[invitée de la revue]
Entretien inédit
Entretien sur les poésie, peinture,
danse, cabaret, fétichisme & genre
accompagné d'exposition virtuelle de quatre toiles de l'artiste-peintre
Filomena Salley & Cyril Bontron
CB. Pourriez-vous nous parler de votre collection « Cabaret » qui nous rappelle certains peintres du XIXe-XXe siècle comme Jules Chéret et Henri de Toulouse-Lautrec. Pourquoi cet univers, la scène des danses classique et moderne ne vous intéresse-t-elle pas ?
FS. Si, justement ! Comme je vous ai déjà confié, et malgré les horreurs du monde au quotidien, je garde une image foncièrement positive de la vie. Il me faut la voir légère – pas irréfléchie, non – mais aérienne, et la danse me semble être, de tous les arts, celui qui exprime ce sentiment. Comme je ne danse plus, j'ai échangé mes chaussons pour les pinceaux et la scène par la toile. Mais, jusqu'à présent, ce qui me motivait était plus la représentation de ces corps qui laissent deviner soit une future gestuelle de la danse, soit l'après... Comme une invitation... Peut-être un jour viendrai-je à les faire danser...
CB. Comment une artiste-peintre peut-elle peindre la poétique du corps d'une femme qui danse ? Le corps masculin est-il présent dans votre art, quelle en est la raison ?
FS. Il me faut répondre d'abord à la 2ème partie de la question...
Oui, l'homme – l'homme aimant – est toujours présent dans mon oeuvre, même si dans la réalité, je ne le représente que rarement ; un peu à la manière de Lorca qui dans « La maison de Bernarda Alba » le rend omniprésent jusqu'à l'obsession et à la mort. Sauf que moi, j'ai besoin de les sentir vivants pour rendre toute la lumière à ma peinture. Et, puisqu'ils sont vivants et qu'il y a de l'amour, la danse s'impose d'elle-même et, dans ce cas-là, les corps ne peuvent qu'être harmonie.. de la même manière que la poésie, même quand elle découle de la douleur, ce quelle transmet c'est de l'harmonie. La non-représentation de l'homme dans mon oeuvre permet à chacune ou chacun de s'approprier l'acte...
CB. Et vos modèles ? Ces femmes nommées et représentées de l'univers du cabaret sont-elles bien réelles (je pense au tableau intitulé Marie par exemple...) ? Que représente pour vous les danseuses du cabaret ?
FS. Oui, elles sont bien réelles. Pas que je les connaisse personnellement, mais il suffit de voir le nombre croissant de spectacles ayant pour sujet le monde du cabaret, à l'affiche dans le monde, voire des femmes-artistes confirmées se produire dans les plus célèbres cabarets. L'univers du cabaret est la représentation miniaturisée du monde : les coulisses et ses couloirs sombres, avec sa frénésie, ses essayages, ses ratés, ses grandes malles à parures, ses miroirs où transparaissent nos doutes, nos déprimes, nos tentations – un peu notre jardin secret de tristesse et solitude inavouables - et la scène où les feux de la rampe lavent les corps de toute souillure. Je vais me répéter mais j'aime cette expression qui, je crois, défnit bien ma peinture des femmes dans la collection Cabaret : « Dans ma malle à accessoires, il n'y a que de beaux atours »...
CB. Les travestis des cabarets sont-ils présents dans votre univers ? Comment concevoir et peindre leur féminité ?
FS. Non, ils ne sont pas du tout présents. Pas que j'eusse un quelconque préjugé à leur encontre, peut-être même qu'un jour ils entreront dans ma peinture, mais ce n'est pas le cas jusqu'à présent. Je vous avoue que ne sais pas trop quoi vous répondre quand à la concrétisation picturale de leur féminité puisque je n'y ai pas songé.
Mais, d'emblée, ce qui me vient à l'esprit, et je ne suis pas très originale, ce serait le meneur de revue de « Cabaret », justement !
CB. La danse, la poésie et le genre sont imbriqués, quelle est la place de la danse érotique (et de sa poétique) dans votre travail artistique ?
FS. Pour qu'il y ait de la danse, il faut de la musique et, là encore, elle se joue dans ma tête tout en harmonie. J'imagine un tango langoureux – et pas besoin de grands pas acrobatiques – une valse lente, pourquoi pas un slow-country de Slim Witmann, la voix sensuelle de Carole Laure, à moins que cela ne soit un menuet ou un lied qui s'imposent, et mes pinceaux obéissent alors à la progression des notes, tel le désir qui vient crescendo... Concrètement c'est une chorégraphie qui se met en place mentalement.
CB. Le fétichisme est une autre facette de votre inspiration artistique, pourquoi cela porte-t-il sur les femmes et non pas sur les hommes ? Peignez-vous à travers le regard d'un homme peintre, une femme peintre ou à travers les clichés du fétichisme comme foncièrement portant sur les femmes par les hommes ?
FS. Il reste tout de même très soft, car, par-dessus tout, j'ai besoin de pureté et, comme vous le savez, de beauté (puisqu'il faut se vêtir autant que cela soit beau, non ?!).
Mais comment représenter la nudité de la femme, et plus particulièrement dans ma collection « Cabaret », sans cela ?
Sauf que pour moi ce n'est pas du fétichisme. Je m'explique : une femme habillée, rentre chez elle, va dans sa chambre (ou où l'on veut) et se déshabille. Elle doit forcément passer par toutes les étapes...
Ce que je fais c'est dépeindre ces étapes et comme ce qu'elle portait était beau...
Vous voyez, j'y suis pas pour grand chose... ! Non, c'est l'inverse, je peins à travers mon regard de femme sur moi-même, avec le souhait que les femmes s'y retrouvent aussi. Si nous nous sentons bien notre image ne peut être que valorisée. Et non, je ne considère pas que le fétichisme doive être foncièrement lié aux femmes. Si vous remarquez bien, vous constaterez que les rares apparitions de l'homme dans ma collection « Cabaret » représentent justement cette part de « fétichisme » au masculin, exemple les chaussures d'homme.
Mais c'est vrai que l'atavisme socioculturel a la peau dure ; comment exprimer le fétichisme au masculin sans courir le risque que l'homme se sente atteint dans sa virilité ? Ou, mieux, accepte de voir dévoilée sa part de féminité ? Là, la société a encore du chemin à parcourir, à moins de dépeindre, comme vous le disiez plus haut, le monde des travesti(e)s ou même des homosexuel(le)s. Ce n'est pas ma vision de l'humanité et des rapports hommes-femmes, tout simplement.
CB. Le corps de l'objet est-il un lieu de transgression sociale, artistique et culturelle ?
FS. Oui et non. Non, car la société a atteint un tel apogée de transgression des lois et d'acceptation du tout et n'importe quoi que forcément le corps n'est regardé que comme un objet et, finalement, tout est permis, surtout le laid.
Mais, d'un autre côté, c'est oui car le « classique », pour utiliser un mot banal, banal comme le classicisme, l'épuré, sont regardés comme une offense à la nature, à la vie. Il suffit de constater la régression des comportements – regards, paroles - vis-à-vis des femmes dans le quotidien : jamais, au grand jamais, les femmes ne furent traitées comme elles le sont aujourd'hui, même pas quand elles ne bénéficiaient pas de droits civiques ; puisque, alors, elles étaient peut-être des objets mais, soit des objets utiles qu'il fallait faire durer, soit des bibelots à estimer.
CB. Les couleurs et les formes dans le monde fétichiste comme dans le monde poétique sont primordiales, comment les choisissez-vous ?
FS. J'ai en mémoire une question ancienne assez approchante, alors, permettez que je vous réponde en utilisant peut-être les mêmes termes. Le choix des couleurs ne s'impose pas en termes de tel ou tel monde. Elles me sont suggérées, à l'image de l'écriture automatique, par mon esprit au moment même où je débute l'oeuvre et ne s'attachent qu'à la concordance avec le sujet... après tout c'est sa peau ! En ce qui concerne les accessoires, je m'efforce de rendre à l'être humain toute sa dignité, même dénudé car la société, elle, se charge assez de l'en priver.
CB. Et vos nouveaux projets ?
FS. Un regard de plus en plus empreint de Sagesse, car mon imaginaire est déjà à lui seul un grand projet (sourire).
Galerie de l'artiste-peintre Filomena Salley
Pour citer cet entretien
Filomena Salley & Cyril Bontron, « Entretien sur les poésie, peinture, danse, cabaret, fétichisme & genre accompagné d'exposition virtuelle de quatre toiles de l'artiste-peintre », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : « Poésie, Danse & Genre » [En ligne], n°1|Printemps 2012, mis en ligne en Mai 2012.
URL. http://www.pandesmuses.fr/article-poesie-danse-cabaret-fetichisme-104086016.html ou URL. http://0z.fr/2b9SB
Pour visiter les pages/sites des auteur(e)s ou qui en parlent
www.artquid.com/filomena
www.lestoilesdefilomena.com
Auteur(e)s
Filomena Salley & Cyril Bontron