Événements poétiques | Un Bouquet Poétique pour Toutes à l'École & La Journée Internationale des Droits des Filles 2022
L'institutrice
Poème choisi, transcrit & commenté brièvement pour cette revue par Dina Sahyouni
Crédit photo : Rosa Spanjaard, "Hélène Swarth", portrait de 1919, tableau, image de Commons.
Souffrances intimes
II
L'institutrice
Devant notre maison tous les jours elle passe,
En hiver, en été, par la pluie et le vent,
Mélancolique et pâle et marchant tête basse.
Et ma compassion la suit des yeux souvent.
En étroit waterproof, en mince robe noire,
Elle n'attire point les regards curieux.
Elle court le cachet, comme on dit – vieille histoire ! –
Et c'est là ce qui fait ses vingt ans sérieux.
Sous le poids du travail son jeune front s'incline.
Elle gagne sa vie hélas ! Il le faut bien !
L'impitoyable sort qui la fit orpheline
La laissa pauvre et seule au monde : elle n'a rien.
Ses rubans sont fanés, sa robe n'est pas neuve ;
Mais ce n'est pas sa faute ; elle gagne si peu !
Elle songe à l'ennui quotidien qui l'abreuve.
– Et pour d'autres la vie à cet âge est un jeu !
Le soir, en se couchant, lasse, presque brisée,
Parfois le souvenir d'un rêve chaste et doux
La tient longtemps encore en extase et grisée.
Elle a rêvé d'amour tout aussi bien que nous.
L'avenir souriait dans un nuage rose,
Le ciel était bleu-tendre et le bois était vert.
Le poème fut court ; maintenant c'est la prose.
Le printemps fleurissait ; aujourd'hui c'est l'hiver.
Et, pendant qu'elle fait répéter son élève,
Elle songe à ce temps plein d'exquise langueur,
Aux jours évanouis – et, tranchant comme un glaive,
Le souvenir cruel lui fait saigner le cœur.
Car le bonheur a dit son dernier mot pour elle.
Avril va revenir – mais sa jeunesse, non !
Et nous verrons toujours cette enfant pâle et frêle
Passer, dans sa douleur résignée et sans nom.
Ce texte est un extrait de SWARTH, Eugénie-Hélène Lépidoth-Swarth, dite Hélène (1859-1941). Fleurs du rêve : poésies, Paris, éditeur Auguste GHIO, (1, 3, 5, 7 Galerie d'Orléans), 1879, pp. 90-91. Le recueil déjà cité appartient au domaine public.
La poėte néerlandaise Hélène Swarth ou Stephanie Hélène Swarth est née le 25 octobre 1859 à Amsterdam et décédée le 20 juin 1941 à Velp. Elle s'appelait Hélène Lapidoth-Swarth lorsqu'elle était mariée de 1894 à 1910. Elle a laissé de nombreux écrits parmi lesquels on trouve des recueils et au moins un roman. Le poème transcrit ci-dessus fait partie d'un triptyque intitulé « Souffrances intimes » où Hélène Swarth en portraitiste explore l'état psychique de trois types sociaux. Le deuxième volet décrit les conditions difficiles des institutrices de son époque à travers un tableau poétique mais encore un portrait poétique criant de vérité et de féminisme déplorant et décryptant le poids lourd des normes sociales et économiques qui pesaient sur les jeunes institutrices que la société du XIXème siècle transformait en "Vieilles filles". Ainsi, par cette peinture sociopoétique et féminologique de la condition sociale d'une jeune institutrice, on comprend que l'émancipation des femmes et des filles doit se faire en prenant en compte tous les aspects problématiques de leur situation dans chaque société. Ce qui apparaît comme un sort mortifère dans une société basée sur des places et des relations de subordination entre les classes sociales était pourtant une avancée sociale et économique considérable pour bien des femmes devenues institutrices. À méditer...
© DS.
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Pour citer ce poème engagé de l'aïeule
Hélène Swarth, « L'institutrice », extrait de SWARTH, Hélène (1859-1941), Fleurs du rêve : poésies, (1879), choisi, transcrit & commenté brièvement par Dina Sahyouni, Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Évènements poéféministes | « Un Bouquet Poétique pour Toutes à l'École & La Journée Internationale des Droits des Filles 2022 », mis en ligne le 14 octobre 2022. Url :
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