Compte rendu
Parution imprimée dans le hors-série 2016
« Violences sexuelles contre les femmes :
une réalité encore taboue »
Le colloque du 22 novembre 2016 à Strasbourg
Photographies par Claude Menninger
À l’heure de la remise en question du droit à l’IVG et de l’interdiction faite aux femmes d’entrer dans des cafés « réservés aux hommes », la septième édition du colloque strasbourgeois organisé par l’Eurométropole et dédié aux « Violences sexuelles contre les femmes : une réalité encore taboue » trouve plus que jamais sa justification s’il en fallait encore une !
Roland Riess, le maire de Strasbourg qui a ouvert ce colloque l’a bien compris en faisant référence à la proposition de loi turque visant à dépénaliser le viol ! Heureusement, on apprenait dans la même journée le rejet de cette loi grâce aux manifestations massives en Turquie contre ce projet inique.
L’écrivaine Isabelle Alonso, militante engagée, n’a cessé au cours de son intervention de marteler une vérité première : « Nous vivons dans une société patriarcale » et ceci depuis la nuit des temps...Tout est dit !
Cette réalité planétaire se perpétue dans le non-dit, sans qu’on la nomme, « Elle crève les yeux à en devenir invisible », a-t-elle affirmé.
Ainsi « Les Droits de l’Homme » énoncés en 1789 ne comprennent pas « Les Droits des Femmes », le mot « Fraternité » en témoigne. Quant au « suffrage universel », il ne vise que les hommes, soit 50 % de la population jusqu’en 1944, date à laquelle les femmes obtiennent enfin le droit de vote !
Le vocabulaire n’est pas neutre, il est travaillé par l’inconscient collectif patriarcal...Un homme parlera de « sa femme » à l’instar d’un bien tel « sa voiture », « son chien »… Les violences commises à l’encontre des femmes sont minorées et citées dans les faits divers ! L’expression « se faire violer » est une manière subtile de rendre active celle qui a été agressée sexuellement !
Marie-France Casalis, porte-parole de l’association « Collectif féministe contre le viol », a poursuivi sur ce thème évoquant le nombre effarant de viols enregistré (quand une plainte est déposée), à savoir 124000/an.
Là aussi, le vocabulaire est révélateur ! « Une femme avoue avoir été violée » ou « avoir été abusée sexuellement », autant de termes qui visent à créer l’impunité pour les violeurs.
Pour Marie-France Casalis, il est vital de « libérer la parole » c’est la seule possibilité pour les femmes qui ont été violées de pouvoir se reconstruire.
Claudine Legardinier, journaliste et auteure, spécialiste des questions de prostitution, a réaffirmé que celle-ci n’est autre que « l’emblème du patriarcat et du capitalisme ». Le silence assourdissant qui entoure la prostitution illustre cette violence dont « l’inceste est le terreau de prédilection ». Claudine Legardinier informa en outre son auditoire de l’ouverture de « cafés pipes » en Suisse où la pornographie prospère, fit un point sur « l’accompagnement sexuel des handicapés » qu’elle considère comme une autre forme de prostitution. Pour conclure, elle dénonça encore une fois le silence des autorités quant à la prostitution, cette « violence ordinaire » qui n’est autre que « le lieu de la réaffirmation de l’identité masculine ».
Anna Matteoli, juriste au Centre d’Information sur les Droits des Femmes, a abordé le problème de la difficile frontière juridique entre « le devoir conjugal » et « le viol conjugal ». Là encore, la société patriarcale, le code civil napoléonien ou le droit canonique ont formaté les esprits et les lois. Ne parle-t-on pas de « communauté de lit », de ce que « la femme est donnée à l’homme » ?
Balzac lui-même préconisait « de ne pas aborder le mariage par un viol » !
La psychanalyste Catherine Gillet, elle aussi, a relevé l’importance du langage et du poids des mots dans l’appréhension et la compréhension des souffrances d’une femme violée. Elle n’utilise en aucun cas le terme de « victime » qui est une « étiquette limitative » mais celui de « personne » pour désigner la femme violée ou violentée. Seul le sujet détient la clé de sa « reconstruction », « une fable collective ne peut en aucun cas remplacer la vérité personnelle du sujet », a déclaré Catherine Gillet.
Myriam Cayemittes, psychiatre et présidente de l’Association Parole sans Frontière, a développé l’horrible thématique du viol utilisé comme outil de guerre en évoquant les 150000 femmes violées au Rwanda et ses conséquences, à savoir les grossesses non désirées, la mise au ban de la société, la perte d’identité de la femme en déshérence… Et d’élargir la liste des crimes de guerre à l’encontre des femmes tels la stérilisation forcée, les femmes enlevées et considérées comme des « butins de guerre », l’esclavage sexuel etc.
Une interview d’Yvette Roudy enregistrée le 13 septembre 2016 a clos cette journée exceptionnelle, voire essentielle tant les acquis des droits des femmes sont aujourd’hui menacés. L’ancienne Ministre aux Droits des femmes a rappelé que « Le degré de démocratie d’un pays se mesure à l’aune des droits des femmes ».
Ce colloque a été richement illustré par Valérie Leroy, Éloïse Rey, Amina Bouajila. L’ensemble Voy’elles et la chorale Olympe, ont éclairé cette journée en interprétant avec humour, sous le signe de la « sororité », « Cell-Block Tango » et entonné avec une ferveur contagieuse « L’hymne des Femmes » qui a réchauffé les cœurs de tous les participants qui ont joint leurs voix à l’unisson pour reprendre le refrain :
« Reconnaissons-nous, les femmes
Parlons-nous, regardons-nous,
Ensemble, on nous opprime, les femmes
Ensemble, Révoltons-nous ! »
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Françoise Urban-Menninger, « "Violences sexuelles contre les femmes : une réalité encore taboue". Le colloque du 22 novembre 2016 à Strasbourg », photographies du colloque par Claude Menninger, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°9 (publication partielle de nos derniers numéros imprimés de 2016) [En ligne], mis en ligne le 16 décembre 2016. Url : http://www.pandesmuses.fr/colloque.html
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