N°8 | Dossier majeur | Articles & témoignages / Entretien poétique, artistique & féministe
Conversation avec
Françoise Urban-Menninger
sur la vieillesse & la maladie en poésie
Peinture de
Hélène de Beauvoir
par le photographe
Propos recueillis par
Poéticienne, éditrice,
lyreuse & fondatrice de la SIÉFÉGP
© Crédit photo : Claude Menninger, "Hélène de Beauvoir, Venise, 1960", cette photographie a été prise lors de la rétrospective des œuvres l'artiste Hélène de Beauvoir au Musée Würth à Erstein, photographie inédite fournie par Françoise Urban-Menninger.
1 – Qu'est-ce que la vieillesse, qu'est-ce que la maladie en poésie ?
Françoise Urban-Menninger –En ce qui me concerne la vieillesse, la maladie, les états d'âme, le spleen comme chez Baudelaire font partie intégrante de la vie. Tous ces paramètres jouent sur le fond de mon écriture et la mettent en jeu (je) car la poésie, comme je la définis souvent, est une forme de résistance dans un monde « où la fuite en avant est de mise ». Donc le fond a partie liée avec un cri qui surgit des profondeurs…
Par contre, la forme « s'assagit » sans aucun doute avec l'âge et la recherche de la sérénité qui consiste à entrer comme l'écrit Gaston Bachelard en « résonance » avec le cosmos. Rappelons-nous que nous sommes de passage sur cette terre et que comme le souligne le physicien Hubert Reeves nous sommes faits de la même structure que les étoiles mortes. Savoir que nous sommes de la « poussière d'étoiles » remet en quelque sorte les pendules à l'heure et réfrène nos ambitions dithyrambiques à vouloir s'accaparer et exploiter les biens que nous offre cette planète qui nous accueille depuis des millénaires.
2 – L'être poète vieillit-il, tombe-t-il malade ? Comment sa poésie exprime cela ?
Françoise Urban-Menninger – Quand le poète vieillit, il retourne sur les chemins de son enfance comme l'écrit Gaston Bachelard car l'origine et la mort confinent. De ce fait, le poète emprunte les voies de la transcendance pour s'aventurer au-delà des mots et peut-être de lui-même. Bien évidemment la souffrance psychique ou physique ou les deux peuvent entraver cette transcendance… Comment appréhender l'âme du monde et sa musique quand le corps n'est plus que douleur ? Je pense que le caractère du poète, sa vision du monde, ses croyances, et surtout sa perception de la mort influent sur sa création.
Pour éclairer mon propos voici ce qu'écrit le poète suédois Tomas Tranströmer « La souffrance et la joie pèsent tout à fait le même poids ».
3 – Que fait la poésie aux maux et désarrois réels ou fictifs des poètes ?
Françoise Urban-Menninger – La poésie n'est pas une panacée pour guérir les maux du corps, par contre elle apaise les maux de l'âme en aidant les êtres comme l' écrivait et le mettait en pratique Montaigne qui tentait d' apprivoiser sa propre mort en y pensant un peu tous les jours tout en chevauchant dans la campagne.
Renouer chaque matin avec la lumière qui nous éclaire, dialoguer comme le fait Christian Bobin avec des tulipes dans un vase, voilà qui peut combler le manque, l'absence ou la déchirure. Renaître encore et toujours au monde, c'est célébrer le poème qui nous met au monde selon l'expression de Guillevic.
4 – Vos œuvres sont imprégnées par une poésie lyrique liée à cette condition de l'être humain et surtout l'être poète créateur, immortel et mortel à la fois, voudriez-vous nous en parler un peu ?
Françoise Urban-Menninger – Que dire du lyrisme dans ma poésie sinon qu'il est ma respiration. Un rythme cosmique habite mes écrits, c'est une danse avec la musique des sphères, les cycles des saisons et la quête d'une harmonie existentielle.
Ma mère me disait qu'elle me laissait bébé dans mon landau sous un arbre parmi les fleurs du jardin et je gazouillais tout l'après-midi tendant mes bras vers les feuilles qui tremblaient dans la lumière, c'est sans doute la source de mes rêveries !
5 – La poésie vieillit-elle ? Tombe-t-elle malade, meurt-elle ? Cette question renvoie au n°0 du périodique "Le Pan Poétique des Muses", qu'en pensez-vous ? Les femmes, poètes, éditrices, traductrices etc., peuvent-elles renouveler la poésie comme le disait Aragon ?
Françoise Urban-Menninger – La poésie ne meurt jamais ! La poésie authentique est intemporelle et universelle, elle est comprise de tous. Elle survit à tous les genres littéraires et les transcende car elle possède cette force visionnaire qui nous fait encore apprécier les poèmes d'Ovide et plus près de nous ceux de nos aïeules comme Anna de Noailles ou Marceline Desbordes-Valmore… La poésie est une compagne fidèle qui nous aide à vivre et à mourir, elle se renouvelle à travers nous car nous portons en nous les poètes disparus et leur prêtons nos voix pour prolonger la leur. Je pense notamment à Sylvia Plath ou à Virginia Woolf dont les voix parlent parfois au fond de moi…
6 – Pourquoi la vieillesse est-elle vécue comme une maladie sans remède chez Simone Beauvoir ?
Françoise Urban-Menninger – Sans doute parce qu'il n'y a pas de remède à la vieillesse et que certains refusent cette fin inéluctable inscrite dès la naissance ! Heidegger écrivait qu' « un homme qui naît est déjà assez vieux pour mourir » ! Les cures de jouvence, la chirurgie esthétique ne sont que des pis-allers ! Ce que décrit Simone de Beauvoir dans son livre « La vieillesse », ce sont des fins de vie indignes dans certaines maisons de retraite qui ne sont autres que des antichambres de la mort. La vieillesse à l'époque où elle rédigeait son livre était « un secret honteux », voire « un sujet interdit », plus encore « l'échec de notre civilisation ». Dans ma nouvelle « La résidence » pour laquelle j'ai été primée, j'évoque la déshérence de personnes âgées en perte de repères et d'identité dans le cas de la maladie d'Alzheimer car j'ai été confrontée à ce drame comme beaucoup d'entre nous qui avons des proches atteints par cette maladie. Bien évidemment, je m'interroge sur ma fin de vie, les soins palliatifs, voire l'euthanasie…
Je ferai une parenthèse pour évoquer ici Hélène de Beauvoir que j'ai eu le bonheur de rencontrer à Goxwiller dans sa ferme. À 80 ans, Hélène m'accueillit un jour avec un marteau piqueur, souriante elle expérimentait la gravure sur du plexiglas ! En me montrant ses tableaux, elle m'avoua en pouffant de rire qu'elle cachait dans chaque toile un élément humoristique connu d'elle seule. Elle m'offrit ce jour-là une belle leçon de vie et un vrai pied-de-nez à la mort !
7 – Y a- t-il une spécificité de la poésie faite par une femme, valide ou en situation de handicap qui diffère de la poésie d'un homme, autrement dit, le vécu du genre joue-t-il dans la manière dont s'exprime une personne sur les maladies, vieillesse et fin de vie ?
Françoise Urban-Menninger – Une femme quel que soit son état physique ou mental quand elle écrit de la poésie a le pouvoir de se transcender dans ses écrits ! Encore une fois, écrire de la poésie, c'est chercher au fond de soi la lumière qui éclaire la vie. Les poètes femmes ou hommes comme les mystiques ont partie liée avec le sacré. Je citerai ce vers de Gabriel Althen « Car chacun, vois-tu, habite son ogive. Malgré l'ombre, une musique s'y concentre et des soleils s'entrecroisent ».
8 – Faudrait-il consacrer un nouveau volet pour explorer cette thématique du point de vue uniquement des femmes (valides ou en situation de handicap, hétérosexuelles ou non, discriminées ou pas…) ?
Françoise Urban-Menninger – C'est une question intéressante et il serait bon de lancer un appel à textes sur cette thématique en l'ouvrant à des textes en proses, récits, témoignages et nouvelles…
9 – Quel est votre poème préféré sur cette thématique ?
Personnellement, je préfère dépasser la douleur pour tenter d'apprivoiser comme Montaigne ma finitude et terminerai sur une note optimiste car c'est là mon tempérament en citant Goethe qui écrivait à 65 ans en apercevant un arc-en-ciel :
« Ainsi vieillard alerte
Ne te laisse pas attrister,
Malgré tes cheveux blancs
Tu pourras encore aimer »
Et je lui répondrai par-delà les ans :
« Avec ce qu'il nous reste
de corps et d'esprit
nous retournerons dans la forêt
des mots
chercher jusque sous nos racines
cette sève du poème
qui féconde nos rêves »
© DS., F. Urban-Menninger & C. Menninger
***
Pour citer cet entretien
Dina Sahyouni, « Conversation avec Françoise Urban-Menninger sur la vieillesse et la maladie en poésie » texte inédit, illustré par une photographie inédite signée Claude Menninger d'une œuvre de l'artiste plasticienne Hélène de Beauvoir, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°8 | Été 2021 « Penser la maladie & la vieillesse en poésie » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 4 septembre 2021. Url :
http://www.pandesmuses.fr/no8/ds-entrevue
Mise en page par David Simon
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