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Astarté l’immortelle
Crédit photo : la déesse "Astarté l’immortelle", Commons, domaine public.
Le monde a soif d’amour : tu viendras l’apaiser
Aux confins d’une terre de Phénicie, en des temps oubliés où frémit par miracle le murex, colorant l’horizon de ses couleurs pourpres, il est un lieu dont les remparts résistent encore, face aux assauts des innombrables conquérants.
Adossée à une falaise, ceinte par la Méditerranée aux voiles bleu camaïeu, Byblos abrite en secret une déesse.
Il suffit parfois, aux premières lueurs de l’aube, aux creux de multiples cristallisations de sel, de discerner sa silhouette qui surgit, drapée dans des voiles qui embaument la fleur d’oranger au parfum inouï et entêtant.
C’est ainsi que je l’aperçus, un matin de mai, créature mythique qui alimente tant de légendes.
Astarté, comme l’on se plaît à la nommer en langue punico-phénicienne ; Ishtar pour les Babyloniens, Oum chez les Carthaginois.
Astarté l’immortelle.
Était-ce une vision ? Une création onirique ? Était-ce une de mes innombrables pérégrinations dans cet univers de l’Ailleurs où je puise mon inspiration ? Ou n’était-elle que mon double, celle que j’aurais voulu être, si j’avais été une déesse ?
Mais… qu’importe, après tout ? Qu’importe ?
Astarté me fait face. Aussi réelle qu’une chimère. Aussi humaine qu’une déesse dont la détermination se lit sur le parchemin de son visage. Un parchemin aussi parfait qu’une statue de marbre.
Enfourchant un cheval blanc, elle surgit des eaux, avance vers moi à grands galops. Comme si c’est pour moi qu’elle est de retour. Comme si, par-delà les siècles, elle se savait attendue.
Et comme si le temps s’était suspendu, figé quelque part en une parenthèse hors du temps des humains ; comme si le monde extérieur, sans prévenir, s’en était résolu à s’évanouir, la voici qui vient à moi, pauvre mortelle.
Astarté l’immortelle, porteuse d’un papyrus qu’elle tend vers moi avec fermeté, ses yeux couleur de bleu profond rivés aux miens.
Soudain, comme si cela n’avait été qu’un mirage, je me retrouve seule sur le port de Byblos.
À l’heure où les premières felouques de pêcheurs entrent dans le port, autour de moi, c’est le silence. La ville dort encore. Seule la mer ronronne telle une amante qu’une nuit de passion a comblée.
Je me laisse un moment bercer par ses soupirs de plaisir, les yeux clos, savourant ce calme matinal dont je sais qu’il ne va pas durer.
Bientôt, les clameurs des pêcheurs habiteront le port et les haleines du vent répandront sur les pierres séculaires une senteur iodée de poissons frétillants.
Ont-ils croisé Astarté au cours de leurs périples ? Les pêcheurs ont-ils décelé la présence de cette déesse dont ils se plaisent à répéter qu’elle est leur protectrice ? Je ne sais. Comment savoir ?
Tout ce que je sais, c’est qu’elle est venue à moi et qu’elle a disparu. Évaporée dans le sel de la mer.
Elle est venue à moi, pourtant. Preuve en est, le papyrus qu’elle m’a confié, sans prononcer un mot. Et dont j’ignore, pour l’heure, le contenu.
À vrai dire, j’ai peur de dénouer le lien en sépia qui enserre les feuillets qui y sont enfermés.
Je crains d'abîmer même sans le vouloir, ce trésor dont je devine la valeur. Trésor inestimable.
Quel sacrilège ce serait si, par un geste maladroit et malencontreux, je venais à le détruire.
Paradoxalement, la curiosité me dévore et j’ai du mal à lutter contre cette envie grandissante de déchiffrer ces signes venus d’un temps autre et qui m’ont été confiés par une déesse. Et pas n’importe quelle déesse. Astarté l’immortelle. Aussi immortelle que ce papyrus. Aussi immortelle que l’écriture.
En dépit de mon impatience, je décide d’agir avec prudence. Je quitte le ponton, désireuse de trouver un abri tranquille. Mes pas me portent vers les ruelles de la vieille ville déserte, à cette heure matinale.
Je traverse le Souk encore endormi. D’ici peu, il grouillera de vie. Comme depuis toujours. Comme depuis plus de 7000 ans.
Tout en déambulant, en quête de l’endroit propice à ma lecture, il me revient à l’esprit que Byblos (Jbeil en libanais) doit son nom aux Grecs qui l’ont baptisée ainsi parce que c’est d’ici-même, depuis ce port, qu’ils importaient le papyrus.
Tout à coup, tout prend sens. Il n’y a guère de hasard.
Byblos, le papyrus ; Astarté, le papyrus.
Le seul maillon manquant de la chaine, c’est moi.
Pourquoi moi et pas une autre ?
Pourquoi moi ?
Cette question me taraude à présent de manière incessante. Si incessante que c’est à peine si je m’aperçois que je suis arrivée devant le sarcophage de Hiram. Celui-là même où est gravée la plus ancienne transcription phénicienne. L’origine de notre alphabet contemporain.
Soudain, l’évidence.
C’est ici, en ce lieu et nulle part ailleurs que je prendrai connaissance du secret que recèle le papyrus d’Astarté.
Il est des évidences qui s’imposent d’elles-mêmes et n’ont nul besoin d’être expliquées.
Je m’assois à même le sol. Les doigts tremblants, j’entreprends de défaire le lien en sépia qui s’effrite presque et se dénoue.
Sous mes yeux ébahis, une vingtaine de pages écrites en phénicien.
Fort heureusement, à la vue des premiers signes, je suis en mesure de les déchiffrer, même si cela nécessitera du temps.
Sans doute Astarté savait-elle que je prendrai le temps.
Sans doute. Car du temps, pour une fois, j’en ai.
Je pris le temps. Je le lus ; le relus. Et je saisis le message qu’Astarté avait tant voulu me transmettre en me confiant son papyrus.
Il s’agit d’un conte. Qui sera retranscrit un jour, peut-être. Retransmis peut-être. Et qui revêtira quelquefois les pierres immortelles de Byblos de mille et un soleils.
© Mona Azzam
***
Pour citer cette nouvelle féministe inédite
Mona Azzam, « Astarté l'immortelle », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événements poétiques | Festival International Megalesia 2022 « Les merveilleux féeriques féministe & au féminin » & Recueil collectif de nouvelles de Dicé « Ah ! si j’étais une déesse », mis en ligne le 15 juin 2022. Url :
http://www.pandesmuses.fr/megalesia22/ma-astartelimmortelle
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