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Les femmes artistes
à l'École des Beaux-Arts
– Les prix de Rome
Texte choisi & transcrit
par Dina Sahyouni
© Crédit photo : Une capture du livre réalisée par DS. pour la revue.
À la fin du XVIIIe siècle quelques femmes, telle Madame Vigée-Lebrun, (fille du peintre Vigée et femme de Lebrun, marchand de tableaux), s'occupèrent d'art, mais ce n'est qu'au XIXe siècle qu'elles en firent la carrière à laquelle elles demandèrent leur gagne-pain.
Nous trouvons alors une femme sculpteur, laquelle expose au Salon sous un nom d'homme vers le milieu du siècle. Pourquoi ? Sans doute il n'était pas admis que les femmes devinssent artistes... Cette femme exposa donc sous le nom de Léon Berteaux (c'était la femme de Léon Berteaux). Elle eut à lutter, fut souvent remplie de découragement car le jury ne lui décerna pas une première médaille. Elle ne devint H. C. qu'à la suite de la décision de 1872 ou 1873 et fut la seule femme qui étant H. C. put siéger au jury (années 1897 et suivantes).
Femme de cœur elle chercha le moyen d'aider les jeunes à se faire connaître de leurs juges et fonda dès 1881 l'union des Femmes peintres et sculpteurs. Puis jugeant que si les femmes entraient à l'École des Beaux-Arts et pouvaient concourir pour le prix de Rome, elles trouveraient un appui certain dans l'État, et une culture artistique non critiquable, elle formula en 1889, au congrès officiel, le vœu acclamé à l'unanimité et transmis au Ministère « que les femmes artistes fussent admises à « l'école des Beaux-Arts et aux concours pour les prix de « Rome ». Renouvelant ses revendications, elle obtient enfin en 1891 la déclaration du Conseil supérieur des Beaux-Arts « que l'État ne peut refuser aux femmes l'instruction artistique qu'il accorde aux hommes ». Entre temps elle conseilla aux jeunes de se faire inscrire pour les concours de Rome ; – mais, à l'école il fut répondu que les règlements n'interdisant pas les inscriptions de femmes, elles pouvaient être sur la liste ; – mais que les règlements n'indiquant pas de droit pour elles, à être convoquées, elles ne le seraient pas. Les cours oraux seuls leurs furent accessibles.
Toutes ces démarches faisaient du bruit, animaient l'opinion, mais n'aboutissaient pas ; aucun crédit n'avait été voté pour affirmer la décision, une simple promesse avait été faite à M. Bardoux, sénateur.
Lorsque, le 6 juin 1896, Mlle Jamin, élève de MM. Herst. Édouard Sain et Carolus-Duran, exposante au Salon des Artistes Français (section de peinture) élève des cours oraux de l'École Nationale des Beaux-Arts, adressa à M. Paul Dubois, directeur de l'École, une lettre le priant de bien vouloir l'inscrire au nombre des candidats appelés à se présenter au concours d'admission de « l'École proprement dite » (section de peinture), M. Paul Dubois répondit en ces termes :
Mademoiselle,
En réponse à votre lettre en date du 6 juin dernier, j'ai l'honneur de porter à votre connaissance que les cours oraux sont ouverts aux dames depuis le mois d'octobre dernier. Mais elles ne sont pas admises dans les ateliers de peinture de l'école.
Veuillez agréer...
Signé : Le Directeur de l'École Nationale des B.-A.,
Membre de l'Institut,
Paul DUBOIS.
En possession de cette réponse écrite qui constituait une pièce administrative accusant une fin de non recevoir, Mlle Jamin pouvait agir.
La lettre de M. Paul Dubois fut remise par elle à M. Léonce de Sal, sénateur qui la remit à son tour à M. Rambaud, Ministre des Beaux-Arts, en présence de M. Bardoux, sénateur.
Ce fut le point de départ d'une campagne parlementaire qui dura pendant six mois et à laquelle cette jeune fille prit une part active, multipliant autant qu'il fut nécessaire, les visites aux députés et sénateurs influents, parmi lesquels : MM. Maurice, Faure, Bardoux, Rambaud, Georges Berger, Raymond Poincaré, Léon Bourgeois, Dujardin-Beaumetz, etc.
Cette campagne aboutit, le 28 novembre 1896, au vote par le Parlement de l'amendement de M. Maurice Faure établissant un crédit de 13.500 fr. nécessaire à l'admission des femmes à l'École des Beaux-Arts.
Entre temps une campagne de presse dont le premier article fut rédigé à l'instigation de Mlle Jamin par M. Georges Montorgueil, rédacteur au journal « L'Éclair », avait saisi l'opinion publique de la question, qui avait été soutenue en général par la grande majorité des journaux français aussi bien à Paris qu'en province.
Parmi les personnes qui contribuèrent au succès de cette œuvre de justice et qui aidèrent Mlle Jamin de leurs conseils, il convient de citer, à leur honneur, les noms de M. Louis de Fourcaud, membre du Conseil supérieur des Beaux-Arts professeur d'Esthétique et d'Histoire de l'Art à l'École Nationale des Beaux-Arts (aujourd'hui décédé), et de M. Henry Jouin (également décédé, secrétaire de l'École Nationale des Beaux-Arts, et critique d'art éminent, qui malgré la situation qu'il occupait à l'école et qui l'obligeait à une délicate réserve, fut pour l'initiative du mouvement un dévoué et précieux collaborateur.
Les Femmes à l'ÉCOLE proprement dite.
La loi du 28 novembre 1896 ouvrait l'École des Beaux-Arts aux femmes ; le 8 juin 1897 eut lieu en conséquence, le premier concours d'admission des femmes à l'école de la rue Bonaparte.
Sur 42 concurrentes admises à concourir on en reçut 9 dans l'ordre suivant
Mlles :
1re Jamin ; 2e Fiérard ; 3e Hamon ; 4e Sévrin ; 5e Maire ; 6e Barbusse ; 7e Mme Ypermann ; 8e Forster ; 9e Evrard.
D'après les règlements de l'École, les élèves admis ne sont élèves de l'école « proprement dite » que jusqu'à la session d'examen suivante. À cette époque, ils doivent, s'ils veulent continuer à faire partie de l'école, subir de nouveau, avec succès, les épreuves d'admission.
Toutefois, dit le règlement ; …............... sont dispensés de recommencer les épreuves d'admission …... les élèves qui ont obtenu le titre de 1er dans l'un des précédents concours, ou encore, ceux dont le rang d'admission est compris dans une limite fixée par le conseil supérieur de l'École à chaque session.
En 1897 il se présenta 42 femmes et 396 jeunes gens. Sur les 42 femmes :
Mlle Jamin reçue 1re au concours obtint 402 points ; Mlle Fiérard, 395 ; Mme Hamon, 369 : Mlle Sévrin , 369, etc.
Parmi les jeunes gens, 87 furent admis : Le 1er obtint 465 points ; le 2e 419 ; le 3e 414 ;
le 4e 411 ; le 5e 410 ; le 6e 403 ; le 7e 393.
Les 7 premiers jeunes gens furent reçus à titre définitif par décision du conseil ; mais aucune femme, même la première, ne fut admise à titre définitif. Mlles Jamin et Fiérard eurent donc la surprise de recevoir de l'Administration des cartes d'élèves temporaires.
Il fallut que M. Maurice Faure fit à ce sujet une réclamation au Ministre des Beaux-Arts pour que, dans sa séance du 12 octobre 1897, le conseil supérieur de l'École prit la décision de recevoir Mlles Jamin et Fiérard élèves de l'école à titre définitif.
Les Ateliers.
L'école proprement dite était ouverte aux femmes, mais les ateliers de peinture, sculpture, architecture, qui, du reste, en principe, ne font pas partie de l'École, leur étaient fermés.
Sur l'initiative de Mlle Jamin, les élèves reçues au premier concours firent une pétition pour demander l'ouverture de ces ateliers. Grâce, en outre, à l'intervention parlementaire de M. Viviani, que Mlle Jamin sollicita, cette lacune fut comblée et l'égalité fut définitivement établie entre les élèves femmes et les élèves hommes de l'École des Beaux-Arts.
La porte était ouverte. Madame Berteaux vit, en 1897, les femmes entrer officiellement, enfin, dans cette école, qui pouvait et devait consacrer leur talent.
Quelle réception leur fut faite... Elles ont l'esprit trop large pour se souvenir qu'elles ont été conspuées... La meilleure réponse était le travail ; elles travaillèrent ; et, en 1911, c'est-à-dire 14 ans plus tard (les conquêtes qui sont un pas dans le progrès sont toujours lentes à se réaliser) l'une d'elles, une femme sculpteur, Mlle Lucienne Heuvelmans obtint le prix au concours de Rome.
Madame Berteaux ne vit pas ce succès, elle était morte en 1909... sans que son réel talent fut consacré par ses pairs, puisqu'elle n'obtint pas une première médaille et ne reçut jamais, même pour avoir fondé l'Union des Femmes Peintres et Sculpteurs, la récompense que nous lui souhaitons toutes dans le ruban de la Légion d'Honneur... Les pionniers ne trouvent jamais grâce devant leurs contemporains. Celles qui bénéficieront seront les prix de Rome et les boursières de voyage actuelles. Elles commencent à former une phalange imposante et comme elles entreront dans la Société des boursières. Elles seront défendues plus que nos contemporaines. Qu'elles portent haut et le flambeau et se souviennent que les ronces nous ont déchirées et les pierres, meurtries, mais que nous avons frayé la route quand même...
Si nous jetons un coup d'œil sur les résultats obtenus, nous voyons jusqu'ici : 3 prix de Rome,
une vingtaine environ de bourses de voyage.
Les prix de Rome : Mlle L. Heuvelmans, sculpture.
Mlle Lilly Boulanger, musique.
Mlle Canal, en 1920.
Trois prix de Rome furent obtenus en neuf ans, il avait fallu 15 ans pour obtenir l'admission des femmes à l'École , et 11 ans pour que l'une obtient le prix de Rome.
Les années parcourues peuvent se marquer de pierres blanches de plus en plus rapprochées ; mais les premiers pionniers du féminisme en Arts ne trouveront pas plus de courtoise équité devant leurs pairs, je le crains, que la vénérée Madame Léon Berteaux, leur grande Première ; toutefois ne désespérons pas, car dans certaine société à l'esprit libéral, la Nationale, 22 femmes ; dont 12 Françaises, ayant le titre équivalent au H. C., ont vu deux des leurs, Mme Serruys et Mademoiselle Poupelet, siéger parmi les membres du jury de 1920.
L'avenir est donc, selon moi, aux boursières de voyage... qu'elles travaillent ferme et soient droites... l'âme des aînées les guidera.
Documents concernant la question.
– 1er article signé Geogres Montorgueil, « Lart et la femme ».
– Journal officiel, séance du 28 novembre 1896. (suite de la discussion du budget des Beaux-Arts).
– « Manifestation antiféministe à l'École des Beaux-Arts ». Journal l'Éclair, 16 mai 1897.
– Création des ateliers pour les femmes à l'école des Beaux-Arts. Journal Officiel, séances du 1er mars 1899 et 19 janvier 1900.
L'article ci-dessus rédigé par Blanche MORIA de provient de l'ouvrage de VIVIANI René, ROBERT Henri, MEURGÉ Albert, LHERMITTE G., TIXERANT, MMES VÉRONE Maria, PILLIET Edwards, MORIA Blanche, DU GAST Camille, NATHAN Henry, FALLOT-MATIEP, POMMAY Yvonne, Cinquante ans de féminisme 1870-1920, Édition de la Ligue Française pour le Droit des Femmes, 11, Rue Milton, Paris IX, 1921, pp. 95-99. Le livre appartient au domaine public et se trouve sur le site de Gallica.
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Pour citer ce texte féministe
Blanche Moria, « Les femmes artistes à l'École des Beaux-Arts – Les prix de Rome », texte féministe de MORIA Blanche dans VIVIANI René, ROBERT Henri, MEURGÉ Albert, LHERMITTE G., TIXERANT, MMES VÉRONE Maria, PILLIET Edwards, MORIA Blanche, DU GAST Camille, NATHAN Henry, FALLOT-MATIEP, POMMAY Yvonne, Cinquante ans de féminisme : 1870-1920, (1921), a été choisi, & transcrit par Dina Sahyouni, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événement poétique|Megalesia 2021 & N° 9| Fin d'Été 2021 « Femmes, Poésie & Peinture sous la direction de Maggy De Coster », mis en ligne le 20 mai 2021, Url :
http://www.pandesmuses.fr/megalesia21/no9/bm-lesfemmesartistes
Mise en page par Aude Simon
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