Poèmes |
Et si on longeait la rivière ?
Minmin, Piqûre,
Transport & Vertige
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Armelle Leclercq |
Et si on longeait la rivière ? |
Sortir, croquer du soleil,
Sa brioche fin d'après-midi
Si subtile couleur quand il rase
Murs et plantes
En survolant la rivière.
Les pruniers ont une de ces dentelles,
Leurs feuilles bouffées par les chenilles :
On voit du ciel à travers ;
Une araignée a fourbi sa toile
Arc-boutée entre grille et rhododendron,
Pile dans le contre-jour
Qui l'avive filin d'or pour les passants,
Ecrin pour une baie descendue,
Et puis par-delà le plumeau des bambous,
Un concept : l'espace,
La grande respiration des arbres,
Leurs troncs nus à embrasser.
Minmin |
Les cigales minmin avec leur chant
A stridulations multiples
Sifflotent,
Un tantinet moqueuses :
"Il fait très chaud" semblent-elles ricaner,
Elles dont les exuvies pendent
Sur les écorces,
Peaux d'une vie antérieure,
Au parc Inokashira – les pédalos-cygnes
Y pulsent un clapotis de claquettes.
Il fait très chaud,
Moi aussi j'abandonnerais bien une ou deux peaux comme ça
Rien que pour me défaire de l'étouffante touffeur,
Sensation sac à dos trop plein :
Toutes mes pierres de jadis.
Piqûre |
Dans ce doigté sublime du soleil,
Pivoine exactement
Et or sur le liseré du nuage,
Dans son déroulement précis, sa tige lumineuse
Venant frôler tout le balcon,
Dans l'arrondi à l'est – une zone encore bleu clair
Se détachant sur les cumulus gris –,
Dans l'élancement, tige vibrante – la chaleur qui soudain remonte sa fleur orange jusqu'en haut du ciel –,
Jusqu'à la pointe exacte – ce désir –,
Jusqu'au summum – l'instantané bonheur –
De couleur, de sensualité,
Dans cette profusion, souvenir brusque (Alliers) : un jeune chevreuil pris sur le vif,
Le nez dans les herbes sur le sentier aux coulemelles :
Son bond tête rejetée en arrière,
Toute sa beauté, silhouette gracile,
Dans ce surplus : une plénitude à un point qu'on se dit qu'on ne pourra jamais être plus heureux qu'en cet instant précis et que le monde est fort d'une magnificence qu'on n'arrivera jamais à vivre tant elle nous dépasse, que le monde est d'une magnificence à en couper le souffle,
Au bout du bout – acmé – de ces instants d'extase,
Fatidique, resurgit, dague,
Plantée en bas des reins,
Une pensée : la mort.
Transport |
Étang d'Ueno, les nénuphars
Ce matin partent en voyage,
Pliés en deux, demi-feuille à plat et demi-feuille levée ;
Le vent bat, faseyante,
Leur voile de petite embarcation.
Tanguant sous les bouffées éoliennes,
Tiges nomades,
Ils recueillent grâce à leurs coques plates,
Soubresauts, quelques gouttes d'eau,
Gouttes d'eau qui
Etonnamment chargées sur ces barges chlorophylliennes flottent sur l'étang.
Alignant leurs rondeurs sous un soleil désireux de
Les disperser,
A chaque jeu de l'étrave elles agitent, dagues lumineuses pour l'œil,
Microscopiques, des miroirs.
Glissant sur une nervure à la moindre gîte,
Ephémères psychés que sont-elles sinon
Autant de réserves potables
Offertes
Aux passagers imaginaires
De ces voiliers lilliputiens.
Vertige |
Après le typhon,
Le ciel rebondi d'azur :
Les maisons éclatent,
Par le jet du nettoyeur céleste
Décapées.
Le paysage est fraîcheur
Incroyable.
Hormis une bataille de pommes de pin et d'épines,
Aucun dégât par ici ;
Il est passé plus à l'ouest.
Là, en s'allongeant
Sur le sol
Devant, ouverte, la baie vitrée
– Beau temps apocalyptique –
Face à un tel degré juste couleur brute,
Comment au plus profond de, bleu, ce miroitement,
Les yeux dans le ciel
Ne pas avoir envie de plonger ?
Pour citer ces poèmes
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Armelle Leclercq, « Et si on longeait la rivière ? », « Minmin », « Piqûre », « Transport » & « Vertige », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : « Le printemps féminin de la poésie », Hors-Série n°1 [En ligne], sous la direction de C. Aubaude, L. Delaunay, M. Gossart, D. Sahyouni & F. Urban-Menninger, mis en ligne le 10 mai 2013 . Url.http://www.pandesmuses.fr/article-transport-minmin-piqure-117469400.html/Url.http://0z.fr/LDk8L
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Auteur/Autrice |
Armelle Leclercq a déjà publié trois livres de poésie, Pataquès (Comp'Act, 2005) sur les relations interculturelles entre Orient arabe et Occident, Vélo vole (Lanskine, 2008) sur l'enfance vue exclusivement par les yeux de l'enfant, avec son franc-parler, et Paysage à rebours (Lanskine, 2012) sur l'Auvergne et le rapport au passé. Elle a participé à deux anthologies : 49 poètes, un collectif (Flammarion, 2004) et Ars Poetica (avec traduction des poèmes en anglais et slovaque) (Bratislava, 2006). Armelle Leclercq publie régulièrement des textes dans des revues et effectue des lectures dans les festivals en France et à l'étranger ; elle a récemment fait une résidence d'auteur à la maison Jules-Roy). |