19 février 2021 5 19 /02 /février /2021 16:31

 


Événements poétiques | Le Printemps des Poètes | « Les femmes & le désir en poésie »

 

 

 

 

 

 

 

La Mouille scandaleuse*

 

 

 

 

Roxane Darlot-Harel

Professeur agrégée de lettres modernes

Son blog

 

 

 

Crédit photo : La naissance de Vénus par Sandro Botticelli, Commons, Wikimédia. ​​​​​​​

 



 

Tempus lente fugit et amor celeriter nascitur

 

 

Il fallut des années, nombreuses et limpides,

Avant que je te trouve et que je te connaisse.

Tout était sobre alors, je n’étais point avide,

Avide de ta bouche où mes tourmentes naissent.

 

Comment ne pas crier que tu me bouleverses,

Que je ne savais rien ; que je m’étais trompée

Quand je croyais aimer des hommes. À l’inverse

C’est toi que je cherchais, une averse, trempée.

 

Ils me sont bien passés ces frémissements vagues.

Si j’effleure ta peau, si tu frôles mes cuisses,

Comme pour compenser ces années vulgivagues,

 

Je me noie de désir, juste en une seconde.

Et je me noie d’amour à mesure où languissent

Tous mes sens secoués par tes troublantes ondes.



 

 

Naevus vulvae

 

 

Et lorsque mon œil glisse où ta peau se chiffonne

Pour suivre goulûment ses lignes et ses fronces

Aux fils souples et crème, aux moirures de sconse,

Il se fixe un moment sur un bord qui moussonne.

 

La nature est taquine et pare quelquefois

Ses objets préférés de bijoux très discrets ;

Et sur ta lèvre enfouie dans l'ombre et le secret

Elle a posé ce grain de beauté que je vois.

 

À croire qu'elle pensât que cette mouche rousse

Fût un appât de plus pour que je colle à toi –

Pour vaincre la pudeur de la timide proie.

 

Mais elle eût pu, le grain, l'ôter de la frimousse :

Je ne peux oublier le monde entre tes cuisses 

Il envoûte mes sens, par tous ses interstices.

 

 

« Je suis si sèch' sèch', d'habitude, ma chérie »

 

 

Quand l'aube aux doigts de rose humecte un peu mes cils,

Une prime rosée a détrempé mes cuisses.

Comme mes yeux rosis qui pleurent de fatigue,

Mes lèvres – plus souvent – salivent de désir

 

Pour d'autres roses doigts, dès avant l'aube pâle,

Qui sont posés sur moi dans la chaleur des draps.

Il suffit que leur pulpe ait caressé mon bras,

Ait effleuré ma nuque, ait approché de moi,

 

Alors, conjugaison d'Éos et d'Astéria,

Ils paillettent mes nerfs d'une onde inépuisable ;

Une étoile piquante à chaque instant me cabre,

 

Et je l'exsude à flots dans des filaments gris

Qui collent aux dentelles de mon clitoris.

Déesse aux doigts de miel, sur terre tu m'animes.

 

 

 

* Le désir féminin, notamment, est un de mes thèmes fétiches. Dans cette proposition, je me concentre sur un aspect particulier du désir féminin : le désir féminin lesbien.

 

 

 

***

 

 

Pour citer cet ensemble de poèmes érotiques d'amour lesbien

 

Roxane Darlot-Harel, «  La Mouille scandaleuse » ensemble inédit de trois poèmes érotiques d'amour lesbien​​​Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événement poétique|Le Printemps des Poètes « Les femmes et le désir en poésie » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 19 février 2021. Url :  

http://www.pandesmuses.fr/desir/rdh-lamouillescandaleuse

 

 

 

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans RECUEIL NO3 Amour en poésie Poésie lesbienne
18 février 2021 4 18 /02 /février /2021 12:08

 

Lettre n°15 | Eaux oniriques... | No 8 |  Varia d'articles sur la poésie | S'indigner, soutenir, lettres ouvertes, hommages, etc. 

 

 

 

 

 

 

 

Mort du grand poète 

 

 

catalan Joan Margarit

 

 

 

 

 

 

 

Maggy de Coster

Site personnel

Le Manoir Des Poètes

 

 

 

 

Crédit photo : Le poète catalan Joan Margarit (mai 1938-février 2021), Commons, Wikimedia, domaine public. 

 

 

 

 

Nous avons appris par Le magazine en ligne EL CULTURAL du 16 février 2021, le décès du poète catalan Joan Margarit survenu à Barcelone le 16 février 2021 à l’âge 82 ans des suites d’un lymphome pour n’avoir pas pu être admis à l’hôpital pour des soins à cause de la crise sanitaire liée au Coronavirus. Il avait reçu le Prix Cervantès quelques semaines auparavant des mains du roi d’Espagne Felipe VI. Nous republions un article de notre ami poète catalan Xavier Diez sur la vie et l’œuvre du poète, article que nous avions publié dans le N° 15 de notre revue Le Manoir des Poètes en 2007. 

 

Poésie catalane

 

 

Joan Margarit : une révélation

 

Une des choses les plus surprenantes pour ceux qui découvrent l’existence et la persistance de la littérature écrite en catalan c’est la perception de l’extraordinaire puissance de sa poésie.

 

Cela ne devrait pas l’être. Le catalan, langue romaine parlée sur tout le territoire y compris en France, en Andorre et en l’Espagne avec plus de 8000 000 d’habitants, est étroitement lié à l’occitan, c’est-à-dire, la langue des troubadours des XIIe, XIIeet XIIIe siècles. Cela dit, au début du bas Moyen Âge, quelques philologues, et certains observateurs contemporains considéraient ces deux langues comme étant une. La langue, souvent dénommée provençale, était considérée, après le latin, comme une langue de cour et d’élite, et les travailleurs de Barcelone ou de Gérone utilisaient cette langue également.

 

Par la suite, avec la décadence de l’occitan au XIIe siècle, c’étaient les travailleurs de Toulouse qui utilisaient le plus souvent le catalan comme moyen d’expression culturelle.

Ainsi, les critiques comme Harold Bloom et bien d’autres considéraient qu’entre les deux langues se construit le mythe de l’amour romantique, tel que nous le connaissons dans le monde occidental.

 

Après son essor au XVe et au XVe siècles puis son déclin allant du XVe au XVIe siècles, le catalan devient une langue d’expression littéraire et de haute portée culturelle vers le milieu du XIXe siècle. À cela coïncide la résurgence de l’occitan avec les poètes comme Frédéric Mistral. Et tout, dans ce contexte du Romantisme qui en Catalogne adoptera le nom Renaixence (Renaissance). Dans cette perspective, naîtront des poètes nationaux comme Jacint Verdaguer ou Joan Maragall, qui seront très populaires à telle enseigne que leurs poèmes seront connus de toutes les classes sociales.

Dans la littérature catalane actuelle, malgré les problèmes que connaît une littérature minoritaire, ne disposant d’aucun soutien étatique, il existe une grande tradition poétique, mue par des poètes de qualité et un lectorat significatif. De temps en temps, il y a existé des auteurs qui défrayaient la chronique.

 

Joan MARGARIT en fait partie. Un poète authentique qui après être resté inaperçu pendant plusieurs années, se révèle un des poètes lyriques de référence de la littérature catalane actuelle. 

Architecte de profession, et après quelques essais en espagnol, il s’est mis à publier des recueils de poésie dès 1980. Mais c’est durant ces dernières années que MARGARIT arrive à se faire connaître. Son recueil Joana, dédié à la mémoire de sa fille souffrant de paralysie cérébrale à la naissance, devient un livre de référence, bien que les critiques n’en aient pas fait état. Il n’a pas pu pénétrer dans les circuits littéraires de Barcelone mais le bouche à oreille l’a propulsé dans les écoles, les moyens de transports collectifs, le grand public. Sa poétique, terriblement pessimiste, obscure, traitant de la mort et de la mémoire comme termes récurrents, a fait de lui un poète de proximité, avec une grande capacité d’exprimer les sentiments comme la tristesse, l’amour au quotidien, bref ce qui touche le commun des mortels.

 

Son recueil Joana est un hymne à sa fille, pour éviter une seconde mort. Ainsi fait-il perpétuer sa mémoire, son image, toujours présente telle une seconde vie.

Depuis sa consécration, dans les années quatre-vingt-dix, il est sorti de son long silence en publiant régulièrement des livres suscitant les intérêts et les attentes des milieux littéraires. Beaucoup de ses poèmes ont été mis en musique et interprétés par des chanteurs connus.

 

Xavier DIEZ, Docteur ès Lettres

Traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER

 

 

Pare i filla

 

Davant dels finestrals oberts al pati

Ell s’adormia a la butaca,

Vora el sofà on ella reposava.

El rostre de la noia, endurit per la morfina,

S’havia anate deixant el seu somriure

En les fotografies.

En fer-se fosc, la duia al pis de dalt,

Tancava els porticons i la posava al llit.

 

Davant del sofà buit ell s’adonava

Que no li quedarien prou records.

Que mai no quedarien prou records

Per simular la vida

Joan MARGARIT, (Joana,2002)

 

**

Padre e hija

 

Ante los ventales abiertos al patio

Ella se adormecía en el sillón

Cerca del sofá donde ella descansaba

El rostro de la chica, endurecido por la morfina,

Se había ido dejando su sonrisa

En las fotografías.

Al oscurecer, la llevaba al piso de arriba

Cerraba los postigos y la metía en la cama.

 

Ante el sofá vacío, el se daba cuenta

Que no le quedarían suficientes recuerdos

Que nunca quedarían suficientes recuerdos

Para simular la vida

 

Joan MARGARIT, (Joana (2002), 

Traduit du catalan en espagnol par Xavier DIEZ

**

Père et fille

 

Devant les baies vitrées donnant sur le patio

Elle s’assoupissait dans le fauteuil

Près du canapé où elle se reposait.

Le visage endurci par la morphine,

La petite fille s’en allait laissant son sourire

Sur les photographies.

À la tombée du jour, je la portais à l’étage 

Je fermais les volets et la mettais au lit.

 

Devant le canapé vide, il se rendait compte

Qu’il lui resterait pas assez de souvenirs

Qu’il ne resterait jamais assez de souvenirs

Pour simuler la vie.

 

Joan MARGARIT, (Joana, 2002)

Traduction française de la traduction espagnole de Xavier DIEZ par Maggy DE COSTER 

 

Al fons de la nit

 

Està glaçant a l’aire

Ha callat fins I tot el rossinyol.

Amb el front recolzat damunt del vidre

Demano que em perdonin

Les meves dues filles mortes

Perquè ja gairebé no penso en elles.

El temps ha anat deixant argila seca

Damunt la cicatriu. I, fins i tot

Quan un s’estima algú, arriba l’oblit.

La llum té la duresa de les gotes

Que cauen dels xiprers amb el desgel.

Poso un tronc nou i, removent les cendres,

Trec flama de les brases. Faig cafè. 

La vostre mare surt del dormitori

Amb un somriure: Quina bona olor

T’has aixecat molt d’hora aquest matí

 

Joan MARGARIT, (Joana,2002)


 

**

En el fondo de la noche

 

Está helando en el aire

Ha callado incluso el ruiseñor.

Con la frente apoyada sobre el vidrio

Pido que me perdonen

Mis dos hijas muertas

Porque ya casi no pienso en ellas.

El tiempo ha ido dejando arcilla seca

Sobre la cicatriz. E incluso

Cuando uno ama a alguien, llega el olvido.

La luz posee la dureza de las gotas

Que caen de los cipreses con el deshielo.

Pongo un nuevo tronco y, removiendo las cenizas,

Consigo hacer llama en las brasas. Hago café. 

Vuestra madre sale del dormitorio

Con una sonrisa; Qué olor tan bueno.

Te has levantado muy pronto esta mañana

 

Joan MARGARIT, (Joana, 2002)

(La version originale catalane est traduite en espagnol par Xavier DIEZ, Docteur ès Lettres)

**

Au fond de la nuit

Il gèle

Le rossignol s’est tu.

Le front posé contre la vitre

Je demande pardon

À mes deux filles mortes

Parce que déjà je ne pense presque plus à elles.

Le temps a cicatrisé ma blessure. Et aussi

Quand on aime quelqu’un, survient l’oubli.

La lumière a la dureté des gouttes

Qui tombent des cyprès dégelés.

Je place une nouvelle bûche et, remuant les cendres,

Je ranime les flammes des braises. Je fais du café.

Votre mère surgit de la chambre

Esquissant un sourire : quelle agréable odeur !

Tu t’es levé très vite ce matin

 

 

 

Référence : Joan MARGARIT, (Joana, 2002) traduction française de la traduction espagnole de Xavier DIEZ par M. DE COSTER

 

Voir aussi :

 

http://www.joanmar.garitcom/

 

 

 

***

 

Pour citer ces articles et poèmes traduits du catalan 

 

Maggy De Coster, « Mort du grand poète catalan Joan Margarit », article et poèmes édités avec l'aimable autorisation de la traductrice, des auteurs, de leur maison d'édition & de la revue "Le Manoir des Poètes", Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n° 15 « Eaux oniriques : mers/mères » N°8|« Penser la maladie & la vieillesse en Poésie » volet 2, sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 18 février 2021. Url : http://www.pandesmuses.fr/lettre15/no8/mdc-mortdejoanmargarit

 

 

 

 

 

 

Mise en page par Aude Simon

 

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans La Lettre de la revue LPpdm Numéro 8
17 février 2021 3 17 /02 /février /2021 19:10

 

Lettre no 15 | Eaux oniriques... | Poésie & Musique | poésie audiovisuelle 

 

 

 

 

 

 

Le récital de Mika :

 

 

féeries poétique & musicale

 

 

à l'Opéra Royal de Versailles

 

 

 

 

    

 

 Dina Sahyouni

 

 

 

 

 

L'émerveillement, dans son double mouvement de surprise (impliquant la prise de conscience d'une distance) et d'admiration (entraînant la réduction de cette distance par la révélation d'une proximité ou même d'une fusion), peut apparaître comme une réponse programmée aux signaux que l'œuvre d'art nous adresse ; en ce sens, il est commandé par l'objet. D'autre part, l'émerveillement est une stratégie permettant au sujet de mobiliser son énergie, soit pour jouir de l'objet, soit pour l'apprivoiser ; à cet égard, le sujet, même naïf, est le maître de son émerveillement. Si la relation sujet-objet part du sujet, l'émerveillement a partie liée avec l'évidence ; si elle part de l'objet, il est de l'ordre du dévoilement. Mais quand on définit le merveilleux à partir de l'émerveillement, on en étend le champ au point qu'il finit par englober presque toutes les relations possibles entre le message artistique et celui qui le reçoit. (cf. article de Jacques. GOIMARD, « Le Merveilleux »)

 

 

 

 

Comme beaucoup d'entre vous, j'ai regardé le 3 février le récital de l'artiste « Mika à l'Opéra Royal de Versailles » à la chaîne éphémère « France TV Culturebox » de la TNT, canal 191 puis je l'ai revu vendredi le 5 février en début de soirée sur France 5 et vous livre ce billet critique rédigé hâtivement le 4 février dernier avant d'être complété et augmenté de plusieurs références et paragraphes...

Le concert de Mika à l'Opéra Royal use d'une palette riche de féeries artistiques (poétique, musicale, audiovisuelle) puisqu'il déploie un conte de fées, tissé de récits et d'anecdotes, et ponctué de déclamations, chants lyriques, mélopées et d'images nocturnes superbes du château de Versailles et de ses bosquets.

 

Une féerie vient comme on le sait de la surprise et de l'admiration suscitées chez la personne qui y assiste. Elle est par ailleurs étroitement liée aux fées et au merveilleux (cf. CNRTL, entrée « Féerie », provient étymologiquement de ''faerie, […] Déri. Fée [...]''). D'emblée, le terme « merveilleux » provient de « merveille » dont l'étymologie en latin est Mirabĭlia (ce qui étonne, surprend, suscite l'admiration et/ou qui est magique, féerique, fabuleux, mythique, surnaturel..., voir aussi cf. CNRTL, les entrées « Merveilleux » et « Merveille »), la féerie fait donc une partie intégrante de l'univers des merveilles et du merveilleux (voir la citation présente en au début de ce texte).

 

Dans cette esquisse des féeries poétique et audiovisuelle de Mika, on s'attarde un peu sur les deux aspects féériques les plus éclatants du récital en question : le premier est la féerie poétique, le deuxième concerne la féerie musicale.


 

 

I- La féerie poétique

 

 

La féerie poétique vient d'abord de l'Opéra Royal de Versailles qui joue rarement avec des chanteurs non lyriques, ensuite du lieu de la performance : Versailles qui est un lieu prestigieux chargé d'histoire et de magie ; il donne ainsi à voir un écrin d'enchantements sensoriels sublimé par les lumières et les couleurs. La nuit, les images des fontaines et de l'extérieur du palais versaillais puis celles la salle au décor majestueux d'antan accentuent l'effet onirique et nous font entrer dans un rêve éveillé, on chemine dans les coins et recoins aux différentes ambiances du château peuplé de fantômes de princes, princesses, de beautés artistiques diverses, et de magies des siècles passés.

 

Ensuite, la féerie poétique surgit de la manière dont Mika présente les artistes et la chorale (Ida Falk Winland, Gautier Capuçon, Jakub Jósef Orliński, Thibaut Garcia, Stefan Plewniak, Opéra Royal de Versailles et Gospel pour 100 voix) qui l'accompagnent et par l'éloquence avec laquelle il conte des anecdotes de son parcours artistique portant sur ses chansons transformées pour l'occasion en puissants philtres d'amour et de générosité aux effets surprenants sur le public.2

La féerie poétique du récital se dévoile également au fil des performances artistiques et au gré des séquences menant au bout du concert avec « Happy Ending ». Mika, en virtuose, tisse un fil rouge du début jusqu'à la fin du récital en alternant des histoires privées et des envolées lyriques, créant ainsi des contrastes, des distances et des proximités entre le public et lui. Et l'on tombe en merveilleux comme l'on tombe en rêve ou en amour.

 

La féerie poétique du récital vient ainsi du merveilleux poétique du lieu, de l'histoire narrée merveilleusement bien et des interférences entre modernité et classicisme : le patchwork des styles passant du décor et de la musique baroques à la modernité vestimentaire des artistes, choristes et celle des chansons et de l'interprétation.

 

Ce merveilleux poétique se compose ainsi de plusieurs éléments habituels de l'univers merveilleux des contes de fées ou nouvellement réenchantés, parmi eux, on cite :

 

1 – dans ce décor d'autrefois, les Muses et les Grâces veillent. Elles hantent les lieux. Les dieux s'insurgent aussitôt de partout et habitent le tout.

2 – les jeux de lumières tempérées, des pénombres, eaux et miroirs omniprésents dans l'enregistrement de ce récital-conte de fées rappellent étrangement l'atmosphère propre aux contes de fées où la nuit, les endroits sombres, les eaux sont habités par des êtres surnaturels divers... Les statues et peintures semblent soudainement reprendre vie.

3 – les sonorités du clavecin venues des siècles des fées autrement dit les XVIIe et XVIIIe siècles où le merveilleux jouait un rôle fort important dans les sociétés de l'ancien régime. Cet instrument musical aux tintinnabulements des clochettes nous renvoient irrémédiablement aux fées, châteaux enchantés et aux veillées mystérieuses.

4 – les mains dansantes du chef de l'orchestre Stefan Plewniak ne cessaient de jeter des sorts non seulement aux musiciens et artistes mais aussi au public. Tel un enchanteur d'antan, ses mains jouaient des partitions au langage secret et magique.

5 – la poésie déclamée des récits de la naissance de certaines chansons telles « Over My Shoulder », « Elle Me Dit », « Love Today ». Cette poésie du dévoilement surprend et attise la curiosité, l'étonnement et le sourire chez le public.

6 – la magie de l'« Abracadabra » des langues française et anglaise) chantées et parlées fait appel aux langues naturelle et surnaturelle dans les contes. Mika les mélange en passant de l'une à l'autre tel un sorcier usant de son savoir magique pour jeter des sorts ou se métamorphoser en un être surnaturel. Tel un aède de l'antiquité naviguant entre déclamation, mélopée, dit et chant, tel un Aladin (dit aussi Aladdin) au tapis magique, comme Ali Baba à la formule magique « Sésame ouvre-toi », il nous fait entrer dans son univers puis on voyage avec lui dans un monde parallèle. Mika en poète alchimiste du verbe, fait émerger un lyrisme surnaturel3 et narre ainsi une épopée personnelle, il devient un Ulysse passant d'un exploit à un autre... Il transforme des bribes d'histoires en un conte de fées rempli de ses peines et joies. Il compose tout au long de cette parenthèse enchantée des philtres d'amour avec « Ice Cream », « Origin Of Love », « Tomorrow », « Toy Boy », « Les Baisers Perdus » et nous ensorcelle. Le dernier titre est bien particulier parce qu'il renvoie étrangement au poème « Le Pont Mirabeau » de Guillaume Apollinaire mais pour mieux s'en détacher. Dans « Good Guys », Mika use de l'énumération pour rendre hommage à la mémoire des artistes et poètes (homosexuels, bisexuels, etc.) à qui l'on doit beaucoup : Rufus Wainwright, Wystan Hugh Auden, James Dean, Ralph Waldo Emerson, David Bowie, Wilfred Owen, Alfred Kinsey, Walt Whitman, Arthur Rimbaud, Cole Albert Porter, Jean Cocteau.

Et d'emblée les vers suivants :

 

If we are all in the gutter

It dosesn't change who we are

'cause some of us in the gutter

Are looking up the stars

​​​​​

 

rappellent la fameuse citation de l'auteur Oscar Wilde : « We are all in the gutter but some of us looking up at the stars »

Le poète lyrique Mika (se dit aussi lyreur ou lyriste), nous fait danser, rire, pleurer, s'émerveiller en voyageant par le biais de sa poésie intime et universelle dans les temps, espaces et états d'âme. Or, tout est dit dans cette phrase confiée à Vanessa Schneider dans l'entretien paru dans Le Monde : « On peut danser avec des larmes aux yeux » (voir l'article... ). Cette déclaration se cache déjà sous une autre forme verbale dans sa chanson interprétée en duo avec Soprano « Le Cœur Holiday »...

 

 

 

II- La féerie musicale

 

 

Quant à la féerie musicale, elle naît d'un mélange savant et savoureux de plusieurs genres et styles musicaux parmi lesquels on reconnaît facilement les musiques Pop et baroque ; avec les ripieno et concertino, on fait un saut dans le surnaturel, dans l'« Il était une fois ».

La féerie musicale provient aussi des sonorités estivales des instruments tels les clavecin, violoncelle et guitare. Le merveilleux culmine dans le geste interprétatif des musiciens et artistes, dans les mélopées et dans la litanie poussée à son paroxysme dans l'interprétation du poème « Over My Shoulder » par Jakub Jósef Orliński et Mika. La virtuosité des chanteurs subjugue, mais la sublime litanie du poème déclenche les larmes et la féerie se cache dans cet univers sensoriel nous éloignant des vacarmes pathétiques du quotidien.

Loin de la banalité quotidienne, loin du réel bigré des méfaits du Coronavirus, la beauté exotique des arrangements musicaux et la polyphonie des voix complètent cette symphonie multiculturelle aux effets surnaturels. Les voix comme les instruments peu à peu sont hantés par la lyre du dieu Apollon et deviennent magiques.

La fin de ce récital aux mille enchantements se dévoile avec la chanson « Happy Ending » chantée en duo avec la soprano Ida Falk Winland. Sa voix cristalline résonne encore une fois comme les étincelles magiques des poussières de fées, on vole.

Que dire de Ida Falk Winland ?!!! Elle est une moderne fée aux poussières magiques, ou une sublime Érato aux roses et myrtes de notre temps autrement féerique.

 

 

Difficile de terminer cette esquisse car beaucoup d'aspects féeriques du concert demeurent encore dans l'ombre...

Et l'on ne peut que constater avec modestie que le récital versaillais de Mika est une vraie poésie audiovisuelle, une féerie poétique du XXIe siècle.

 

 



 

Notes

 

 

1. Cette chaîne a été mise en place pour tenter de remédier aux méfaits psychiques et économiques de la pandémie de COVID-19 sur des pans de la culture en France et en Europe en proposant des concerts, spectacles, etc.

2. Cela est constatable par le biais de différents textes et informations ayant circulé, précédé et suivi la diffusion du récital à l'Opéra Royal de Versailles dans la presse et médias audiovisuels.

3. Ce lyrisme étrange est surnaturel parce qu'il est à la fois suranné et ultra contemporain. Il mêle savamment les désuet, rococo, moderne, classique, banal et sublime. Il trouble aussi l'image romantique du poète et de la poésie lyrique par des usages détournés des synesthésies, synecdoques, tropes et autres éléments poétiques.



 

Bibliographie utile sur le merveilleux, déjà utilisée pour certains de mes textes...

 

– ARISTOTE, Poétique, traduit et annoté par Roselyne DUPONT-ROC, Jean LALLOT, éd. Seuil, 1980, réédition 2011.

– André BRETON, « Le Merveilleux contre le mystère » dans La Clé des champs, 1967 et Manifeste du surréalisme, 1924.

– Victor DELAPORTE, Le Merveilleux dans la littérature française sous le règne de Louis XIV, éd. Slatkine Reprints,1891.

– Pierre MABILE, Le Miroir du merveilleux, éd. Minuit, 1962.

– Daniel POIRION, Le Merveilleux dans la littérature française du Moyen Âge , PUF, 1982.

– Marie-Louise TÉNÈZE, « Du conte merveilleux comme genre », dans Arts et traditions populaires, 18e année, n° 1-2-3, Janvier-septembre 1970, pp. 11-65.

 

Voir aussi :

 

 

***

 

Pour citer cet article

 

Dina Sahyouni, « Le récital de Mika : féeries poétique & musicale à l'Opéra Royal de Versailles », article inéditLe Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n° 15 « Eaux oniriques : mers/mères », mis en ligne le  17 février 2021. Url : http://www.pandesmuses.fr/lettre15/ds-feeriesdurecitaldemika

 

 

 

Mise en page par Aude Simon

 

 

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    Événements poétiques | Festival International Megalesia 2024 « Amies » & « Elles » | I. « Amies » | Florilège | Poésie et art audiovisuel / Poésie audiovisuelle « Lorsque le cœur fait boum » & quatre autres chansons sur l'amitié Cinq poèmes audiovisuels...