Encore un exemple de l’incapacité de notre société à considérer une femme d’esprit égale à un homme : il s’agit de la patiente, voire laborieuse élaboration de l’hagiographie de l’écrivain Lucien Rebaté. Une émission radiophonique.
Un modèle ! qui montre comment l’on justifie une œuvre littéraire par la méthodologie de la critique genrée pratiquée par les hommes. L’argument le plus marquant est le recours à une grande référence universitaire, Georges Steiner. Cet universitaire de renom considère Les Deux étendards (Gallimard, 1952) comme « le chef d’œuvre méconnu du XXe siècle », écrit en prison. « La jeune fille, Anne-Marie » est nommée par son prénom, mais personne n’indique qu’elle figure une autrice, Simone Chevallier, « la grande poétesse méconnue du XXe siècle », si je puis oser me substituer Georges Steiner.
Le représentant des études rebatiennes a parlé de « l’abjection » de cet écrivain oublié, labellisé « extrême droite », et doué d’un vrai talent. Il y aura toujours un homme qui voyage au bout de la nuit… Nos structures sociales n’aident ni ne financent une association d’études pour une poétesse. Il est temps de rendre compte de cette diversité : en littérature aussi, « il y a deux sexes », précise le titre d’un livre d’Antoinette Fouque.
Un article sur La Toile, écrit avec brio, énonce cette violence culturelle envers les femmes les plus « brillantes » : « Cernée par ce duo chatoyant, Anne-Marie n’en demeure pas moins la plus brillante. Elle éclipse tout en attisant. Elle sera longtemps cet astre merveilleux avant que Régis et Michel ne la poussent à s’éteindre. » (voir url : http://philitt.fr/2012/09/24/lanne-marie-de-rebatet-entre-semence-et-lumiere/).
« J’ai peur du front pierreux des antiques rochers »
Simone Chevallier, Délivrez-nous du mal, p. 16, Les Cahiers d’art et d’amitié, 1940.
L’injonction « lire des femmes de lettres »* reste hélas ! d’actualité. Lisez et soyez emportés par cette poésie de «chants extatiques», à « l’harmonie consciente » (op. cit., p. 53), à « l’immortelle essence » (op. cit., p. 62). Ses images transmettent le pur enseignement du mystère.
Souhaitons que les efforts pour placer Rebatet sur un piédestal servent à Simone Chevallier, dont l’inspiration classique porte une sensibilité merveilleuse, dénuée d’affectation et de violence. Espérons des études rebatiennes la publication d’un numéro, voire d’un volume, qui étudierait l’influence de la pensée de la poétesse de Délivrez-nous du mal sur l’écriture dudit chef d’œuvre méconnu, Les Deux étendards.
Ce serait l’occasion de ne plus négliger « la plus brillante », donnant aux écrivains à venir les armes pour repenser la nature de la critique littéraire qui reproduit les structures sociales qui éteignent les femmes, d’autant mieux lorsque, modernes Christine de Pizan, nous pensons vainement que l’avenir appartient aux femmes.
« N’es-tu pas trop lasse ce soir ?
… Le printemps rêve…
N’es-tu pas trop lasse de voir
Le blé qui lève ?
Délivrez-nous du mal, op. cit., p. 22.
* Camille Aubaude, Lire les femmes de lettres, Dunod, 1993. Epuisé. En cours de réédition par la SIEFEGP.
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