Éditorial du n°1
Retour sur un concept-percept
Dina Sahyouni
Retour sur une revue qui grandit
Née en septembre 2010, elle se concrétise en octobre 2011, la revue LPpdm ou Le Pan poétique des muses est actuellement une revue internationale et polyglotte même si le français est sa langue fétiche. Aujourd'hui, elle vous présente un nouveau numéro...
Entre l'automne 2011 et le printemps 2012, le périodique s'est doté de cinq nouvelles zones grâce à vous (voir la page Nouvelles zones ) et continue à enrichir ses différents calepins et sa biographie. La SIEFEGP est également la création importante qui se réalise au sein de la revue et qu'elle soutient.
Retour sur une définition...
Nous sommes une revue féministe de poésie. Nous sommes une revue de poésie féministe. Nous sommes pour la poésie dans tous ses états et pour la poésie dite féministe. Nous sommes tout cela en même temps et, une structure hétéroclite et mouvante...
La poésie écrite par/pour des femmes ou par/pour d'autres minorités sexuelles et ethniques n'est pas foncièrement une poésie féministe mais elle ne trouve toute sa consistance et toute sa place dans l'Histoire des idées et dans celle de la poésie que par le biais des savoirs féministes.
Ce n'est ni parce qu'une femme écrit un poème (sur son vécu, sur les hommes, sur les femmes) qu'elle est féministe, ni parce qu'elle écrit un poème féministe que l'on peut appeler cela de la poésie féministe, mais parce qu'il n'y a que les théories issues des mouvements féministes qui permettent de donner à une femme (qui se reconnaît femme) et à sa production poétique toutes leurs dimensions socioculturelle et poétiques.
Ici, on fait dialoguer les théories, les méthodologies, les opinions et les lectures divergentes. Et par ailleurs, une de nos missions est celle d'aller au-delà des avatars des critiques qui cherchent à piéger le propos de l'autre en le retournant à son encontre comme une empreinte de sa propre défaillance et de sa propre force de déplaire ou d'être classé.e dans une catégorie qui ne correspond pas foncièrement parlant à sa façon de comprendre le monde.
Retour sur une posture idéologique femme poète ou poétesse ?*
Comme vous le savez, le terme poétesse traîne encore des connotations négatives et met en puéril la qualité du travail poétique d’une femme. Si le terme est innocent, son utilisation l’est nettement moins malgré le passage des siècles…**
On revient sur l'étymologie du terme poésie et celle du terme poète qui renvoient aux termes création et créateur. Pourquoi avons-nous créé un féminin pour un terme qui se termine par la lettre E et qui a une prononciation qui permet qu'il soit épicène ? Inutile de vous dire que je connais l'histoire de l'évolution étymologique de ces termes et pourtant, la question me paraît toujours utile et censée...
Comment nommer les femmes qui écrivent, comment parler de l'autre tout court car l'autre ne se réduit pas à l'autre-femme ?
Cette problématique n'est pas seulement linguistique mais aussi socioculturelle et politique. Cela n'est pas tout, car il est bien difficile de rendre compte de l'autre dans une langue qui tente de gommer ou d'amoindrir son existence en érigeant le masculin en concept universel et neutre. En un mot : Que fait-on de l'épicène ? L'épicène est la forme qui s'approche du neutre même si elle ne l'est point.
Cette difficulté à utiliser le terme poétesse en la débarrassant de toutes ses connotations négatives est complètement étrangère à celle de l'utilisation du terme autrice.
Or, la difficulté de se déguiser en poétesse pour transcender ensuite le terme, provient à mon sens de la figure mythique du poète qui est bien distincte de celle de l’auteur (qui n’est que légendaire). Le poète se proclamant du dieu Apollon, d’Orphée et enfin des muses, l’auteur — quant à lui — ne peut se proclamer que de l’histoire de l’écriture et de celle du savoir lui-même.
Les muses sont bien là et les poésies tragique, épique et lyrique (par exemples) sont les fruits des êtres mythiques genrés (féminins) mais un problème demeure toutefois, c’est celui de la figure mythique et religieuse d’Orphée et d’Apollon. L’orphisme est également une religion comme le culte d’Apollon que l’on peint entouré des muses ; par des êtres féminins qui viennent inspirés le poète (l’être masculin).
L’image des femmes comme égéries, muses, inspiratrices et modèles pour les poète, artiste, savant et auteur, n’a jamais été aussi présente que de nos jours. Le constat est alarmant : Fétichée par les médias jusqu'au bout, la muse résiste...
La poésie comme la danse sont des substantifs féminins mais leur histoire mythique n’est pas la même. Le dieu Apollon qui préside à la poésie avec les Muses est comme Orphée une figure masculine et première de la poésie mais non pas de celle de la danse.
Les femmes ont toujours fait face au refus de leur accorder une place dans l'histoire de la poésie, elles y demeurent mineures. Parmi tous les arts, l'art poétique est celui qui a ignoré le plus l'apport et l'existence des femmes tout en continuant à perpétuer les noms de certaines d'entre elles comme George Sand, Sappho et bien d'autres. Tout en démultipliant les anthologies et les extraits, les femmes ne sont ni reconnues pour leurs théories dans ce domaine, ni pour leur apport créatif et ni pour leur rôle important de diffusionnistes et de lectrices avisées...
Au XVIIIe siècle, le poète était avant tout un auteur dramatique (un dramaturge qui écrivait des tragédies pour le théâtre). Si les femmes ont réussi à cette époque de devenir un phénomène commercial et un fait littéraire en ce qui concerne les genres secondaires comme le roman, elles n'ont pas pu faire admettre à leurs contemporain.e.s leur excellence en matière d'art poétique. Le sanctuaire est resté clos en huis clos pour une minorité d'auteurs hommes. Et peu de femmes du siècle des Lumières ont été retenues par l'histoire en tant que poètes. Nous comptons, par l'intermédiaire de la SIEFEGP, s'attarder sur leurs présence et apport dans une manifestation scientifique à venir...
Retour en amont...
Et comme mot de fin, nous revenons aux textes poétiques des siècles passés qui sont une matière nouvelle ici, et on les traite avec la même passion et le même égard accordés aux textes contemporains. Et l'on peut dire de même pour les textes théoriques anciens qui portent sur la poésie. Pour nous, cela n'est qu'un retour en amont...
Nous renouvelons notre point de vue sur nous-mêmes déjà mentionné dans le numéro zéro : Nous sommes une revue ordinaire et normale, même si nous parlons encore et toujours de poésie. Nous ne façonnons ni un monde à nous et ni une vision restreinte de la poésie et de ses liens avec les arts et les sciences. Nous n'avons aucune prétention particulière à faire valoir quoi que ce soit et l'anaphore en ce sens est l'outil rhétorique le plus approprié pour exprimer cela.
* Nous soulignons que notre point de vue n'inclut que l'héritage gréco-romain.
** "La guerre des mots" est a ce sujet est un exemple important même si l'on n'y parle pas des connotations des termes, voir aussi ibid.
Pour citer cet article
Dina Sahyouni, « Éditorial n°1|Retour sur un concept-percept », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : « Poésie, Danse & Genre » [En ligne], n°1|Printemps 2012, mis en ligne en Mai 2011.
URL. http://www.pandesmuses.fr/article-n-1-editorial-105541812.html ou
URL. http://0z.fr/MblVS
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Auteur(e)
Dina Sahyouni