N °7 | Revue culturelle des Amériques
Le regard de
Judivan J. Vieira, juriste féministe,
sur la lutte des femmes : le cas du Brésil
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© Crédit photo : "Remise des Prix au Club Med de Brasilia". Avec Dalva Maria Carvalho Mendes à la XIème Rencontre Internationale des Femmes écrivains, image fournie par Maggy de Coster
En décortiquant l’Histoire de l’Humanité depuis l’Empire babylonien jusqu’à nos jours, Judivan J. VIEIRA, dans son livre intitulé « La femme et sa lutte épique contre le machisme », nous a fait remarquer combien notable est la différence de traitement entre l’homme et la femme. Vu les multiples références de l’auteur, on ne peut pas ne pas être convaincu de la domination masculine à travers les âges. Nombreux sont les avatars malheureux de la femme à travers les civilisations. Elle est tour à tour : une figure anonyme dans l’Empire assyrien, un être inférieur chez les Perses pour ne citer que cela. Quant aux déesses grecques, elles n’étaient pas à l’abri des violences passionnelles. Et l’auteur de souligner : « La règle dans les sociétés antiques était que la femme s’était limitée au rôle de maîtresse de maison, de préceptrice de ses propres enfants et d’esclave sexuelle de l’homme ».
La Femme brésilienne est une lutteuse infatigable contre le machisme qui est un fait historique remontant à la colonisation du Brésil par les Portugais. Cela dit, le machisme puise ses racines dans la société esclavagiste brésilienne où femme fut soumise à la figure masculine : père ou mari tant dans la sphère familiale que dans la sphère sociale. Durant la période coloniale, l’éducation n’était pas valorisée. Les colonisateurs portugais et leurs descendants qui s’adonnaient principalement à l’agriculture ne jugeaient pas nécessaire que la femme fût instruite pour l’accomplissement des tâches quotidiennes.
Le monde n’étant pas statique, grâce à l’accélération de l’urbanisation durant la seconde moitié du XIXème siècle et l’industrialisation impulsées grandement dans les années 30, au siècle dernier un grand chambardement se produisit dans l’organisation familiale et propulsa progressivement les femmes hors des quatre murs du foyer pour gagner le monde du travail en occupant des postes dans l’industrie, le commerce et les bureaux. Pour Judivan J. Vieira : « La femme a autant d’importance pour le monde que le soleil pour notre galaxie. » Aussi se fait-il le défenseur de la cause féminine en dénonçant les injustices dont les femmes sont victimes dans une société faite par et pour les hommes.
Que dire des conquêtes juridico-politiques de la femme brésilienne ?
Grand féministe devant l’Éternel, Judivan J. VIEIRA nous rappelle que : « […] la liberté et l’égalité de la femme sont une conquête qui n’est attribuable qu’à la résistance millénaire de cette dernière. »
À ce compte, il avance : « Le 30 juin 1932 une commission constituée de femmes fut reçue au Palais de Catete par le Président Getúlio Vargas. Elle lui remit un mémorandum avec plus de 5000 signatures en faveur de la leader féministe Berta Lutz, choisie pour élaborer l’avant-projet de la nouvelle Constitution brésilienne. Le 27 octobre 1932 la commission, composée de 23 organisations, fut nommée par Getúlio Vargas en proposant non seulement Berta Lutz mais aussi Nathércia da Cunha Silveira. » Ce n’était qu’un début. Il cite également l’exemple non moins significatif d’une habitante d’Itabira, à Minas Gerais, Virginia Augusta de Andrade Lage qui insista pour s’inscrire sur la liste électorale malgré ses 99 ans. Et ce fut le 3 mai 1933, pour la première fois que les femmes brésiliennes votèrent et élurent aux élections législatives Carlota Pereira de Queiróz, une femme médecin qui se fit remarquer en soignant les blessés de la Révolution constitutionnaliste. Elle fut réélue en 1934. Par la suite, il y eut la biologiste et avocate Bertha Lutz, après avoir été la seconde femme cadre dans le service public en 1919. Elle occupera également le siège laissé par un député à la suite de son décès en 1936. Lors de son investiture à la Chambre des Députés, elle s’exprima en ces termes : « Le foyer est la base de la société, et la femme sera toujours intégrée au foyer. Mais le foyer ne se limite pas à l’espace de quatre murs. Le foyer est aussi l’école, l’usine, le bureau. Le foyer est principalement le parlement, où les lois qui régulent la famille et la société humaine sont élaborées. »
La plus jeune femme élue députée au Brésil en 1950 fut Ivete Vargas, l’unique femme de la Chambre Fédérale et il faudra attendre le 3 octobre 1990 pour que des femmes atteignent la Chambre Haute, il s’agit de Júnia Marise du PRN de Minas Gerais et de Marluce Pinto du PTH de Roraima.
Tenant compte de l’étroitesse de la place des femmes dans la société brésilienne, Judivan J.Vieira juge indispensable et vital qu’au Brésil et dans le monde que les femmes aient une plus large participation dans la vie politique non seulement comme électrices mais aussi à toutes les fonctions électives : « Les femmes sont suffisamment compétentes et ont bien plus que les hommes le sens des responsabilités et l’amour de la chose publique », convient-il. En fin de compte l’auteur nous rappelle que « L’homme est toujours décrit comme acteur de l’histoire et la femme comme spectatrice », passive, ajouterais-je.
Grâce à leur lutte et à leur vigilance, les femmes brésiliennes deviennent visibles sur le plan électoral, aussi obtinrent-elles que la majorité électorale qui était de 18 ans en 1934, passât à 16 ans en 1988. Et la législation d’obliger les partis politiques de présenter sur leurs listes proportionnelles un quota de 30 % de candidates. Pour conquérir des citadelles les femmes ont besoin de l’adhésion et non de la permission des hommes car il ne faut pas oublier que les premiers féministes étaient des hommes comme Poullain de la Barre, Saint-Simon et Condorcet et c’est ce que Judivan J. Vieira a su nous faire comprendre. Cela dit, il revient aux femmes d’éduquer leurs enfants mâles en conséquence.
L’instruction via l’éducation est le premier moteur en matière d’aboutissement de la lutte pour la conquête des bastions qui résistent à la percée des femmes. Donc il importe de promouvoir l’éducation des femmes pour le changement et le bonheur de l’humanité sous tous les cieux. Dans cette ligne de pensée, Judivan J. Vieira préconise la vigilance pour que les acquis des femmes se maintiennent et qu’elles conquièrent en outre, d’autres espaces de liberté pour leur évolution.
Si l’Article 5 de la Constitution fédérale brésilienne stipule que les hommes et les femmes sont égaux devant la loi mais il n’existe aucun article de loi dans ladite Constitution qui protège la femme contre la violence tant dans la sphère privée que dans la sphère publique autrement dit, la violence contre la femme n’est pas explicitement définie sinon diluée dans le paragraphe évoquant la violence familiale et les préceptes de traitement égalitaire. Et Judivan J. Vieira de souligner avec force qu’« il n’y a pas de références spécifiques faites aux femmes ».
À ce compte le taux de féminicide progresse d’année en année au Brésil et varie d’un état à l’autre, pour corroborer nos dires nous nous reportons à un article paru dans un journal en ligne, intitulé « Maranhão » daté du 08/11/2017 et signé de G1 MA, São Luís : « Le nombre de cas de féminicide au Maranhão en 2017 dépasse toute l'année dernière à Maranhão. Selon la police, 30 cas de féminicides ont été confirmés en 2017, 7 dans la région métropolitaine de São Luís, ce nombre étant déjà plus élevé qu'en 2016, où 26 cas ont été confirmés. »
Le crime de légitime défense de l’honneur
Durant 489 ans l’appellation de « crime de légitime défense de l’honneur », désignant les crimes passionnels, résonnait dans les tribunaux brésiliens, où les avocats se révélaient indulgents envers ceux qui tuaient leurs épouses pour adultère, trahison ou déshonneur. « Nous ne voyons pas dans la défense de l’honneur moral, une valeur bien supérieure et inaliénable à la vie. Rien ne saurait justifier le fait pour un être humain d’être la victime de son semblable », s’indigne Judivan J.Vieira. « Justifier la mort d’une femme sous prétexte qu’elle ait porté atteinte à l’honneur de son mari en l’ayant commis trahi sexuellement, c’est dire que l’honneur d’un homme vaut plus que la vie d’une femme et, une telle ignominie, ne peut relever que de la logique machiste, de la violence et de la discrimination », a-t-il poursuivi.
Cet état d’esprit perdure encore, la preuve c’est que le crime de légitime défense est admise dans les Tribunaux de Justice de États suivants : Acre, Ala Goas, Bahia, Minas Gerais, Mato Grosso do Sul, Pernambuco, Paraná, Santa Catarina et San Pablo.
Éloigner la femme du monde du travail c’est freiner le développement économique d’un pays. Le nombre de femmes chefs de foyer est en constante augmentation au Brésil. Entre 1996 et 2006 le nombre de femmes chefs de famille est passé de 10,3 millions à 18, 5 millions et au cours de cette même période, le taux de participation des hommes aux tâches domestiques a augmenté en passant de 44,4% à 51,4% mais cela ne dit pas pour autant que les femmes soient libérées des tâches domestiques car le pourcentage de femmes attelées au tâches domestiques est de 92%, nous fait remarquer Judivan J. Vieira. Le niveau de scolarité des femmes continue de s’améliorer. En revanche, on constate une disparité ville/campagne car c’est dans les villes que les niveaux d’études sont plus avancés contrairement aux milieux ruraux où les femmes sont analphabètes et reléguées dans des emplois précaires.
© Crédit photo : Dalva Maria Carvalho Mendes, image fournie par Maggy de Coster
La femme brésilienne après avoir été contrainte à la passivité eu égard à la structure sociopolitique de son pays ou à la création de ce dernier, a su renverser nombre de barrières, franchir des obstacles pour se réaliser en se taillant une place aux côtés des hommes. Tout cela nous laisse à penser que la lutte de la femme contre le machisme et pour l’équilibre social est un travail continu. Cependant nous ne pouvons pas perdre de vue que l’économiste Dilma Vana Rousseff fut la première femme à être élue à la tête de l’État brésilien le 1er janvier 2011 après avoir occupé des postes ministériels et qu’elle a été réélue en 2014, en dépit du scandale de corruption qui a entraîné sa destitution. Citons aussi Dalva Maria Carvalho Mendes, médecin et 1ère femme contre-amiral de la marine brésilienne, l’équivalent des forces armées brésiliennes.
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Maggy de Coster, « Le regard de Judivan J. Vieira, juriste féministe, sur la lutte des femmes : le cas du Brésil », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°7 | Automne 2017 « Femmes, poésie & peinture » sous la direction de Maggy de Coster, mis en ligne le 16 novembre 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/2017/11/vieira.html
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Dernière mise à jour : 17 novembre 2017