4 novembre 2020 3 04 /11 /novembre /2020 14:53

Hommage poéféministe | Textes poétiques

 

 

 

 

Complainte sur un horrible assassinat

 

commis par un fanatique, qui a

 

éventré sa femme enceinte, par

 

l'instigation des mauvais prêtres, 1797.

 

​​​​​

 

​​

 

Le Troubadour républicain

 

Poème choisi, transcrit, remanié, mis en français moderne & commenté brièvement pour cette revue par Dina Sahyouni

 

 

 

 

Commentaires brefs :

 

Ce poème d'un fait-divers est un témoignage poignant daté de la fin du XVIIIe siècle sur les méfaits atroces et criminels du fanatisme religieux. S'il narre avec effroi et horreur sans toutefois s'attarder sur les détails les plus affreux le récit de ce que l'on qualifie de nos jours de « féminicide », le texte récite une élégie d'un horrible d'un attentat. Pour le moment, on sait peu de chose sur l'identité du poète-témoin auteur de ce qu'on qualifie du Poème-fait-divers ou (de l'élégie du fait-divers ou encore de l'élégie d'attentat) et de la lettre qu'il accompagne. Il se qualifie toutefois du « Troubadour républicain » ayant à cœur de dénoncer simultanément les ravages du fanatisme religieux et sa peur des représailles... Le poète-témoin en question peut être le directeur de la publication du journal cité "Le Troubadour républicain". En tous les cas, le poète élégiaque a eu le courage de dénoncer les conséquences néfastes du fanatisme sur les esprits les plus fragiles et non armés par l'esprit critique mais il n'était pas en mesure d'afficher son identité par crainte pour sa propre sécurité. Le poète-journaliste auteur du texte nous a transmis sans le savoir un précieux témoignage sur la condition des femmes qui vivaient en fin du siècle des Lumières. Le chant de cet affreux meurtre commis à l'encontre d'une femme enceinte perpétue le questionnement sur les origines multiples des violences faites aux femmes.

Si l'on reproduit cette complainte ici, c'est pour témoigner à notre tour des violences meurtrières commises au nom des religions et des croyances mêmes politiques... Et enfin pour ne pas nous leurrer sur la nécessité de nous rappeler incessamment la nécessité d'éclairer et d'éduquer aussi les esprits dans notre siècle pour éviter ce genre de crimes....

 

 

Le texte reproduit ci-dessous provient du périodique "Le Troubadour républicain", Complainte sur un horrible assassinat commis par un fanatique, qui a éventré sa femme enceinte, par l'instigation des mauvais prêtres, 1797. Cet opus appartient au domaine public.

 

 

[Sur l']Air de la Romance de Daphné

 

 

 

De nos prêtres réfractaires,

Peuple, connais les fureurs

Et les projets sanguinaires,

Qui du culte de nos pères

Signalent les orateurs.


 

Au village de Tulendre,

Deux époux vivaient heureux ;

Leurs cœurs avaient su s'entendre,

L'épouse était chaste et tendre,

L'époux était vertueux.


 

Mais l'épouse au monastère

Sous le voile avait vécu.

À la voix d'un réfractaire,

De sa paisible chaumière

Le bonheur a disparu.


 

Le cœur navré de tristesse,

Elle invoquait l'éternel.

À son aspect qui le blesse,

Le prêtre interrompt sa messe

Et s'éloigne de l'autel.


 

C'est un monstre abominable,

Dit-il, qui souille ce lieu.

Sacrilège épouvantable !

C'est la pâture du Diable

Qu'il faut jeter vive au feu.


 

Le peuple, à sa voix cruelle,

S'en écarte avec frayeur,

L'époux ne voyant en elle

Qu'une femme criminelle,

La repousse avec horreur.


 

Mais la rage forcenée

Du prêtre rebelle aux lois,

Veut trancher sa destinée,

Et, pourtant l'infortunée

Est enceinte de six mois.


 

Étouffe avant sa naissance,

Dit-il, cet enfant proscrit,

Arrache-lui l'existence

Ou du ciel crains la vengeance ;

Cet enfant est l'AntéChrist.


 

À la voix du réfractaire,

L'époux croit venger son Dieu ;

Pour frapper, dans sa colère,

Et son enfant et la mère,

Il choisit la Fête-Dieu.


 

En secret, sur une échelle

Il l'attache avec effort,

Sans nulle pitié pour elle ;

Bientôt sa main criminelle

Saisit l'instrument de mort.


 

Mais de ce forfait atroce

Comment faire le récit ?

Ô crime ! Ô monstre féroce !

Voilà donc du sacerdoce

Et les vertus et l'esprit.


 

Vers lui l'épouse timide

Tourne des yeux suppliants

Le monstre, nouveau Séide,

Lève la fourche homicide

Et la plonge dans ces flancs.


 

Bientôt ses dents déchirantes

La mettent au monument :

De ses entrailles fumantes

Des mains de sang dégoûtantes

Vont arracher son enfant.


 

Je frémis !.... ma voix expire !

Ô peuple ! voilà ton sort !

De tes prêtres crains l'empire !

Vois pour tout ce qui respire

Ou l'esclavage ou la mort !


 

Aux cris des énergumènes

Tu verras renaître ici

Les Vêpres siciliennes,

Le massacre des Cevennes,

Et la Saint-Barthélemy.


 

Par le Troubadour républicain.*

 

* Extrait littéral du Journal intitulé : la Clef du Cabinet des Souverains, n°. 159.

 

    Le crime consigné dans la lettre qu'on va lire nous a fait une telle horreur, que malgré la véracité de l'homme qui l'a signée, en toute lettre, nous avons hésité avant de l'insérer dans notre journal ; mais il faut que le gouvernement sache que, ne trouvant que, ne trouvant que trop d'excuses dans les atrocités du fanatisme révolutionnaire, le fanatisme religieux se relève armé de tous ses poignards, et que nous disions aux prêtres restés fidèles à l'évangile, que s'ils n'évitent le précipice où nos modernes apôtres veulent les entraîner, ils perdront entièrement, en France, la religion et ses ministres.

 

    De Tulendre, commune de Monton, près de Clermont, département de Puy-de-Dôme, le 3 messidor, an 5.

 

        Citoyen,

    Je vous prie d'insérer dans votre journal le fait suivant qui m'a fait pâlir d'effroi. Une malheureuse fille, ci-devant religieuse, mariée depuis environ trois ans, heureuse tant que les prêtres n'étouffaient point le flambeaux de la raison, vient d'expirer dans les tourments les plus douloureux, assassinée de la manière la plus cruelle par son mari.... Ce monstre, à force d'entendre dire partout ce qui l'entourait que son mariage était un sacrilège, et que sa femme méritait d'être brûlée en place publique, la mène dans sa grange, après la bénédiction, le 27 prairial, jour de la fête-Dieu, l'attache à une échelle, lui enfonce à plusieurs reprises une fourche de fer dans les parties sexuelles, et lui arrache l'enfant dont elle était grosse de six mois.

    Forcée de courber la tête sous le joug de l'opinion locale, je désire de garder l'anonymat, n'ayant point le courage de me vouer à la proscription.

 

 

***

 

Pour citer ce poème

 

Le Troubadour républicain, « Complainte sur un horrible assassinat commis par un fanatique, qui a éventré sa femme enceinte, par l'instigation des mauvais prêtres, 1797 »,   poème choisi, transcrit, remanié, mis en français moderne & commenté brièvement par Dina SahyouniLe Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiquesHommage poéféministe au professeur Samuel Paty, mis en ligne le 4 novembre 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/21octobre/ltr-complainte

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans S'indigner - soutenir - etc.
4 novembre 2020 3 04 /11 /novembre /2020 14:24

Hommage poéféministe | Textes poétiques

 

 

 

 

La mort des dieux

 

​​​​​

 

​​

 

Jeanne Loiseau

 

Poème choisi, transcrit & remanié pour cette revue par Dina Sahyouni

 

 

 

​© ​​​​​​​​​​​​​​​​Crédit photo : "Première de couverture du poème", capturée par la revue LPpdm. 

 

 

Dans le ciel vaporeux aux fascinants abîmes,

Au-dessus des brouillards d'argent, de cendre ou d'or,

Sur leurs trônes d'azur siégeaient les dieux sublimes,

Écoutant si vers eux nos chants montaient encor.

 

Ils étaient là, ces fils de notre immortel rêve.

Unis et fraternels dans leur commun séjour,

Car un même désir les enfanta sans trêve,

Car ils furent aimés du même ardent amour.

 

Ils étaient là, sans haine et sans amère envie :

Jupiter, Jéhovah, si promets en leur courroux,

Le grand Baal, Ishtar, déesse de la vie,

Et le pâle Jésus sous ses longs cheveux roux ;

 

Bouddha, dont la pitié s'épanche en flots mystiques,

Vishnou, qui de toute âme est l'éternel amant,

Allah, qu'ont célébré de belliqueux cantiques,

Et le farouche Odin, roi du nord inclément.

 

Et sur les fronts hautains de la célèbre foule

Régnaient le calme auguste et la sécurité :

Les siècles devant eux passeraient, sombre houle,

Mais sans pouvoir jamais ternir leur majesté.

 

Car l'homme, qui les fit du meilleur de son âme,

Et qui par leur splendeur s'était laissé charmer,

Quand il douterait d'eux ne serait point infâme

Assez pour les maudire et pour les blasphémer.

 

Mais, les enveloppant d'un respect doux et tendre,

Il bénirait toujours leurs fantômes puissants,

Qui l'ont fait espérer avant qu'il pût comprendre,

En lui donnant pour but les cieux éblouissants.

 

Il n'oublierait jamais que, sur sa route amère,

Eux seuls ont soutenu, guidé ses premiers pas,

Et qu'ils l'ont doucement calmé par leur chimère,

Comme on clame un enfant en lui chantant tout bas.

 

Ainsi rêvaient les dieux au fond du ciel immense,

Quand soudain, les troublant dans leur bleu paradis,

Monta comme un long cri d'insulte et de démence :

L'homme se disait libre... et les avait maudits !

 

Homme, pauvre insensé que mène un vain mirage,

Maudis donc ton cerveau, ton cœur et ta raison !

Les dieux ne sont-ils pas, réponds, ton propre ouvrage ?

Qui donc les a dressés, hors toi, sur l'horizon ?

 

Tu brandis contre eux un inutile glaive

C'est ton illusion que menace ta main ;

Si tu crois saluer une aube qui se lève,

Vois, tes propres flambeaux blanchissent ton chemin.

 

Va donc, poursuis un songe après un autre songe,

Tu ne peux échapper à la loi de ton cœur.

Mais écoute... dans l'ombre où ton blasphème plonge,

C'est de ta seule voix que rit l'écho moqueur.

 

C'est toi, c'est ton passé, dont ainsi tu te railles.

Soit, tous tes dieux sont morts sous ton bras forcené...

Mais d'autres de ton sein vont naître, et tes entrailles

Demain feront jaillir ton rêve nouveau-né.*

 

 

* Le texte reproduit ci-dessus provient de LESUEUR, Daniel (1854-1921 pseudonyme de Jeanne LOISEAU), Rêves et visions, [Titres des volets ou des Sous-titres : Souvenirs, Visions divines, Visions antiques, Sonnets philosophiques, Échos et reflets, Paroles d'amitié, Paroles  d'amour], Paris, Alphonse Lemerre, MDCCCLXXXIX (1889), « Visions divines », pp. 28-30. Ce recueil appartient au domaine public.

 

***

 

Pour citer ce poème

 

Jeanne Loiseau, « La mort des dieux », extrait de LESUEUR, Daniel pseudonyme de), Rêves et visions, (1889) poème choisi, transcrit & remanié par Dina SahyouniLe Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiquesHommage poéféministe au professeur Samuel Paty, mis en ligne le 4 novembre 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/21octobre/jl-lamortdesdieux

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans S'indigner - soutenir - etc.
3 novembre 2020 2 03 /11 /novembre /2020 17:52

Événements poétiques | ReConfinement | Rêveries fleuries | Jour 5

 

 

 

 

 

 

Rêverie 

 

 

 

 

 

 

 

Alphonse Calligé

 

Poème choisi, transcrit & remanié pour cette revue par Dina Sahyouni

 

 

 

 

Crédit photo : Grandville (de), "La reine des fleurs, fleurs animées", domaine public, image Commons.

 

 

 

J'aime ouïr les roseaux

Lorsque leur chevelure,

Plaintive, sur les eaux,

Aux vents du soir murmure !

J'aime ouïr les clameurs

De l'onde, que soulève

L'orage, et sur la grève

Roule, croulante en pleurs !

J'aime quand le jour sombre,

Voir les ailes de l'ombre

Abattre leur essor

Sur le val qui s'efface !

J'aime voir, dans l'espace,

Naître les astres d'or,

Dardant leurs étincelles,

Ainsi que des prunelles,

Où s'allume l'amour !

J'aime l'Alpe de neige,

Que l'avalanche assiège,

Où naît et meurt le jour !

J'aime le pleur de l'onde

Dont le tonnerre gronde,

Et, dans le gouffre obscur,

Croule, éternel orage,

Dont parfois le nuage

Brille en prismes d'azur !

J'aime la fleur que dore,

Radieuse, l'aurore,

Et les regards de feu

Que le matin allume,

Du val perçant la brume,

Dans l'herbe et le flot bleu !

Mais j'aime avec délire

Des vierges le sourire,

Et les rayons d'amour

Que leur paupière ombrage !

Astres dont un nuage

Laisse briller le jour !

Devant leur chaste face,

L'aube, confuse, efface

Sa grâce et sa rougeur,

Quand, sur leur front timide,

Glisse l'iris rapide

De la sainte pudeur !

Des roses virginales

Leurs splendeurs idéales

Éclipsent la clarté !

Pâle s'enfuit l'étoile

Et son rayon se voile

Devant leur vénusté !

Tel, d'un lys diaphane,

S'élève, ondule et plane

L'orgueil à nul égal,

Leur port s'élance et ploie !

Et, tel le cygne ondoie,

En des flots de cristal

Reflétant son albâtre,

Qu'une ride bleuâtre

D'un doux murmure suit !

Des femmes le génie

N'éveille notre vie, et fuit

Imprimant le mirage

De leur brillant sillage

Dans nos cœurs éblouis !

Éphémères aurores,

Rapides météores

Soudains évanouis !

Octobre 1864*

 

 

* L'extrait présent ci-dessus provient de CALLIGÉ, Alphonse (avocat), Pensers et rêveries, Annecy, Typographie Dépollier et Cie, 1868, pp. 47-50. Ce recueil est tombé dans le domaine public.

 

***

 

Pour citer ce poème

 

Alphonse Calligé, « Rêverie »,   poème extrait de CALLIGÉ, Alphonse, Pensers et rêveries, (1868), choisi, transcrit et remanié par Dina Sahyouni Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événement poétique| Reconfinement « Rêveries fleuries », mis en ligne le 3 novembre 2020. Url :

http://www.pandesmuses.fr/reveriesfleuries/ca-reverie

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Reconfinement
3 novembre 2020 2 03 /11 /novembre /2020 17:19

Hommage poéféministe | Textes poétiques

 

 

 

 

Le Fanatisme 

 

Ode

 

Amsterdam,

 

MDCCLXV (1765)

 

​​​​​

 

​​

 

Poète anonyme

 

Poème choisi, transcrit, remanié & mis en français moderne pour cette revue par Dina Sahyouni

 

 

 

​© ​​​​​​​​​​​​​​​​Crédit photo : "Première de couverture du poème", capturée par la revue LPpdm. 

 

 

 

 

Quels monstres pour punir la terre

Le Ciel évoque des Enfers !

À sa fuite traînant la guerre,

L'intérêt vient forger nos fers ;

La jalousie, au front livide,

Précède la haine perfide ;

Le trépas fuit l'infirmité ;

La crainte engendre l'artifice ;

Le soupçon, fils de l'injustice,

Enfante l'inhumanité.


 

Du moins si leur noire cabale

Vous désolait seule, ô mortels !

Le souffle empesté qu'elle exhale

Ne montre point jusqu'aux autels...

Sur ces autels qu'il déshonore,

Quel monstre plus terrible encore

Porte d'audacieuses mains ?

Sous ses pas quel abîme s'ouvre ?

Le voile sacré qui le couvre

Abusera-t-il les humains ?


 

Je vois sur le trône adorable

De l'indulgente pitié,

Briller le sceptre inexorable

Du Fanatisme détesté :

Habile à feindre des alarmes,

L'ambition reçoit des armes

Des mains de la crédulité ;

Et prêt à rentrer dans la poudre,

Le peuple tremble au bruit du foudre

Qu'allume sa simplicité.


 

Aux temps heureux du premier âge

L'homme eut pour maître son auteur ;

Pour lois, une Nature sage

Qui se fit entendre à son cœur.

Dans les pièges de la licence

La faible et timide innocence

Eût à peine trouvé des fers :

Prêtres1 des dieux qu'ils fabriquèrent,

Soudain les tyrans consacrèrent

L'esclavage de l'Univers.


 

Aussitôt le peuple sans peine

Baise la main qui l'a dompté,

Et chacun croit voir sur sa chaîne

Le sceau de la divinité :

Bientôt du Midi jusqu'à l'Ourse,

Ce fleuve rapide à sa source

S'accroît par de nouveaux torrents ;

De leurs égaux devenus maîtres,

Quand les tyrans ne sont plus prêtres2,

Les prêtres servent les tyrans.


 

Presque au niveau du rang suprême,

Leur rang est trop bas à leur gré :

Bientôt l'orgueil du diadème

Fléchit sous le trépied sacré.

À leurs foudres toujours en butte,

Bientôt pour prévenir la chute

D'un sceptre déjà chancelant,

Confondu dans la foule obscure,

Le Prince aux pieds de l'imposture3

Court se prosterner en tremblant.


 

Il n'est plus désormais de digues

À vos projets ambitieux,

Prêtres, de vos lâches intrigues

Recueillez les fruits précieux...

Craignez-vous qu'un œil téméraire

Ose percer du Sanctuaire

Le labyrinthe redouté ?

Eh ! forgez contre le perfide

Un Dieu4 que vous ferez avide

D'un sang justement détesté.


 

Il faut l'étai de l'ignorance

Au trône fondé par vos mains :

Mais dans une éternelle enfance

Sachez retenir les humains ;

Ici, par une austère5,

Aux yeux du crédule vulgaire

Achetez d'éternels plaisirs ;

Et là brûlant d'un feu cynique6,

Jouissez du tribut inique

Offert à vos honteux désirs.


 

Proportionnez aux lumières

Des esclaves de votre Loi

Les erreurs plus ou moins grossières

Que vous offrirez à leur foi :

Tantôt qu'un style énigmatique7

D'une abstraite métaphysique

Obscurcisse encor le chaos ;

Et tantôt des royaumes sombres

Faites sortir avec les ombres

La peur qui forme les dévots8.


 

Mais toi, Rome, dont le courage

Aspire à dompter l'Univers,

Au fier ennemi qui t'outrage

Qu'attends-tu pour donner des fers ?...9

Immole un indigne ministre

Qui par cet augure sinistre

T'inspire un ridicule effroi ;

Et frappé du coup magnanime

Que porte un bras vengeur du crime,

Le Monde entier subit ta loi.


 

Non par les armes du scrupule

Ils ont subjugué tous les cœurs ;

Tout est peuple, tout est crédule,

Tout cède à de vils imposteurs :

Si les flambeaux d'une mégère

N'épouvantent que ce vulgaire

Presqu'abruti par ses travaux :

L'ivresse du Patriotisme10

Est dans les mains du Fanatisme

Le ressort qui meut les héros.


 

Mais de ces siècles de ténèbres

Pourquoi retracer les horreurs ?

Quels objets encore plus funèbres

M'offre ce siècle de fureurs ?

Voyez la France en cent batailles

Déchirer ses propres entrailles,

S'immoler ses propres guerriers,

S'enorgueillir du privilège

De couvrir son front sacrilège

Des plus détestables lauriers.


 

Par la bouche de ses ministres11

L'Éternel a dicté ses lois ;

En vain à ses arrêts sinistres

La Nature oppose sa voix ;

Que tout s'arme pour sa querelle,

Venez-le d'un peuple rebelle

Dont l'erreur osa l'outrager ;

Faites servir à votre rage

Le feu, le poison, le carnage :

Tout est permis pour le venger.


 

Ainsi12, de l'ingrat mercenaire,

Le maître expire sous les coups ;

Le frère assassine le frère,

L'épouse dénonce l'époux :

Du malheureux13 que ma furie

Fait à mes pieds tomber sans vie,

C'est peu d'avoir percé le flanc ;

Dans ses entrailles palpitantes

Il faut que mes mains dégoûtantes

Cherchent le reste de son sang.


 

Faut-il encor d'autres victimes

Pour assouvir cette fureur ?

Oui, que de plus illustres crimes

En éternisent la terreur....

Vois, mais adore, humble vulgaire,

C'est du milieu du Sanctuaire

Que part le funeste signal....

C'est enfin sur l'Être suprême,

Dans son Image, ses oints même14

Que porte le glaive fatal.


 

À mon respect pour ce saint Temple

Où vous prêchez l'iniquité,

Fourbes sacrés, que j'y contemple,

Vous devez ma crédulité :

Mes attentes sont votre ouvrage ;

Trop tard je frémis du langage

Des ministres du Dieu de paix ;

Ce Dieu dont l'équité sévère

Punit une faute légère,

Peut-il m'ordonner des forfaits ?


 

Sous des traits, dont enfin s'irrite

Mon cœur de remords combattu,

En vain votre bouche hypocrite

M'offre un fantôme de vertu...

Étrange et barbare Sagesse,

Qui vois une indigne faiblesse

Dans ce juste retour du cœur,

Tu n'es qu'une affreuse imposture ;

Au cri perçant de la Nature

Cesse d'opposer son auteur.


 

De tant d'horreurs du Fanatisme

Purgez le culte des autels,

Brisez les fers du despotisme

Dont il accable les mortels :

Contre une doctrine nouvelle,

Prêtres, signalez votre zèle,

Faites-en sentir le poison ;

Mais c'est assurer son empire

Que d'employer pour le détruire

D'autres armes que la raison15.

 

Fin

 

Notes

 

1. Ninus, après la mort de Belus son père, lui fit rendre les honneurs divins, et fut le premier prêtre de son Temple.

2. Les Successeurs de Ninus abandonnèrent à des prêtres qu'ils choisirent le culte des autels de la nouvelle Divinité.

3. Initiation des Rois Égyptiens ; éducation des jeunes Princes, confiée aux prêtres.

4. Sacrifices de Saturnes, Moloch, et C.

5. Brahmines, qui se sont attachées à des arbres dans des attitudes qui révoltent le bon sens et l'humanité.

6. Privilège des Fakirs, dont les embrassements honorent les femmes à qui ils veulent bien accorder ces faveurs, même au milieu des rues.

7. Hiéroglyphes égyptiens.

8. On ne confondra point cette peur à laquelle l'imbécilité païenne érigea des autels, avec cette crainte salutaire qui est le commencement de la sagesse.

9. Il fallait que les poulets sacrés mangeassent de bon appétit pour qu'on osât livrer une bataille.

10. Curtius, Decius.

11. On ne se rappelle point encore sans frémir les maximes horribles dont retentissaient alors tous les Temples.

12. Massacre de la Saint-Barthélemy.

13. Cadavre de l'Amiral de Coligny, jeté par la fenêtre et foulé aux pieds.

14. Assassinat d'Henri III et d'Henri IV.

15. Rationabile sit obsequium vestrum.

 

 

***

 

Pour citer ce poème

 

Poète anonyme, « Le Fanatisme, Ode, Amsterdam, MDCCLXV (1765) »,   poème choisi, transcrit, remanié & mis en français moderne par Dina SahyouniLe Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiquesHommage poéféministe au professeur Samuel Paty, mis en ligne le 3 novembre 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/21octobre/pa-fanatisme

 

 

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