N°11 | Parfums, Poésie & Genre | Dossier mineur | Florilège | Astres & animaux
La forêt du poème
Photographie par
© Crédit photo : une magnifique image du photographe Claude Menninger, La Forge.
C'est dans la forêt du poème que j'aime à me perdre. Dans les sentiers battus, je me retrouve parfois avant qu'une sorcière n'apparaisse au bout de ma stance.
J'écris sans savoir que peut-être les mots lèveront un poème de dessous les fagots.
Je ne poursuis aucun but sinon celui de suivre ce chemin que m'imposent mes pas. J'avance en moi-même au cœur d'un poème qui ne cesse de se défaire dans les méandres de ma pensée.
La forêt du poème a toujours gardé ce mystère qui cache l'ombre sous les fougères et m'invite à danser dans ses trouées de lumière.
Nue dans le poème, je déshabille les mots pour les revêtir de silence. Je tire sur la corde du ciel pour faire venir à moi la couverture bleue des songes sous laquelle je plonge.
Rien n'arrête ma course dans la forêt du poème où j'ai le soleil pour guide et ma rime pour boussole. Je suis l'hôte des bois, la reine couronnée de lierre, la princesse au petit pois de senteur, la fée clochette des brins de muguet et à chaque branche de tous les arbres de la forêt, je suspends un accroche coeur qui m'enracine à la terre du poème.
Ma vie palpite comme un oiseau dans le creux de ma paume et je tiens le sablier du monde serré dans l'autre main. Quand je le retourne, il me reste toujours entre les doigts, un dernier grain de sable où je me reconnais dans le poème à naître.
Je cherche l'infini dans la moire végétale qui tisse la trame de mes vers, je m'insinue sous les mots pour ensemencer le verbe et je me
tiens à l'écoute de cette forêt où je renais et meurs depuis des millénaires dans cette langue perdue où, toujours éperdue, je cherche l'ombre pour capter la lumière.
Je m'éclipse parfois derrière cette lune d'argent qui s'enfonce dans la diaprure de l'étang au milieu des crapauds coassant. Je mêle ma complainte à leur chant avant de fermer les paupières sur un jeté de lit couvert de nymphéas roses et blancs.
C'est dans la forêt du poème que je cours après moi-même, une fleur d'églantier dans les cheveux. C'est dans la forêt du poème que je goûte aux fraises sauvages et aux mûres qui me font les lèvres violines.
C'est dans la forêt du poème que je retrouve la liberté perdue des grands chemins d'errance, c'est dans cette forêt que j'écris avec ma mort en épitaphe et ma vie en porte-voix.
© Françoise Urban-Menninger, juillet 2022.
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Pour citer ce témoignage inédit
Françoise Urban-Menninger, « La forêt du poème », poème inédit illustré par une photographie inédite de Claude Menninger, Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°11 | ÉTÉ 2022 « Parfums, Poésie & Genre », mis en ligne le 12 juillet 2022. Url :
http://www.pandesmuses.fr/no11/fum-laforetdupoeme
Mise en page par David
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