12 août 2022 5 12 /08 /août /2022 16:32

N°11 | Parfums, Poésie & Genre | Essai ou Manifeste | Leçons, méthodes & méthodologies en poésie | Revue culturelle des Amériques

 

 

 

 

 

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La place de l’homme dans les cultures

 

 

& les littératures

 

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Maggy de Coster

Site personnel

Le Manoir Des Poètes

 

 

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​​​Crédit photo : François Lemoine, "Four Muses"/"Quatre Muses", domaine public, Wikimedia.

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D’abord il convient de définir ce qu’on entend par culture. Selon Lévi-Strauss, « La culture est constituée par le principe fondamental de réciprocité et d'échange qui serait l'expression de la logique binaire, structure fondamentale de l'esprit humain ».

La Culture est un moyen de socialisation de l’homme défini en tant qu’espèce humaine et/ou en tant qu’entité politique, dont le véhicule est la langue, la musique, la danse, la peinture, le cinéma. Ainsi pour apprécier la culture de l’autre il importe de comprendre sa langue, d’être en immersion dans son mode de vie.

On découvre les autres au travers de leurs cultures qui sont des prismes réfléchissant les valeurs ancestrales fondamentales. Ainsi le socle de la culture grecque repose sur la mythologie qui traverse les siècles et sert de modèle dans différents domaines à l’humanité même de façon inconsciente. Ainsi nous pouvons dire sans conteste que nous sommes en situation d’interdépendance culturelle. 

L’écrivain est un guide et un modèle pour son lecteur. En matière littéraire c’est Esope qui fut le parangon pour La Fontaine dans ses Fables. « Art guide tout est dans les champs Elysées », dit-il. Personne n’ayant la science infuse, il a donc pris la matière chez les Anciens et l’a transformée en y apportant son cachet personnel qui lui confère un caractère original. À ce compte il opina : « Mon imitation n’est point un esclavage ». Il ne s’agit pas de plagiat ni d’imitation servile.

 

L’écrivain doit cibler son lectorat et connaître préalablement ses attentes. De ce fait, il doit avoir une visibilité dans les médias pour que son objectif soit atteint. La littérature est à la fois engagement et libération en ce sens qu’on se donne une mission à accomplir et une fois le but atteint ou qu’on tend vers ce but on est libéré mentalement.

La littérature permet de s’immerger dans la culture des peuples en nous permettant découvrant leur mode de vie, leur passé et leur présent. Elle peut nous aider à la compréhension des peuples et contribuer à changer notre regard en nous améliorant également. 

« L’homme est un roseau le plus faible de la nature mais c’est un roseau pensant » nous apprend Pascal, en tant qu’entité pensante l’homme est appelé à s’améliorer en modifiant ses praxis. Le contact avec les autres cultures peut l’amener à déconstruire les idées reçues pour se faire ses propres idées afin de progresser. On se découvre à travers les œuvres littéraires. Elles peuvent nous apporter des réponses à nos interrogations, éclairer nos lanternes sur certains domaines de l’existence, réduire nos incertitudes sur certains sujets. N’est-ce pas Victor Hugo qui dans la Préface des Contemplations avance : « Quand je vous parle de vous je vous parle de moi. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! Insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! ».

Dans « Qu’est-ce que La littérature ? » Sartre nous convainc qu’ « écrire est un métier qui exige un apprentissage, un travail soutenu, de la conscience professionnelle et le sens des responsabilités »

 

 

 

Alors pourquoi écrit-on ? 

 

 

On écrit pour se guérir, on écrit parce qu’on veut partager, on écrit pour changer, « changer la vie »,  dit Rimbaud.

La littérature est un moyen de communication car « tout est langage » nous dit Françoise Dolto. Ainsi le langage littéraire nécessite un certain niveau de culture. 

Sur le plan sémantique, les mots utilisés sont fonction de notre état d’esprit, de notre schéma affectif ou nous sont dictés par le contexte social présidait à l’acte d’écrire. Dans chaque écrit il y a une part d’idéologie qui est véhiculée même à l’insu de l’auteur, l’homme étant le produit de son éducation. 

L’écriture en tant que moyen de communication revêt plusieurs fonctions. Aussi Sartre lui prête celle de l’engagement, Roland Barthe affirme que « L'écriture littéraire porte à la fois l'aliénation de l'Histoire et le rêve de l’Histoire... »  Pour ainsi dire, l’écrivain s’inscrit dans la contemporanéité de l’Histoire et par voie de conséquence la littérature évolue avec le temps.

Ma rencontre avec la culture latino-américaine depuis 2010 a été très formatrice pour moi en ce sens qu’elle m’a ouvert les yeux sur la façon de vivre des peuples latino-américains qui est très enrichissante, on peut dire que toutes les cultures se valent en ce sens qu’on a toujours quelque chose à apprendre des autres..

 

 

 

 

Écrire est un choix 

 

 

 

La poète colombienne Matilde Espinosa a pris fait et cause pour les Indiens de Colombie. Elle vécut dans l’immersion de la culture mythique des aborigènes, duende, lloronas et patasolas, dans l’amour de leur musique et fut éprise de leur essence et de leur région. Aussi dit-elle :

 

« La poésie me vient quand je vois souffrir beaucoup de gens. J’ai commencé à écrire avec beaucoup de responsabilité et de conscience poétique en 1955, quand la violence s’insurgeait. Je ne prétends pas pénétrer ses origines ni y déboucher, mais je voyais souffrir tant de gens injustement persécutés et quand je commençais à sentir le machisme, je ne rebellais pas parce que je ne suis pas rebelle mais je me suis solidarisée avec ceux qui luttaient pour un monde meilleur.  Ainsi naquirent les poèmes de mon premier recueil » in « Les crues des fleuves » traduction de votre servante.

En 1955, elle dénonça dans ses vers le déplacement des paysans dans ce poème : Pour tous les silences : « Aujourd’hui je veux penser à autre chose/ aujourd’hui ni le paysage, ni la fleur, ni les nuages/ ne me disent rien/ Je sens le poids des siècles/ Aujourd’hui j’ai l’âme absente »

**

Les Indiens

 

Ils jaillirent de la terre comme une forêt.

Ils se répandirent sur tous les chemins.

Ils demandèrent à la montagne

pour être leurs entrailles

s’ils pouvaient de la pierre pure

faire jaillir la flamme.

Ils consultèrent l’arbre

en lui demandant son bois

pour tatouer en son sein

leurs mains pour des siècles.

Dans l’escale incertaine des oiseaux

ils baptisèrent les fleuves

et dans la lune

ils en découvrirent les reflets.


 

Mais loin de là le souvenir,

que d’autres choses n’ai-je pas vues

et d’autres douleurs

doublées à leurs épaules.

La douleur des Indiens

est un nœud tenace qui s’enracine

comme la ronce,

et elle me submerge

pour extraire de mon être

le pollen d’une fleur.

 

Vive et haute,

la vision primordiale,

imprégnait leurs chairs,

bulbes aplaties,

comme un présage

du secret enterré,

de la couleur solitaire,

du dialogue enchanté avec le prince

de plumes et d’eau.


 

Ce fut un matin limpide.

La colline se vêtit de pourpre et d’azur.

Il restait dans la prairie

un peu de ce soleil de flûte et de fête.

Puis, dans la côte soumise,

en défilant dans le rêve,

la racine en ascension,

la montagne vers les montagnes,

les pyrophores me parlèrent

des micocouliers dans la forêt,

de l’ivresse du crime

dans la chair innocente;

ils me parlèrent du ravin

du moulin sans eau

et de ce cœur plongé

dans la flûte enchantée

par le prince de plumes et d’eau.

 

Pour tous les silences. Editorial Minerva. Bogotá, 1958.

(Traduit de l’espagnol par Maggy De Coster)

*

Maîtresse d’école elle garde de bons souvenirs de sa vie d’enseignante. Aussi consigne-telle ses souvenirs dans le poème suivant : 

La maîtresse du village

 

Marcher dans l’herbe,

se regarder dans les yeux des enfants,

apprendre des alphabets

dans les gouttes de pluie ;

consulter l’heure

dans l’ombre ronde au milieu du jour,

c’est la maîtresse rurale, une fronde

qui berce les villages de ses branches.


 

L’air naturel entoure la maison,

de son odeur de chaux vive,

de petit jardin,

de tiges vertes de laurier et de chêne.

 

Tout a la saveur de l’enfance

paysanne,

qui de bergerie en bergerie

descend les troupeaux le matin

et monte la ruche le soir.

 

Cette femme parcourt la campagne

comme une douce veine de la terre

et arrive jusqu’à ses tréfonds

pour susciter les naissances

et restaurer le blé détruit.

Dans le creuset qui fonde sa douceur,

les métaux obscurs se transforment

en livres étoilés,

où les yeux de la terre et du monde

apprennent à lire.

 

Les herbes de son âme

s’amincissent

dans le perpétuel voyage

de l’écriture au miracle.

 

La crue des fleuves. Antares. Bogotá, 1955. Pages 69-70.

 

(Traduit de l’espagnol par Maggy De Coster)

**

Sensibilisée par le développement et la beauté du fleuve Páez, elle lui dédie le poème suivant : 

Le Fleuve Páez

 

Je voyais le jour se lever sur tes eaux.

Je les voyais devenir rouges,

vertes, bleues,

sous la lumière changeante.

Je les voyais arracher les arbres

et fabriquer les tempêtes

avec des loups et des chevaux.

Je les voyais traîner les tendres agnelets

et se mousser davantage

sur la pente.

Je les voyais grandir sur les sommets

les soirs de pluies estivales ;

mais leurs élans célestes

ne marquèrent jamais pour l’homme

la déroute ou la mort.


 

Aujourd’hui nous te voyons grandir

pour la gorgée vermeille

qui s’épure dans tes eaux.

Coupe débordée, dieu terrible,

tu romps tes veines de sang pur.

L’Indien et le géranium ;

le métier à tisser et le cheval,

la brebis et la charrue

roulent par ton courant.


 

On te rend délinquant

et te prend ta beauté

d’escargot terrestre

pour t’enfoncer dans la peur.

Gémir dans le vent,

avec son immense embouchure,

ô ciel, pitié !

 

Tes ponts se courbaient

par le fruit sinistre.

Par ton cantique

d’orchestration agreste

les cris s’assourdissaient

et on voyait s’élever l’âme limpide

d’un grand village innocent.

 

(Traduit de l’espagnol par Maggy De Coster)

**

Le rapport de l’homme à la nature peut être très ambiguë car il n’y recherche pas toujours la quiétude. Tant de fois ne s’en sert-il pas comme théâtre de luttes sanglantes. Et c’est ce dont témoigne Cecília MEREILES figure incontournable du courant du modernisme brésilien dans son poème intitulé  « Guerre » où même les fleuves sont ensanglantés, les fleurs brûlées, les mers incendiées et naufragées :

 

 

 « Il y a tant de sang

que les fleuves se détournent de leur rythme,

l’océan délire et repousse son écume rouge.

Il y a tant de sang que la lune elle-même se lève,

et la terre avec des fleurs qui brûlent,

et les fleuves effarés, zébrés comme des tigres,

[… ]

et cette mer folle pleine d’incendies

et de naufrages »,

 

 

Cecília MEREILES

"Versets I", in Cantiques, traduit de l’espagnol par Maggy DE COSTER (NB : la version originale du poème a été écrite en portugais) : 

**

 

La psycho-généalogie nous apprend qu’une histoire se reproduit toutes les quatre générations. Ainsi Gabriel García Márquez avec Cent ans de solitude : roman burlesque dans lequel il fusionne le fantastique et la réalité, décrit la malédiction de la famille Buendía sur six générations, l’accomplissement de la prédiction d’une gitane, une histoire écrite d’avance et qui se termine par la décadence de ce groupe d’individus. Le roman s’inscrit dans le cadre du développement économique, politique et social du village. Chaque peuple étant marqué par son histoire donc il y a un message à décoder dans chaque écrit. Les mots ne sont jamais innocents et c’est pourquoi l’écrivain doit bien les choisir, et ce, en fonction du message à véhiculer et de l’effet qu’il veut produire sur son lectorat. 

**

C’est à Adrogué ville de la province de Buenos Aires, chef-lieu d’Almirante Brown que Jorge Luis Borges passa ses vacances avec ses parents dans la maison familiale Casa Borges (Maison Borges )qu’il appela « Le Délice »Les souvenirs de ce lieu ont tellement imprégné son œuvre qu’il avance :  «J'ai appris à faire du vélo et à marcher parmi les arbres, les eucalyptus et les portes», a-t-il déclaré lors d'une conférence intitulée «Adrogué en mis Libros», (Adrogué dans mes livres), en 1977. Il évoque dans le poème intitulé « Adrogué » son rapport à la nature ou l’apport de la nature à l’humain. C’est avec nostalgie qu’il parle cette ville dans laquelle la nature est bien présente. Aussi évoque-t-il : le chant de l’oiseau secret, les senteurs médicinales de l’Eucalytus : 

 

Adrogué

 

Dans la nuit indéchiffrable personne ne craint

Que je me perde entre les fleurs noires

Du parc où les amours nostalgiques

Tissent leur système propice

 

Ou, à loisir l’après-midi, l’oiseau secret

Qui toujours affine le même chant,

 

Les Eucalyptus donnent à l’ombre

Leur parfum médicinal : cette ancienne odeur

Qui, au-delà du temps et du langage

Équivoque, en appelle au temps des maisons de campagne.

 

Jorge Luis BORGES

 

(Poème tiré du livre Luis Borges EN ALMIRANTE BROWN,

Traduit de L’espagnol par Maggy DE COSTER)

**

Nous concluons par une citation de Dany Laferrière  de l’Académie française : «  L’écrivain est un homme à qui on donne le droit de traverser les barrière entre les classes sociales aussi bien que les frontières entre les pays » car par l’écriture je suis moi-même amenée à voyager et à découvrir d’autres cultures et d’autres littératures.

 

© Maggy De Coster


 

 

***

 

Pour citer cet article inédit
 

 

Maggy De Coster, « La place de l’homme dans les cultures et les littératures », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques N°11 | ÉTÉ 2022 « Parfums, Poésie & Genre »,  mis en ligne le 12 août 2022. Url :

http://www.pandesmuses.fr/no11/mdc-culturesetlitteratures

 

 

 

 

Mise en page par David

 

 

© Tous droits réservés

 

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