1 juin 2013 6 01 /06 /juin /2013 07:00

 

Nouvelle fantastique


Le chemin


 

Lucie Chausson

 

 

 

visuellivre

  ©Crédit photo : Visuel du livre fabriqué par Lucie Chausson 



Le soir, dans cette région aride, quelques fauves peuvent toujours sortir des bois pour chercher du gibier dans les champs laissés à l’abandon.

 

Le petit chemin herbeux se prolongeait sur une dizaine de mètres, puis débouchait sur un grand espace vide où le ciel éclatait, blême. C’était une grande plaine jaunie par la sécheresse, où paissaient quelques bêtes amaigries. Sous l’ombre mince des grands peupliers aux feuilles racornies, qui entouraient intermittents la plaine, elles fuyaient la chaleur sourde du soleil. Abrutis, ployant sous le poids des nuages filamenteux, nous devions nous hâter ; le crépuscule viendrait bientôt. Mon sac pesait lourd et mes cuisses me lançaient, mais je tâchais d’ignorer la douleur et marchais d’un pas plus énergique. Je regardais mon compagnon : il ne disait rien, mais soufflait un peu fort, serrant les dents, plissant les yeux. Son tee-shirt était trempé. Peu à peu, la route s’éloignait des arbres. Après quelques mètres, elle traversa la plaine par le milieu ; l’espace s’élargit, comme à la sortie d’un tunnel. Autour de nous s’étendait la terre sèche, sur des dizaines de kilomètres. Le vent était tout à fait tombé, nos pas se faisaient plus lourds dans l’air rigidifié ; j’attrapai maladroitement les bretelles de mon sac à dos. Mes doigts gonflés par la chaleur me faisaient l’effet de dix petites saucisses, jaunes et molles. L’ humidité suintait par mes pores distendus. Les oiseaux avaient fui, sauf les plus coriaces, qui ne chantaient pas. Il ne restait rien de ce qu’on avait l’habitude d’entendre à la même période, quelques dizaines d’années plus tôt. Les roucoulements, bruissements, pépiements, gazouillis, froissements et autres lestes chansons n’étaient plus ; de temps à autre, un hurlement lugubre retentissait au-dessus de nos têtes et se perdait dans les lointains. Quelque charognard en quête de nourriture...un oiseau de nuit égaré. Des branches craquaient ; leur chute produisait un son mat sur le sol enflé. Mon camarade continuait, imperturbable ; à chacun de ses pas, ses chaussures faisaient crisser le gravier mêlé de sable qui couvrait le chemin ; c’était comme une plainte sinistre. L’après-midi pesante semblait se dilater à l’infini, la toile épaisse du ciel pesait sur nos têtes, le but de notre marche était repoussé au-delà du plan horizontal, ou peut-être même en-deçà ; nous n’avions pas d’autre choix que de continuer. Finalement, le chemin bifurqua vers l’ouest et se rapprocha d’un bosquet qui épaissit, pour se transformer quelques dizaines de mètres plus loin en forêt. Mon ami s’arrêta et se débarrassa de son sac, puis il tira le plan de sa poche et me le montra : nous devions emprunter un sentier qui s’enfonçait dans la forêt, mais il était difficile à localiser. Je posai aussi mon sac et bus une gorgée d’eau ; j’en profitai pour détendre mes muscles, remuer un peu mes bras et mes mains. Il était exclu de s’arrêter trop longtemps au bord de la forêt, il fallait continuer, le soleil déclinait déjà, et bientôt, il passerait de l’autre côté des arbres ; le sentier serait d’autant plus pénible à repérer. Me remettant à marcher, je m’aperçus peu à peu que les feuilles jaunies des arbres en bordure de la forêt contrastaient avec les pousses vertes et dodues de l’intérieur ; c’était surprenant : il y avait sans doute une rivière quelque part, qui abreuvait les plantes ; le sol était couvert d’une végétation luxuriante, débordante de vie et d’humidité. Pour autant, je me demandais si l’air y était plus respirable. Sur le chemin, nous ressentions toujours la brûlure de la chaleur suffocante qui nous pénétrait les narines, la bouche, les oreilles. J’avais l’impression de respirer la poussière de la plaine et de me tortiller, comme un ver de terre, dans l’atmosphère solidifiée. Une heure passa ; à force de fouiller du regard la lisière de la forêt, je finis par trouver le sentier. Bordé par des troncs tortueux, il se perdait plus loin dans une obscurité teintée de vert. On entra. Je respirais profondément, l’air était étonnamment pur, lavé de ses débris. Le silence de la plaine fit place à un grouillement de sons disparates. Nous étions à l’abri du soleil, le danger était omniprésent. Nous avions étudié les menaces sans relâche, chaque soir, depuis que nous étions partis ; une prudence extrême devait guider nos pas. Je me sentais toujours hésitante et cette hésitation se transformait en inquiétude : c’est-à-dire, un sentiment désordonné où la raison ne parvenait plus à prendre le dessus, où les battements de cœur et l’imagination triomphaient de la volonté. Ni lui, ni moi, n’étions cependant disposés à rebrousser chemin.

 

 

* * *

 

Le tamarin lion fait sa toilette la nuit, et utilise pour se sécher de larges feuilles de bananier.

 

La première chose à faire était d’observer les alentours. Faire le guet. On n’entendait ni ne remarquait rien qui pouvait nous dissuader de nous mettre en route. Mon compagnon sortit un long poignard protégé par un fourreau en cuir ornementé, qu’il passa sous sa ceinture. Quant à moi, j’avais glissé dans les poches de mon pantalon deux petits couteaux bien aiguisés ; je les gardais près de moi nuit et jour. Chacun de nous transportait aussi, en pendentif, une petite fiole de poison violent destiné à venir à bout de nos ennemis les plus féroces, ou à abréger nos propres souffrances. L’irruption soudaine de l’humidité avait entraîné la prolifération de nombreux et minuscules insectes autour de nous. Les habitants de zones tropicales savent qu’il faut se méfier de ces insignifiants visiteurs. J’attrapai dans mon sac une lingette enduite d’un répulsif très puissant, et m’en badigeonnai le visage, les avant-bras et les chevilles, puis je la passai à mon ami qui m’imita. Peu après, la nuée qui nous encerclait s’éloigna de quelques mètres. Cette fois, nous pouvions partir. Le changement brutal de climat nous avait frappé ; notre corps commençait lentement à s’y adapter. J’étais toujours trempée, mais rafraîchie par la pénombre touffue où nous étions plongés. Les arbustes qui bordaient le sentier étaient aussi gras, imposants et puissants que ceux de la plaine étaient maigres, secs et fragiles. La jungle, aussi étrange que cela puisse paraître, avait remplacé le désert. Il avait suffit d’un pas. Toutes sortes de plantes poussaient autour de nous, comme elles pouvaient. Les ficus ménageaient intuitivement un espace entre eux, pour laisser se développer leurs troncs gigantesques. Leurs houppiers s’épanouissaient généreusement, à plusieurs centaines de mètres au-dessus de nous. Des lianes tombaient du ciel. Partout, de larges feuilles de bananiers présentaient leurs silhouettes découpées, des passiflores, de la salsepareille et des palmiers s’emmêlaient dans les broussailles, des hibiscus et des cattleyas se grimpaient dessus, des cosses remplies de graines faisaient plier les branches, des asplénium ondulaient légèrement, lumineux, des fougères arborescentes, des fromagers, des acajous et des virolas se côtoyaient comme dans une serre abandonnée. Il y avait de grosses fleurs aux pistils gonflés, dont les pétales chatoyants se déployaient avec orgueil, des herbes géantes entouraient les troncs, s’élevaient dans les airs, retombaient en grappes sur le sol stratifié de mousse, de feuilles mortes, de brindilles, d’insectes, et autres merveilles enfouies. Le sentier avait été entretenu ; les branches qui menaçaient le passage, abattues, les plantes qui poussaient sans relâche, arrachées. Ainsi nous marchions d’un pas régulier, car la tâche de l’explorateur, qui consiste à se tailler son propre chemin au milieu du chaos, nous avait été épargnée. À un moment, mon camarade s’arrêta brusquement et leva le bras pour m’empêcher de continuer. Il avait repéré un de ces spécimens appelé Dionaea, ou de son nom plus commun, plante carnivore. Sa tige avait l’épaisseur d’un tronc, et sa hauteur dépassait les trois mètres. Elle était exceptionnellement grande (d’une taille tout à fait hors du commun). La tige, à un mètre de hauteur, donnait naissance à deux tiges supplémentaires qui se déployaient de chaque côté ; à leur extrémité avaient poussé deux grosses fleurs, rosâtres, boursouflées, garnies de petites dents venimeuses. Pour éviter que la plante ne se réveille, il fallait passer à côté d’elle silencieusement, afin que nos pas produisent le moins de vibrations possibles. En effet, aveugle, sourde, et privée d’odorat, la plante repérait ses proies aux ondes de choc qui se répercutaient dans sa tige, transformée en sonde. Elle déterminait d’où venait le bruit, et attaquait, rapide, précise, impitoyable. Une de ses fleurs dépassait sur le chemin et nous barrait la route, il fallait donc la contourner lentement, et se tenir prêt à lui trancher la tête si elle attaquait. Mon ami ôta ses chaussures et passa le premier. Il tenait son poignard à la main, et avançait courbé, sur la défensive. Je n’osais plus respirer. Finalement, il réussit à atteindre son but : la plante n’avait pas bronché. Je saisis alors mes deux petits couteaux, et m’engageai à mon tour, haletante. Je faisais de grands pas, marchant sur la pointe des pieds. Au moment où je la dépassai, un singe bondit entre mes jambes en hurlant et s’enfuit sur le bas-côté. La tige tressaillit. Vive comme l’éclair, la grosse tête à la mâchoire béante fondit sur moi, bouillonnante de suc gastrique. Heureusement, nous avions de bons réflexes. Je décapitai la plante à deux mains, tandis qu’il tranchait la tige principale de son poignard aiguisé. La tête roula à mes pieds. Un jus acide s’en échappa, rongeant le chemin et creusant un petit cratère. Je rangeai mon couteau. Il me jeta un regard soulagé. Cette espèce est sans pitié : si elle avait attrapé ma main, le reste de mon corps y serait passé, elle n’aurait pas lâché prise, et j’aurais été lentement digérée, vivante, à moins que mon camarade n’ait eu le courage de m’amputer. Il fallait s’attendre à croiser d’autres étrangetés de la sorte, par la suite ; notre environnement avait bel et bien l’envergure d’un monde fantastique.

 

* * *


Construire une cabane dans un arbre ne demande pas beaucoup de dextérité. Bâtir une cathédrale, c’est autre chose.

 

Cela faisait un peu plus de deux heures que nous marchions. Il était difficile pour nous de déterminer l’heure exacte : étions-nous proches du crépuscule, ou bien la nuit était-elle déjà tombée ? La lumière dans la forêt ne venait pas du ciel, mais des plantes elles-mêmes, par un ingénieux système de reflets, ou de diffusion interne. Nous étions baignés, depuis que nous étions entrés, dans une pénombre verte, et nos visages, quand ils passaient près d’un arbuste aux feuilles légèrement luisantes, s’éclairaient. Quelques lampyres produisaient en

volant de petits signaux lumineux qui brillaient ça et là. Je n’y avais tout d’abord pas prêté attention, mais depuis quelques mètres, on pouvait voir sur les bords du sentier de petits empilements de pierres. Plus nous avancions, mieux ils étaient ordonnés, et prenaient diverses formes de plus en plus identifiables. C’étaient des pyramides, des arches, des colonnades, des pagodes...  Il y en avait un de chaque côté, tous les quatre mètres environ. Très intrigués, nous nous arrêtions souvent pour observer leurs particularités de près, mais nous n’avions aucun indice qui nous permettait de comprendre à quoi ils servaient. Nous étions toutefois à peu près sûrs qu’ils avaient été imaginés par des êtres humains. C’étaient désormais des formes très classiques, tirées de l’Antiquité, qui avaient été largement utilisées pendant les siècles qui avaient suivis. Bien entendu, elles avaient disparu depuis longtemps maintenant ; les hommes avaient progressivement abandonné les constructions habituelles, de type monuments, édifices religieux ou bâtiments publics. Nous n’avions connu toute notre vie que les cellules en acier, emboîtables, qui avaient pullulé dans la majeure partie du monde encore habitable. Le chemin semblait ne jamais devoir s’arrêter, et les petites architectures étaient de plus en plus élaborées. Les petits cailloux du début, de formes et de couleurs diverses, s’étaient transformés en ruines, où l’on devinait des ébauches de façades, et s’enrichissaient peu à peu d’un chapiteau, d’une architrave, d’un fronton... C’était un étrange retour dans le temps, progressif, où l’on voyait les fragments se reconstituer peu à peu. Je tombai finalement sur un monument particulièrement époustouflant, et je m’accroupis pour mieux le contempler. Mon compagnon ne désirait pas trop s’attarder, estimant que notre voyage ne souffrait pas les écarts. Mais j’étais fascinée par ce que je voyais. Il s’agissait d’une petite pagode de type chinois (la Chine était un pays qui avait disparu depuis fort longtemps, sur laquelle j’avais fait de nombreuses recherches), de trente centimètres de haut, maçonnée de minuscules briques peintes, et qui comportait neuf étages. On pouvait distinguer l’escalier qui tournait au centre de la tour, en colimaçon, par les fenêtres à châssis de bois noir. Le toit était recouvert de tuiles en porcelaine jaune et verte, finement ondulées. Cette petite merveille était surprenante, dans ce grouillement végétal désordonné, mais elle faisait écho à la finesse de certaines des plantes présentes, qui, isolées, offraient aux regards leurs lignes épurées. Les grognements de mon ami eurent raison de ma
curiosité, et je me relevais. J’avais à peine fait quelques pas, que sans le vouloir, je tournai la tête vers l’arrière, comme si quelque chose (ou quelqu’un) m’avait appelée, et aperçus une tâche blanche à travers les feuilles. Les alentours étaient si uniformément verts que n’importe quelle autre couleur sautait aux yeux, comme étincelle le phare dans la nuit noire. Un instant, je crus que j’avais rêvé : ayant rebroussé chemin, je ne distinguais plus rien. Mon compagnon me lançait des regards courroucés, tandis que je cherchais à retrouver ce que j’avais vu, le temps d’un éclair. Et soudain, il était là. On en apercevait les angles, qui s’élevaient à plusieurs mètres de hauteur. Une colonne. Une statue. Une marche. Et le bâtiment tout entier nous apparut, gigantesque, éblouissant, terrible. C’était un édifice de marbre blanc, un temple amphiprostyle ; les colonnes étaient de l’ordre composite, le plus subtil des cinq ordres. Cette particularité lui donnait un air aussi élégant que débraillé. Nous ne pouvions déterminer l’époque de sa construction, tandis que nous-mêmes ne savions plus très bien à quel siècle nous nous trouvions au juste, dans cette forêt sortie tout droit d’un rêve. Le temple semblait inhabité, mais il était en très bon état, comme si ses occupants l’avaient quitté la veille. Certes, il nous paraissait dangereux de quitter le chemin ; mais nous étions dévorés par l’envie d’aller observer le bâtiment de plus près. Qu’y avait-t-il à l’intérieur ? Qui l’avait construit, et quand ? Que faisait-il au milieu de cette forêt, elle-même retranchée au milieu d’une plaine aride, infréquentée, abandonné depuis des centaines d’années ? Depuis notre entrée dans la forêt, nous n’avions cessé de nous exclamer. Et pourtant, nous ne pouvions oublier les dangers qui nous menaçaient. Il nous paraissait évident que ces charmes mystérieusement dispersés le long de notre route n’étaient que des pièges, qui nous détournaient de notre but principal.
À aucun prix, nous ne devions quitter le chemin.

 

 

* * *

 

Il existe des lacs artificiels, où la vie apparaît comme dans les vrais lacs; l’artifice disparaît, la nature reprend possession de ce qui lui appartient, l’eau.

 

La nuit, d’après ma montre, était tombée depuis une heure environ. La plaine, dehors, devait être plongée dans une grisaille morne et un silence oppressant. Dans la forêt au contraire, le bruit autour de nous s’était accru, et confinait parfois au vacarme. Entre les cris des singes ou autres quadrupèdes bondissants, jacassaient des toucans, sifflaient des iguanes, baillaient des pumas, balbutiaient des paresseux ; quant aux piranhas, ils claquaient des dents. Je frémis en imaginant ce qui nous serait arrivé si nous avions quitté le chemin. Nous avions dû affronter une plante carnivore, mais nous étions confiants : aucun animal dangereux n’avait montré la pointe de sa moustache. Nous avancions calmement, un peu fatigués, mais sûrs de nous ; après tout, nous étions vivants. C’était déjà un exploit, compte tenu du périple qui nous avait mené jusqu’à cette forêt. Trois ans plus tôt, celui qui nous avait donné cette carte n’espérait pas que nous l’atteignions, et dans un soupir qui semblait être son dernier, il nous confia avec hâte qu’ils étaient partis fort nombreux, lors de la première et unique expédition, mais qu’il était le seul à être revenu. Dans cette forêt, ils vécurent un véritable enfer. Quand ils arrivèrent au bout du chemin, plusieurs d’entre eux étaient déjà morts, qui dans la plaine, dévorés par des fauves ou brûlés par le soleil, qui sur le sentier. Ceux qui restaient avaient faim, soif, ils étaient épuisés, prêts à faire demi-tour, lorsque brusquement le chemin s’était arrêté. Selon la légende, la fin du chemin signifiait la fin du voyage. En d’autres termes, ils avaient atteint leur but...Le Jardin devait se trouver là, juste derrière cette rangée de ficus géants aux troncs massifs. Fébriles, ils se précipitèrent vers les arbres, oubliant leur prudence, qui avait pourtant redoublé à chaque fois qu’un de leurs camarades était mort. Un horrible craquement les stoppa net ; le sol se déroba, puis s’effondra sous les hommes qui étaient les plus avancés, les emportant dans l’abîme. Ceux qui restaient s’immobilisèrent, pétrifiés par la peur. Mais la curiosité l’emporta encore une fois sur l’horreur de la situation. Ils contournèrent le gouffre, et franchirent la barrière des arbres. Alors, ils virent la palissade. Elle était faite de branches fines et dorées, et s’étendait sur les côtés jusqu’à se perdre dans la végétation dense et vorace. Émerveillés, ils la fixaient fiévreusement, méditant l’extraordinaire portée de leur découverte...et tous, ils avançaient mécaniquement vers elles, et tendirent le bras, pour la toucher de la main, la caresser...ce fut là leur dernier geste. Les branches se mirent à onduler en sifflant, et leur saisirent les mains, s’enroulèrent autour de leurs bras, de leur torse ou de leur cou pour les étouffer ; ils hurlèrent, puis leurs cris s’étranglèrent, et ils tombèrent raides morts, le visage violacé, la bouche tordue. Un seul s’était reculé à temps, et fuyait déjà, épouvanté, courant à perdre haleine...il survécut. Il ne parla à personne de son aventure, changea de nom et de pays. On pensa que les aventuriers ne reviendraient jamais, que tous avaient péri. Trois mois plus tard, quelqu’un le reconnut. Il fut harcelé. Il prétendit être devenu fou (il le pensait un peu). On l’oublia. Plusieurs années après, mon compagnon m’invita à lui rendre visite ; après son douloureux récit, il se sentit très fatigué. Il eut le temps de nous donner, avant que nous partions, une pochette de cuir fatigué. Elle renfermait la carte qu’il avait dessiné à son retour, indiquant très précisément le chemin pour atteindre le Jardin. Ainsi, nous étions près du but, avides de savoir, comme nos prédécesseurs, morts d’avoir été trop curieux. La seule différence pour nous était que rien ne nous attendait
dehors. Dehors, c’était le chaos ; notre voyage était celui de la dernière chance. Si nous tenions à la vie, c’était uniquement pour trouver le Jardin. Réfléchissant à tout cela, je reçus une goutte, puis deux, et un torrent se déversa, nous aveuglant. Le bruit était tonitruant, et les arbres, loin de nous protéger, déversaient au contraire sur nous leur trop-plein d’eau, qui nous aspergeait abondamment. La forêt se déchaînait. Nous fûmes trempés, en un instant ; c’était un envahissement liquide, une noyade. Sous cette pluie diluvienne, la végétation semblait grandir encore. Les feuilles et les troncs se gorgeaient d’eau, suintaient, tout explosait liquide, en myriades de petites gouttelettes, dégouttait sur le reste, détrempait de vert notre visage. Une demi-heure passa, et nous avancions toujours avec peine, pataugeant, quand d’un coup, la pluie s’arrêta, aussi brutalement qu’elle avait commencé. Alors, le silence éclata. On n’entendait plus que le bruit métallique des gouttes qui tombaient sur les feuilles, résonnant contre les parois de cette voûte immense. Les animaux semblaient s’être tous enfuis. Je respirais profondément, puis essorais mes cheveux, et l’extrémité de mes vêtements. Mon compagnon regardait la forêt, sans rien dire.

Finalement, je me remis en marche, redressant mon sac sur mes épaules. Peu après, le chemin s’arrêta.

   

 

Pour citer ce texte 


 

Lucie Chausson, « Le chemin », texte illustré par L. Chausson,Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques: Dossiers « Jardins d'écritures au féminin », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°3|Été 2013 [En ligne], (dir.) Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 1erjuin 2013.

Url.http://www.pandesmuses.fr/article-n-3-le-chemin-117752658.html/Url.

 

Auteur(e)


 

Lucie Chausson est née en 1985 à Paris. Actuellement étudiante en dernière année à l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, elle explore, à travers la pratique de la photographie et de l'écriture, un terrain à ramifications multiples : de l'étude du paysage fragmenté dans la peinture romantique allemande, au jardin de l'artiste et poète Ian Hamilton Finlay en Ecosse, en passant par le Jardin d'Agronomie Tropicale du bois de Vincennes. Les sentiers empruntés déclenchent l'envie d'écrire une nouvelle histoire. 

 

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