Dossier majeur | Textes poétiques
Pensées poétiques
sur la maladie & la vieillesse
Illustration de
© Crédit photo : illustration de Martine Sechoy-Wolff, n°1
Nous sommes la somme de nos ancêtres, la somme de n’osant être, les sommes de nos ans d’être.
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Je suis avec toi tous mes ancêtres
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Dans ma chambre de jeune fille, il y a mon corps d’enfant
Dans ma chambre d’enfant, il y a parents et grands-parents
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Âmour
Quand deux corps se rencontrent dans l’amour
Ce sont les âmes des ancêtres qui sèment
Car l’être qui parfois se crée
Est plein de ce qu’ils avaient été
Quand deux corps s’aiment
Ce sont les âmes qui reviennent
Les parents oubliés les parents enterrés
Soudain ressuscités
Quand tu viens à ma rencontre
Et que je meurs dans tes bras
Car je ne sais plus si c’est toi si c’est moi
Tu me fais rencontrer les générations qui m’ont précédées
Quand je te reçois ce sont les tiens
Qui viennent en moi
Ils m’honorent de leur visite
Et toi tu les revois
Quand tu entres en moi
Et que je meurs de joie
Et que tu n’es plus ici mais là
Un nouveau corps prend vie.
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Mari-âge
À chaque fois que l'on se voit je me marie avec toi. Je viens vers toi sous le dais, de ton talith tu me couvres.
Tes parents mes parents tes enfants et les miens nous entourent. Tous ces descendants rendus vivants par ceux d'avant accompagnent nos ébats. Et toi et moi nous nous aimons au rythme de leur nom.
Et nous dansons sous le dais une valse endiablée
Où nos corps aimantés sont sept fois consacrés
Sois louée Éternité qui en nous fut crée
Pour qu’au présent nous remontions le temps
Jusqu’en ce lieu indéfini où dans un éclat de vie
Deux corps unis n’ont plus d’image.
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Ancêtres
Je n’ai que mon corps à t’offrir. Mais mon corps c’est aussi mon âme faite de tous les corps ressuscités par toi quand tu viens chez moi. Ils sont là corps cellulaires, substances moelleuses qui jusque dans la moelle de mes os te reçoivent chez eux.
Pourquoi les rends-tu si heureux ?
Serait-ce qu’en mon corps comme en une maison de passe, nos ancêtres peuvent se retrouver ; des ancêtres chassés par les croisés, deux amoureux séparés, morts depuis des siècles ?
Serait-ce qu’en cette maison où nous nous rencontrons, le passé sème le présent, faisant de nos ancêtres ces êtres de sang que dans leur monde futur nous serions ?
***
Toutes les femmes que tu inventes avec moi me font naître femme.
Femme-salamandre qui renaît de ses cendres.
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Mariage
En sous-marin, en sous-terrain
nous nous marions
Personne ne le voit
Le jour où cela sera
En terre on nous mettra
Dans cette mère, notre terre
Nous nous tairons
Tandis que d’autres diront
Nous nous entre-dévorerons
Alors nos os se mêleront
Nous boirons nos putréfactions
Et nos substances devenues puantes
transformeront nos jacula en Dracula
Mais déjà n’est-ce pas cela ?
Une moelleuse substance n’est-elle pas sucée par toi
Tandis que je suce en moi ta substantifique moelle ?
Mariez-vous !
Passez devant le maire, devant le père
Vous ferez de ces faits du sacré ?
Non ils vous seront sucrés !
***
Conversations
Je suis avec toi tous mes ancêtres
Tu es avec moi tous les tiens
Et les tiens et les miens conversent sans fin
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Sophie Weill, « Pensées poétiques sur la maladie & la vieillesse », illustration de Martine Sechoy-Wolff, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°6|Printemps 2017 « Penser la maladie et la vieillesse en poésie » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 2 mai 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/2017/pensees-vieillesse.html
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Dernière mise à jour : le 9 mai 2017 à la demande de l'auteure