En souvenir d’un chasseur qui, pendant ses randonnées sylvestres, aurait rencontré une femme peule d’une extraordinaire beauté et qui aurait, par la suite, comme par enchantement, disparu de sa vue. À son retour au village, il aurait tenté de sculpter cette créature énigmatique, mythologiquement rencontrée ; le masque flaly est visiblement la représentation du visage d’une belle femme peule. Des investigations plus incisives situeront exactement l’opinion sur la question. En attendant, et par présomption, on peut intégrer, fût-il hypothétiquement, que les Gouro ont eu, dans une ancestralité reculée, un contact avec les peuls. Le Gouro est idolâtre et polythéiste, certes, mais reconnait l’existence d’un dieu suprême : balé. La pluviométrie du pays est appréciable, ce qui favorise l’humidité d’un sol favorable aux cultures vivrières et industrielles. Subséquemment, pour son activité, le gouro est, principalement, cultivateur, et tisserand, en adjonction. Il arbore fièrement une tenue identitaire, avec bonnet, celle de la chefferie, notamment. Le gouro inscrit une culture à paroles, à danse et à masque. L’art de la parole, légendaire, est incarné par un nom : Youan Bi Lèè Borlia, grand poète traditionnel dont la renommée a couvert tout le pays gouro, évoqué dans le texte poétique dans un extrait figurant dans la première partie de l’étude-ci. La danse du Djèlénin-nin, quant à elle, est brillamment détenue par une certaine Tah Lou Tanan, magnifique pleureuse-esthète du rituel examiné, également évoquée dans le premier chapitre de la présente réflexion.

   

Dans la nuit du Jeudi 8 Mars 2018, à Bangofla, sous-préfecture de Vouéboufla, se tient une veillée funéraire, antre circonstanciel du Djèlénin-nin. C’est la veillée de TRA LOU TRA, la petite sœur de ma grand-mère maternelle TRA LOU GBAMBLE, une rouquine de lignée royale. D’ailleurs, GBAMBLE signifie "de teint clair, "Clair-rouquin" ; en découle son nom affectueux MOHON : "Déjà propre", "Lavée avant même de naître". Voici un effort de transcription phonétique gouro du mot GBAMBLE :  gbặ blệ, mieux, gbặmlệ. TRA LOU TRA est la petite sœur de ma grand-mère TRA LOU GBAMBLE, donc, directement ma grand-mère, elle aussi. Elles sont toutes deux filles de BIANGONE BI TRA, illustre chef canton. À cette veillée, trois esthètes pleureuses du Djèlénin-nin : Vahou Dje Lou Nayé, Lohouo Lou Tchana et Male Lou Belou, tiennent en haleine l’assemblée constituée de citoyens locaux et de multiples gens venus des villages voisins. Et ce, jusqu’à l’aube. Des voix de chorale enflammées et des pas rythmiques étonnamment cadencés, sans instrument de musique, ont achevé d’édifier cathartiquement un public ragaillardi, pourtant, initialement attristé. Elles le font en hommage à la défunte elle-même chanteuse des funérailles en pays gouro, particulièrement, à Zuénoula, dans les cantons Duonon, Bê, Bié, Nuonnon et Min.

   

L’art virtuose du Djèlénin-nin est hérité de la tradition à masque qui identifie ce groupe ethnique du Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire. Chez le Gouro, en effet, le masque est nécessairement masque à danse, quitte à ce que, accessoirement, il serve à d’autres besoins d’exorcisme, de cure spirituelle initiatico-totémique. C’est le cas du flaly, du zamblé et du zaouli qui, lui, fut sacré, en début d’année 2018, patrimoine mondial de l’U.N.E.S.C.O. Dans cette logique, la danseuse du Djèlénin-nin est la réédition symbolique du masque, foyer cultuel et d’évasion artistique en Afrique noire. En définitive, le communautarisme négro-africain, illustré par le Djèlénin-nin, est une phase de vie chaleureuse ; la poésie elle-même étant une sensation de chaleur intellectuelle qu’édicte le rituel initiatique d’une lexicologie spécialisée, non innocente de son contexte culturel.

 

 

 

Conclusion

   

 

La poésie négro-africaine de tradition orale se décline en plusieurs sous-genres. Le Djèlénin-nin en est une facette. Ainsi que l’entonne le Djèlénin-nin, la poésie orale africaine fait corps avec le spectacle. En Afrique, la littérature n’a jamais été conçue, ni vécue, en dehors de l’art du spectacle. Elle est un espace de paroles souverainement inspirées, de musiques, de couleurs, de mouvements corporels, de chorégraphies exaltantes, de voix mélodieuses, de décors fastueux, de scènes et de mises en scène. SENGHOR l’avoue, en partie, quand il reconnait que ce qu’il a appris à l’ombre de Marône, la poétesse de son village, c’est l’association de la poésie à la musique.  Logiquement, paroles et musiques constituent le lit spontané du spectacle. La danse, art du spectacle et synchronisation des émotions populaires, tente de faire vivre et comprendre les codes initiatiques de la musique qui, elle, se présente comme la voix ancestrale de la berceuse intimiste de l’âme. Et  la poésie, fût-elle la plus distinguée, ne s’appréhende jamais en dehors de ce cadre. Le comble, c’est que, pour le cas-ci, la pleureuse esthète, du haut de son initiation, est la seule à entendre une musique pas du tout perçue des profanes, certes, mais qui présente, extraordinairement, dans la perception du spectateur, une harmonie avec les pas de danse très cadencés, exécutés par l’artiste du deuil.

   

Le Djèlénin-nin est rituel de deuil, non pour accentuer le deuil, non pour « endeuiller le deuil », mais, plutôt, pour le nier, de sorte à le faire enfanter une espérance irradiante de vie communautaire. Le Négro-africain, depuis son berceau de l’Egypte antique, a toujours été un être de positivation, un être vie, un être porté aux cultes constructeurs, un être de rituels virtuoses en communion avec la divinité, un être d’émission de paroles savantes et émotionnelles, négatrices des puanteurs de l’existence. Dans cette brève étude du Djèlénin-nin, nous avons tantôt fait allusion à des extraits d’une poésie écrite mais calquée, en style verbal et en structure, sur la pratique originelle du concept. Si bien que les quelques clins d’œil furtifs aux stances de cette poésie-anthropologie, ne nous ont jamais détaché de la chaleur traditionnelle du Djèlénin-nin. De toutes façons, la civilisation noire n’a jamais manqué de connecter l’art au vécu évasif et religieux. La poésie est le silence premier de l’univers qui, en lui-même, est la profération initiale de la parole poétique ; la poésie est la parole mythique de chaque peuple qui concentre les non-dits, symboles, visions complexes, souffles énigmatiques, passions intégristes, suppositions et embarras, à l’origine de la naissance du peuple. Ce n’est pas en vain que le mot mythe, qui entretient une synonymie étroite avec la poésie, vient du latin mutus, muet. La poésie, apparemment, est l’espace des incompris, des vérités non évidentes, mais, est source de didactiques infinies et fertilisantes d’intelligences. Le corollaire en est l’harmonie verticale et horizontale de l’individu et du peuple.

   

L’Afrique, avec son aura divine et ses multiples littératures dont le Djèlénin-nin et ses émules assurent le rayon poétique, a beau à promettre à l’Humanité.

 

 

 

 

Bibliographie

 

 

BÄ (Hampaté), Aspects de la civilisation africaine, Paris, Présence africaine, 1972.

CHEVRIER (Jacques), Littérature nègre, Paris, Armand Colin, 1974.

CRASTRE (Victor), Poésie et Mystique, Neuchâtel, Les Éditions de la Baconnière, 1966.

ELIADE (Mircéa), Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, 1965.

GAWDAT (Gusine), LAfrique dans  lunivers poétique de L.S.S., Dakar, Abidjan-NEA, 1978.

LOUIS VINCENT (Thoma), Cinq essais sur la mort africaine, Dakar, Philosophie et Sciences  sociales, numéro 3, 1968.

ZADI (Zaourou Bernard), La Parole poétique, Tome II, Université de Strasbourg II, 1981. "Césaire entre deux cultures", Abidjan-Dakar, N.E.A, 1978.

 

 

 

 

 

Notes

 

1Emmanuel Toh Bi, Religions Djèlénin-nin pour toi mon Afrique, L’Harmattan, Paris, 2007.

 

2. Louis Vincent Thomas et René Luneau, Religions d’Afrique noire, Fayard-Denoel, Paris, 1969.

 

3David DIOP, « Contribution à la poésie nationale » in Coups de pilon, Présence Africaine, Paris, 1973, p. 69.

 

4Victor Crastre, Poésie et Mystique, Les Editions de la Baconnière, Neuchâtel, 1966, p. 8.

 

5Poésie et Mystique, Op.cit., p. 26.

 

6Mamadou Traoré Diop, « Messe mandingue pour les funérailles négro-africaines » in mon dieu est noir, NEA, Dakar-Abidjan, 1975, p. 3.

 

7. Jean-Marie Adiaffi, D’éclairs et de foudre, Ceda, Abidjan, 1986.

 

8. Eno Belinga, La Prophétie de Joal, Éd CLE, Yaoudé, 1975.

 

9. Saint John Perse, VENTS, IV ; 10-12. 

 

10Roger Caillois, L’Homme et le sacré, Gallimard, Paris, p. 31 de Poésie et Mystique, Op.cit. 

 

11Zadi Zaourou, La parole poétique africaine, Université de Strasbourg, 1981.

***

 

Pour citer cet article

​​​​​Emmanuel Toh Bi, « Qu’est-ce que le Djèlénin-nin ?  », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020| I- Le néopaganisme & la sexualité dans la culture populaire du XXIe​​​​​​ siècle, mis en ligne le 29 mars 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/djeleninnin

 

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