Éditorial |
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Françoise Urban-Menninger |
©Crédit photo : Collection Jardins par Claude Menninger
Suzanne Prou nous rappelle dans son livre Le cygne de Fanny qu’en Angleterre où les jardins sont particulièrement soignés, cinquante-cinq pour cent d’entre eux sont l’œuvre de femmes ! « Il est vrai », ajoute-t-elle, « que le jardinage s’accorde au caractère féminin ». Est-ce la frustration d’avoir été chassées du jardin d’Éden mêlée à une certaine nostalgie qui incite les femmes à apprivoiser des parcelles de terre jusqu’à s’identifier à leur jardin qui devient alors le terroir d’une rêverie intérieure, voire celui d’une écriture poétique comme chez Anna de Noailles : « Mon cœur indifférent et doux aura la pente / Du feuillage flexible et plat des haricots » ou encore « Et ce sera très bon et très juste de croire / Que mes yeux ondoyants sont à ce lin pareil / Et que mon cœur ardent et lourd est cette poire / Qui mûrit doucement sa pelure au soleil ».
Nombreuses sont les auteures qui ont ainsi lié sur le même terreau de l’âme leur écriture et leur jardin pour nous offrir des œuvres rares à la flagrance qui embaume jusqu’aux plis secrets de notre mémoire.
Il en est ainsi de Katherine Mansfield, d’Elisabeth von Arnim, sa cousine, de Virginia Woolf, d’Edith Holden bien méconnue, qui tint un merveilleux journal champêtre en 1906 et se noya en 1920 en voulant cueillir une branche de châtaignier sur une berge de la Tamise…
Suzanne Prou nous confie dans son opuscule si précieux dédié aux jardins que bien des émotions de l’enfance sont liées à des jardins. Ce sont ces émotions, à l’instar de la petite madeleine de Proust, qui conduisent bien souvent la main des femmes du sécateur à la plume et nous permettent de renouer avec nos propres souvenirs. Il en est ainsi des écrits d'Aude Kalfon, de Michel Loetscher, de Véronique Ejnès ou de Marie Gossart et de bien d’autres participant(e)s à ce bouquet de senteurs où Aurélie-Ondine Menninger évoque avec bonheur les sonnets de Silvina Ocampo tandis que Bérangère Thomas nous émerveille avec sa fable de l'arbre et Giovanna Bellati nous ravit avec Les jardins poétiques d’Ada Negri…
Plus de 30 participant(e)s ont répondu à l’appel des « Jardins d’écritures au féminin » et on retrouve chez chacun(e) cette musique particulière qui nous renvoie dans les allées enchantées de nos réminiscences où nous nous plaisons à côtoyer les Demoiselles de Berckheim auxquelles Laure Hennequin-Lecomte redonne vie dans un très beau texte.
Quant à Maximine, elle est pour moi l'une des figures tutélaires qui hante les allées de ce jardin en patchwork de poèmes, d’articles, de nouvelles… Christian Bobin qui rédigea la postface de son recueil L’ombre la neige (éd. Arfuyen), lui rendit un merveilleux hommage en écrivant : « Votre écriture est un jardin ». Il suffit de relire Un Cahier de pivoines pour se rendre compte que ces fleurs folles, ébouriffées, insolentes représentent l’auteure et ses sentiments les plus extrêmes !
Si les lecteurs sont invités à cueillir ici et là des fruits de lumière entre les lignes, ils découvriront que l’ombre distille parfois ses poisons telles des fleurs vénéneuses, nous rappelant ainsi que du jardin des délices à celui des supplices, le verbe a parfois le goût amer…
Dans les jardins de l’écriture n’oublions pas que les morts et les vivants y parlent dans cette langue végétale qui, de la terre au ciel, laisse à la femme la part belle du poème qui ondoie dans sa parure de verdure.
Puissent les textes publiés par Le Pan Poétique des muses nous enchanter et réenchanter notre quotidien malade et en perte de repères où, plus que jamais écrire de la poésie, des nouvelles, ou écrire tout simplement, devient le signe d’une véritable résistance ! Que tous les auteur(e)s, illustratrices, illustrateurs soient ici remerciés et plus particulièrement Dina Sahyouni sans laquelle cette revue n’aurait jamais vu le jour !
Pour citer ce texte |
Françoise Urban-Menninger, « Jardins d’écritures au féminin », Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Jardins d'écritures au féminin », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°3|Été 2013 [En ligne], (dir.) Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 1er juin 2013. |
Url.http://www.pandesmuses.fr/article-n-3-jardins-d-ecriture-au-feminin-117752839.html/Url. http://0z.fr/e8FGW |
Auteur(e) |
Françoise Urban-Menninger, est poète et nouvelliste, auteur d'une vingtaine d'ouvrages de poèmes et de nouvelles. La plupart ont paru chez Éditinter, le dernier recueil de poèmes en date est De l'autre côté des mots. Elle anime des ateliers d'écriture à Strasbourg où elle est critique d'art pour la revue Transversalles, elle rédige également des critiques littéraires pour la revue électronique Exigence-Littérature et collabore au Pan poétique des muses et à la SIEFEGP |
Vidéopoème par Pierre Louis Aouston Extraits du recueil L'heure du jardin de Françoise Urban-Menninger
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