Megalesia 2018 | Florilège de poèmes sur les violences faites aux femmes
Poésie engagée
La nuit la pensée vacille
&
L’entre-tempes
Deux poèmes par
Mahaut Ladmiral
La nuit la pensée vacille
Un regard. Un deuxième regard. Un sourire dans le métro.
Pourquoi je pressens la lourdeur
Pourquoi la montée de la peur
Regards des hommes dans la rue
Les yeux qui tracent ton chemin avant que tu l’emprunte
Tu sais tout de suite si c’est pour ta pomme
La bouche qui s’ouvre
Ils parlent et tu as raison
Rouge à lèvres et vêtements trop serrés soudain sur ta peau
Tu attires le regard puis la gêne et la peur
Pas encore trop tranchante distillée en pointillés
La vague anxiété
En aiguilles de peut-être
Tu peux encore te traiter de parano
Quand même
Il peut se passer n’importe quoi
Tu le sais
Tu le sais bien que ton corps n’est pas à toi
C’est le marché du vendredi
Tous ces beaux corps tentants à l’étal dans leur atours
Fruits tombés du camion des wagons du métro
Émois que tu devines aux couloirs de la rue
Dedans ces outres moites
Et les sourires frigides
Les déhanchés de pute
Et les cheveux noués
Les sourires sont forcés
Prix d’ami pour ta vertu intacte
Souris, c’est pas bien grave
Et puis je suis gentil
Pourquoi pas se parler
Pourquoi pas s’embrasser
Dans les ruelles en pente
Et les recoins pisseux
Ton ombre se dédouble
Ta pensée qui se trouble
Souris ils ont le droit
Tu es là disponible
Vision qui flotte à l’orée des désirs
Dans les vapeurs torrides
D’une nuit tentation
Des crochets qui se tendent
Sur le vent qui dit non
Le sentiment de proie me fait des taches à l’âme
J’ai la gorge serrée des hantises d’antan
J’ai la colère noire au feu rougi gravée
Dans la peau sur le cœur et dans le pas pressé
Mes talons sonnent sur le pavé
Foulant les souvenirs toutes ces hontes bues
Au voleur je marche en Valkyrie
Ces morceaux de corps volés arrachés des regards
Ils sont à moi
Et la ville
La ville immonde la nuit matou rapiécé en rut
La ville est mienne aussi
***
L’entre-tempes
Les souvenirs qui nagent entre les draps du lit
Les plis de nos corps troubles
Désirs dévorants
Une fois déjà sortie à toute force du gosier d’un autre
Je demeure en alerte
Loin de moi la litanie des heures languides
Loin de moi les rires et les sueurs matinales
Loin de moi l’ici et maintenant
Les cicatrices me lancent trop
Et la main au collet
L’homme assis sur ma poitrine
Toujours là
Toujours
Quand j’ai refusé sa présence
Quand j’ai oublié les errances
Et c’est là
Un gai matin
Que mes membres sont liés
Tu fuis la possibilité de ton désir
Tu fuis la honte qui te tache
Fille-femme d’alors progéniture de peur
Être flou mangé des tempes
Chose
Tout ce temps
Tout ce temps passé goutte-à-goutte
La main amie sur ton sein a ton cœur qui se fige
À la première caresse déjà tes mains transpirent
Baisers jolis et tu as froid
Brise d’un autre temps
Les silhouettes d’autres matins
Remuent entre tes yeux
Le corps n’oublie rien jamais
Sensation souvenir en rétention
Trésor maudit de dragon
Longtemps après la mort des rêves
Écho sans récit qui le pose
Les interprétations dissoutes
Dans les gargouillis du cœur caduc
Les soubresauts sans forme
Comme des ponts entre les mondes
Entre l’inconnue d’hier et celle d’aujourd’hui
Elle n’ont rien à se dire
Rien à se transmettre
Que la peur qui suinte du monde d’en bas
Tenace
Pour éclipser les soleils des réveils
Étaler les empreintes sanglantes du passé à sécher
dans les pas du présent
et le souffle à l’oreille qui susurre encore
souviens souviens moi
mais le souffle de quand la tête crève l’eau noire
je suis vivante
vivante vivante je vis
je gagne
Poèmes pour les 8 & 9 mars 2018
***
Mahaut Ladmiral, « La nuit la pensée vacille » & « L’entre-tempes », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Le Festival Megalesia 2018, Le Printemps des Poètes au féminin & « Le calendrier 2018 des poèmes pour lutter contre les violences faites aux femmes, enfants & minorités », mis en ligne le 9 mars 2018. Url : http://www.pandesmuses.fr/2018/3/la-nuit
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