Lettre n°16 | À nos ivresses & aux Bacchantes | Critique & réception
Firmaman
textes poétiques en prose de Jean-Paul Gavard-Perret.
Ouvrage paru aux éditions Sans Escale
avec une couverture signée par Jacques Cauda
© Crédit photo : Couverture illustrée du recueil "Firmaman" par Jacques Cauda.
Écrivain, critique d'art, auteur de très nombreux livres, Jean-Paul Gavard-Perret se complaît, comme il l'affirme dans une interview donnée au magazine Openeye, « dans la jouissance de tripatouiller les mots ». Le titre de son ouvrage « Firmaman » illustre d'emblée la déclaration de l'auteur qui se dit également « fasciné par les images ».
Il est fréquent de rencontrer dans les écrits des écoliers, invités à rédiger un texte dit « d'expression libre », le mot « firmament » élevé au rang de « firmaman », celui de « marraine » transformé d'un coup de baguette de fée en « ma reine ». C'est dire qu'avec son « Firmaman », Jean-Paul Gavard-Perret renoue avec cette pensée magique inhérente à l'imaginaire que l'on attribue aux enfants.
Mais très vite, l'auteur, à l'instar de George Bataille dans « Mme Edwarda » transgresse les conventions, voire les interdits pour aborder les thèmes de l'amour maternel et de l'inceste. Comme chez Bataille l'obscène et le divin cohabitent et se conjuguent dans la chair crue des mots où « Amour et haine à l'aine » débordent la page blanche et sa marge, transcendant le texte par-delà les mots. On songe à cette phrase de Bataille à propos de Mme Edwarda « Ce livre a son secret, je dois le taire : il est plus loin que les mots ». Et Jean-Paul Gavard-Perret d'en prolonger le mystère dans son texte « Les Edwarda » où il écrit « On voulut me retirer la langue, je la tire » ou encore « Que les Edwarda du futur fassent partie de moi ».
Pour Lacan, la figure de la mère ne peut se saisir de manière univoque, elle est double. On distingue la mère du désir et celle de l'amour maternel que le film de Jean Eustache « La maman et la putain » illustre parfaitement et qui trouve son écho dans « Firmaman ». « Mère putain se balance nue dans la salle à manger », lit-on sous la plume de Jean-Paul Gavard-Perret…
Cette plume court sur la page, la soulève, la pénètre de ses saillies érotiques de telle sorte que le corps fantasmé de la mère finit par s'incarner dans le corps du texte !
Dès lors, l'écriture désinhibée « déchire le voile de la langue » pour reprendre une expression de Beckett que l'auteur affectionne puisqu'il lui a consacré une thèse et dans ce recueil un poème en prose où l'on peut lire « La bouche broie l'annonciation du temps ».
Mais loin de produire « une musique du silence » comme chez Beckett, Jean-Paul Gavard-Perret fait retentir et imploser les cymbales de lumière du désir et de l'érotisme débridé libéré de tout refoulement où les images abondent et où « les mots font l'amour » selon l'assertion d'André Breton en 1924 dans « Les pas perdus ».
Mais si « les mots font l'amour », ils le font avec humour chez notre auteur, « Histoire d'O vive et d'Ovide » en est un exemple ! Les jeux de mots foisonnent, se culbutent, fascinent, interpellent, nous font jubiler : « Et ça promet encore des embrouilles de ne pas travailler le terre pour en tirer les vers du nez », « Mère Deux Nids », « Con Prenez », « Princesse de Clèves Coeur », « Verte Tige »…
Car chez l'auteur les mots et les images s'enchaînent bien évidemment « sans chaîne » ! La loufoquerie se met de la partie jusqu'à faire trépider et disjoncter le texte « Ses orgasmes commencent à avoir fière allure. Parfois elle m'attend dans le coffre de la voiture où je l'ai ligotée. Ses mots ont devancé mes actes ».
Ces poèmes en prose qui peuvent déranger certains lecteurs comme le signale la quatrième de couverture nous invitent à une gymnastique de l'esprit et à appréhender par le biais d'une écriture époustouflante à sonder les fantasmes
indicibles, voire parfois inaudibles qui travaillent notre inconscient car derrière le paraître, les mots ont partie liée avec le « parlêtre » cher à Lacan ou pour évoquer Freud, on peut affirmer que le « ça » se met à parler... Nul doute que c'est le « ça » qui « déchire le voile de la langue », car sous la trame du langage tissée par le couple oxymore Éros et Thanatos se trame le jeu (je) obscur du ça qui s'invite dans le corps organique, voire jouissif du texte.
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Pour citer ce texte inédit
Françoise Urban-Menninger, « Firmaman, textes poétiques en prose de Jean-Paul Gavard-Perret. Ouvrage paru aux éditions Sans Escale avec une couverture signée par Jacques Cauda », Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°16, mis en ligne le 23 juillet 2021. Url :
http://www.pandesmuses.fr/lettreno16/fum-firmaman
Mise en page par David Simon
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