À travers ces tournages, c'est tout un cheminement pour comprendre davantage les cultures, les raisonnements, les logiques, les attitudes, les réactions, le respect mutuel, l'esprit de l'autre dans sa relation aux personnes et à la vibration de son environnement.
Cette démarche de compréhension est vitale pour atteindre universellement la tolérance. La poésie est pour moi un mouvement d'Âme. C'est aussi pour cela que je ressens la nécessité de la dessiner. Pour qu'elle puisse être vivante, elle a besoin d'une terre propice. La Tunisie, et plus spécialement Tozeur et ses environs en est une. Par le désert, par le Chott, mais aussi par les personnes qui lui donnent une belle place et la respectent, la poésie est inspiration et aspiration. Un lieu inspirant et paisible est fondamental pour mettre en images mes poèmes. Au lieu de me fermer sur une idée, je préfère interagir avec les propositions des personnes de l'endroit, voir à quoi elles sont sensibles, qu'est ce qui est parlant pour elles, quels sont les paysages qui les touchent... Il s'agit presque d'une provocation de prendre la liberté de tourner selon leur conception et de se laisser guider.
Leurs initiatives sont importantes pour moi, elles sont même encouragées. J'essaie de me fondre dans le contexte, par respect de leurs opinions plutôt que par dirigisme, considérant que chacun a une part importante à amener à l'humanité, en toute simplicité. J'aime valoriser ce qu'ils font, saisir leur logique, comprendre leurs priorités. Cela ouvre l'esprit et le cœur. Percevoir leur sensibilité, saisir leur approche visuelle, auditive et kinesthésique, établir une relation de mise en confiance pour une expression complémentaire à la mienne sont des étapes fondamentales dans la réalisation d'une œuvre collective non dirigée par une seule personne. Cette approche permet de riches échanges dans la réalisation du concept : sur la manière de collaborer, de mettre en forme le projet, par exemple en tenant compte des raisonnements et des manières différentes d'approcher les notions. Il est intéressant d'analyser les divers modes de réaction pour aboutir à la création d'une œuvre collective. En Tunisie, j'ai été interpellée par l'effet vibratoire d'une demande ou d'une suggestion et par la vague de collaborations que cela déclenche spontanément. On sent rapidement que les réactions sont menées par générosité naturelle, par respect, par amour, par gentillesse et bonté, par envie de faire plaisir.
Au-delà des moyens techniques, des solutions sont souvent trouvées par solidarité, dans une démarche participative très révélatrice. Cela justifie certains choix dans les films. Par exemple, priorité a été donnée à l'intégration d'une solution trouvée sur place plutôt qu'à sa résolution techniquement parfaite. L'imperfection d'une vieille couverture est par exemple bien plus riche et justifiée qu'un décor parfait d'un tournage en studio, car elle est le reflet même de la démarche. Dans le sud tunisien, la relation prend une dimension riche. L'importance de la famille, par le lien qui unit les générations y est très marquée. De ce point de vue, la Tunisie est certainement un endroit clé, un pont reliant l'Orient et l'Occident, où règne une grande générosité dans un processus interactif établi autours de valeurs fondamentales en fonction de l'environnement familial et naturel.
Ces tournages poétiques menés en complicité avec les personnes et les familles de l'endroit, ont d'autre part guidé ma curiosité notamment vers la découverte d'un répertoire de chants de tradition orale que j'ai été très heureuse de pouvoir enregistrer et diffuser. C'est là une vraie source d'inspiration et de ressourcement, tout comme les magnifiques paysages imposants, d'une grande pureté. Le silence et la grandeur y règnent, des dunes de sable aux oasis ombragés, du désert de roches aux lacs desséchés de cristaux de sel. Le Chott El Jerid, par exemple, est à la fois mer et désert, ni mer ni désert pourtant, un lieu inspirant, spirituel, vivant, évoluant de jour en jour, d'heure en heure. On en perçoit sa dimension universelle, horizon de l'humanité dans sa vaste étendue, mais également source d'élévation dans sa dimension verticale, puisant dans l'eau recluse en profondeur et le sel jaillissant à la surface toute la force et l'énergie de l'élévation. La sensibilité poétique et artistique des personnes de Tozeur m'ont permis de réaliser cet enracinement poétique là où je me suis sentie « si bien ». Merci chaleureux à celles et ceux qui m'y ont aidée et encouragée, plus spécialement à la Famille Chebbi.
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