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Dix portraits de femmes en lutte
contre l'esclavage
Photographies* de
© Crédit photo : Claude Menninger, image de l'affiche de l'exposition "Dix femmes puissantes. Portraits de femmes en lutte contre l'ésclavage colonial", 2020.
© Crédit photo : Claude Menninger, "Musée Victor Schoelcher", 2020.
Alors que deux statues de l'abolitionniste Victor Schoelcher viennent d'être déboulonnées en Martinique dans le contexte polémique de la mort de George Floyd, il apparaît essentiel de renouer avec l'Histoire. L'espace muséologique Victor Schoelcher situé à Fessenheim en Alsace s'emploie à mettre en lumière « Dix femmes puissantes » en accueillant dans ses murs une exposition conçue pour le Mémorial de la Ville de Nantes dans le cadre de la journée nationale des mémoires des traites négrières, de leur esclavage et de leur abolition.
© Crédit photo : Claude Menninger, "Buste de Victor Schoelcher", 2020.
Les femmes ont été discriminées non seulement parce qu'elles étaient des femmes mais davantage encore parce qu'elles étaient noires et esclaves. Parmi les 12 à 13 millions d'Africains déportés, on compta un tiers de femmes. Bien que minoritaires, elles ont constitué une force sociale et culturelle fondamentale.
C'est dans la plus vieille maison du village magnifiquement restaurée que se tient le musée Victor Schoelcher. Fils du manufacturier du même nom, le jeune homme parcourut inlassablement le monde, fut membre de sociétés abolitionnistes du XIXème siècle à l'instar de son ami Victor Hugo avant d'être nommé Secrétaire d’État dans le gouvernement provisoire d'Arago. Victor Schoelcher fut l'initiateur du décret du 27 avril 1848 qui abolit définitivement l'esclavage alors que Napoléon Bonaparte l'avait rétabli en 1802 après la restitution de la Martinique à la France. Soutenu par l'ONU, ce musée situé en Alsace fait partie des cinq sites de « La Route de l'Esclave » du Grand Est.
© Crédits photos : Claude Menninger, "Menottes", "Billet de banque représentant Harriet Tubman", 2020.
Parmi les dix femmes présentées au musée, on retrouve Sanité Belair originaire d'Haïti qui combattit en uniforme en tant qu'officier lors de la Révolution haïtienne aux côtés de Toussaint Louverture. Condamnée à mort, elle ne pouvait être passée par les armes en tant que femme, mais le bourreau n'ayant pas réussi à la décapiter, elle fut fusillée tout comme son compagnon. Une statue érigée sur l'île de La Réunion célèbre le courage de l'esclave maronne Héva, véritable icône de la cause noire, elle sert d'allégorie pour représenter la femme réunionnaise originelle, elle a inspiré de nombreuses œuvres littéraires. Claire en Guyane française fut une esclave rebelle qui fut suppliciée puis pendue en présence de ses propres enfants, Dandara devint une figure légendaire au Brésil après s'être jetée dans le vide pour ne pas revenir à sa condition d'esclave ...Cudjoe Queen Nanny est vénérée en Jamaïque pour avoir aidé les esclaves à se libérer en employant la technique des guérilleros, son portrait figure sur un billet de banque ! En Guadeloupe, les habitants se souviennent de la Mulâtresse Solitude qui représente toutes les femmes et mères car elle fut suppliciée et mise à mort le lendemain de son accouchement.. L'abolitionniste américaine Sojourner Truth gagna le premier procès intenté par une femme noire pour récupérer son fils ! Cette femme hors du commun montait dans les tramways interdits aux Noirs bien avant Rosa Parks et prononça un discours en 1851 intitulé « Ne suis-je pas une femme ? » à la National Women's Right's Convention.
Anne Zinga, reine du Ndongo et du Matamba de 1582 à 1664, l'actuel Angola, disposait d'un pouvoir absolu. Fine stratège, elle tint tête aux Portugais en refusant de leur livrer les 13000 esclaves qu'ils exigeaient, elle évita ainsi la colonisation de son pays.
Parmi les femmes abolitionnistes, n'oublions pas l'avant-gardiste Olympe de Gouges, membre de la société des Amis des Noirs, auteure de la Déclaration des Droits des Femmes qui dénonça l'esclavage dans sa pièce intitulée « Zamore et Mirza », ce qui lui valut des menaces de mort de la part de propriétaires d'esclaves.
© Crédit photo : Claude Menninger, "Anne Zinga (à gauche), Sojourner Truth (à droite)", 2020.
Quant à l'Anglaise Anne Knight, féministe convaincue, elle n'hésita pas à faire du porte à porte pour défendre la cause des Jamaïcains et à révéler ce qui se cachait derrière les récoltes de canne à sucre. Les habitants lui rendirent hommage en accolant son nom à une ville de Jamaïque qu'ils baptisèrent « Knightsville ».
© Crédit photo : Claude Menninger,
"Nanny (2e à droite), Héva (à droite)", 2020.
Mais rappelons que si la traite occidentale ou atlantique a concerné 11 à 13 millions de personnes depuis le XVIIe siècle, la traite orientale à destination du monde arabo-musulman compté plus de 17 millions d'esclaves ! Quant à la traite intra-africaine, les historiens dénombrent 14 millions de personnes dont une partie était revendue à des Européens ou des Arabes. ARTE vient de diffuser un excellent documentaire à ce sujet, nul doute que le travail de mémoire est encore long et ardu !
Par ailleurs le président Barack Obama qui proposait d'honorer Harriet Tubman en créant un billet de banque à son effigie n'a pas pu voir son souhait se concrétiser. Donald Trump en a décidé autrement en offrant un « clin d'oeil aux blancs » sous le prétexte que cette décision est « politiquement non correcte » ! Harriet Tubmann née en 1822 dans le Maryland fut vendue à 6 ans comme femme de ménage et passa de maître en maître. Elle s'enfuit lors de la guerre de Sécession, se retrouva en Pennsylvanie et soutenue par l'Underground Railroad, un réseau de sympathisants de la cause Noire en 1840, elle devint celle qu'on appelle encore aujourd'hui « La Moïse Noire ». Elle aida plus de 70 esclaves à s'enfuir et ce billet inédit dans l'Histoire américaine qui devait voir le jour en 2020 est annoncé de façon aléatoire par le secrétaire au Trésor pour 2028….
Autant dire que cette exposition enrichissante tombe fort à propos ! Bien documentée, elle apporte un éclairage essentiel sur l'esclavage colonial en mettant à l'honneur des femmes d'exception qui ont payé un lourd tribut pour défendre leur liberté et leurs idées.
Il nous incombe aujourd'hui d'entretenir leur mémoire et d'accorder une réelle reconnaissance à ces héroïnes souvent oubliées, voire totalement méconnues.
*Les photos ont été prises au musée Victor Schoelcher par Claude Menninger sauf le billet de banque représentant Harriet Tubman et l'affiche de l'expo avec le beau portrait en couleur de la reine Zinga.
Commentaires de Philippe PICHOT sur cet article suivis de trois liens vers les références citées par le commentateur** :
Merci pour votre message et la mise en ligne de votre article faisant référence à l'exposition sur les femmes en lutte contre l'esclavage et présentée à Fessenheim cet été.
Votre revue étant plus spécifiquement axée sur le rôle des femmes je vous précise que le Réseau Mémoire des abolitions de l'Esclavage - Pôle mémoriel national de l'Est de la France et Suisse inclut deux sites spécialement dédiés à l'action remarquable de deux femmes dont l'action mérite d'être connue: Anne-Marie Javouhey émancipatrice des noirs captifs de traite en Guyane et Germaine de Staël qui mobilisa le groupe de Coppet contre la traite au Congrès de Vienne en 1815, lesquelles ont produit chacune dans leur style et actions, des textes remarquables contre cette tragédie.
Vous retrouverez leurs histoires sur notre site.
Philippe PICHOT
Projet « Mémoire des abolitions de l’esclavage - Pôle mémoriel national de l’Est de la France ».
Site : www.abolitions.org
Membre du Comité National Pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage en France de 2009 à 2019.
Expert auprès de l'Unesco sur les lieux de mémoire lié à l’esclavage.
22, rue Pierre Dechanet – 25300 PONTARLIER - FRANCE.
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** Les commentaires et liens susmentionnés ont été ajoutés à l'article le 23 juillet 2020 par la rédaction de la revue.
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Pour citer ce texte
Françoise Urban-Menninger, « Dix portraits de femmes en lutte contre l'esclavage colonial », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020, mis en ligne le 14 juillet 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/fum-femmesenlutte
Mise en page par David Simon
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