27 avril 2020 1 27 /04 /avril /2020 10:09

 

 

Megalesia 2020 | Événements & manifestations avec de membres de notre équipe | Appel à contribution 

 

 

 

Les figures des

Muses et Créatrices

dans l'Antiquité

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Crédit photo :  Simon Vouet (1590-1649)"Les Muses Uranie et Calliope", domaine public, Wikimedia.

 

 

 

Comment naissent les Muses, les Créatrices, est-ce par des figures ? Qu'est-ce qu'être une Muse ou une Créatrice ? Comment en parle-t-on, les décrit-on ? S'agit-il d'une invention humaine parmi d'autres, de manifestations du Matriarcat ? Quels pouvoirs ont-elles les Muses et les Créatrices ?

Les figures des Muses et Créatrices sont très variées et inspirantes à travers les siècles et les civilisations. Elles sont invoquées par les artistes, les aèdes... Elles sont souvent Source et But de la vie. Elles peuvent être divines, humaines, réelles, fictives, féminines, masculines, androgynes, hybrides, animales, végétales, minérales, visibles, invisibles, invisibilisées (dans les textes et monuments antiques), inspirées par les religions, ou les sciences...

Dans ce premier volet, nous nous concentrons sur l'Antiquité non seulement en Europe mais de tous les continents et sur les figures mythiques, légendaires, païennes, monothéistes, animées et inanimées (etc.) en lien avec la poésie, les lettres et les arts. Pour ce faire, nous vous proposons de participer à cette enquête sur "Les figures des Muses et Créatrices dans l'Antiquité" par l'envoi d'une communication libre sur le sujet du 15 mai au 31 janvier 2021 pour les contributions complètes. Et du 28 avril au 30 octobre 2020 pour les propositions d'une dizaine de lignes.

 

Vous pourriez par exemple nous adresser un document sur

  • Les types de figures des Muses et/ou Créatrices.
  • Les expressions de leurs pouvoirs.
  • Leurs naissances (Sappho, Aspasie, Antigone, téthys, Vénus, Gaïa, etc.), leurs natures, leurs objets fétiches par lesquels elles sont représentées.​​

En ce qui concerne les textes poétiques, illustrations et participations audiovisuelles, nous vous remercions de décrire des figures antiques sans les moderniser.

Veuillez également respecter les consignes de la revue LE PAN POÉTIQUE DES MUSES dans la présentation typographique de vos contributions et de ne pas dépasser les six documents (textes, poèmes, images, audiovisuels...) par participant.e.

LE PAN POÉTIQUE DES MUSES vous remercie de lui adresser des articles et/ou témoignages de trois à vingt-cinq pages A4 (interligne simple ou double, police 11 ou 12). Attention, une image doit être inférieure à 8 MO.

Ce numéro paraîtra en version électronique (en ligne) en février-mars 2021 avant sa publication imprimée.

 

 

Texte réécrit et reformulé légèrement à partir du document manuscrit de

D. Sahyouni

 

 

 

 

Responsable scientifique du projet et pour évaluer en deuxième lecture, si cela se révèle nécessaire, les articles académiques complets (à partir du 21 juillet prochain) :

Dina Sahyouni

 

Sélection & évaluation des contributions :

Aude Simon, David Simon & tout autre membre du périodique

Contact direct de la rédaction

David & Aude Simon :

LE PAN POÉTIQUE DES MUSES

​​​​​​contact.revue@pandesmuses.fr

contact@pandesmuses.fr​​​​​​

 

 

Cet appel à contributions a été annulé par la responsable en mai 2020. À reprendre ultérieurement.

 

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Pour citer cet argumentaire 

David Simon, « Les figures des Muses et Créatrices dans l'Antiquité », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020, mis en ligne le 27 avril 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/figuresdesmuses

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Megalesia Appels à contributions
25 avril 2020 6 25 /04 /avril /2020 16:41

 

Megalesia 2020| Parutions des membres de notre équipe

 

 

Françoise Urban-Menninger (éd.), 

 

Dimension Jardins

 

Rivière Blanche, 2018.

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© Crédit photo :  "Première de couverture illustrée par Mike Hoffman", 2018.

 

Détails techniques

Titre : Dimension Jardins

Auteure/autrice : Françoise Urban-Menninger (éd.), œuvre collective

Maison d'édition :​​​​​​ Black Coat Press pour la "Rivière Blanche"

Format : Broché

Genre : fantastique

Illustrateur : Mike Hoffman

Maison d'édition :

Date de parution : 2018

Nombre de pages : 177 ou 180 p.

ISBN-10 : 1612277721

ISBN-13 : 978-1612277721

Prix : 18,00 €

 

Présentation de la maison d'édition :

Tous les auteurs de cet ouvrage, qu’ils soient conteurs, nouvellistes ou poètes, nous invitent à parcourir les allées de leur jardin intérieur. Dans leurs pas, nous arpentons des sentiers baignés d’ombre et de lumière qui sont aussi les nôtres ! Nous renouons avec cette âme végétale qui nourrit notre imaginaire de sa sève étrange et pourtant familière… Nous renouons ainsi avec nos racines terrestres et telles les branches d’ un arbre, nous nous élançons vers ces clartés qui nous ouvrent l’esprit sur l’univers à la fois fantasque et fantastique de notre inconscient collectif. Indubitablement, chaque auteur(e) a planté sa part végétale en terre d’onirisme. À vous lecteurs d’en cueillir les fleurs et les fruits dans ce jardin tout en patchwork de rêveries éveillées à ne surtout pas aborder de manière linéaire mais à découvrir au hasard d’une page tournée par le vent dans un jardin, un parc ou à l’orée d’une forêt, à l’ombre d’un vert feuillage… Vous comprendrez très vite que les arbres ne pratiquent pas la langue de bois !

 

Textes de :

Absis, Camille Aubaude, Jacques-Henri Caillaud, Marc Chaudeur, Véronique Ejnès, Éric Guillot, Pierre-Vincent Guitard, Christophe Honegger, Emmanuel Honegger, Grégory Huck, Martine L. Jacquot, Aude Kalfon, Michel Loetscher, Aurélie-Ondine Menninger,  Vivien Menninger, Joan Ott, Chantal Robillard, Dina Sahyouni, Anne-Marie Soulier, Sylvie Troxler, Françoise Urban-Menninger, Bernard Visse, Jean-Claude Walter et Pierre Zehnacker.

 

Sommaire :

Préface

Absis : Le parc de Saint-Cloud

Camille Aubaude : Le cimetière d’Amboise

Jacques-Henri Caillaud : Les fougères et autres poèmes en prose

Marc Chaudeur : Santa Lucia

Véronique Ejnès :

 La Portugaise

 Jardins d’enfance

Eric Guillot, alias Paul Tojean : Les jardins de l’Alhambra

Pierre-Vincent Guitard : Le jardin profané

Christophe Honegger : Cipolin, marbre magique !

Emmanuel Honegger : Course de côtes chez les lombrics

Grégory Huck : Le sixième cri

Martine L. Jacquot : Le jardin d’herbes aromatiques

Aude Kalfon : Mon beau jardin

Michel Loetscher : Le bruit du monde dans les cyprès

Aurélie-Ondine Menninger : À l’ombre de l’ombu

Vivien Menninger : Minuit cinquante et un

Joan Ott : Le jardin de la discorde

Chantal Robillard : Pour Merlin

Dina Sahyouni : Des jardins secrets

Anne-Marie Soulier : Le jardin que je n’aimais pas

Sylvie Troxler : 

Un rêve éveillé

Au jardin des délices

Françoise Urban-Menninger : 

On devient ce que l'on mange !

Les compotes d'Ève

Bernard Visse : Sous le grand catalpa 

Jean-Claude Walter : Saisons rebelles

Pierre Zehnacker : Souvenirs dans un jardin

 

Lien pour commander ce livre

Réception par la journaliste Élsa Nagel dans Hebdoscope, N°1055, novembre 2018 :

© Crédit photo : Image de la page consacrée au livre fournie par F. Urban-Menninger. 

 

Source de l'information :

Françoise Urban-Menninger

 

Voir aussi :

 

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Pour citer cet avis de parution

LE PAN POÉTIQUE DES MUSES, « Françoise Urban-Menninger (éd.), Dimension Jardins, Rivière Blanche, 2018 », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020, mis en ligne le 25 avril 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/dimensionjardins

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Megalesia
25 avril 2020 6 25 /04 /avril /2020 14:15

Megalesia 2020 | Chroniques de la pandémie de COVID-19 | Articles & témoignages

 

 

 

Des vertus paradoxales de l'enfermement 

 

 

 

Mustapha Saha

 

Sociologue, poète, artiste peintre

 

​​​​​© Crédit photo : "Mustapha Saha avec Sylvie Le Bon de Beauvoir, philosophe, fille adoptive de Simone de Beauvoir", image fournie par l'auteur. 

 

65 - Les Livres, entassés dans la bibliothèque, semblent bouger de place, se prêter à des manèges étranges, se montrer ou se cacher selon des raisons sibyllines. Les « Nouvelles histoires extraordinaires » d’Edgar Poe, traduites par Charles Baudelaire (éditions Garnier Frères, 1947), se présentent sans être convoquées, dans leur vieil habit jauni. Je me porte illico sur la nouvelle. « Le Masque de la mort rouge » dont je garde un souvenir vivace. La relecture me procure, comme souvent, cette impression ambivalente de parcourir une intrigue familière et de découvrir des clés méconnues. Le prince Prospero se réfugie avec sa cour dans une abbaye sécurisée, s’adonne impudemment à une vie de débauche, pendant que la terrifiante « Mort Rouge » décime les pauvres gens. S’organise un bal masqué dans un labyrinthe de sept pièces de sept couleurs différentes. La dernière salle est noire avec une grande horloge qui sonne lugubrement à chaque heure. Le prince Prospero repère au cours la soirée une personne inconnue enveloppée d’un linceul. Il sort son poignard et poursuit l’indésirable jusqu’à la chambre funèbre où la camarde se retourne, le foudroie sur le champ avant de cadavérer ses courtisans les uns après les autres. Quand la Faucheuse trace son chemin, les nantis, aveuglés par leur cynique, subissent le même sort que les gueux. L’histoire souligne l’infaillible ubiquité de la mort et la vanité de lui déclarer la guerre. Aucune enceinte fortifiée, aucune police, aucune armée ne peut arrêter l’implacable destin. 

 

66  - Me revient à l’esprit un vieux conte arabe, « Le Visir et la Mort », qui se déroule à Bagdad sous splendeur abbasside, inoubliable allégorie qui m’a valu, pendant mon enfance, quelques nuits blanches. Ainsi se forme le questionnement philosophique. La prise de conscience de la mort, de la finitude, est la première tourmente intellectuelle. La quête d’immortalité prend la tangente de l’art et de la poésie pour sublimer ses illusions. « Tout ce qui nous advient laisse des traces, tout concourt, sans que l’on s’en doute, à notre formation, mais il est dangereux de vouloir sans rendre compte » (Johann Wolfgang von Goethe, Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister, 1796, traduction française éditions Gibert Jeune, 1949). Un Visir, tremblant de la tête aux pieds, se présente un matin devant le Calife : « Pardonne-moi, Seigneur,  mon effroi. En arrivant devant le Palais, une femme au visage livide, une écharpe rouge nouée autour du cou, m’a bousculé. J’ai tout de suite reconnu la Mort. Permets-moi, Seigneur, de m’enfuir à Samarcande pour déjouer sa funeste intention. J’y serai avant ce soir ». Le Visir enfourche son cheval et disparaît dans un nuage de poussière. En sortant de son Palais, le Calife croise à son tour la Mort et lui demande : « Pourquoi as-tu effarouché mon Visir ? Il est encore jeune et robuste. Ses compétences lui promettent une grande carrière ». La Mort lui répond : « Quand je l’ai vu à Bagdad, j’ai eu un geste de surprise, car je l’attends ce soir à Samarcande ».

 

67 - Le mois d’Avril me ramène à la poésie de Thomas Stearns Eliot (1888 – 1965). « Avril est le plus cruel des mois, il engendre / Des lilas qui jaillissent de la terre morte, il mêle / Souvenance et désir, il réveille / Par ses pluies de printemps les racines inertes…Et  je te montrerai quelque chose qui n’est / Ni ton ombre au matin marchant derrière toi / Ni ton ombre au soir surgie à ta rencontre / Je te montrerai la peur dans une poignée de poussière ». « Après le feu des torches sur les faces en sueur / Après le gel du silence aux jardins / Après l’agonie aux lieux rocailleux / Après les cris et les clameurs / Après la geôle et le palais après l’écho / Du tonnerre printanier au loin sur les montagnes / Lui qui vivait le voici mort / Nous qui vivions voici que nous allons mourir / Avec un peu de patience » (Thomas Stearns Eliot, La Terre vaine, The Waste Land, 1922, traduction française de Pierre Leyris, éditions du Seuil, 1976). Nous voilà confinés. Interdits de sortir, de nous promener, de respirer à pleins poumons l’air impur du square voisin. Privés de lèche-vitrines  et de flâneries nocturnes sur berges de Seine. Crise sanitaire, détention sécuritaire, double peine. Traversée du vide et questions perpétuelles. Promesse de spleen et de dépression réelle. Le serin Fugi voltige aux quatre coins de la maison. Il reste la soif de lire et les réflexions inactuelles. Il reste le poème. Au-delà de l’enfer et de la mise aux fers, le voyage dans l’imaginaire. 

 

68 - Drôle de rêve cette nuit. La chambre à coucher se transforme en grotte. Au plafond, une torche en forme de stalactite. Je pense, dans mon sommeil,  à « La Flamme d’une chandelle » (éditions Presse Universitaire de France, 1961), de Gaston Bachelard. La poésie, délivrée de toute entrave, se réalise pleinement dans « l’essentielle actualité », dans la contemplation d’une flamme. Une voix d’outre-tombe m’arrache à la lueur réconfortante : « Alerte au coronavirus. Restez chez vous. Ne serrez la main à personne. N’embrassez personne. Gardez votre distance de sécurité ». L’être atomisé, décroché de sa raison collective. Le corps sursaute. La lanterne se ravive. L’esprit s’échappe de nouveau. « La flamme, véritable image, quand elle  est vie première en imagination, quitte le monde réel pour le monde imaginé, imaginaire, générateur de rêverie poétique… Suivant une des lois constantes de la rêverie devant la flamme, le rêveur vit dans un passé qui n’est plus uniquement le sien, dans le passé des premiers feux du monde… La flamme accentue le plaisir de voir, au-delà du toujours vu » (Gaston Bachelard).  C’est ainsi que je me dérobe à l’annonce oppressive. Je me décorpore. Je m’élance, ailes déployés, dans le cosmos. Je remonte le temps jusqu’aux sources du Nil, flots célestes déversés sur terre stérile qui se confondent avec mes souvenirs d’enfance. Les vents oniriques me revoient  à ma terre natale. Je me baigne allègrement dans les eaux curatives de Moulay Yacoub. Je fais la nique au coronavirus.

 

69 - Les explications officielles sur l’irruption du virus exterminateur se succèdent, se contredisent, se désavouent, ajoutent sciemment de la confusion à la confusion. Les certitudes se martèlent avant de s’évaporer comme bulles de savon. L’eau savonneuse justement, seule parade efficace pour dissoudre l’enveloppe virale et rendre inoffensif le méchant microzoaire. Plusieurs livres de Friedrich Nietzsche sur la table de nuit, « Ecce homo », « Humain, trop humain », « Le Gai savoir », « Par-delà le bien et le mal », « Ainsi parlait Zarathoustra », me servent de lampes-torches dans la jungle des hypothèses. « Humain, trop humain est le mémorial d’une crise. C’est le livre pour esprits libres. Avec lui, je me suis émancipé des corps étrangers à ma nature ». Se libérer des identités fossilisatrices, retrouver la diversité de l’être, reconstituer l’éthique du moi contre la morale répressive. Se libérer l’esprit dans le sanctuaire élémentaire  devenu, par arbitraire décision politique, une geôle involontaire. On a beau être confiné, empêché de mouvement, interdit de circulation, nulle autorité ne peut soumettre la pensée rebelle. Le corps sur-sollicité par le travail, surexcité par l’enchaînement d’activités incessantes, y compris pendant les vacances, harassé, épuisé, fait, parfois pour la première fois, l’expérience du relâchement, du délassement, de la relaxation, toutes choses tenues ordinairement pour des pertes de temps. Car, la raison publique sait créer les pressions psychologiques pour obtenir plus d’effort, et dénigrer le réconfort comme désœuvrement. Tant de personnes se hâtent sans savoir pourquoi, se précipitent sans nécessité, dramatisent les futilités, se démènent sans compter de peur de ne pas y arriver. Et pourtant, « en tout cela, c’est un instinct de conservation qui commande, qui s’exprime de la façon la moins équivoque comme instinct de défense » (Friedrich Nietzsche, Ecce homo).    

 

70 - La menace épidémique est une chance de métamorphose. L’infectieuse surgit des ténèbres, se répand,   se disperse et se désagrège dans son néant. Les survivants, autrement dit la quasi-totalité des confinés, embarqués dans une obscure aventure sans débouchés, quand ils s’épargnent  l’inquiétude et la frayeur, quand ils ressortent des tiroirs les projets abandonnés, les fécondent d’opportune créativité, renaissent à une autre existence. L’individu, happé par la servitude, peut demeurer, toute sa vie, extérieur à lui-même, ignorer ses propres prédispositions, ses propres talents, se renier tant il se perçoit autre. Quand des circonstances exceptionnelles mettent cet individu face à lui-même, il commence seulement à comprendre la difficulté de se comprendre. Comme le note Friedrich Nietzsche, il ne suffit pas d’être soi-même, d’être, en d’autres termes,  socialement présentable dans une posture normative, acceptable. Pour se comprendre, se réconcilier avec sa nature profonde, il faut « devenir ce qu’on est », se dégager des aberrations rassurantes, explorer la mécanique souterraine qui structure la personnalité à partir d’expériences plurielles et discordantes. Il faut l’intelligence opératoire et l’instinctivité divinatoire pour s’adonner à cet exercice périlleux. Combien de personnes, à travers l’épreuve du confinement, s’avisent qu’ils n’ont finalement d’eux-mêmes qu’un imago variable, instable, fluctuant selon le masque social qu’ils revêtent ? Chez les plus perspicaces, se développe l’idée réorganisatrice qui les « ramène hors des chemins détournés, écartés, prépare des qualités et des capacités séparées, qui, un jour, se révéleront indispensables comme moyens du tout, façonne, tour à tour, toutes les facultés servantes, avant même de laisser transpirer quoi que ce soit de la tâche dominante, de la destination, de la finalité, du sens » (Friedrich Nietzsche, Ecce homo ». 

 

71 - La morale sociale, régie par l’utilitarisme, exige séparément de chaque individu la modestie, l’humilité, le désintéressement, le sens du devoir, fausses qualités qui se manifestent par la conformation machinale aux comportements imposés, la résignation à la condition subie, l’intériorisation de l’autorité comme incontournable bâton du berger, l’auto-dévalorisation et la haine. Etienne de la Boétie a dit l’essentiel dans « Discours de la servitude volontaire, 1576 ». L’individu aliéné, frustré, dépossédé de lui-même survit dans l’amertume, la rancœur, le ressentiment. La morale publique est forcément négative parce qu’elle n’a d’autre dessein que la culpabilisation et la punition. Son moteur est la répression, la faute est sa diversion. Pour Friedrich Nietzsche, la maladie  n’est pas la cause du malaise, mais l’effet d’un style d’existence pathogène. Quand on cherche à soulager la souffrance par des narcotiques, on se livre pieds et mains liés aux laboratoires chimiques, l’on « s’assoupit dans le sentiment du vide » et l’on s’emprisonne, souvent pour toujours, dans un état de dépendance et de morbidité, dans « une attitude propre au décadent qui choisit toujours les remèdes qui lui font tort » (Friedrich Nietzsche, « Ecce homo »). Quand les gens tombent malades, ils ne se donnent pas la peine d’écouter leur corps, qui les alerte sur leur être en perdition, qui les incite à changer radicalement de manière d’être, de vision du monde et d’eux-mêmes, de reconstruire, sur les ruines de leur faillite existentielle, une vie affranchie des influences délétères. La maladie est perçue à partir de ce moment comme un stimulant énergétique. Le confinement lui-même peut être vécu comme une situation mutationnelle permettant le virage salutaire. Le retour à soi ouvre des possibilités nouvelles, l’immanence reconstitutive et l’autoréalisation. L’être est aussi autocréateur quand il fusionne avec ses projets et fait corps avec son œuvre. Plusieurs témoignages autour de moi confirment la concrétisation de projets artistiques et l’activation de chantiers d’écriture à l’occasion du confinement. Les corps se confinent, les idées circulent.

 

72 - Le monde technocratique, fonctionnant sur des statistiques, des courbes graphiques, des diagrammes, des modélisations algorithmiques, des datavisualisations, des visualisations de réseaux, de flux, de géolocalisations…, totalement et définitivement déconnecté des factualités  vivantes, impose à la planète un fonctionnement cybernétique où les smart-cities obéissent aux mêmes simulations que les jeux vidéos, où les citadins ne sont que des pions téléguidés dans des circuits régulés par l’intelligence artificielle, où les épidémies elles-mêmes sont générées selon des priorités hermétiques. L’invention d’un monde idéal, mathématiquement simulé, numériquement programmé, électroniquement surveillé, inspecté, supervisé, fait perdre à la réalité « sa valeur, son sens et sa véracité ». La technocratie administre tactiquement la nécessité à coups de dissimulations, de simulacres, de mystifications. « Une torche à la main, on illumine d’une clarté incisive ce modèle idéal. L’une après l’autre, les erreurs sont tranquillement posées sur la glace, l’idéal n’est pas réfuté, il gèle » (Friedrich Nietzsche, Aurore). En 1967/68, juste avant la révolution culturelle à l’échelle planétaire, dont nous aurons été, sans nous en douter, avec la création spontanée du Mouvement du 22 Mars, l’étincelle initiale, le cours magistral donné par Henri Lefebvre à la faculté de Nanterre s’intitule « La société bureaucratique de consommation dirigée ».  Quelques années plus tard, le giscardisme réussit à la perfection sa mission historique, technocratiser de fond en comble la société. Le mitterrandisme parachève le travail avec l’invention du marketing culturel. « Les quatorze ans de pouvoir socialiste en France, à la fin du vingtième siècle, n’ont servi qu’à introduire le libéralisme le plus effréné et à démanteler les conquêtes sociales » (Cornelius Castoriadis).

 

73 - Après la dissipation des vapeurs euphorisantes des Trente Glorieuses (1945–1975), les retombées soixante-huitardes sont neutralisées la technocratisation systématique des organes étatiques, des  administrations, des sphères privées et publiques. Me reviennent à l’esprit les affiches tapageuses de la société de communication dans ses expressions naïves. « La France des 30 Glorieuses » représentée par la 4L Renault. « Moulinex libère la femme ». Le femme porte souvent le tablier pour bien signifier qu’elle n’a d’autre rôle social que ses fonctions de mère et de femme au foyer.  La femme confinée,  irresponsabilisée, infantilisée, interdite d’avortement et de contraception, sous tutelle. Dans la promotion du savon Cadum « Peau douce comme une peau de bébé », l’éternel féminin est indissociablement lié à la maternité.  Et quand la femme travaille, elle doit cumuler l’activité professionnelle et la charge ménagère. « Réfrigérateurs Caddie, le froid de qualité à la portée de tous ». « Le robot Charlotte, une petite usine complète ». La machine à laver, le four électrique, l’aspirateur. Peu importe le ridicule, le message passe en force. Les bazars pittoresques deviennent des supérettes, s’hypertrophient en supermarchés. La production de masse inonde l’espace public. La culture, l’art, la littérature, les vacances,  la fête, l’histoire, la mémoire, se convertissent en produits de consommation. La transformation des curiosités intellectuelles, des émotions esthétiques, des désirs intimes, des goûts, des appétences en marchandises, la réification prophétisée par Karl Marx dans toute sa splendeur.

 

74 - L’âge d’or de la pensée contemporaine, stimulé par la révolution soixante-huitarde, connaît sans conteste connu son apogée dans les années soixante-dix. Des salons littéraires s’improvisent à tour de rôle chez les philosophes, les sociologues, les historiens. Les paroles de Cornélius Castoriadis résonnent encore dans mes oreilles. L’être humain n’est pas univoque. Il n’est soumis à aucun déterminisme d’origine. La crise en ce sens est un symptôme d’épuisement  du paradigme uniformateur. Le vivant s’anime et se dynamise de ses différentialités. Chaque être est un cosmos, une ordonnance multiple, synchronique, synergique, et en même temps, comme l’avaient si bien compris les penseurs de l’antiquité, un chaos, un abîme, un sans-fond. Le désordre est inhérent à l’existence individuelle et à la vie sociale. Le chaos n’est que l’envers de l’endroit, le flux incessant d’où sort toute création. La dimension chaotique de l’être, son inachèvement, sont des moteurs de transformation des choses. La création se définit elle-même comme un surgissement d’une nouveauté à partir de rien, sans aucun lien avec tout ce qui précède, mais, qui peut générer des déterminations autres et des réalisations inédites. «  Aucun état de l’être n’est tel qu’il rende impossible l’émergence d’autres déterminations que celles déjà existantes ». Le néolibéralisme manipule le chaos, dénaturé en crise, la mort, recyclée en opération lucrative, l’imprévisibilité probabilisée en risque infime, l’incertitude prédéfinie comme aléa négligeable, et l’existence humaine réduite aux paramètres  économiques. Négation de l’être dans sa complexité vivante, sa multivalence psychologique, sa pluralité culturelle, magma dont on peut tirer « des organisations ensemblistes en nombre indéfini » (Cornélius Castoriadis, L’Institution imaginaire de la société, éditions du Seuil, 1975). La société de consommation uniformise tous les individus  en consommateurs interchangeables, et inversant le processus, transforme ces consommateurs eux-mêmes en produits de consommation identifiables aux marchandises qu’ils choisissent. La gestion en bloc du coronavirus procède de la même stratégie d’indifférenciation. Les contaminés et les non-contaminés ne sont que des unités statistiques dans des comptabilités macabre.

 

75 -  Que peut le confinement contre la philosophie. Dans les vieux papiers, un numéro du Monde diplomatique de Février 1998 contenant un entretien avec Cornelius Castoriadis intitulé « L’Individu privatisé ». Il n’est de philosophie qu’exprimant une pensée autonome, qui pose des questions et n’accepte aucune autorité, pas même ses propres constructions antérieures quand elles se constituent en théorie close. La philosophie, c’est l’interrogation pleine de sens, perpétuelle, qui se remet sans cesse en cause. « L’interrogation vide n’est rien ». La société pyramidale dresse des barrages entre la pensée vivante, issue des réflexions personnelles ou des échanges altéritaires, assujettit chaque individu à ses institutions, que seuls les gouvernants ont le droit de modifier selon leurs intérêts, et prétend, depuis des millénaires, que ces institutions ne sont pas une œuvre humaine, qu’elles ont été crées par des puissances surnaturelles, des esprits, des ancêtres, des anges, des dieux. « Presque toutes les sociétés humaines sont instituées dans l’hétéronomie, dans l’absence d’autonomie », dans l’exclusion de leur fonctionnement de toute pensée libre, dans la dissimulation de leurs discordances et de leurs défaillances. L’enjeu d’une société transversale, rendue techniquement possible par la révolution numérique, est l’autonomie. « Une société autonome ne peut être formée que par des individus autonomes. Et des individus autonomes ne peuvent vraiment exister que dans une société autonome ». Les régimes dits démocratiques ont hérités de quelques libertés individuelles et collectives, résidus des luttes révolutionnaires. Le confinement, sous prétexte sanitaire, détruit ouvertement les acquis citoyens, les libertés de réunion, de circulation, de manifestation. On dirait une répétition générale d’une tyrannie programmée. Les citoyens, qui ne doivent leur citoyenneté qu’au droit de vote pour déléguer tous les autres droits,  à force de se mouvoir selon les seuls critères de l’interdiction et de la permission, ne réfléchissent plus, ne délibèrent plus, n’agissent plus en connaissance de cause. « La représentation signifie l’aliénation de la souveraineté des représentés vers les représentants. La corruption des responsables politiques, dans les sociétés contemporaines, est un trait structurel, incorporé dans le fonctionnement du système, qui ne peut pas tourner autrement ». Aucune société ne peut se prétendre libre si le pouvoir législatif n’appartient effectivement à la collectivité, sans intermédiation parlementaire. Ce n’est que dans une véritable transversalité, dans des interactivités réseautiques, que peuvent s’articuler la liberté de la sphère domestique, la liberté de la sphère agoratique et la participation de tous les citoyens aux affaires publiques. 

 

76  - Une pensée pour mon ami Yves Barel (1930–1990), économiste, épistémologue, auteur de livres marquants, aujourd’hui méconnus, « La Reproduction sociale, systèmes vivants, invariance et changements », éditions Anthropos, 1973, « La Paradoxe et le système, Essai sur le fantasme social », éditions Presses Universitaires de Grenoble, 1979, « La Marginalité sociale », éditions Presses Universitaires de France, 1982, « La Quête du sens, comment l’esprit vient à la cité »,  éditions du Seuil, 1987. Je cherche ses livres noyés dans les étagères. Je retrouve l’ouvrage auquel je pense en premier, « La Société du vide », éditions du Seuil, 1984. L’idée de crise est absurde, aberrante, oxymorique. La crise signifie une entrave paralysante mais démontable, une ankylose grave mais transitoire, une impasse qui projette brutalement la société en arrière pour lui faire reprendre un nouveau chemin. La crise est d’autant plus désorientante qu’elle s’oppose aux réalités quotidiennes d’adaptations graduelles. « Le vide social est le moment où le système ne peut plus être réparé, où on prend conscience qu’il doit être radicalement changé, où l’urgence du problème impose une solution, où l’absence de solution est la solution », la liquidation du système toxique.  La crise permet en même temps l’éclosion d’alternatives locales, au plus près des usages, la mise en pratique d’expériences audacieuses, l’expression de modes d’être diversitaires. Elle réactualise des manières de vivre anciennes, des solidarités tribales, des proximités claniques. Elle suscite des innovations improbables, lumineuses, perspicaces.

 

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Pour citer ce témoignage 

Mustapha Saha, « Des vertus paradoxales de l'enfermement », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020|V-Chroniques de la pandémie de COVID-19, mis en ligne le 25 avril 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/desvertus

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Megalesia
23 avril 2020 4 23 /04 /avril /2020 14:19

Megalesia 2020 | Le néopaganisme & la sexualité dans la culture populaire du XXIe siècle| Articles & témoignages

 

 

 

Les Chants de Maldoror de Lautréamont : entre traditions poétiques et pratique postmoderne

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Oswald Hermann Kouassi

    Maitre-Assistant de Poésie Française  Université Alassane Ouattara (Bouaké-RCI)  Département de Lettres Modernes

 

Crédit phoso : Première de couverture de la première édition de l'ouvrage, domaine public, Commons. ​​​​​​

 

 

 

Résumé      

Cette étude — qui s’appuie sur la poétique et la stylistique  tente d’élucider l’hypothèse de l’ancrage, à la fois, classique et postmoderne des Chants de Maldoror. L’esthétique de cette œuvre va, au fil des analyses, révéler, d’une part, une polarisation classique. Ainsi, le mot chants présent dans le titre connecte le texte au mythe d’Orphée et à l’art des troubadours médiévaux ; l’œuvre étale son romantisme par la présence d’un héros solitaire, partagé entre Bien et Mal, sensible à la voix de la nature. Images et sonorités achèvent d’asseoir cette traditionalité. D’autre part, le schéma postmoderne tient du mélange des genres, de la sexualisation à outrance du verbe et de la sollicitation active du lecteur à la construction d’une signifiance. Par sa démarche esthétique, Lautréamont situe son écriture dans un double mouvement d’enracinement et de déracinement formel et anticipe sur les mutations scripturaires qui vont s’opérer aux XXe et XXIe siècles.  

 

 

 

Introduction

        

En 1868 sont publiés pour la première fois, Les Chants de Maldoror d’Isidore Ducasse dit Le Comte de Lautréamont. Ce texte entraîna une vague de stupeur et d’indignation à cause de son style d’écriture. Les commentaires scandalisés et hargneux prenaient mobiles dans le jeu poétique substantiellement iconoclaste qui se construisaient sous les yeux d’amateurs de poésie habitués aux codes usités du genre. En effet, à l’instar du personnage éponyme, Maldoror, être mi-homme et mi animal, cet ouvrage (d)étonne d’étrangeté. Certes, il ne renonce pas totalement à la tradition mais donne les gages d’une approche de l’art poétique assez atypique et hors temps. À bien y regarder, nombre des traits scripturaux déroutants et atypiques de cette œuvre quasi bicentenaire cadrent avec ce que la critique actuelle nomme postmodernisme. 

Notre hypothèse est, qu’à côté d’un ancrage classique, Chants de Maldoror est traversé par un élan gestatif postmoderniste. Ce serait donc une œuvre, à la fois, classique et actuelle. C’est l’enjeu majeur de la réflexion qui s’engage. Le questionnement qui la conduira est ainsi formulé : quels sont les strates formelles de la tradition poétique dans Les Chants de Maldoror ? Quels indices du postmodernisme y décèle-t-on ? Quels sens peut-on attribuer  à cette écriture ? La poétique et la stylistique guideront les analyses  à venir. Après identification des traits classiques de l’œuvre, il sera question de lire et d’analyser les traits esthétiques subversifs qui incarnent son postmodernisme. Cela se fera sans oublier d’apprécier la portée sous jacente à la démarche globale de Lautréamont.

 

I. Les manifestations d’une tradition poétique dans Les Chants de Maldoror

        

Les Chants de Maldoror, quel qu’a pu être le scandale de son impertinence et de la vulgate d’œuvre inclassable durablement assise à son sujet, comporte des éléments visibles d’une tradition poétique. Le titre de l’œuvre, les images et les sonorités le montrent. La détection et l’analyse de tels éléments anciens motivent cette partie.      

 

I. 1. Le lexème « chants » : un activateur mythique, allusif et métonymique de la poésie classique

        

En construisant le titre du recueil autour du mot « chant », Lautréamont suggère la poésie originelle. Pour asseoir cette idée, convoquons la mythologie grecque, les références culturelles et la métonymie inscrites en filigrane derrière ce lexème. « Chants » est un renvoi à l’origine de la poésie, art qui, de l’aveu du mythe, est inventé par Orphée. L’image séculaire d’Orphée, faut-il le rappeler, dessine l’archétype du poète ayant intégré le chant comme une parcelle active de son art et allant jusqu’à les fondre en une même pratique. L’auteur joue donc allègrement sur cet indice mythique où chant et poésie sont équivalents. Il laisse donc entendre derrière le mot chant, le caractère poétique de son livre. Ce lien gémellaire entre poésie et chant défini par le mythe se vérifie dans la pratique même puisque ces deux arts font appel à la mélodie, au rythme et à la cadence. C’est en cela que Léopold Sédar Senghor écrit que « le poème n’est accompli que s’il se fait chant, parole et musique en même temps »1.  

        

Lautréamont s’appuie aussi sur des références culturelles pour laisser pressentir la poésie derrière le lexème « chant ». En effet, il semble s’inspirer de l’époque médiévale où chant et poésie faisaient cause commune dans l’art des troubadours et des trouvères. L’œuvre semble marquée donc, dès le titre, de l’estampe d’une culture artistique traditionnelle liée à la poésie française du moyen âge. En ayant allusivement recours à cette époque lointaine pour créer son titre, le poète fait montre d’une connaissance de la culture de son pays. La curiosité historique paraît être l’un de ses traits de caractère car il est né et a grandi en Uruguay, loin de son pays, la France qu’il découvre sur le tard. 

 

C’est, enfin, à travers une métonymie que se joue l’équivalence entre « chants » et poésie dans  le titre.  En effet, l’œuvre s’intitule Chants de Maldoror. Mais, il aurait aussi pu s’intituler ″Poésie de Maldoror″ vu que les deux arts sont proches voire interchangeables de par leur origine et leur pratique2. Lautréamont formule donc un titre par métonymie en désignant une réalité par une autre avec laquelle elle entretient « un rapport de voisinage ou de contiguïté »3. Dire « chant » pour suggérer la poésie n’est pas sans enjeu. C’est, d’une part, établir leur proximité  et, de l’autre, laisser le lecteur s’impliquer dans le décryptage de la complexité du titre avant de goûter à la complexité même de l’œuvre. Le caractère classique de l’œuvre s’évalue aussi par rapport à ses accointances romantiques.

 

I.2. Les Chants de Maldoror, une expérience poétique romantique  

      

Le René4 de François-René de Chateaubriand offre une image typique du héros romantique ; c’est un personnage singulier, incompris (ou qui ne se fait pas comprendre), exalté par l’appel de la nature et du fantastique. Chez Charles Baudelaire, le romantisme, en rupture avec les codes, assume une part d’ombre et d’indignité aux yeux de la communauté humaine. Ainsi admet-il la présence de Dieu et de Satan, du Bien et du Mal dans l’homme romantique :

 

Il y a dans tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées, l’une vers Dieu, l’autre vers Satan. L’invocation vers Dieu ou spiritualité est un désir de monter en grade ; celle de Satan ou animalité est une joie de descendre5

 

 

Cette esthétique poétique est ainsi  subjuguée par la révolte de Satan contre Dieu, par sa carrure de porte-voix dénégateur des forces centrifuges de la morale chrétienne. Du point de vue scripturaire, l’art romantique joue,  entre autres, sur le lyrisme personnel et l’élégie. On peut retrouver certains axes du romantisme dans Les Chants de Maldoror. Ces axes partent de la personnalité ombrageuse voire satanique du héros solitaire, à l’évocation attrayante de la nature en passant par le fantastique de certains passages et le ton élégiaque. Le caractère ombrageux puis satanique du personnage éclate dans ce passage qui le présente : 

 

J’établirai dans quelques lignes comment Maldoror fut bon pendant ses premières années, où il vécut heureux ; c’est fait. Il s’aperçut ensuite  qu’il était né méchant : fatalité extraordinaire ! Il cacha son caractère tant qu’il put, pendant un grand nombre d’années ; mais, à la fin, à cause de la concentration qui ne lui était pas naturelle, chaque jour le sang lui montait à la tête ; jusqu’à ce que, ne pouvant plus supporter une telle vie, il se jeta résolument dans la carrière du mal6.

 

       

Cet extrait met en scène un narrateur omniscient (« je ») décrivant le caractère évolutif de Maldoror. Ce dernier est, d’abord, « bon » puis « méchant » et, enfin, vire « dans la carrière du mal ». Dans cette description de l’assise du Bien et du Mal chez le héros, le Mal à tendance à prendre le dessus. En effet, par l’usage d’une anacoluthe saisissante (« J’établirai ….c’est fait »), la présentation du Bien est brusquement interrompue. Au contraire la description du mal s’allonge avec moult détails et explications scientifiques et biologiques. Par l’usage d’arguments scientifiques, le narrateur veut crédibiliser le Mal, le rendre naturel. L’échec de Maldoror à le bannir de son être illustre bien que c’est une « fatalité extraordinaire » à laquelle l’on ne peut échapper. Il s’agit de l’assumer à côté du Bien. Il y a, en l’espèce, dans ce court récit, une revendication de la bipolarité psychologique de l’Homme avec une tendance marquée à légitimer le Mal par la fatalité et la biologie.

        

Certains passages illustrent et synthétisent d’autres axes de l’esthétique romantique : beauté de la nature, solitude du héros, quête d’intimité avec la nature, imagination en éveil absolue d’où des visions fantastiques :  

 

Au clair de la lune, près de la mer, dans les endroits isolés de la campagne, l’on voit, plongé dans d’amères réflexions, toutes les choses revêtir des formes jaunes, indécises, fantastiques. L’ombre des arbres, tantôt vite, tantôt lentement, court, vient, revient, par diverses formes, en s’aplatissant, en se collant contre la terre. Dans le temps, lorsque j’étais emporté sur les ailes de la jeunesse, cela me faisait rêver, me paraissait étrange ; maintenant j’y suis habitué. Le vent gémit à travers les feuilles ses notes langoureuses et le hibou chante sa grave complainte, qui fait dresser les cheveux à ceux qui l’entendent7.  

        

Par le procédé paratactique, Lautréamont met en surimpression trois univers naturels différents : l’astral (« au clair de lune »), le maritime (« près de la mer » et le sylvestre (« la campagne »). La présence de la lune est renforcée par l’indice de sa clarté, tandis que la présence de l’eau s’accentue par l’allitération de la consonne liquide / l /. L’isolement du poète dans ce vaste milieu naturel protéiforme se perçoit par l’isolement même du pronom personnel indéfini « On » dans un ensemble de termes connotant la nature. L’imagination de poète solitaire est en éveil. Elle suscite des visions fantastiques : « L’ombre des arbres, tantôt vite, tantôt lentement, court, vient, revient, par diverses formes, en s’aplatissant, en se collant contre la terre ». Ici, le fantastique se perçoit par le terme au connoté surréel « ombre », l’anthropomorphisation des arbres et l’évocation du hibou, oiseau nocturne auquel l’imagerie populaire attribue des pouvoirs maléfiques. Le vecteur fantastique touche aussi la phrase citée. Simple segment énonciatif inerte à la base, elle s’anime, se vitalise, se meut grâce à son rythme conçu par l’accumulation de verbes de mouvement (« court », « vient », « revient », « s’aplatissant », « se collant »).

        

Le ton de l’extrait même est élégiaque. Selon  Michèle Aquien et Georges Molinié, l’élégie met en avant le sombre, le méditatif et le mélancolique8. Ce triptyque opère, ici, à travers le repli sur soi et la nostalgie de la jeunesse fougueuse de laquelle se remémore avec regret le poète. La tendance poétique usuelle exprimée dans l’œuvre dépasse son caractère romantique ; elle s’exprime aussi par les images et les sonorités.

 

 

I. 3. Images et jeux des sonorités  

        

Les Chants de Maldoror est traversé d’images et de sons qui mettent en relief la fonction poétique du langage. Images et sons seront abordés, ici, comme deux indices emblématiques de la poésie que recèlent  le livre.  

         

Preuve d’un travail poétique de haut vol, les images sont captivantes. Elles déclenchent une fulgurance intellectuelle par la suite aussitôt convertible en émotions. Autrement dit, le lecteur doit apprécier intellectuellement ces images avant d’atteindre la quintessence du beau qu’elles recèlent. Lisons ce passage :

 

C’était une journée de printemps. Les oiseaux répandaient leurs cantiques en gazouillement, et les humains, rendus à leurs différents devoirs se baignaient dans la sainteté de la fatigue. Tout travaillait à sa destinée9.

        

Ici, la coque des deux métaphores prépositives (« leurs cantiques en gazouillement », « sainteté de la fatigue ») ne peut être brisée facilement. Avant d’aller à l’abordage interprétatif, découvrir leur « signifiance »10 selon l’expression de Michael Rifaterre, il faut déjà les intellectualiser, les insérer « dans le contexte […] extralinguistique où le discours est produit »11. En effet, « cantiques » et « sainteté » sont des références à la parole biblique. Le cantique est un chant d’action de grâce consacré à la gloire de Dieu. Dans la métaphore « cantiques en gazouillement », les sèmes /voix/, /vénération/, /hommage au divin/ de « cantiques » incorporent les gazouillis des oiseaux et les transmutent. Ces gazouillis ne sont ainsi plus de simples chants d’oiseaux mais des chants purificateurs rappelant la présence de Dieu à ceux qui les écoutent. Le recours à l’enseignement chrétien est également un préalable intellectuel nécessaire pour retrouver la beauté de « sainteté de la fatigue » : la fatigue est un état d’épuisement consécutif au travail, qui lui-même, est, à la base, une malédiction divine puisque faisant partie des décrets par lesquels Dieu chasse Adam et Ève du jardin d’Éden. Cet état négatif se voit transféré les sèmes mélioratifs et spiritualisant de « sainteté ». Par là, Lautréamont attribue à la fatigue née du travail une vertu rédemptrice et élévatrice.     

        

Les sonorités rentrent aussi en ligne de compte dans le travail poétique de Lautréamont. Ceci est perceptible à l’aune des jeux sonores contenus dans le nom ″Maldoror″ que nous nous proposons d’étudier paragrammatique. Le paragrammatisme, faut-il le souligner, est « un effet indirect du signifiant, lié à la décomposition » du mot « en pseudomorphènes qui ajoutent leurs signifiés propres à ceux des mots »12. Dans ″Maldoror″, il y a, d’un côté, l’adjectif péjoratif  « mal » et, de l’autre, la note musicale « do » induisant musicalité et beauté. Ce personnage serait donc un individu partagé entre le Mal et Bien, la laideur et la beauté. Cette ambivalence se révèle aussi avec « oror ». Les deux syllabes redoublent le "son-mot" « or » afin de marquer l’éclat du personnage. Mais, ces deux syllabes, lues à l’envers, donnent ″roro″, deux sons qui suggèrent un grognement animal.

        

Placer Les Chants de Maldoror sous l’égide d’une procédure scripturale nimbée de tradition s’avère pertinent. Mythe des origines de la poésie, romantisme à fleur de mots, images et paragramme y affleurent. Mais l’œuvre échappe, par bien des aspects à la législation verbale et poétique usuelle pour dresser le lit du postmodernisme.    

 

 

 

 

II. Les traits du postmodernisme dans Les Chants de Maldoror 

        

Le postmodernisme est une conception de l’esthétique artistique lancée au XXet XXIe siècles, soit des siècles après la parution du livre de Lautréamont. Ce hiatus temporel impose une démarche explicative extrêmement méthodique. Ainsi, c’est au fil de la déclinaison des canons postmodernes que nous en "traquerons" les traces dans l’œuvre.  

 

 

 

II. 1. L’hétérogénéité, un élément postmoderne dans Les Chants de Maldoror

     

Le caractère hétérogène de l’écriture fait partie des axes majeurs du postmodernisme. Janet M. Paterson  écrit :       

 

En suivant la pensée du philosophe [Jean-François Lyotard], on peut affirmer qu’une pratique littéraire est ″postmoderne″ lorsqu’elle remet en question aux niveaux de la forme et du contenu, les notions d’unités, d’homogénéité et d’harmonie13.  

 

 

Dans le corpus étudié l’hétérogène opère à partir de l’intergénéricité. En d’autres termes, poésie, essai politique, roman, théâtre s’imbriquent pour donner une forme plurielle aux Chants de Maldoror. À côté des traits poétiques déjà étudiés, il y a l’essai politique. On appelle essai politique, un énoncé mû par une réflexion sur la gestion de la cité. Ce type d’écrit implique des conseils plus ou moins vertueux et des orientations de politique générale à ceux qui gèrent ou aspirent à gérer la cité. Ici, le personnage éponyme propose des recettes pour récolter les lauriers de la gloire, s’imposer à ses adversaires et régner :  

 

C’est seulement par la ruse que David a vaincu son adversaire, et que si, au contraire, ils s’étaient pris à bras-le-corps, le géant l’aurait écrasé comme une mouche ? Il en est de même pour toi. À guerre ouverte, tu ne pourras jamais vaincre les hommes, sur lesquels tu es désireux d’étendre ta volonté ; mais avec la ruse, tu pourras lutter seul contre tous. Tu désires les richesses, les beaux palais et la gloire ? […] Les moyens vertueux et bonasses ne mènent à rien. [...] N’as-tu jamais entendu parler, par exemple, de la gloire immense qu’apportent les victoires ? Et, cependant, les victoires ne se font pas seules. Il faut verser du sang, beaucoup de sang pour les engendrer et les déposer aux pieds des conquérants14.

        

L’allusion à l’accession au trône d’Israël par le Roi David, le champ lexical du pouvoir (« palais » « conquérants », « victoires ») montrent que la question de la gouvernance est au centre des  propos. Les préceptes politiques dictés font la part belle à la ruse, à la violence et à la guerre dans le mode d’accession et de maintien au pouvoir. L’euphémisme (« Il faut verser du sang, beaucoup de sang pour les engendrer et les déposer aux pieds des conquérants ») indique que le conquérant ambitieux devra tuer autant que nécessaire pour se hisser au pouvoir. Le rythme de la phrase est quaternaire et équilibré avec la tombée de deux accents d’intensité sur le mot sang. Cela atteste de propos assumés et proférant avec insistance la conviction d’un mode opératoire politique enclin au sang versé.

En plus d’être ouvert au discours politique, le livre tend une brèche au roman. En tout cas, le sixième Chant se réclame de ce genre :

 

Aujourd’hui, je vais fabriquer un petit roman de trente pages ; cette mesure restera dans la suite à peu près stationnaire. Espérant voir promptement, un jour ou l’autre, la consécration de mes théories acceptée par telle ou telle forme littéraire, je crois enfin avoir trouvé, après quelques tâtonnements, ma formule définitive. C’est la meilleure : puisque c’est le roman ! Cette préface hybride a été exposée d’une manière qui ne paraîtra peut-être pas assez naturelle, en ce sens qu’elle surprend, pour ainsi dire, le lecteur15.  

         

L’alignement de Lautréamont sur les principes romanesques se perçoit, de prime abord, par une prose dithyrambique à l’égard de ce genre. Le dithyrambe est véhiculé par le superlatif (« c’est la meilleure ») et l’exclamation d’admiration (« c’est le roman ! »). Il s’essaie, ensuite, au genre par l’intention de proposer un texte de « trente pages ». La trentaine de pages évoquées montre qu’il se situe dans une perspective narrative. En effet, un texte d’une telle longueur ne convient pas à un poème classique mais à un récit. L’aspect théâtral, pour sa part, est perceptible dans cet extrait :  

 

 

Une famille entoure une lampe posée sur la table :

 

— Mon fils, donne-moi les ciseaux qui sont placés sur cette chaise.

— Ils n’y sont pas, mère.

— Va les chercher alors dans l’autre chambre. Te rappelles-tu cette époque, mon doux maître, où nous faisions  des vœux, pour avoir un enfant […]

— Je me la rappelle, et Dieu nous a exaucés. Nous n’avons pas à nous plaindre de notre lot sur cette terre16.

 

Le message débute par une didascalie qui plante le décor et identifie les acteurs : « Une famille entoure une lampe posée sur la table : »). Puis, par un échange dialogué appuyé par des tirets, se joue la scène d’une conversation, le soir, dans une famille bourgeoise. Les répliques sont brèves indiquant que dans cette famille nucléaire chaque individu/acteur est conscient de son rôle et qu’il le joue à la perfection. On voit ainsi un fils obéissant répondre aux requêtes de ses parents qui, de leur côté, ne tarissent pas de fierté et d’éloge à son égard. Toute la scène se joue, comme au théâtre sous les yeux d’un spectateur anonyme médusé par tant de conformisme :

 

Mais, quelqu’un s’est présenté à la porte d’entrée, et contemple, pendant quelques instants, le tableau qui s’offre à ses yeux : 

 

Que signifie ce spectacle !​​​​​​

 

Le lexique du théâtre (« contemple », « tableau », « spectacle ») est omniprésent. Le départ du spectateur (« il s’est retiré ») mettra fin au « spectacle » en suggérant une tombée de rideau. Le livre se prête à une pluralité générique, garant de son postmodernisme. À la libération de la forme s’adjoindra la libération sexuelle.    

 

 

 

II. 2. La  sexualité affichée et débridée

        

L’un des caractères du postmodernisme est l’expression débridée de la sexualité. Pierre N’D a écrit : 

 

Dans l’écriture postmoderne, il n’y a pas d’interdit, le sexe n’est pas tabou. Les écrivains en parlent, librement, sans gêne et sans vergogne comme de n’importe quel objet à leur portée ou de n’importe quelle partie du corps humain17.

 

Le sexe est exploité et hyperexploité, décrit sans aucune décence. La suggestion du corps est mise sous boisseau au profit d’une crudité à montrer le sexe sous toutes ses facettes. Face à cette frénésie monstrative qui ôte la sexualité du cadre du tabou, Gary B. Madison dira que le postmodernisme « met de la chair autour de cette notion purement abstraite d’humanité »18. On observe des propos à haut débit sexuels dans le passage qui se déroule dans une maison close :

 

Lorsque le client était sorti, une femme toute nue se portait au-dehors, de la même manière, et se dirigeait vers le même baquet. Alors les coqs et les poules accouraient en foule des divers points du préau, attirés par l’odeur séminale, la renversaient par terre, malgré ses efforts vigoureux, trépignaient la surface de son corps comme un fumier et déchiquetaient,  coups de bec, jusqu’à ce qu’il sortit du sang, les lèvres flasques de son vagin gonflé19.

 

Cette prostituée qui se fait attaquer par des animaux en quête du liquide séminale laissé dans son vagin par un client heurte la pudeur. N’est pas non plus commode cette description crue de l’anatomie intime de la femme baignant dans du sang. La vision du vagin ensanglantée est d’autant plus rebutante et crue qu’elle rappelle les menstrues. Ailleurs, Lautréamont évoquera le sperme et révulsera le lecteur en lui montrant la lente coulée de ce liquide vers la bouche de Maldoror : 

 

[...] Vois les sillons qui se sont tracé un lit sur mes joues décolorées : c’est la goutte de sperme et la goutte de sang, qui filtrent lentement le long de mes rides sèches. Arrivées à la lèvre supérieure, elles font un effort immense et pénètre dans le sanctuaire de ma bouche20.

 

 

Le regard convoqué, ici, à travers le verbe (« vois ») est impudique : il observe le liquide de la reproduction que généralement l’homme émet dans le secret des relations sexuelles. Sa coulée lente vers la bouche de Maldoror fait penser une perversion sexuelle car l’orifice buccal n’est pas l’endroit naturellement indiqué pour recueillir cette substance.            

 

 

II. 3. Une Redéfinition du statut du Lecteur : création du type du lecteur  actif

           

Le texte postmoderne est diffus et brouillé. Par conséquent, le lecteur se voit obligé de construire activement le sens de l’œuvre. Le processus suit ce qu’Arthur Banto nomme la transfiguration de banal et selon laquelle « l’œuvre doit toujours être complétée par le spectateur. »21    

On retrouve cet idéal postmoderne d’un lecteur plus actif chez Lautréamont. Après avoir construit une œuvre complexe au confluent des genres, il sollicite ardemment autrui pour le décrypter. C’est en cela que "la poésie n’est pas faite par un seul mais par plusieurs". Pour arriver à générer cette implication de l’instance lectorale, l’auteur multiplie les stratégies. Les unes procèdent d’un savant jeu de manipulation. Par exemple, il formule des avertissements en évoquant la dangerosité de son livre prétextant par ce stratagème en détourner tout le monde. En réalité, il s’agit d’aiguiser l’inconscient transgressif du lecteur qui se délectera à lire ce que l’auteur lui interdit de lire. On peut alors considérer les lignes suivantes comme une longue antiphrase :

 

Il n’est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ; [... Par conséquent, âme timide, avant de pénétrer plus loin dans de pareilles landes inexplorées, dirige tes talons en arrière et non en avant. Ecoute bien ce que je te dis : dirige tes talons en arrière et non en avant22.

        

Une autre stratégie à laquelle Lautréamont recourt pour motiver la lecture consiste à déclencher une réaction d’orgueil chez le lecteur dont il feint de douter de l’intelligence : (« Plût au ciel que le lecteur […] trouve, sans se désorienter, son chemin à travers […] ces pages sombres. »23 L’ultime stratégie est la création d’images insolites, au sens aussi incertain qu’aléatoire et difficiles à décrypter. On peut citer sur ce registre : « cette rencontre étrange d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection », « l’air beau et noir »24, « c’est un homme ou une pierre ou un arbre qui va commencer le quatrième chant »25. Au total, tout est fait pour redéfinir le rapport de l’amateur de lettres  au vaste puzzle d’un texte qui va dans toutes les directions sans aucune traçabilité  durable. La lecture de cette œuvre n’est pas un travail aisé mais est une tâche ardue de décodage face à un encodage complexe.

 

 

Conclusion

        

L’écriture de Lautréamont est portée par l’esthétique poétique traditionnelle et par un élan postmoderne inédit pour son époque. La tradition poétique s’organise autour de la mention du chant dans le titre, les vestiges romantiques et la fonction poétique du langage. Le postmodernisme, lui, se construit autour de l’intergénéricité, de l’impudicité abondante et d’une sollicitation plus active du lecteur à construire la signifiance. Cette jonction des structures de la poésie classique et de propositions postmodernes accorde une place de choix à ce poète dans le panthéon des réformateurs de la littérature, en général, et de la poésie, en particulier.

 

 

 

Bibliographie

 

AQUIEN (Michèle)  et  MOLINIÉ (Georges), Dictionnaire de rhétorique et de poétique, Paris, Librairie Générale Française, 1996.

BACRY (Patrick), Les Figures de style, Paris, Belin, 1992.

B. (Gary), « Visages de la postmodernité », Études littéraires, Québec, vol.27, n° 1, 1994.

COHEN (Jean), Théorie de la poéticité, Paris, José Corti, 1995.

 

Collection Lagarde et Michard XIXe siècle, Paris, Bordas, 1963.

COULIBALY (Adama) et alii, Le postmodernisme dans le roman africain, Formes, enjeux et perspectives, Paris, L’Harmattan, 2011    

DANTO (Arthur), La transfiguration du banal. Une philosophie de l’art, Paris, Seuil, 1981.

FRIEDRICH (Hugo), Structure de la poésie moderne, Paris, Librairie Générale Française, 1999.

 

N’DA (Pierre) « Le sexe romanesque comme moteur et enjeu de l’écriture postmoderne », Le postmodernisme dans le roman africain, Formes, enjeux et perspectives, Paris, L’Harmattan, 2011.

PATERSON (Janet M.), Moments postmodernes dans le roman québécois, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa,  1993.

 

SENGHOR (Léopold Sédar), « Comme les lamantins vont boire à la source » Léopold Sédar SENGHOR, Œuvre poétique, Paris, Seuil, 1990.

 

 

Notes

 

 

1Léopold Sédar Senghor, Postface d’Éthiopiques « Comme les lamantins vont boire à la source » dans Léopold Sédar Senghor, Œuvre poétique, Paris, Seuil, 1990, p. 172.

​​​​​2C’est, en tout cas, la démonstration que nous faisons en amont en convoquant le mythe d’Orphée et l’art des troubadours et des trouvères médiévaux.

3Patrick Bacry, Les Figures de style, Paris, Belin, 1992, p. 85.

4. René (1802) ; ouvrage autobiographique de François-René de Chateaubriand ancré dans la peinture de la vague des passions, démarche qui deviendra un des thèmes de prédilection du romantisme.

5Charles Baudelaire cité dans la Collection Lagarde et Michard du XIXe siècle, Paris, Bordas, 1963, p. 430.

6. Lautréamont, Les Chants de Maldoror, Paris, Librairie Générale Française, 1963,  p. 38.

7Idem,  p. 48.

8. Michèle Aquien et Georges Molinié, OpcitIdem Dictionnaire de rhétorique et de poétique, Paris, Librairie Générale Française, 1996, p. 525.

9. Lautréamont, Op.cit., p. 194.

10. Michael Rifaterre appelle signifiance, la signification possible, inusable et illimitée  d’un texte. Voir Sémiotique de la poésie, Paris, Seuil, 1978.

11Patrick Bacry, Op.cit., p. 43.

12. Jean Cohen, Théorie de la poéticité, Paris, José Corti, 1995, p. 166.

13. Janet M. Paterson, Moments postmodernes dans le roman québécois, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 1993, p. 2.

14Lautréamont, Op.cit.,p. 112.

15Lautréamont, Op. cit. ,  p. 316.

16. Idem, 66-67.

17Pierre N’Da, « Le sexe romanesque comme moteur et enjeu de l’écriture postmoderne » in Le postmodernisme dans le roman africain, Formes, enjeux et perspectives, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 69.

18. Gary B. Madison, « Visages de la postmodernité »,  Études littéraires, Québec, vol.27, n° 1, 1994, p. 118.

19. Lautréamont, Op. cit., p. 198.

20. Lautréamont, Op.cit.,  p. 207.

21. Arthur Danto, La Transfiguration du banal. Une philosophie de l'art, Paris, Seuil, 1981, p. 218.

22. Lautréamont, Op.cit., p. 35.

23. Lautréamont, Op. cit., p. 35.

24. Idem, p. 37.

25. Idem, p. 214.

​​​

 

***

 

Pour citer cet article

​​​​​​Oswald Hermann Kouassi, « Les Chants de Maldoror de Lautréamont : entre traditions poétiques et pratique postmoderne », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020|I- Le néopaganisme & la sexualité dans la culture populaire du XXIe​​​​​​ siècle, mis en ligne le 23 avril 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/chantsdemaldoror

 

 

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