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« Me, Myself » ou
du Care lyrique & philosophique
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© Crédit photo : L'affiche de la chanson "Me, Myself" de Mika en duo avec la star mexicaine Danna Paola. Capture d'écran réalisée par LPPDM via le réseau social Twitter.
Introduction
Ce mois réserve plusieurs surprises aux fans de l'artiste-star mexicaine Danna Paola et de l'auteur-compositeur-interprète mika, il suffit de feuilleter leur actualité musicale (sans oublier bien sûr le concert international « I Love Beirut »*) pour s'en rendre compte. La sortie de la chanson « Me, Myself » a été annoncée par le duo artistique le 11 septembre dernier. Ainsi, elle devient la dernière collaboration en date de l'artiste polyglotte Mika. Ce titre bilingue anglais-espagnol lui permet de remettre en relief sa capacité déconcertante à chanter magistralement dans toutes les langues qu'il maîtrise bien.
Cependant, tout porte à croire que ce dieu solaire de la POP du XXIe siècle méconnaît encore l'étendue de ses capacités poétiques, vocales et émotionnelles. En tous les cas, Danna Paola donne à voir dans le court-métrage stylé aux influences chinoises du single une féminité toute puissante contrebalancée toutefois par sa mise sur le même piédestal de la masculinité représentée par Mika.
I- Narcisse ou le moi non haïssable
N'en déplaise à certaines personnes, « Me, Myself » est bel et bien une chanson d'amour et porte surtout sur l'amour du soi. Si beaucoup d'entre vous ont déjà eu cette réflexion « encore une chanson sur la déception amoureuse », Ou « encore, une chanson narcissique », cela n'empêche pas de constater que vous avez à la fois raison et tort car cette chanson décrit précisément une étape cruciale de la reconstruction du soi qui s'impose après une relation amoureuse compliquée, non réciproque, voire destructrice...
Mais un échec amoureux n'est jamais une période facile à traverser. Il constitue toujours un moment très pénible de la vie d'une personne.
Et plus l'amour et l'engagement sont importants, plus est pesant le chagrin qui accompagne et suit une expérience amoureuse avortée. Des questionnements, doutes, blessures, « sutures » (cf. Danna Paola et Mika, « Me,Myself », septembre 2020) surgissent parmi les flux et reflux de souvenirs et empoisonnent la vie.
Dans ces moments-là ne pas se détester, ni se dévaloriser, ni être l'ennemi de soi-même mais plutôt être à l'écoute de ce moi traumatisé, être un Narcisse se contemplant avec tendresse et amour décrypte l'étape nécessaire voire indispensable à traverser pour se reconstruire ou passer à autre chose.
Par ailleurs, le titre « Me, Myself » (que l'on traduit par « Moi, Moi-même ») en dit long sur cette nécessité de faire appel à la figure mythique de Narcisse – personnage détesté et dénigré culturellement à tort – pour ne pas se laisser dévorer par la culpabilité, ni céder à la haine du moi et d'autrui.
Toutefois, invoquer Narcisse, c'est aller à l'encontre de la fameuse expression-injonction pascaline « Le moi est haïssable ». Ce premier pas vers la reconstruction est justement ce dont parle le single « Me, Myself » qui retrace l'acte fondateur de cette réconciliation avec soi.
Comme l'explique la chanson, se pardonner n'est pas seulement un geste guérisseur mais fondamental pour ne pas sombrer et tout perdre.. même la vie...
D'emblée, la douceur des voix mélodiques des artistes accentue le propos et déconstruit l'idée normative selon laquelle les hommes sont insensibles ou presque à un échec sentimental. À tour de rôle, femmes et hommes se retrouvent dans la même situation et souffrent pareillement même si la Charge mentale paraît toujours plus lourde à porter pour les femmes dans nos sociétés contemporaines.
Il ne s'agit donc pas de penser uniquement ses propres échecs et défaites, ni de soigner son amour propre blessé mais de redonner à soi-même le soin qui s'impose en urgence : être dans le Care ou se prodiguer un peu de soin et du respect, tenter aussi de ne pas se punir car cela ne fait qu'aggraver la situation et démultiplier ses tristesse et peines. La chanson met ainsi à plat la situation dramatique pour proposer de se nourrir de tendresse et tolérance à l'égard de ses propres leurres au lieu de se réconforter dans la rancune et l'incrimination du soi-même et par conséquent de l'autre. Cette invocation au personnage mythique et androgyne Narcisse est foncièrement lyrique puisqu'elle porte sur le souci de soi et sur sa propre subjectivité à travers l'emploi des pronoms personnels du sujet « Me, Myself, I, etc. ». Elle relève également de ce que nous appelons le care lyrique. Ici, Narcisse comme le narcissisme sont un acte de générosité voire d'humanité à l'égard de soi-même, cela sauve littéralement la vie...
II- Un lyrisme psychologique, philosophique et cosmique
Le poème chanté « Me, Myself » laisse transparaître un lyrisme psychologique par l'intermédiaire de
– la bulle individuelle de la subjectivité dans laquelle les artistes évoluent...
– l'invocation de Narcisse qui est un personnage mythique hautement symbolique et qui a donné naissance à des théories diverses, au « Narcissisme » et son cortège de syndromes et symptômes pathologiques parmi lesquels on trouve « le pervers narcissique »...
– l'invocation aux principes cosmiques et philosophiques des Yin et Yang de la culture chinoise dans le court-métrage (ou la vidéo) et l'affiche de la chanson (y compris les couleurs, les vêtements et les mouvements des artistes) et par la présence des archétypes féminins et masculins influencés par les idées de Carl Gustav Jung qui peuplent le court-métrage et les paroles du single.
III- La puissance du Care lyrique des figures néopaganistes persistantes (Narcisse, les archétypes des féminités et masculinités, le Yin et le Yang)
Ces figures néopaganistes du care lyrique citées ci-dessus sont tout à fait originales puisqu'elles dévoilent une nouvelle façon de se représenter soi-même en tant que sujet du Care lyrique.
Les figures mythiques et issues des archétypes dont « Me, myself » use démultiplient la puissance du message du texte. Elles transforment complètement l'idée normative et quasi religieuse que l'on a du narcissisme et de l'amour du soi en opérant un trouble dans la représentation même du Care qui passe d'un acte culturellement féministe, à un acte lyriquement orienté vers le moi. Le single semble aussi contredire la parole messianique sur l'amour du prochain comme soi-même mais cela n'est qu'en apparence parce que le Care lyrique de « Me, Myself » vise finalement la compréhension et l'amour de l'autre puisque l'on ne donne que ce que l'on a.
Ne pas être ni dans les regrets, remords, pleurs, rancunes, mais se soucier de soi, avoir du courage pour traverser ces moments difficiles et pouvoir faire face à ses propres défaites, voilà ce que Mika et Danna Paola nous communiquent à travers leurs voix pleines de générosité et tendresse nécessaires à tout recommencement. Ainsi prendre soin de soi-même, nous autorise à prendre soin de l'autre.
Ce Care lyrique riche de références mythiques, psychologiques et philosophiques populaires tente de nous réveiller en dénudant petit à petit nos certitudes sur soi, l'autre, ce que c'est être une femme, ce que veut dire être un homme, être narcissique, etc. Tout ce travail de déconstruction des normes est guidé par la richesse des ressources culturelles et par le pouvoir critique des modèles que l'on se donne pour se protéger et s'individualiser tout au long de la vie. Le blanc et le noir ainsi que leurs nuances sont une autre manière de nous rappeler comment voit-on soi-même, le monde et l'autre...
À force de symboles, cette chanson romantique ouvre ainsi le champ des possibles à toute personne en proie aux doutes. Le chant à défaut de guérir panse la blessure affective, apaise l'humain en désarroi face à sa nécessité d'aimer et d'être aimé.
IV- Le Care lyrique est philosophique
Oui, ce care lyrique est philosophique pour de nombreuses raisons parmi lesquelles, on cite les suivantes :
– est un message sublimé et quasi mystique que l'on trouve dans presque tous les manuels de philosophie et de bien-être contemporains.
– parce qu'il permet de traverser le désert affectif et en sortir "Le Cœur Holiday" (cf. Mika, août 2020).
– puisqu'il se base sur une tradition philosophique chinoise du Yin et du Yang,
Conclusion
L'hymne « Me, Myself » au Care lyrique et philosophique accorde aux hommes, femmes et tout autre individu le pouvoir de rebondir et de se reconstruire malgré un vécu douloureux ou après des traumas. La chanson et les artistes qui la portent s'insurgent aussi discrétement contre la guerre des sexes et préfèrent mettre l'accent sur la complexité des relations entre les sexes au lieu de les renvoyer incessamment à leur complémentarité ou de les restreindre à la binarité normative...
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Pour citer cet article
Dina Sahyouni, « "Me, Myself" ou du Care lyrique et philosophique », texte inédit, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020|I- Le néopaganisme & la sexualité dans la culture populaire du XXIe siècle, mis en ligne le 17 septembre 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/my-myself-mika-Danna-Poala
Mise en page par David Simon
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